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Coexister: touchée, mais pas coulée

À l'école, l'association affaiblit nos principes laïcs


Coexister: touchée, mais pas coulée
Les locaux de l'association controversée, photographiés en 2018 © NICOLAS MESSYASZ/SIPA Numéro de reportage: 00877961_000002

En très bons termes avec l’Observatoire de la laïcité, taxée comme lui de naïveté, voire de complaisance envers les islamistes, l’association de «management de la diversité» va sans doute perdre son agrément pour intervenir dans les écoles, mais elle garde de la ressource et des alliés.


 

C’est ce qu’on appelle l’épreuve du terrain. Venue le 30 octobre à Poitiers rencontrer des jeunes issus de l’immigration, la toute nouvelle secrétaire d’État à la jeunesse Sarah El Haïry a eu le sentiment de tomber dans un piège. Les adolescents qui s’adressaient à elle déroulaient un argumentaire un peu trop calibré pour être tout à fait spontané, sur le thème de la laïcité qui opprime les croyants, dans la France islamophobe de 2020. Dans l’assistance, se trouvait la présidente de l’association Coexister, Radia Bakkouch. Elle n’est venue épauler la secrétaire d’État ni sur le moment, ni a posteriori dans les médias et sur les réseaux sociaux. Pire encore, le 12 novembre, l’hebdomadaire catholique La Vie publiait un article tournant un peu trop ouvertement la secrétaire d’État en ridicule. Il était signé de Laurent Grzybowski, père du fondateur de Coexister, Samuel Grzybowski.

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Bref, la benjamine du gouvernement avait pris une gifle. Fallait-il tendre l’autre joue ou sortir le fouet ? Évangiles selon Saint-Luc 6:29 ou selon Jean 2:15 ? L’option fouet l’a emporté. Comme l’annonçait le Point le 25 novembre, Coexister a reçu un avis défavorable à sa demande d’agrément « Education nationale ». Dans un second temps, l’association pourrait perdre l’agrément « Jeunesse et education populaire » qui lui permettait jusqu’à présent d’intervenir en milieu scolaire. Dommage collatéral, la perte de subventions conséquentes. Un coup dur, mais prévisible. Avant même l’épisode de Poitiers, le refus de Coexister de regarder en face l’intégrisme islamiste devenait embarrassant. Le jour de la mort de Samuel Paty, Radia Bakkouch a posté sur son compte Twitter un appel à marcher… contre l’islamophobie (voir ci-dessous).

coexister-islamLes puissants alliés de Coexister

Vengeance du pouvoir contre une petite association rebelle ? Pas vraiment. En 2013, la structure, prétendument créée spontanément par des lycéens quatre ans plus tôt (voir notre enquête publiée dans notre magazine d’octobre), a perdu sa reconnaissance d’intérêt général. Elle a trouvé les ressources financières et intellectuelles d’aller jusqu’en Conseil d’État pour la récupérer… En réalité, Coexister est seulement un élément d’un lobby discret mais puissant, qui s’active depuis des années pour que l’enseignement public ménage une place aux croyances à côté des savoirs.

Samuel Grzybowski (au centre), président de l’association Coexister, donne une conférence de presse au Mans, 2 juin 2014. © JEAN-FRANCOIS MONIER / AFP
Samuel Grzybowski (au centre), président de l’association Coexister, donne une conférence de presse au Mans, 2 juin 2014. © JEAN-FRANCOIS MONIER / AFP

Si demain Coexister n’intervient plus dans les écoles publiques, il restera Enquête. Cette association agréée par l’Éducation nationale élabore des « outils ludiques d’éducation à la laïcité et aux faits religieux pour développer chez les enfants un rapport apaisé et réfléchi à ces sujets ». Elle est financée par un fonds de dotation nommé « Coexister », hébergé 50 rue de Montreuil, à Paris, dans les locaux de… Coexister ! Les deux structures se connaissent très bien et se partagent le travail depuis des années. Enquête fait le primaire, Coexister le secondaire, schématiquement. Et pour les enseignants intéressés par le sujet, il y a le cours en ligne Agapan, monté par l’institution catholique du Collège des Bernardins, soutien de Coexister depuis la création de l’association, en 2009!

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Il apparait de plus en plus que des institutions catholiques ont cru jouer fin en retournant contre l’enseignement public son incapacité flagrante à regarder l’islamisme en face. L’anticléricalisme est admis, voire revendiqué, chez les professeurs. L’islamophobie reste inavouable et peut, à ce titre, servir de cheval de Troie pour faire reculer les rationalistes. Le « livret laïcité » de 2015 distribué aux enseignants préconisait « d’éviter la confrontation ou la comparaison du discours religieux et du savoir scientifique », comme si juifs et chrétiens ne conciliaient pas les deux sans grande difficulté depuis un siècle au moins. Pour l’islam, c’est une autre affaire. Citée par Laurent Grzyboswski, Farah, une des lycéennes de Poitiers envoyée au front contre Sarah El Haïry, déplorait que son professeur d’histoire ait « cherché à convaincre les musulmans de la classe que Dieu n’existait pas, que c’était prouvé par la science (…) J’ai failli porter plainte ». « Moi, je n’impose rien à personne, pourquoi est-ce que lui m’imposerait sa vision ? », se demandait-elle. Alors que l’Éducation nationale recrute pour remplacer Samuel Paty, c’est en définitive une bonne question. À quoi rime d’enseigner, si Enquête et Coexister sont d’intérêt général ?

Nos élus et l'islam

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L’association Coexister nous a adressé le droit de réponse suivant :

« Un premier article sur Coexister le 14 octobre 2020, puis un second un mois et demi après, suivi par d’autres encore… C’est donc désormais acté, Causeur semble s’être pris de passion pour notre association. A croire que les crises sanitaires, sociales et économiques du moment ne sont finalement que bagatelles et qu’il est bien plus nécessaire de s’évertuer à dénoncer la grave menace que nous représentons.
Tant elle est fondée sur un substrat bancal d’éléments décontextualisés et de raccourcis approximatifs, cette obsession pourrait prêter à sourire si elle ne tendait pas vers la diffamation monomaniaque.

A l’école, lassociation promeut les principes laïcs

Prétendre que Coexister « affaiblit nos principes laïcs » c’est méconnaitre les fondements même de l’association. Gageons qu’il s’agisse d’ignorance plutôt que désinformation délibérée. La laïcité constitue le socle, le cœur et le vecteur de nos actions. Elle est inscrite sur notre logo 1, dans notre règlement intérieur, dans nos statuts. Nous la promouvons en milieux scolaires, sur les réseaux sociaux 2. Nous travaillons main dans la main avec l’Observatoire de la laïcité, structure étatique qui, depuis près de quinze ans, assiste le gouvernement dans son action visant au respect du principe de laïcité. Pour favoriser la cohésion sociale, nous nous attachons à défendre la laïcité exactement telle qu’elle a été promulguée par Aristide Briand et qu’elle est aujourd’hui inscrite dans le droit positif : un cadre juridique légal reposant sur quatre piliers que sont la liberté de conscience, l’égalité devant la loi, la stricte séparation des Églises et de l’État et la neutralité de l’État ainsi que de ses agents. Nous soutenons la pleine indépendance de la République vis-à-vis de toute idéologie ou pression qu’elle soit cultuelle et religieuse et excluons toute vision sociale théocratique. Ainsi, non seulement nous n’affaiblissons pas les principes laïcs mais, bien au contraire, nous nous efforçons inlassablement de les porter et de les défendre.

Coexister, association reconnue dintérêt général

Nous serions complaisants avec l’islamisme.
Les preuves ? Notre présidente, était présente lors de l’intervention de la Secrétaire d’État à la Jeunesse dans un Centre Social à Poitiers le 30 octobre dernier, au même titre que de nombreux représentants d’associations et d’organisations. Elle n’est pas intervenue pour couper court aux débats houleux sur la laïcité entre la représentante du gouvernement et les jeunes présents. Puis, deux semaines plus tard, un article à charge contre la Secrétaire d’État paraît dans l’hebdomadaire la Vie. Le lien entre les deux ? Hormis le fait que ce papier ait été rédigé par Laurent Grzybowski, qui soit dit en passant n’a aucun rôle à Coexister, nous n’en voyons aucun. Il est vrai que nous ne sommes pas à une inexactitude près… Par exemple, nous ne finançons pas ni n’hébergeons Enquête 3.
Quant à notre agrément, si nous n’avons pas encore obtenu l’agrément « Éducation nationale », il est exact que nous sommes reconnus Association d’intérêt général depuis de nombreuses années. Il est tout aussi vrai que nous ne sommes pas près de perdre l’agrément Jeunesse et Education Populaire reçu en 2018 puisqu’il a été renouvelé au mois d’août 2020 par le Ministère de l’Éducation nationale. Également, que nous sommes lauréats de « la France s’engage », label gouvernemental annuellement décerné aux organisations qui promeuvent l’innovation et l’action sociales. Si nous avons des « alliés », ce n’est pas parce que nous sommes « naïfs » voire « complaisants envers les islamistes » mais uniquement parce que nos 4 300 ateliers pédagogiques sur la laïcité mise en place dans 3 860 établissements scolaires auprès de 130 000 jeunes plaident pour nous. C’est aussi parce que nos douze années de travail de terrain sont nécessaires et reconnues comme tel, entre autres, par les instances gouvernementales ».

1 « Education Jeunesse Laïcité »
2 Par exemple, avec la vidéo « La laïcité en 3 minutes » initialement diffusée sur Youtube et Facebook, relayée par l’Observatoire de la Laïcité et visionnée des centaines de milliers de fois
3 Il suffit pour s’en convaincre de consulter la page Internet des partenaires financiers d’Enquête (https://www.enquete.asso.fr/partenaires/partenaires-financiers/) ; le siège de l’association est dans le 11ème alors que nous sommes installés dans le 10ème



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