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Pourquoi “les vélos” seraient-ils dispensés du masque?

Les bizarreries de l'idéologie du Sport


Pourquoi “les vélos” seraient-ils dispensés du masque?
© Louise MERESSE/SIPA Numéro de reportage: 00983315_000003

 Pendant la crise du coronavirus, les sympathiques cyclistes d’autrefois sont devenus les maléfiques “vélos”. Dans nos grandes villes, ces derniers bénéficient d’un statut d’exception étrange les dispensant du port du masque, tout comme les joggers. Une chronique de la philosophe Françoise Bonardel.


Un malheur, c’est bien connu, n’arrive jamais seul. Les citadins avaient déjà dû se rendre à l’évidence : l’innocente bicyclette, la bonne vieille bécane qui fit les beaux jours de leur enfance et de leurs vacances est désormais supplantée en milieu urbain par cet engin maléfique qu’est devenu le « vélo » lorsqu’il est conduit par des bobos-écolos, responsables de la planète mais pas de la sécurité des piétons. Aussi les bipèdes irréductibles pour qui la marche n’est pas qu’un slogan politique, doivent-ils redoubler de vigilance s’ils ne veulent pas terminer la journée aux urgences. Fini, le plaisir de flâner paisiblement dans Paris ! On dit d’ailleurs maintenant « les vélos » plus fréquemment que « les cyclistes », comme si leurs conducteurs s’identifiaient pleinement à ce moyen de locomotion certifié « bio ». 

Les privilégiés de l’idéologie du sport

Les pouvoirs publics ont d’ailleurs de dispensé « les usagers des modes de circulation douce » – si douce que ça, vraiment ? – de porter le masque dans la mesure où, précise la Préfecture de police de Paris, « étant de passage, ils ne font pas courir de risque de contact dans les voies dans lesquelles ils circulent. » La Préfecture ignorerait-elle que les militants de la cause cycliste circulent à peu près n’importe où ?

Quant aux joggers, personne ne semble plus se souvenir qu’ils furent, durant le confinement, jugés si dangereux pour les piétons que des créneaux horaires leur avaient été imposés!

Déjà forts du droit qu’ils s’octroient, les heureux gagnants de la loterie sanitaire vont donc pouvoir rouler à  visage découvert, tandis qu’une population de zombies masqués devra se contenter de déambuler à leurs pieds. Les joggers étant eux aussi autorisés à courir sans  masque, on constate que l’idéologie du Sport gagne décidément chaque jour du terrain au point d’influencer les décisions politico-sanitaires. On peut évidemment se dire pour se consoler que si le masque ne protège pas efficacement du coronavirus, il isole au moins de l’air pollué ambiant. Se dire aussi que tout peut encore changer d’un jour à l’autre, et le contraire du diktat du jour devenir la vérité du lendemain.

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Toujours est-il qu’en matière de protection sanitaire et d’équité citoyenne les dernières décisions en vigueur ne tiennent guère la route. Il n’était déjà pas facile de savoir si, portant le masque, on se protège soi-même tout en protégeant les autres, ou si cela ne fonctionne qu’à sens unique ; le masque filtrant l’air dans un sens mais peut-être pas dans l’autre. Imaginez le stress de l’usager jouant chaque jour sa vie à pile ou face et se demandant s’il se trouve côté cour ou côté jardin ! Voilà que les choses se compliquent encore puisque les piétons, déjà défavorisés, vont devoir se faire à l’idée qu’en roulant sans masque à vélo, ou en courant comme des dératés, certains de leurs concitoyens ne risquent en aucun cas de leur transmettre le virus, ou sont mystérieusement immunisés contre un ennemi que l’on continue pourtant à dire invisible. Est-ce la vitesse de déplacement qui constituerait un cordon sanitaire naturel entre les vélos et les piétons ? On entend pourtant dire aussi que le virus peut alors, du fait de la vitesse, se répandre très largement au-delà de la distance sociale préconisée. Et que se passe-t-il dès que les cyclistes s’arrêtent – cela leur arrive ! – et marchent alors à pied en poussant leur vélo ? On peut supposer que peu d’entre eux penseront à rentrer dans le rang en se masquant.

La complaisance de la mairie de Paris avec les “mobilités douces”

D’un point de vue civique enfin, on ne voit pas pourquoi cette catégorie de la population n’aurait pas à supporter elle aussi l’inconfort qui est le lot quotidien de quantité d’activités infiniment plus pénibles, et plus utiles à la collectivité que de devoir pédaler pour se déplacer. Allez demander au métallo, au magasinier, à l’infirmière ou à la caissière de supermarché si c’est agréable de travailler toute la journée avec un masque ! Ils le font parce que des « experts » leur ont dit que c’est utile, indispensable même, pour préserver leur santé et celle de leurs concitoyens. De plein gré ou à reculons, ils le font. Alors pourquoi pas les cyclistes et usagers des trottinettes parmi lesquels on ne déplore jusqu’alors, et c’est tant mieux, aucun mort par asphyxie pour avoir porté un masque ? Des morts par excès de vitesse par contre, ou par irrespect des règles de circulation, on en compte des dizaines chaque année dans la capitale même si la Mairie de Paris reste particulièrement discrète à ce sujet.

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Quant aux joggers, eux aussi exemptés de supporter le joug collectif, personne ne semble plus se souvenir qu’ils furent, durant le confinement, jugés si dangereux pour les piétons que des créneaux horaires leur avaient été imposés afin de protéger les passants de leurs postillons quand ils sont en plein effort, hurlent au téléphone ou discutent avec leurs co-équipiers. Le jogging serait-il depuis lors devenu une activité « propre », ou bénéficie-t-il lui aussi de la sacro-sainte immunité sociale accordée au Sport, sauveur des sociétés en difficulté ? Libéré de cette limitation horaire par le déconfinement, le jogger se remit donc à courir dans toutes les rues, quelle que soit la densité de la population à certaines heures, et il peut dorénavant le faire sans masque protecteur qui risquerait de gêner sa respiration. Pour respirer à pleins poumons il y a pourtant les parcs, enfin rouverts après qu’a été levée la mesure aberrante prise lors du confinement, et qui priva les citadins de garder un minimum de contacts avec la nature et de respirer aux aussi librement. Pourquoi les joggers n’iraient-ils pas courir dans les espaces verts ou dans les lieux peu fréquentés, avec ou sans masque selon la situation du moment ? Nombre d’entre eux ont d’ailleurs assez d’esprit civique et de bon sens pour évaluer ce qu’il convient ou non de faire. Et si c’était là le fin mot d’une histoire qui s’éternise et nous mène depuis six mois la vie dure ? Être attentif, s’adapter intelligemment, et garder à tout prix ce que l’on a de plus précieux : le sens des responsabilités et la liberté de jugement.



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est philosophe et essayiste, professeur émérite de philosophie des religions à la Sorbonne. Dernier ouvrage paru : "Jung et la gnose", Editions Pierre-Guillamue de Roux, 2017.

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