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La violence, ce jeu d’enfant


La violence, ce jeu d’enfant

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Ceux qui reprochent à Django unchained son inconséquence n’ont probablement pas tort. Tarantino est une sorte d’enfant qui joue à faire des films. Plus que jamais depuis Inglorious Basterds, ses personnages passent leur temps à jouer. Les déguisements, la comédie : une certaine atmosphère de carnaval passe d’un film à l’autre.  Mais comme dans tout jeu, il faut des règles : la langue dans laquelle on parle est l’une de ces règles. Dans Inglorious Basterds comme dans Django unchained, les personnages joués par Christoph Waltz prennent plaisir à changer la langue utilisée. C’était le cas du colonel Hans Landa, c’est le cas du docteur Schultz, qui joue aussi bien de son anglais châtié que de son allemand natal.

L’intrigue même de Django Unchained fonctionne sur une série de trois conciliabules entre le docteur Schultz et son protégé Django (Jamie Foxx) et les développements du récit sont clairement programmés : 1) Schultz achète Django à des négriers et lui fait part de son projet : s’associer avec lui pour tuer trois frères renégats dont la tête est mise à prix. 2) Le duo s’entend pour la suite des événements : ils passeront l’hiver à chasser des primes avant de libérer la femme de Django. 3) Django et Schultz fomentent un plan pour libérer la femme de Django.

Trois temps, donc, dans lesquels Django joue trois rôles différents. Dans le premier acte, il se transforme en valet – occasion pour lui de porter un costume bleu extravagant – dans le second, il devient chasseur de prime et dans le troisième, il compose un personnage de négrier noir. C’est par cette succession de théâtres que Django devient un homme libre : grâce à Schultz, il découvre que l’on peut choisir qui l’on est. Ce côté émancipateur de la fiction est quelque chose de nouveau chez Tarantino, du moins sous cette forme aussi méthodique et linéaire. En discrète toile de fond, l’histoire de Brünhild et de Siegfried, racontée un soir par Schultz, confère à Django l’aura de la légende.

La mécanique du jeu est indissociable de la parole, omniprésente dans Django unchained. Étrangement, Tarantino est plutôt économe dans les effets de mise en scène. Même ses gimmicks, comme l’usage immodéré du zoom, viennent souligner des répliques : tout tient dans les dialogues. Il est surprenant que Tarantino ait résisté à la tentation de mettre un duel dans son western spaghetti. Les confrontations restent verbales, comme s’il suffisait d’installer par la parole une atmosphère d’affrontement larvé. Un maniériste aurait pris plaisir à étirer les scènes de duel, Tarantino est un maniériste au carré qui se contente de jouer avec l’idée de duel.

La violence de Django unchained participe de cet équilibre précaire qui, dans le far west, tient lieu de justice. Le désir de vengeance de Django procède du même principe de justice, où il faut rendre à chacun ce qui lui revient. La violence n’est pourtant pas toujours aussi bien balancée. Un sain malaise vient dérégler ce petit jeu. Vers la moitié du film, Django laisse un esclave, surnommé « d’Artagnan », se faire dévorer par les chiens de monsieur Candie, le méchant joué par Leonardo DiCaprio. Quelque scènes plus tard, quand il en a enfin l’occasion, il venge l’innocent en tuant les assassins. Le « Pour D’Artagnan ! » qu’il lance à ce moment là semble bien dérisoire et n’efface pas le souvenir de ce corps démembré par les chiens.

Il est dès lors surprenant d’entendre les commentateurs critiquer d’un côté une violence « gratuite », ou exalter de l’autre une violence « jouissive ». Il semble au contraire que cette violence soit là, plus que jamais chez Tarantino, pour poser problème. Dans la manière par exemple dont elle se donne en spectacle à travers les combats d’esclaves.

On ne peut s’empêcher, dans ces moments-là, de penser à l’un des premiers plans du film par lequel Tarantino nous donne à voir le dos également lacéré de Django. Si certaines scènes grand-guignolesques peuvent donner l’impression d’une catharsis pour les nuls, il y a en contrepoint des séquences très dures et prenantes qui semblent se coller à la rétine des personnages. La cruauté de l’esclavage n’est pas seulement punie rétrospectivement, elle est aussi présentée comme complexe et retorse. L’excellent Samuel L. Jackson y est pour quelque chose, avec son personnage de mauvais démon déguisé en oncle Tom.  Devant tout cela, quand les dialogues ne savent plus pondérer ni la mort ni la souffrance, le docteur Schulz n’a plus qu’à faire feu avant de soupirer : « Sorry, I couldn’t resist ».

 

*Photo : cadependdesjours.com



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Timothée Gérardin est l'auteur du blog cinéphile <a href="http://fenetressurcour.blogspot.com">Fenêtres sur cour.</a>

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