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Paris, nappe névrotique


Si riche en eau, et pourtant si radine avec cette bizarrerie qu’on appelle le corps. Le corps charnel, s’entend, non son double social, ce vieux mutant qui défile de République à Nation, tant de fois douché. Telle est Paris, ville d’eau sans eau, nappe névrotique. Je me demande si, l’été venu, je suis seul à ressentir ce manque de liquide. Je veux bien que tout soit culture, mais la nature, quand même…
Dans la patrie de Molière et de Le Nôtre, tout doit être dompté : la langue, ce dont chacun se félicite, et, moins réjouissant, les éléments. Buis, gravier et petit bassin, voilà l’unique tableau. Les chutes furibondes du Rhin, à côté, c’est d’un vulgaire… Sachez, Monsieur, que les parcs et jardins sont des lieux de contemplation. On ne touche pas, on regarde. Je ne sais pas ce qu’en pense Helmut, mon correspondant berlinois, que j’imagine s’ébrouant nu dans Tiergarten, mais bibi-le-Parisien, il aimerait bien pouvoir se tremper les fesses à la belle saison.[access capability= »lire_inedits »]

Certes, les premières semaines de juillet − jusqu’à l’envoi du présent article à la Causeur Tower − avaient une mine bretonne et une odeur de caravane. Mais août succéderait à juillet et les beaux jours aux mauvais, aussi sûrement que Formentera s’éloignait de mes projets à court terme. Paris, donc. Paris-Plages, même. Le Pinder maritime revient planter son chapiteau. Les tétons huilés du Marais frétillent sur Pompidou Avenue recouverte de sable. La prophétie soixante-huitarde est accomplie.
Comment les alliés écolos de Bertrand Delanoë ont-ils pu cautionner pareille fiction ? Eh bien justement, ils l’ont fait parce que c’est une fiction, qui contient une promesse d’émancipation du réel et de socialisation de la nature dans un ensemble égalitaire et contrôlé. La réalisation pleine et entière de l’idée prime ici sur la satisfaction primaire et immédiate du corps. Tout est décor, tout est médiation. La nature est couture.

Il existe un magnifique exemple − façon de parler − de ce délire conceptuel jusqu’au-boutiste jusqu’au contre-sens : ce sont les voies cyclables construites de part et d’autre du boulevard de Magenta, entre République et Barbès. Ces couloirs dédiés aux deux-roues sont sous-utilisés − la Goutte d’Or marche du beau pas lent de l’Afrique −, et rognent de surcroît l’espace dévolu aux piétons, alors que la chaussée avaient été rétrécie pour élargir les trottoirs. Résultat de la Panzer-Vélo-Politik : plus de densité, plus de stress. Dans la capitale rose-verte, le paradis est pavé des mauvaises intentions. Dany, toi qui as mouillé ton maillot à Francfort, dis-leur qu’ils se trompent !
Je n’irai donc pas patauger dans la bassine en plastique de Paris-Plages, ni dans la piscine-usine d’Aquaboulevard. Il y aurait tant et mieux à faire. Intra-muros, déjà, en installant des douches − un conduit rigide et un pommeau, rien de plus − sur les quais bas de la Seine et les pelouses de La Villette, des Buttes-Chaumont ou du parc Montsouris. C’est moche, une douche ? Demandons des croquis à Starck, qui aurait pour mission de faire simple, discret et pas cher. Pas sûr qu’il en soit capable. Sinon, tentons le coup avec Leroy-Merlin. L’essentiel est de pouvoir se rafraîchir en prenant le soleil.

Plus loin et plus profond, creusons des bassins pour la baignade au Bois de Vincennes et au Bois de Boulogne. Cela nous changerait des piscines couvertes et chlorées. Il se pourrait même que ce soit beau et, c’est un risque, populaire. J’ose à peine évoquer le canal de l’Ourcq, ce cimetière à bagnoles qui file vers l’est à partir de Jaurès. Qu’attend-on pour le purifier, pardon, le « réhabiliter » ? Un Rio + 40 ? La fermeture des centrales nucléaires ? J’envoie un mail à Europe Écologie Les Verts, où on a peut-être entendu parler de l’œuf de Colomb. Nettoyage, eau propre, serviette, bronzette, bisous, baignade. Elle est pas belle, la vie en ville ?
Mais non, la Mairie de Paris s’entête dans son hard-trip paysager, coûteux à réaliser et à entretenir. On en trouve la preuve dans Le Monde des 8 et 9 juillet. Le constat initial est plein de bon sens: « Au fil du temps, les urbains, relégués sur les hauteurs des digues, ont physiquement perdu le contact direct avec l’eau. » Malheureusement, on n’en dira pas autant de la solution retenue : sur 2,3 kilomètres, la rive gauche de la Seine « va être rendue aux promeneurs et aux cyclistes » (on la leur avait confisquée). « Des aménagements sportifs et culturels (Paris, c’est certain, manque de lieux de culture), des jardins flottants (pour élever l’esprit) ponctueront le parcours (initiatique). Devant le Musée d’Orsay, un emmarchement (des marches, sans doute), assurera la liaison (sociale) entre quais hauts et quais bas. »

Ne soyons pas grincheux. Il est bien possible que ces « aménagements » (douceur des marteaux-piqueurs) rendent la promenade plus agréable. Mais l’eau, par grosse chaleur, pourra-t-on seulement la toucher, éventuellement s’y plonger ? À en juger par la « vue d’artiste » que publie le quotidien, le marcheur en aura jusqu’aux chevilles sur une portion dûment délimitée du « parcours ». Trop sympa ![/access]

*Photo : Parc André Citroën (Paris), fsa99999.

Juillet-août 2012 . N°49 50

Article extrait du Magazine Causeur



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est journaliste.

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