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Le rayon bleu

Le journal de l'ouvreuse


Le rayon bleu
© Soleil

Plus que le critique, le comédien, le musicien et le danseur, c’est l’ouvreuse qui passe sa vie dans les salles de spectacle. Laissons donc sa petite lampe éclairer notre lanterne.


Pas d’Avignon, pas d’Orange, pas de Vieilles Charrues, plus un billet à déchirer. Je vais faire comme vous, regarder des films. Pas de salles non plus. Vais les regarder à la maison, dans mon home cinéma.

De la supériorité du matériel

Le home cinéma, c’est un projecteur, un mur, du son. Deux options : matériel ou dématériel. Ces jours-ci et pour longtemps, la star c’est le dématériel, la plate-forme sur décodeur, en général du méchant bizness, mais quelquefois des films chouettes et des séries futées. Sinon, le matériel : DVD ou Blu-ray. Le matériel a ses avantages. D’abord quand vous l’avez, vous l’avez. Vous regardez ce qui vous plaît quand ça vous plaît sans dépendre des algorithmes. Pas de Mickey ou de Netflic en tapinois pour contrôler vos « pratiques ». Et puis surtout, le matériel s’adresse au cinéphile. Pour Maman, j’ai raté le trône ou Les zombies font du ski, l’immatériel suffit. Pour Andreï Roublev et La Nuit américaine, je conseille le matériel.

Seulement voilà. Sur un écran de télé, Blu-ray ou DVD peu importe. Aucune différence. Tandis que, sur le mur, le DVD ressemble à un pâté mal cuit. Même le noir et blanc dégouline. Le home cinéma de deux mètres sur trois, c’est Blu-ray ou rien. Et là j’ai du mal à suivre le raisonnement des éditeurs. Qui achète des Blu-ray ? Les gens qui aiment le cinéma. Ceux qui se délassent devant Les Tuche s’en cognent de la belle image profonde, et la dernière fois qu’un accro à Batman a « acheté » un film, c’était avant sa naissance. Marvel se sirote sur tablette ou smartphone, c’est scientifiquement prouvé. D’ailleurs, comptons. Le marché matériel s’effondre. Entre 2018 et 2019 : moins 18 %. Mais le DVD, support de qualité inférieure à n’importe quelle diffusion sur TF1, a perdu 15 % de clients au dernier trimestre 2019, alors que pendant ce temps-là, le Blu-ray ne baissait que de 8 %. Moitié moins de perte. Preuve que les cinéphiles sont meilleurs clients que les batmaniaques. Qu’ils en veulent encore, du noir et blanc bien défini, du technicolor bien encodé.

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Or, je cherche et qu’est-ce que je trouve ? La Reine des neiges, Joker, C’est quoi cette mamie ?!, Galaxy Quest… Qui va acheter ces trucs déjà usés par tous les bouquets télé ? Dans mon salon, je voudrais voir The Player, Un Mariage et Short Cuts de Robert Altman, aucun disponible en Blu-ray, ou alors importés, pas dans la bonne zone, sans VF, sans sous-titres. Peeping Tom, le chef-d’œuvre de Michael Powell ? Existe pas. The Shop de Lubitsch, Angel Face de Preminger, les meilleurs Visconti, Pasolini, Fellini, non plus. DVD crados, oui. Blu-ray sérieux, non. Confinée avec les gosses, je débusque sur la Toile une magnifique « Jules Verne Collection » : coffret de sept classiques américains… en allemand pour les Allemands.

Les films français, n’en parlons pas. Fanfan la Tulipe, En cas de malheur, Si Versailles m’était conté, Coup de torchon, la base basique grand public : que du vieux DVD pour télé à pixels. Costa-Gavras a droit à une intégrale en deux coffrets, miracle. Mais Cayatte ? Mais Duvivier ? Mais Delannoy ? Mais Grangier ? (Pathé a sorti son Désordre et la Nuit, celui-là ne le loupez pas). À la mort de Brialy je m’étais dit : ils vont enfin nous rendre Églantine, ce délice, et le dernier rôle de Valentine Tessier. Jamais ! Tu m’étonnes qu’ils ne vendent plus de galettes. Ils empilent leurs blockbusters que personne ne cherche puisqu’ils sont partout, en se foutant du brave client. Et pas un cinoche d’ouvert. Misère.

Mai 2020 – Causeur #79

Article extrait du Magazine Causeur




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