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On ne se remet jamais d’une enfance heureuse

Le billet du vaurien


On ne se remet jamais d’une enfance heureuse
Lausanne Image: Sophie ML / Pixabay

Le billet du vaurien


J’avais fait part à mon ami Mohamed-Djihad Soussi de mon intention de ne plus retourner en France : l’air y était devenu irrespirable. Pour le dernier acte de ma vie, pourquoi ne pas m’installer à Lausanne ? Après tout, j’y avais connu une enfance heureuse et peut-être y vivrai-je une vieillesse apaisée, maintenant que mes misérables ambitions de conquête étaient assouvies. Certes, l’ennui et la solitude m’y guettaient, mais je me sentais assez fort pour les affronter, n’ayant plus rien à attendre de la vie. Une vie à laquelle il était d’ailleurs plus facile de mettre fin en Suisse qu’ailleurs. Et, comme je l’ai souvent répété, personne ne vous oblige à être vieux.

Une certaine perplexité

Mohamed-Djihad qui avait aussitôt compris que, tenté par Lausanne, je l’étais aussi par une nouvelle mue, m’écrivit ceci qui me plongea dans une certaine perplexité : « Cioran disait à propos du Grossparis que l’on ne s’absentait pas impunément de l’enfer. Reste à savoir si, à l’automne, Lausanne en est un, si vous êtes plus enclin à endurer l’enfer lausannois que l’enfer parisien, si vous êtes prêt à accepter que les images de l’enfance se dégradent et s’altèrent au contact du présent, si vous êtes en état de parier sur une ville qui vous a rendu jadis heureux et qui, à présent et avec le temps, risque de vous rendre à jamais inconsolable. »

Je lui répondis que Cioran m’avait souvent dit qu’il aurait aimé finir ses jours dans un Palace lausannois.

Je le ferai à sa place. Il regrettait qu’Hitler n’ait pas totalement détruit Paris. Maintenant que son vœu est réalisé, il nous est loisible de vivre n’importe où, même dans les villes qui, nous le pressentons, nous rendront inconsolables : on ne se remet jamais d’une enfance heureuse.

Oui, cette faveur du destin, on passe sa vie à l’expier, conclut Djihad. Une conclusion qui me va, moi qui ai toujours pensé que nos vies se résument en deux mots : exil et expiation.

Nos théories sont des maîtresses

À mes amis qui s’attachent à des théories, scientifiques ou politiques, je conseillerais plutôt, à l’instar de Sidney Brenner (prix Nobel de biologie en 2002) de les traiter avec un certain mépris – surtout si ce ne sont pas eux qui les ont émises – un peu comme des maîtresses qu’on désire, mais dont on sait qu’on ne les aimera jamais et qu’on les abandonnera quand elles ne nous procureront plus aucun plaisir. Il fut un temps où la psychanalyse m’exaltait.

Elle m’indiffère aujourd’hui. Même le nihilisme auquel mon nom est parfois associé, me laisse de glace. Aurais-je enfin atteint une certaine forme de sagesse ? Encore que, comme me le rappelle Djihad, ce serait être fou par un autre tour de folie que de ne pas l’être…



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