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Incorrigible Nelson Monfort !


S’il est une discipline sportive dont la difficulté est depuis trop longtemps sous-estimée, c’est bien la traditionnelle interview de fin d’épreuve de Nelson Monfort. Voilà près de trente ans que le journaliste à l’eau de rose sévit sur les antennes de France Télé, faisant subir aux athlètes du monde entier les terribles assauts de son pathos débordant. Dernière victime en date : Camille Lacourt. Après avoir chaudement congratulé le nageur pour ses deux médailles d’or raflées dans la même journée, Monfort, sans doute emporté par l’émoi (une fois n’est pas coutume…), franchit de nouveau la ligne jaune en félicitant « le futur jeune marié », dévoilant au passage la date de l’événement jusqu’ici tenue secrète. L’apollon des bassins réagira par un timide « merci » en détournant les yeux de la caméra, visiblement irrité par ce flagrant déni de vie privée. Sacré Nelson. Jamais à court de verbes lorsqu’il s’agit de donner dans l’indiscrétion. Pourtant, la magnifique victoire au bout du suspense de notre relais messieurs 4×100 4 nages aurait pu (aurait dû !), à elle seule, donner suffisamment de matière à la construction d’un récit riche en émotions, de quoi nous épargner ces quelques saillies superflues. Tel un convive zélé qui, pour signifier son plaisir à la maîtresse de maison, ne peut s’empêcher d’en mettre partout sur la table, le journaliste sportif ne résiste pas à l’envie de déglutiner en live, quitte à gâcher du même coup le plaisir des principaux protagonistes.
Notre virtuose du sentimentalisme mielleux n’en est évidemment pas à son coup d’essai. Nous gardons tous en mémoire l’épisode désastreux de l’interview d’Ophélie-Cyrielle Etienne lors des JO de Londres. “Ophélie approchez ! Parce que nous aimons beaucoup votre sensibilité! […] Vous avez souffert il y a un peu plus d’un an d’un deuil familial. J’imagine à qui vous souhaitez dédier cette médaille ce soir… » Du Monfort pur jus dans le texte ! Gênée, interloquée pour ne pas dire déstabilisée par la question, la jeune championne olympique tente de bricoler un semblant de réponse : “Oui… Euh… Voilà, des personnes qui ont contribué à cette réussite […] ne sont pas là pour la partager avec nous. Mais j’ai aussi envie de penser à tous ceux qui sont là, et toute ma famille qui est venue me supporter…”. Goujaterie 1, tact 0. 
« Sans émotions, pas de communication et sans communication, pas de société » écrivait déjà Jacques Cosnier. Adage mis en pratique par les professionnels du storytelling qui font de la télévision le support privilégié de l’exhibition de l’émotion. Que l’on songe à Nelson Monfort, qui érige la pornographie sentimentale en règle journalistique, ou aux émissions de téléréalité, dont l’audience est, à n’en pas douter, directement liée à leur degré d’étalage d’émotivité, on constate à quel point le voyeurisme est devenu la norme. On peine à imaginer qu’il n’y a encore pas si longtemps, l’image se faisait plus rare. On n’en voyait peu, on la regardait, on essayait de la déchiffrer. Aujourd’hui nous ne la regardons plus, elle nous touche directement, sa visée première est de nous prendre par les sentiments, reléguant notre cerveau au rang de simple organe réflexe. L’affect s’étale dans les journaux. Sa marque s’imprègne sur les écrans et s’amasse dans les galeries spécialisées. Ce n’est plus nous qui la regardons, c’est elle qui nous dévisage. Son regard insiste, il se déploie dans un éternel présent soumis au règne du pathos. Le renversement est achevé. Même l’art ne peut se soustraire à la fonction nouvelle de l’image. Il en est saturé : plaintes, lamentations, tragédies de la vie, de la chair ou des sens. Van Gogh et Artaud ont finalement le dernier mot. Qui aurait imaginé à leur époque, alors considérés comme fous, qu’ils feraient un jour autorité?
Reste à méditer avec plus de sérieux l’avertissement de Greenberg ; « que reste t-il de l’image quand une compassion forcée s’empare des consciences ? »



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