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N’ayons pas peur de gagner!

Faut-il être encore souverainiste alors que désormais tout le monde l’est ?


N’ayons pas peur de gagner!
Charles Pasqua, Philippe Séguin et Philippe de Villiers, lors d'un rassemblement contre la ratification du traité de Maastricht, Paris, 12 septembre 1992 © JOEL ROBINE / AFP

De quasi marginal, le discours souverainiste est devenu hégémonique à l’heure où la lutte contre le Covid-19 réhabilite l’indépendance industrielle et le respect des frontières. Au lieu de critiquer les ralliés, les souverainistes canal historique devraient se réjouir de leur victoire idéologique


« Souverainisme, j’écris ton nom » : c’est le titre d’une tribune de Florence Kuntz, William Abitbol et Paul-Marie Coûteaux publiée dans Le Monde le 30 septembre 1999. Elle reprenait le terme utilisé par les cousins québécois qui avaient échoué lors du référendum d’indépendance de la Belle Province, quatre ans plus tôt. Quelle drôle d’idée, quand on y repense aujourd’hui ! Primo, la situation de la France n’était pas la même que celle des Canadiens français. Ceux-ci cherchaient à recouvrer leur pleine souveraineté en quittant un véritable État fédéral. Nous avions déjà cédé beaucoup en adoptant de justesse le traité de Maastricht et en acceptant que la Cour de cassation et le Conseil d’État fassent prévaloir la moindre directive d’un eurocrate sur la loi votée par nos représentants. Mais nous étions toujours un État-nation, présent en tant que tel à la table des Grands avec un siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU et puissance nucléaire. Secundo, pourquoi reprendre un terme qui avait été le synonyme d’une défaite pour nos alter ego du Parti québécois, emmenés par le truculent Jacques Parizeau ?

Les irréductibles Gaulois

So romantic ! So French ! Il y a quelque chose de furieusement français dans ce goût d’être défait. Astérix et son petit village, qui résiste encore et toujours à l’envahisseur, ne sont jamais bien loin. Parfois, on pousse le paradoxe encore plus loin. Dans les années 1960, les Français préféraient majoritairement Raymond Poulidor, le perdant magnifique… mais il y avait parmi ceux qui en pinçaient pour Anquetil une délectation toute particulière d’être minoritaire. Je ne saurais leur reprocher. Vingt ans plus tard, je préférais Fignon alors que tous mes copains soutenaient le « Blaireau », Bernard Hinault. « Minoritaire », donc. Écoutons la chanson de Jean-Jacques Goldman qui date de 1982:

Et tant pis si la foule gronde
Si je ne tourne pas dans la ronde
Papa quand je serai grand je sais ce que je veux faire
Je veux être minoritaire
J’ai pas peur, j’ai pas peur, j’ai pas peur
J’ai mon temps mes heures
J’ai pas peur, j’ai pas peur
Un cerveau un ventre et un cœur
J’ai pas peur, j’ai pas peur, j’ai pas peur
Et le droit à l’erreur

Et si cela avait été donc une erreur, justement ? Cette culture de la défaite, ce plaisir à contre-pied ne concernent pas que moi. Il est même possible qu’il s’agisse d’une tradition dans ces colonnes. Il suffit de regarder Élisabeth sur CNews chez Pascal Praud, chaque lundi matin. Elle adore ça. Alain Finkielkraut lui a d’ailleurs fait remarquer pas plus tard qu’il y a deux mois, que « l’anticonformisme est aussi un réflexe pavlovien ». Dans cette accusation, il y avait une bonne part d’injustice et un soupçon de vérité.

Trop de souverainistes tue le souverainisme?

Pourtant, comme la patronne, je me redécouvre libéral en écoutant François Sureau, constatant avec une dose raisonnable d’effroi la manière dont mes compatriotes se sont confinés sans moufter. Alors que le mot « souveraineté » est aujourd’hui dans toutes les bouches, y compris celle du président, on en vient à craindre le zèle de tous ces néophytes souverainistes. Ne seraient-ils pas tentés de jeter le bébé de la liberté individuelle avec l’eau du bain néolibéral, autrement dit de sacrifier les libertés publiques avec le retour de l’autorité de l’État-nation ?

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Raison de plus pour ne pas se résigner à demeurer spectateurs. Seulement, comme l’a remarqué le camarade Zemmour, si les nouveaux apôtres de la souveraineté utilisent désormais un mot qu’ils prononçaient encore en janvier comme s’ils venaient d’ingurgiter de l’huile de ricin, ils honnissent toujours autant les « souverainistes ». Il suffit d’observer le traitement médiatique subi par Michel Onfray. Même si le philosophe sait aussi lâcher ses coups sur des plateaux qui l’accueillent volontiers, il a eu à subir le traitement habituel des imprudents qui disent vouloir dépasser la droite et la gauche au nom de la liberté de la nation. Ceux qui prennent un plaisir inavoué à figurer sur les listes noires du Monde ou de Libération n’ont pas grand-chose à craindre. La tradition n’est pas en danger.

Se montrer aussi machiavélien que le camp d’en face. Avoir des mains, au risque de les salir. Et ne pas se dérober

Mais, de grâce, tentons aussi d’aimer la victoire. « Ce qui doit primer, ce n’est pas l’idéal européen, c’est la nécessité de redevenir souverain », déclarait Raphaël Glucksmann à L’Obs, il y a quelques semaines. Et le très moderne Roux de Bézieux, qui préside aux destinées du Medef, fait entendre la même musique. Trop de souverainistes ont accueilli ces conversions en pleurnichards ou en esprits forts. À les entendre, il n’y aurait là qu’opportunisme et insincérité ! D’abord, on n’en sait rien, et puis, quand bien même ! C’est le signe que les lignes bougent, peut-être que la victoire culturelle est en bonne voie.

Fonder une vraie résistance souverainiste

Il est temps de conclure cet article et, par la même occasion, plus de onze années de compagnonnage avec Causeur, cette école de l’exigence. Faut-il rester souverainiste ? Le terme n’était certes pas le mieux choisi, mais il est là. Que nous ayons eu raison avant tout le monde en refusant la diabolisation de la nation, en proclamant qu’elle était, sans doute pour longtemps, le cadre indispensable de la communauté politique, la mémoire de Philippe Cohen m’en est témoin. Cela ne nous oblige nullement à camper dans la confortable culture de la minorité scrogneugneu. Ce serait une fuite devant les responsabilités.

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Faire preuve d’habileté. Se montrer aussi machiavélien que le camp d’en face. Avoir des mains, au risque de les salir. Et ne pas se dérober. Cela passe bien sûr par le travail intellectuel, mais pas seulement. Certains prôneraient sans doute le réinvestissement dans les partis existants alors que d’autres préféreraient en créer de nouveaux. Encore faudrait-il que les souverainistes se parlent pour en décider. Encore faudrait-il qu’ils se parlent pour s’organiser, définir des stratégies. Encore faudrait-il qu’ils se parlent pour cesser d’entretenir ainsi cette culture minoritaire, soit par dandysme, soit par paresse, soit par fatalisme, soit en attendant un messie en mode « Macron souverainiste », dans le confort du confinement politique.

Continuer de penser contre soi-même, oui bien sûr. Mais pas au risque d’être, une fois de plus, les dindons de la farce !

Juin 2020 – Causeur #80

Article extrait du Magazine Causeur




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