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Transparence : qu’aurait fait Robespierre ?


Transparence : qu’aurait fait Robespierre ?

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Longtemps, j’ai rêvé d’une République incorruptible. Mes modèles de jeune homme étaient Saint-Just et Robespierre, avec une pointe de Che Guevara. J’aimais l’idée que Guevara ait quitté Cuba – « les honneurs, ça m’emmerde ! » pour exporter la révolution cubaine dans une improbable guérilla où il trouva la mort, alors qu’il aurait pu vieillir en paix au côté de Castro.  Sans doute avait-il deviné, au plus secret de lui-même, que toute espérance révolutionnaire se corrompt, à tous les sens du terme, quand elle s’incarne dans un appareil d’État. À moins que l’État ne soit incorruptible, vertueux, pur. C’est ce que voulait Robespierre, c’est ce que je voulais. Il faut m’excuser, j’avais 17 ans et, contrairement à ce que dit Rimbaud, on est beaucoup trop sérieux quand on a 17 ans.
Je vibrais aux exploits de la Convention, du Comité de salut public, rien ne me semblait plus beau que les discours de Robespierre : « Nous voulons substituer dans notre pays la morale à l’égoïsme, la probité à l’honneur, les principes aux usages, l’empire de la raison à la tyrannie de la mode, le mépris du vice au mépris du malheur, la fierté à l’insolence, la grandeur d’âme à la vanité, l’amour de la gloire à l’amour de l’argent. »[1. « Sur les principes de la morale politique », 5 février 1794, cité dans Robespierre : entre vertu et terreur, Slavoj Zizek présente les plus beaux discours de Robespierre, Stock, 2008.][access capability= »lire_inedits »]Robespierre détruisait les vieilles valeurs aristocratiques, mais c’était au nom de la pureté que l’on appelle aujourd’hui « transparence ».
Les propos de Mélenchon, dernier homme politique à avoir Robespierre pour référence, sur une vie République débarrassée des faquins et des coquins ont, pourquoi le nier, des accents qui me plaisent, comme me plaisent les accents de Robespierre s’adressant aux riches dans son discours « Sur les subsistances » du 2 décembre 1792 : « Apprenez à goûter les charmes de l’égalité et les délices de la vertu ; ou du moins contentez-vous des avantages que la fortune vous donne, et laissez au peuple du pain, du travail et des mœurs. »
Mais, dans une manière de schizophrénie douce, il se trouve que j’ai aussi lu, un peu plus tard, vers 20 ans, Cioran, et qu’il n’a plus jamais quitté ma table de chevet. Quand je sens que mes pulsions robespierristes me reprennent – et comment nier qu’elles me reprennent en ces temps de comptes cachés à l’étranger et d’évasion fiscale spectaculaire, alors que le pays réel souffre de plus en plus de la rigueur économique –, je me jette sur Cioran. C’est un antidote très sûr aux envies de Terreur. J’aimerais tellement que l’exigence de pureté aille sans le désir de meurtre, mais Cioran nous apprend que cela est très difficile, voire impossible.
Au début de son Précis de décomposition, il remarque : « On se méfie des finauds, des fripons, des farceurs ; pourtant on ne saurait leur imputer aucune des grandes convulsions de l’Histoire ; ne croyant en rien, ils ne fouillent pas vos coeurs, ni vos arrière-pensées ; l’humanité leur doit le peu de moments de prospérité qu’elle connut : ce sont eux qui sauvent les peuples que les fanatiques torturent et les “idéalistes” ruinent. »
Robespierre et Cioran s’opposent presque terme à terme, on le voit. À une époque, j’aurais préféré avoir tort avec Robespierre que raison avec Cioran.
Aujourd’hui, je ne sais plus. Pour Stendhal, le régime idéal était la monarchie absolue tempérée par l’assassinat ; peut-être que le mien serait celui d’un incorruptible avocat d’Arras tempéré par l’ironie sceptique d’un philosophe roumain.[/access]

Mai 2013 #2

Article extrait du Magazine Causeur



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