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Les progressistes s’attaquent à James Bond

007, agent trouble


Les progressistes s’attaquent à James Bond
Daniel Craig, New York, 4 décembre 2019. © Gregory Pace/REX/SIPA Numéro de reportage: Shutterstock40739618_000076

L’invincible James Bond victime du politiquement correct. Deviendra-t-il le premier agent secret transgenre?


La diffusion de deux films James Bond il y a quelques semaines sur France 2 nous avertit qu’un prochain James Bond sera bientôt dans les salles, et nous rappelle que la production Broccoli & filles est liée à France Télévisions. Ce qui n’est pas le moindre des paradoxes quand on connaît le personnage et l’esprit d’une série qui s’inscrit davantage dans une optique marketing que d’une philosophie de service public.

James Bond, cet abominable réactionnaire

Certes, James est un fonctionnaire, mais il n’en a pas vraiment la mentalité. Il n’entre dans un bureau que pour flirter avec Money Penny, prendre ses ordres de M. ou du ministre de l’Intérieur. Le reste se joue entre des capitales prestigieuses, les mers turquoise et les lagons. Seule compte l’hôtellerie : Bond ne descend que dans les palaces.

L’agent 007 des Services Secrets de Sa Majesté est un abominable réactionnaire qui nous est apparu en 1962, prétendant que boire du Dom Pérignon 1955 au-dessus de 3° est aussi malsain que d’écouter les Beatles sans boules Quies. Un type froid, cynique, dépourvu d’émotions, tuant avec le sourire un minimum d’une trentaine de personnes par épisode, un type que rien ni personne n’impressionne, pas plus les grands de ce monde que les jolies femmes qui lui cèdent au premier regard. Le plus beau spécimen de mâle blanc dominant que l’Occident moderne ait pu engendrer, l’archétype que Delphine Ernotte rêve d’éliminer des couloirs de France Télévisions.

Une virilité pour préadolescent

Pour lui, l’argent non plus n’est pas un problème. Pas de notes de frais. Il lui suffit de donner son nom à l’accueil. Ce que la civilisation produit de plus cher et de plus sophistiqué est mis à sa disposition. Bond parcourt les plus merveilleux paysages du globe en Aston Martin, en jet ou en hélicoptère, qu’il pilote d’un doigt sans se soucier des cours du prix du pétrole.

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Tout ce qui, pour l’humain moyen, serait anxiogène, Bond l’ignore. D’où sans doute, cette extrême décontraction à se jeter, seul, à l’assaut de puissances supra-étatiques pour sauver le monde libre. Car il est né pour ça, au plus fort de la guerre froide, quand la littérature de gare pondait à la commande ce genre d’espion. Mais lui a survécu là où les autres n’ont su inspirer que des parodies. Aurait-il lu Lawrence Durrell qui disait : « Il faut affronter la réalité avec une pointe d’humour ; autrement, on passe à côté. » ?

Bref, cet idéal masculin pour préadolescent de sexe mâle terrorisé à l’idée de devoir se confronter à la réalité du monde n’était, aux yeux des adultes, qu’une amusante métaphore. Une virilité qui fait sourire. Sean Connery nous envoyait ses Bons baisers de Russie, éliminant les importuns tout en gardant son flegme et le pli de son pantalon impeccable. Il y avait un méchant derrière chaque porte. James l’abattait, puis saluait le défunt avec une bonne réplique et une vodka Martini – au shaker, surtout pas à la cuillère. Dans la scène suivante, on le retrouvait en smoking à la table d’un casino, séduisant en un clin d’œil la fiancée du méchant qui, l’instant suivant, le faisait assommer avant de l’inviter à visiter les installations fantastiques du futur maître du monde. On avait peur pour lui, mais pas pour de bon.

Quand James Bond se prend pour…James Bond

Dans les années 70, quand les anti-héros ont remplacé les John Wayne et autres cow-boys solitaires, Roger Moore s’est glissé dans le personnage, lui conférant un humour et une désinvolture nouvelle. Malgré les explosions en série et une sophistication technologique qui rendait parfois les enjeux incompréhensibles, on marchait. On souriait en le regardant mettre KO son adversaire avant de remettre en place sa mèche rebelle. Bond n’avait jamais autant souri de lui-même. Et c’était sans doute un peu trop.

Barbara Bach et Roger Moore dans "L'espion qui m'aimait' de Lewis Gilbert, juin 1977. SIPA. Shutterstock40511107_00000
Barbara Bach et Roger Moore dans « L’espion qui m’aimait’ de Lewis Gilbert, juin 1977. SIPA. Shutterstock40511107_00000

J’ai commencé à m’inquiéter pour lui quand on a confié à Timothy Dalton la charge délicate de le rendre plus réaliste et de lui donner des sentiments. Pierce Brosnan, qui lui a succédé, avait une beauté un peu trop parfaite, mais il gardait aux commissures le demi-sourire nécessaire. Hélas pour lui, on lui annonça, en 2004, qu’ayant franchi la barre des 50 ans, il entrait dans les critères de péremption du mâle blanc que partagent mesdames Broccoli et Ernotte.

Quand j’ai vu arriver Daniel Craig, avec sa gueule de chauffeur-routier, j’ai compris qu’on ne rigolait plus du tout. Fini le second degré. Bond ne rit plus de lui-même. Et pour cause : il est vrai. A sa façon de se présenter, de dire : « Bond… James Bond », il est clair que, désormais, il se prend pour lui. L’humour n’est plus que de situation. Non seulement le beauf peut y croire, mais, pour peu qu’il fréquente les salles de sport, il peut s’y voir. Il y a donc urgence à lui donner un profil politiquement présentable.

Bond, victime du politiquement correct ?

Dans l’un des derniers épisodes, par une réplique concédée à son meilleur ennemi, James laisse entendre qu’il serait bisexuel. Il s’humanise un peu. Une touche de psychanalyse ne faisant de mal à personne, on lui a inventé une enfance terrible. Bond se présente volontiers comme un tueur en série, cela expliquant ceci. Il n’ignore plus la peur mais la maîtrise comme personne. Et, par une fatalité à laquelle il fallait s’attendre, il tombe réellement amoureux. Il aime. Jusqu’à épargner le monstre qui dirige le Spectre pour satisfaire à l’extrême sensibilité de sa partenaire. Dans son beau regard bleu, tout est grave. Serait-il de gauche ?

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Comme si c’était de l’argent public, les budgets ont explosé. Les mises en scène sont de plus en plus spectaculaires, Bond fait sauter des quartiers entiers classés aux Monuments historiques et on ne lui demande toujours pas de rembourser un centime.

Mourir peut attendre, dont la sortie a dû être retardée pour cause de Covid, aura pour la dernière fois le visage de Daniel Craig, et peut-être un sens caché. La question n’est plus de savoir si James Bond vieillit bien mais comment il vieillit. A priori, compte tenu de sa propension à passer entre les balles, et cette aisance à courir au milieu des explosifs, il ne devrait jamais mourir. Seul le public pourrait en décider autrement. C’est sans doute ce qui turlupine ses producteurs.

L’agent 007, qui a vaincu seul bon nombre de dictatures, saura-t-il échapper à celle du politiquement correct ? Pas sûr. Si, sur le terrain, son triomphe ne fait aucun doute, il n’est jamais que la marionnette de ses auteurs. Pour lesquels, semble-t-il, la question est moins de le rendre crédible que conforme. Que le prochain Bond soit noir, pourquoi pas ? Que le héros s’adapte au métissage de nos sociétés ne devrait déranger personne (à l’exception, peut-être, de quelques racialistes considérant qu’un aussi vil individu ne peut être que blanc).

Mais qu’il soit, comme la rumeur le laisse entendre, une femme, là, c’est autre chose. Or si on l’a lancée, cette rumeur, c’est qu’on sonde. Le public est-il prêt à voir 007 changer de sexe ? Sauf à le dénaturer complètement en retirant au personnage le peu qu’il lui reste, il faut imaginer une charmante espionne, bienveillante mais tueuse de sang-froid, qui mettrait dans son lit quelques Jane Bond boys avant de sauver la planète d’un écocide ourdi par un horrible personnage, qu’on imagine, bien sûr, ressembler à Poutine ou à Trump.

Va-t-on donner au ridicule le permis de tuer ? A suivre…



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est écrivain.

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