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De la responsabilité des intellectuels en Cour d’Assises

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De la responsabilité des intellectuels en Cour d’Assises
Laurent Sourisseau, plus connu sous le nom de Riss, arrive escorté au tribunal le 9 septembre 2020 à Paris © Alain JOCARD / AFP

Analyse des débats du procès des attentats, sous l’angle des complicités intellectuelles ayant fait le terreau du terrorisme. Suite d’hier.


Les procès médiatisés ont cet avantage de servir de caisse de résonance – ne devrait-on pas écrire raisonnance? – à des événements parfois anciens, et de leur apporter un éclairage supplémentaire en les réévaluant à la lumière de l’actualité et de l’évolution des mentalités.

Sans l’audience de la Cour d’Assises de Paris des acolytes présumés des auteurs des attentats de janvier 2015, Charlie Hebdo n’aurait probablement pas republié les caricatures du prophète litigieuses, nul n’aurait pu constater si cinq ans après l’élan du 11 janvier et la promotion du slogan «Je suis Charlie », le journal bénéficiait d’une plus grande solidarité dans la profession, dans la classe politique et dans la population.

Charlie isolé

Que nenni ! Les survivants, ainsi qu’ils se désignent, se sentent toujours aussi isolés. De toute la presse, seul Causeur a repris des caricatures danoises, publiées en une du n°de Charlie Hebdo du 2 septembre, à l’ouverture du procès, sous le titre désabusé « Tout ça pour ça »… Le journalisme français a persisté à laisser Charlie porter seul le flambeau de la libre critique des religions, d’une religion, en l’isolant et en l’exposant davantage…

La Une de "Charlie Hebdo" du 2 septembre 2020
La Une de « Charlie Hebdo » du 2 septembre 2020

Dans le numéro suivant, Charlie nous a livré des extraits des messages reçus, menaces persistantes émanant de musulmans offensés, ou expression de la peur de non-musulmans faisant le reproche au journal d’exposer les populations au danger et d’être, à nouveau, les irresponsables fauteurs de troubles.

Les menaces de mort, c’est le lot quasi quotidien de la rédaction et de ses proches, depuis l’attentat: Riss, Patrick Pelloux, Zineb el Rhazaoui, et Marika Bret s’en sont fait l’écho à la barre, avec la même véhémence et les mêmes rancunes que Fabrice Nicolino.

>>> Relire la première partie <<<

Marika Bret, DRH de Charlie Hebdo, a dû depuis être exfiltrée en urgence de son domicile en raison des menaces de mort prises très au sérieux qu’elle a reçues, et l’attentat du 25 septembre perpétré sous le prétexte de la republication en est la consternante démonstration.

Capture d'Hassan H. place de la Bastille le 25 septembre 2020. Le Pakistanais a reconnu avoir attaqué au hachoir deux personnes en bas des anciens locaux du journal Charlie Hebdo. © Laura CAMBAUD / AFP
Capture d’Hassan H. place de la Bastille le 25 septembre 2020. Le Pakistanais a reconnu avoir attaqué au hachoir deux personnes en bas des anciens locaux du journal Charlie Hebdo. © Laura CAMBAUD / AFP

Riss a mentionné cette première accusation dans le monde politique et intellectuel à la suite de l’incendie des locaux en 2011, après un numéro sur l’instauration de la Charia en Tunisie: « C’est votre faute, vous l’avez bien cherché ».

En dépit du traumatisme de cet enfer qu’il a vécu le 7 janvier, il a donné l’impression, comme ses camarades, de rester ébranlé par un choc encore plus grand dont il ne se remet pas, alors qu’il est resté très pudique sur ses séquelles physiques.

A la question « comment vous en sortez-vous ? » du Président, il a répondu « Nous ne sommes pas des victimes, nous sommes des innocents. Le mot « victime » est un faux ami qui vous met la tête sous l’eau et qui vous noie. On nous a souvent accusés d’être coupables.

Ce qui conduit à la question de la responsabilité des intellectuels.

Une grave question politique

A la suite de l’incendie de 2011, une pétition d’intellectuels a été lancée contre le soutien à Charlie Hebdo à l’initiative de Rokhaya Diallo, démontrant qu’il s’agissait bien d’une grave question politique, qui refaçonnait la démocratie française: une offensive idéologique autour d’un Islam politique.

On pouvait attendre de la gauche qu’elle prenne la défense de la laïcité et se mobilise contre cette tendance. Or Riss a constaté que certains à gauche voient l’Islam politique comme système alternatif à la social-démocratie, sans pouvoir déterminer si leur motivation est l’expression d’une adhésion à ces thèses ou de leur détestation de la social-démocratie.

A la question d’éventuels regrets sur la publication de ces caricatures, Riss a répondu «  si on ne vit pas libre à quoi bon vivre ? », et si regret il y a  « c’est à quel point les gens ne sont pas combatifs pour défendre ces libertés, sinon on vit comme un esclave, face à une idéologie mortifère. C’est le combat d’une vie, c’est le combat de la liberté. Il n’y a pas à regretter ».

Sur la republication des caricatures, il a mentionné les menaces qui recommençaient à pleuvoir, ainsi que cela a été avéré pour Marika Bret et surtout concrétisé depuis lors de l’attentat du 25 septembre, mais avec le même engagement: c’est le risque de vivre libre.  « Nous on vit dans ce confort car la génération précédente a résisté. J’ai honte pour notre génération »  a-t-il conclu.

La gauche sur le banc des accusés

Zineb el Rhazaoui a dénoncé également l’accusation récurrente menée contre Charlie Hebdo d’islamophobie, contre ses journalistes et dessinateurs d’être des racistes, l’acharnement déployé à leur encontre, le faible soutien des milieux intellectuels, et l’hostilité grandissante du monde à ceux qui critiquent l’Islam.

Marika Bret a abondé au réquisitoire contre la classe politique et intellectuelle, et en particulier contre une partie de la gauche, en exprimant le sentiment de trahison de Charb, sympathisant du communisme sans y avoir jamais adhéré, et sa colère à l’égard de ceux qui ont été précédemment ses amis, la gauche, sa famille politique.

Elle-même a exprimé son ressentiment contre d’anciens amis: elle a pointé la « marche de la honte », cette marche contre l’islamophobie à laquelle ont participé J-L.Mélenchon et la France insoumise. « La trahison est immense, et impardonnable ».

Alors, la responsabilité des intellectuels, faut-il l’évoquer en Cour d’Assises ?

Des journalistes, des hommes politiques, des universitaires, ont-ils pu participer par leur inaction, par leur désolidarisation, leurs accusations, aux assassinats des dessinateurs de Charlie Hebdo ? Même s’il peut être avancé que les frères Kouachi ne lisaient pas Mediapart  et que ce ne sont pas les hommes politiques qui ont armé le bras des terroristes islamistes, ils ont certainement, ainsi que l’a énoncé Nicolino « préparé le terrain » en entretenant cette odieuse inversion dans l’accusation: les dessinateurs sont des racistes, les musulmans sont des victimes, le blasphème est proscrit, la presse n’a pas à être solidaire, les milieux artistiques ne peuvent s’impliquer, toute critique de la religion est suspecte, l’Université doit censurer.

Soumission et trahison

Certes, l’écrasante question de la responsabilité des intellectuels a été posée de tous temps, pendant l’occupation et la collaboration, ou au temps de la guerre froide. Dans la guerre menée par l’islam radical, elle n’a pas fini d’être posée, mais doit faire face à une véritable intimidation morale par la disqualifiante accusation de racisme.

Au-delà de la « Soumission », sujet évoqué lors de la conférence de rédaction du 7 janvier 2015, c’est celui de la trahison qui se pose aujourd’hui, accusation d’autant plus terrible qu’elle émane du camp même de ceux qui ont payé de leur vie.

Cependant, il semble que ces témoignages, voire réquisitoires, des survivants, au sein d’une Cour d’Assises dont les débats sont largement médiatisés, aient eu une valeur d’électrochoc et aient conduit une partie de la classe politique et journalistique à sortir de sa torpeur.

Comment interpréter autrement la vibrante question posée le 22 septembre, par le député F.Chouat, à l’Assemblée nationale, à propos des menaces de mort contre Marika Bret, et l’ovation recueillie?

Comment interpréter autrement la publication par Charlie Hebdo, le 23 septembre, du manifeste « Ensemble, défendons la liberté », relayé par 90 organes de presse?[tooltips content= »L’AFP a refusé de signer cette lettre par volonté de ne pas mettre ses équipes en danger dans des pays musulmans. Le syndicat SNJ de l’AFP a exprimé sa « consternation » face à cette « abdication » »](1)[/tooltips]

Sursaut salutaire? Ou simple frémissement, qui retombera comme le soufflé du 11 janvier?

Mais certainement, il faut aborder la question de la responsabilité des intellectuels devant une Cour d’Assises !



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