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Farid Benyettou, le seul djihadiste qui tient la porte aux juifs et aime les caricatures


Farid Benyettou, le seul djihadiste qui tient la porte aux juifs et aime les caricatures
Farid Benyettou prend la pose en 2018 © Francois Mori/AP/SIPA Numéro de reportage: AP22199772_000001

Farid Benyettou se prétend « déradicalisé », mais des doutes persistent. L’inspirateur des frères Kouachi, venu au tribunal métamorphosé samedi dernier, dit être repenti. Il est en liberté.


Samedi 3 octobre 2020, c’était le jour très attendu de Farid Benyettou au procès de l’attentat de Charlie Hebdo. Le calendrier de la Cour d’assises est si chargé qu’il impose des audiences le week-end. Le repenti est venu déposer comme témoin.

Un idéologue repenti ?

Farid Benyettou, c’est l’ex-émir des Buttes-Chaumont, le mentor des frères Kouachi, celui qui leur a inoculé le virus du djihad, a forgé leurs convictions d’islamistes radicaux, celui qui les a motivés en 2004, 11 ans avant les attentats. Il avait alors 24 ans, portait la djelaba, une barbe clairsemée, de longs cheveux et un keffieh en guise de turban. Il était l’idéologue d’une filière de candidats au djihad en Irak, lui-même formé par les frères musulmans et proche du GIA algérien.

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À la barre de la Cour d’assises, changement de camouflage, arrive un homme à la silhouette fine, en jean, basket et veste, aux épaules un peu voutées, les cheveux courts, de petites lunettes et l’air contrit. C’est le « petit chose » d’Alphonse Daudet, mais la comparaison s’arrête là.

Responsable mais pas coupable?

Il s’adresse à la Cour d’une voix posée, avec l’air de s’excuser à chaque prise de parole. D’ailleurs, ses premiers mots seront des excuses pour les familles des victimes parce que dit-il « j’ai une part de responsabilité dans le parcours des frères Kouachi. Sachez que je suis vraiment désolé ». Les excuses sont faites mais Benyettou l’affirme: même sans son influence criminelle, les Kouachi seraient allés voir un autre mentor et auraient commis cet attentat, il en est persuadé. Responsable mais pas trop.

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Condamné à six ans de prison pour association de malfaiteurs terroriste, il sort en 2009. Son travail de déradicalisation commence selon lui pendant son incarcération. Il raconte : « c’est compliqué, il y a eu des hauts et des bas, j’ai eu des rechutes ». Des rechutes dit-il, Farid Benyettou, drogué au djihad. Drogué au point d’aller voir les frères Kouachi le jour même de sa sortie de prison avant sa propre famille. Et puis Benyettou déroule un discours bien rôdé tirant sur une corde qu’il sait sensible : « Le moment décisif, c’est l’affaire Merah en 2012, j’ai voulu couper complètement mes contacts ». Complétement ? Pas tout à fait, le repenti du djihad continue à voir les Kouachi chaque semaine jusqu’en octobre 2014, trois mois avant les attentats. Que se disent-ils ? À l’écouter, il essayait de les convaincre qu’il s’était trompé, que ses prêches salafistes de 2004, c’était une erreur, que c’était fini le djihad, les attentats, le martyr et les 72 vierges. De toute évidence, Il n’a pas su les convaincre.

Un caméléon

Le sentiment de Chérif Kouachi sur les Juifs ? La haine. Oui, et c’est d’ailleurs un élément qui avait retenu son attention. Vivant dans le 19ème arrondissement de Paris, un quartier avec une communauté juive historique, l’ex-émir se laisse aller aux anecdotes : « Même en tant que djihadiste, pour le shabbat, je laissais la porte de l’immeuble ouverte pour que les habitants juifs puissent entrer sans avoir à faire le code, Chérif – lui – fermait les portes exprès, ça me gênait ». Si le moment n’était pas si grave, on sourirait. Comme les bons et les mauvais chasseurs, il y a les bons et les mauvais djihadistes. Benyettou, lui, c’était un gentil djihadiste, qui encourageait les attentats contre les apostats, théorisait la haine des mécréants et surtout celle des Juifs, mais qui leur tenait la porte à shabbat.

Les parties civiles l’interrogent :

– Avez-vous participé aux attentats des frères Kouachi ?
– Non
– Leur avez-vous donné l’autorisation de le faire ?
– Non
– Alors qui ?

Benyettou assure ne pas savoir. Il susurre quelques noms de djhadistes bien connus, Djamel Beghal, Peter Chérif… peut-être.

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En janvier 2015, Benyettou termine son stage d’infirmier aux urgences de la Pitié Salpêtrière où sont dirigés les blessés de l’attentat. Le milieu médical s’en émeut. Finalement, Farid Benyettou n’exercera pas comme infirmier. Il se reconvertit en chauffeur poids lourds. Farid le caméléon.

Une autre question lui est posée: « Comment reconnaître un faux repenti qui pratique la taqiya, c’est-à-dire la dissimulation, puisque le Coran l’y autorise ? » Il répond s’être engagé dans un programme de déradicalisation et a écrit un livre avec Dounia Bouzar. Et puis après tout, comme il se plait à le répéter : « Oui, je suis Charlie ». Sur les caricatures ? « C’est une forme d’expression, j’ai grandi en regardant les Guignols de l’info, je suis un grand fan de la caricature en quelque sorte ». Il faut se pincer pour le croire. Farid Benyettou, le seul djihadiste qui tient la porte aux juifs et aime les caricatures. Que dire de ses nombreuses conversations téléphoniques, courant 2014, avec des islamistes connus des services de police, avec Chérif Kouachi, avec la femme de celui-ci ? Pas grand-chose : « je leur disais que je n’avais pas le temps de les voir », « avec Chérif, c’était différent, on discutait mais on n’était plus d’accord ».

Aujourd’hui, Farid Benyettou dit ne plus se rendre à la mosquée. Quand il quitte enfin la salle d’audience, la tête basse et la démarche un peu gauche, il donne – volontairement ou pas – l’image d’un Keyser Söze version djihad dont personne ne sait vraiment ce qu’il pense, ni le risque qu’il représente en cas de rechute islamiste.



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