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Les conseillers départementaux : un couple inconstitutionnel ?


Les conseillers départementaux : un couple inconstitutionnel ?

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Le Sénat vient de repousser en première lecture le projet de loi organique relatif – entre autres – à l’élection des conseillers départementaux, destinés à remplacer les conseillers généraux actuels et les conseillers territoriaux de la réforme portée par Nicolas Sarkozy. Qu’à cela ne tienne, l’Assemblée nationale, qui va maintenant examiner le projet, pourra le voter en dernier ressort puisqu’il n’y a pas de possibilité de veto sénatorial, le texte n’étant pas directement relatif à la Chambre haute.

Cette réforme vise notamment à renforcer la parité au sein de la nouvelle assemblée départementale. 11% de femmes siégeaient dans les conseils généraux en 2006, 13,5% en 2009,  alors même qu’en imposant aux candidats un suppléant de sexe opposé on avait favorisé l’émergence « d’un « vivier » de femmes » (sic, rapport de Michel Delebarre)… la délégation aux droits des femmes s’en étranglait de rage depuis des années. Hélas, comme le rappelle le Doyen Gélard ici plus à l’aise qu’avec le décompte des voix UMP d’Outre-Mer, « aucune disposition législative contraignante n’a été prévue pour favoriser l’accès des femmes aux mandats de conseillers généraux ». En effet, le mode de scrutin, majoritaire uninominal à deux tours, comme celui des législatives, ne permet pas, au contraire de la proportionnelle, des listes chabada (sic), alternant un homme et une femme. De plus, et contrairement aux dites législatives, les partis politiques, peut-être parce qu’ils sont moins présents dans un scrutin local où émergent plus facilement des candidats indépendants, ne sont pas sanctionnés financièrement s’ils bafouent la règle paritaire. Que faire, comme disait le célèbre démocrate ?

Premièrement, diminuer de moitié le nombre des cantons. Deuxièmement, faire élire à un scrutin majoritaire à deux tours, non plus un, mais deux conseillers par canton, un binôme nécessairement paritaire – c’est-à-dire, à l’heure actuelle, composé d’un homme et d’une femme. La formation de ce binôme permettra des tractations entre partis avant l’élection, politisant un peu plus l’assemblée locale, pour le meilleur et pour le pire.  Au vu du comportement de l’actuelle majorité plurielle, on peut avoir des doutes sur l’homogénéité des votes futurs du binôme, ce qui reviendrait à s’asseoir au moins pour moitié sur les choix des électeurs. Mais pour nos élus, tromper l’électeur sur la marchandise politique ne serait pas le pire effet pervers. Comme le déclarait en effet devant le Sénat la présidente de la délégation aux droits des femmes : « Nous nous sommes demandés si les deux membres du binôme ne feraient pas l’objet d’un traitement différent, les femmes se retrouvant à nouveau cantonnées dans leurs secteurs traditionnels d’intervention – les questions sociales, l’éducation et la santé –, les hommes continuant de s’arroger le monopole des questions économiques ». Quos vult perdere…  En tout cas, nous aurions enfin, pour la première fois en France, une assemblée exactement paritaire –  d’autant plus qu’un décès ne changerait rien, les suppléants du binôme devant être eux aussi de sexes opposés…

Reste à se demander si on ne fait pas ici un pas de trop. Le motif de la réforme serait d’appliquer dans toute sa rigueur l’article premier de la Constitution selon lequel : « La loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives ». Bien. Mais comme le dit le texte, la loi « favorise », elle ne « permet » pas, et elle « impose » encore moins, même en lisant le présent de l’indicatif comme un impératif, tradition gaullienne oblige,  chose qui n’est pas une évidence pour le Conseil constitutionnel. La haute juridiction a d’ailleurs rappelé le caractère facultatif d’une parité qui ne saurait être considérée que comme un objectif. Pour les élections législatives par exemple, outre que les partis peuvent décider de payer une amende et de choisir le sexe de leurs candidats en bafouant la parité, nul ne sait quel sera le choix de l’électeur entre les différents partis, et donc si la Chambre sera parfaitement paritaire – ce qu’elle n’est d’ailleurs pas. Pour les élections à la proportionnelle, les listes « chabada » des élections municipales ou régionales représentent sans doute l’extrême limite de ce que l’on peut atteindre pour « favoriser » sans « imposer », ce qui nous donne un écart de 3 points entre la proportion d »élus des deux sexes.

Cette approche traduit en fait un renversement complet dans l’interprétation du principe d’égalité. Dans la tradition juridique et démocratique qui est la nôtre, l’égalité ne peut jamais s’entendre que comme une égalité des chances. C’est ce que proclame l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « tous les Citoyens, étant égaux à ses yeux (il s’agit de la loi), sont également admissibles à toutes dignités, toutes places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents ». Avec la parité telle qu’elle est entendue dans ce texte, il s’agit au contraire d’imposer  une égalité de résultat : quelles que puissent être les qualités des candidats potentiels de l’un et de l’autre sexe, il faut arriver à cette égalité arithmétique qui séduit le socialiste français comme le Nord-coréen.

L’argument parfois avancé pour justifier une telle atteinte à notre approche démocratique de l’égalité et son remplacement par un schéma réductionniste  est que l’intérêt général justifierait que, pendant une période donnée, il soit dérogé à son application afin de faire évoluer les moeurs. Nul ne se leurre au sujet de cette fameuse période transitoire : elle durera tant qu’il n’y aura pas d’égalité absolue, et même parvenus à ce nirvana égalitaire, si nous décidions que le temps était venu de suspendre les quotas, la menace pèserait de leur rétablissement au moindre fléchissement de l’égalité de résultat.

Il appartiendra au Conseil constitutionnel, obligatoirement saisi de ce texte, puisqu’il s’agit d’une loi organique, de savoir s’il doit freiner les dérives – et délires – juridico-politiques des partisans de la révolution sociétale en cours. On sait qu’il fallut réviser la constitution pour que les Sages acceptent une politique de quotas par sexes qui leur répugnait fort justement. Le Conseil a là l’une des dernières occasions d’éviter que cette politique antidémocratique n’atteigne un sommet d’absurdité.

*Photo : Moises Rangel.



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est professeur de droit public à l'université de Caen. Il est l'auteur des "grands discours du XXe siècle" publié chez Flammarion

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