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Notre-Dame des wokes

Un Christland destiné aux touristes?


Notre-Dame des wokes
L'autel de la cathédrale au milieu des gravats, un mois après l'incendie, 15 mai 2019. © Philippe Lopez / Pool / AFP

C’est un cadeau de Noël plus que douteux que le diocèse de Paris a offert à Notre-Dame. Le projet de réaménagement de la cathédrale, qui a reçu un premier avis favorable de la Commission du patrimoine, prévoit notamment de remiser mobilier et œuvres d’art du XIXe siècle pour faire entrer le street art et des projections lumineuses multilingues sous ses voûtes. Bisounours du monde entier, aimez-vous les uns les autres !


Ce sont les Anglais qui ont tiré les premiers. Fin novembre, un article du Daily Telegraph a révélé le projet de réaménagement intérieur de Notre-Dame de Paris en le qualifiant de « Disneyland politiquement correct ». On a alors commencé, de ce côté-ci de la Manche, à s’intéresser à ce que mijotait le diocèse de la capitale : une véritable opération wokiste. À en croire les plans du père Gilles Drouin, missionné pour piloter ce chantier par Mgr Michel Aupetit – qui a depuis démissionné pour d’autres raisons –, la cathédrale du xxie siècle semble devoir se muer en parc à thème, en lieu pédagogique et festif, ludique et régressif. Pour attirer les curieux, il prévoit des projections lumineuses de phrases bibliques en français, en chinois et en arabe sur les murs de 14 chapelles qui avaient été remodelées par Viollet-le-Duc. Celles-ci subiraient au passage de sérieuses transformations : la moitié d’entre elles seraient privées de leurs confessionnaux, remisés dans les tribunes, et leurs autels seraient totalement dépouillés de leurs candélabres, ostensoirs et autres sculptures dessinées par l’architecte. Place nette serait ainsi faite pour laisser l’art contemporain « dialoguer » avec les toiles des Mays, de Le Nain ou Le Brun. Des artistes vraisemblablement trop passéistes pour l’Église du futur. La « scénographie » de Notre-Dame s’enrichirait de créations d’Ernest Pignon-Ernest, d’Anselm Kiefer, de Louise Bourgeois et de quelques sommités du street-art qui manquent sérieusement à l’édifice depuis plus de huit siècles. Dans la foulée, les chapelles seraient également rebaptisées de façon thématique : « Foi et Raison », « la Mystique », « la Charité », « la Mission », « l’Espérance » et même « la Création réconciliée » ! L’éclairage de la nef varierait, quant à lui, « selon les jours » – et l’humeur du bedeau ? Afin de faciliter la pénétration des voies du Seigneur, il serait aussi envisagé de se débarrasser des immémoriales chaises en paille pour les remplacer par de confortables bancs dotés de « lumignons » afin de « créer un halo et de mieux inclure l’assemblée pendant les services religieux », lesquels bancs seraient, en outre, montés sur roulettes pour faciliter leur déplacement s’il fallait faire de la place. À quelle fin ? Pour un concert-électro-événement durant une Nuit blanche, ou pour transformer Notre-Dame en fan zone lors des JO, puisque 2024 est – depuis le début du chantier – la date fixée par les autorités pour sa réouverture au public ?

Conférence de presse du père Gilles Drouin, responsable du projet d’aménagement de la cathédrale, 15 octobre 2019. © Mario Fourmy / SIPA

Avis favorable

Que le diocèse fourmille d’idées merveilleuses pour ouvrir un « Christland destiné aux touristes » – selon l’historien de l’art Pierre-André Hélène – est une chose, que la commission nationale de l’architecture et du patrimoine les valide en est une autre, et c’est inquiétant. Ses 26 experts ont ainsi donné un avis favorable, début décembre, à ce projet de réaménagement en ne retoquant que deux points : les bancs lumineux et le déplacement des statues de Viollet-le-Duc. Selon un membre de la commission cité par Le Figaro, « le diocèse est libre de ses choix esthétiques mais la cathédrale réclame de la solennité ». Concernant les statues, il poursuit avec bon sens : « Elles ont été créées pour les chapelles au xixe siècle et on ne voit pas pourquoi les en sortir. » Le diocèse doit donc revoir partiellement sa copie, mais peut faire appel, s’il le souhaite, à Valérie Damidot pour relooker la déco car « l’Église est affectataire des lieux et dispose d’un libre choix ». Les experts ont toutefois formulé le vœu que la commande du nouveau mobilier liturgique soit faite auprès d’un seul artiste, pour des « raisons esthétiques ». Aucun nom n’a encore été annoncé, mais il se dit que Roselyne Bachelot est emballée par l’idée, et il se murmure qu’Emmanuel Macron aussi. Pour qui se souvient de notre président qui, devant une cathédrale encore en flammes, annonçait que la flèche pourrait être remplacée par un « geste architectural », il y a de quoi craindre le pire.

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L’avis favorable de la commission va en tout cas permettre de passer commande rapidement à un artiste subventionné, comme l’a annoncé dans un communiqué le général d’armée Jean-Louis Georgelin qui préside au bon déroulement des travaux : « En tant que garant du calendrier et maître d’ouvrage du chantier de restauration, ce jalon essentiel nous permettra de lancer des appels d’offres […] et d’avancer résolument vers la réouverture de la cathédrale au culte et à la visite en 2024. » Le même se félicite, dans son texte, que « les grands principes du programme d’aménagement liturgique porté par le diocèse de Paris, et fruit d’un équilibre entre les exigences du culte et les principes de conservation du patrimoine, aient reçu un avis globalement favorable. » Éric Zemmour a donné une définition de cet Établissement public chargé de la conservation et de la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris (titre complet) que préside le général Georgelin : « Une usine à gaz dispendieuse destinée à satisfaire les caprices d’Emmanuel Macron. »

Il est à noter qu’Éric Zemmour est la seule personnalité politique à avoir dénoncé ce projet de réaménagement délirant. Dans une tribune publiée dans Le Point, adressée aux « amoureux de la splendeur de notre civilisation », le candidat de la « Reconquête » se désole qu’on s’attaque ainsi au « centre de gravité de la chrétienté française et symbole de notre Nation ». Il déplore aussi que « le président de la République tente de faire passer les passionnés de Notre-Dame pour des passéistes, des ringards. Mais depuis quand la modernité consiste-t-elle à défigurer un chef-d’œuvre inouï pour le remplacer par un fantasme imbécile ? […] Espaces émotionnels, chapelle écologique, parcours initiatiques, peinture abstraite : dans une fournaise d’abstractions imbéciles et kitsch, les démons du wokisme s’acharnent sur le trésor le plus émouvant de Paris. » Et le candidat de promettre : « Si d’aventure [Emmanuel Macron] s’obstine à laisser défigurer la cathédrale de Paris, lorsque je serai élu président de la République, je m’engage solennellement à ce que Notre-Dame redevienne Notre-Dame. J’inscris cette intention, de manière définitive, dans mon programme électoral. »

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Ce que l’incendie a épargné…

Si, côté politique, la transformation de la cathédrale en Babel touristique laisse de marbre, beaucoup d’historiens, universitaires, intellectuels, chercheurs et conservateurs du patrimoine hésitent entre désarroi et colère. À l’initiative du Figaro et de La Tribune de l’Art, une centaine d’entre eux ont signé un texte pour alerter sur ce projet, émanant de l’Église elle-même « où la niaiserie le dispute au kitsch », sous ce titre : « Ce que l’incendie a épargné, le diocèse veut le détruire ».Comme le rappelle Didier Rykner, directeur-fondateur de La Tribune de l’Art, le diocèse « estime ainsi que les destructions de l’incendie sont l’occasion de transformer l’appréhension du monument par le visiteur, alors même que celui-ci s’est limité à la toiture et à la flèche et n’a rien détruit de patrimonial à l’intérieur. […] Les auteurs de ce projet cherchent à mettre en place un autre parcours, une autre expérience du monument, alors même que Notre-Dame offre déjà un parcours, qu’elle a déjà un discours. » Ce discours, c’est celui de Viollet-le-Duc qui a fait renaître un décor d’ensemble cohérent et d’une remarquable perfection formelle. Cette tribune le souligne comme il se doit : « L’architecte génial, soucieux de prolonger et d’achever le travail des bâtisseurs du Moyen Âge, avait conçu une œuvre d’art totale, faisant se correspondre architecture et décor, peinture et sculpture, ébénisterie et orfèvrerie, vitraux et luminaires. Guidé par une vision très précise d’un idéal artistique et spirituel, il avait élaboré et mis en œuvre la cathédrale des cathédrales. »

En écho à cette pétition publiée le 8 décembre dernier, le mot dièse #saccageNotreDame a vu le jour. Si Twitter avait existé plus tôt, peut-être aurait-il aidé à guérir le diocèse de Paris qui souffre d’un complexe patrimonial aigu depuis un certain temps. Pendant quelque vingt années, le cardinal Lustiger n’a eu de cesse de vider la cathédrale de l’héritage mobilier et artistique de Viollet-le-Duc dans l’indifférence générale !

Le spectacle son et lumière « Dame de cœur », sur le parvis de Notre-Dame, 20 octobre 2018. © AFP Ludovic Marin / AFP

Crise profonde

Le projet du diocèse ne fait pas l’unanimité dans ses propres rangs. Mais la querelle est bien plus profonde qu’une énième opposition entre anciens et modernes. Elle révèle cette volonté répandue de niveler par le bas. Si dans le monde de l’enseignement, c’est révoltant, dans l’univers du spirituel, c’est effrayant. Comment concevoir, et accepter, que les gardiens du temple instaurent eux-mêmes, en son sein, les codes d’une néo-modernité faite pour le détruire.

L’esprit des lieux est une réalité tangible, sensible. Notre-Dame de Paris le prouve par son existence et sa préservation. Elle n’est pas un lieu de « culture », c’est un lieu sacré, un lieu de culte, un lieu chargé de toute l’histoire de France. Une telle densité de symboles, de valeurs et de messages ne se retrouve dans aucun autre monument de notre pays. C’est cette unicité fédératrice qui se doit d’être défendue : ce poids de la pierre ancrée dans le sol de Paris qui, paradoxalement, s’élève bien au-dessus de nous, envers et contre tout, depuis toujours.

Le projet du diocèse ne révèle pas qu’une indécente pensée Bisounours, il véhicule aussi une idée qui, si elle s’avérait vraie, serait d’une incommensurable tristesse : l’humanité a-t-elle à ce point perdu sa faculté d’être touchée par le mystère et le mystique, le spirituel et le sacré, que ceux qui en sont les garants doivent projeter des mots magiques et des dessins animés en prenant soin d’illuminer leurs voûtes pour en chasser toute pénombre habitée ? Si ce n’est pas le cas, le message envoyé par le diocèse de Paris est alors, et tout simplement, très insultant.

Cathédrales à la loupe
La France est peuplée de cathédrales, à l’instar de l’Europe qui en est hérissée. L’histoire commence en 313, lorsque l’empereur Constantin Ier, converti au christianisme, promulgue l’édit de Milan et fait bâtir deux édifices : la basilique Saint-Pierre, à Rome, et la basilique Sainte-Sophie, à Byzance. L’histoire se fait ensuite épopée, des abbatiales mérovingiennes aux grandes cathédrales des âges romans puis gothiques. La Renaissance réinvente cette vision architecturale sans commune mesure qui saura renaître, encore, aux xixe et xxe siècles. Dans le beau livre qu’il consacre à cette extraordinaire aventure technique et spirituelle, l’architecte Alain Billard sillonne les siècles et les territoires pour disséquer cryptes et transepts, nefs et charpentes, tribunes et contreforts… On se penche sur les ruines de la basilique romaine de Leptis Magna, sur la côte libyenne, comme on traverse les voûtes de la cathédrale de Gloucester, en Angleterre. On découpe l’église de Saint-Étienne de Nevers, dans la Nièvre, pour comprendre l’enchevêtrement de sa construction, et l’on se laisse subjuguer par les boiseries polychromes et dorées de Saint-Jean-de-Latran, à Rome. De courts textes mettent en avant ces architectes, ces maçons et ces artisans qui ont, avec ces monuments, édifié les fondations de notre civilisation car, comme l’écrit l’auteur, « toute blessure qu’une cathédrale peut subir trouble les hommes jusque dans leurs racines. »

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Janvier 2022 - Causeur #97

Article extrait du Magazine Causeur




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Journaliste. Dernière publication "Vivre en ville" (Les éditions du Cerf, 2023)

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