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Football: le plaisir de ne pas copier le modèle allemand

Gros sous et risques sanitaires


Football: le plaisir de ne pas copier le modèle allemand
Noël Le Graët et Didier Deschamps, en juin 2019 © Francois Mori/AP/SIPA Numéro de reportage: AP22343388_000006

Il est un domaine au moins où la France n’aura pas suivi l’Allemagne: le sport professionnel, et particulièrement le football. Il n’est pas prévu que la Ligue 1 reprenne avant la rentrée de septembre, n’en déplaise aux affairistes du sport.


En effet, Edouard Philippe a annoncé la fin des saisons professionnelles 2019-2020 de sport à l’Assemblée Nationale le 28 avril dernier, enterrant ainsi les derniers espoirs de certains dirigeants du foot français de terminer coûte que coûte la saison en cours. Mais, alors que certains championnats européens songent à reprendre mi-juin ou fin juin, et que la puissante ligue allemande a déjà redémarré dès le 16 mai, la polémique repart de plus belle en France depuis le discours du Premier ministre à Matignon jeudi 28 mai. Puisque les entraînements collectifs peuvent reprendre dès le 02 juin, et le jeu dès le 22, pourquoi alors ne pas terminer la dizaine de journées de Ligue 1 et Ligue 2 ? Pourquoi, une fois de plus, ne pas copier le modèle allemand ? Pour plusieurs raisons, que je vais tenter humblement de développer.

D’abord, il n’y a pas que le sport pro dans la vie, et encore moins le seul dieu-football.

Rappelons qu’en avril dernier, nous étions encore en plein pic de l’épidémie, et encore très loin de l’ouverture des restaurants, théâtres, universités et j’en passe. Il était alors impossible, ne serait-ce que par décence, d’autoriser les sportifs à rejouer quand, jusqu’à aujourd’hui encore, une simple visite à l’hôpital d’un proche est interdite, ou que les enfants ne sont pas encore retournés totalement sur les bancs de l’école. La somme de sacrifices, petits et grands, que consentent même malgré eux les Français est telle qu’il semble politiquement plus que délicat d’autoriser dans le même temps des milliardaires à taper dans un ballon.

Il n’y en a que pour les footballeurs!

D’ailleurs, cette décence, il semble que le handball, le rugby ou encore le basket-ball en fassent preuve, car, même s’ils n’en pensent probablement pas moins et sont tout autant, voire plus, en difficulté financière que leurs cousins du foot, qui entend-on dans les médias se plaindre encore et encore ? Le foot. Est-ce que les clubs des autres disciplines sont mieux gérés ? Plus civiques ? Le rugby aura ainsi vu la fin du championnat sans finale et sans son mythique bouclier de Brennus, une première depuis la Guerre. En appellent-ils tous les jours aux ministres, aux députés, aux sénateurs et à l’opinion publique pour autant ? Et reprendre le foot, mais à quel rythme ? A quelle cadence ? Quels risques de blessures ?  Après une coupure plus longue encore que les vacances d’été, il faut pour des athlètes de haut niveau une longue période de reprise, d’autant qu’il faudrait enchaîner derrière par la nouvelle saison qui sera ponctuée par l’euro et les JO… soit jusqu’à 14 ou 15 mois d’affilée.

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Il faut toutefois noter que tout le foot français n’est certes pas sur la même longueur d’ondes et que le président de la FFF Noël Le Graët aura pris acte, lui, de la fin de saison. Ce sont surtout certains dirigeants de clubs et des médias comme L’Equipe ou RMC qui souhaitent cela. Au mépris d’autres acteurs essentiels du foot, à savoir les joueurs et les supporters.

Le football coûte que coûte serait une honte

Le jeu, qui appartient aux footballeurs, et bien des clubs et leurs supporters, sont en effet contre la reprise du championnat, fût-ce à huis-clos, nous en reparlerons. L’écrasante majorité des joueurs pros, via leur syndicat, s’est élevée devant les risques sanitaires, la cadence infernale qui se profilerait avec les risques de blessures multipliés en cas de reprise du championnat.

Les supporters, vaches à lait des dirigeants, contrairement à ce que l’on pourrait penser de prime abord sont eux aussi vent debout contre toute idée de reprise de la saison.

Ainsi, ils plaident dans le Monde qu’« il n’est pas envisageable que le football reprenne prématurément. Il n’est pas envisageable qu’il reprenne à huis clos. Il reprendra en temps voulu, quand les conditions sanitaires et sociales seront réunies. Le football “coûte que coûte” est un football de honte, qui n’aura aucun lendemain. »

En outre, les contrats ont tous une date anniversaire au 30/06, comment pourraient-ils faire juridiquement pour retenir, acheter ou vendre des joueurs dès le 1er juillet si les championnats ne sont pas terminés ? Là aussi, ils ne peuvent passer outre l’avis de leurs joueurs. Bien d’autres arguments peuvent encore être mis en avant, à commencer par l’absurdité du huis-clos. Comment peut-on imaginer une finale de Coupe de France de foot ou de championnat de rugby au Stade de France sans spectateurs ? Ou, peut-être pire encore, avec seulement 5 000 personnes maximum dans l’enceinte ? La province ne « monterait » plus à Paris pour faire la fête ? De quel droit priver des millions de supporters des Verts, par exemple, de l’espoir de remporter enfin le trophée qui leur manque devant le « peuple vert » ? Ce que les Bretons de Rennes ont pu faire l’an passé et que d’autres feront l’année prochaine serait interdit aux stéphanois…

Amateurs, femmes ou millionnaires: on porte tous le même maillot !

D’ailleurs, il est tout à fait probable qu’un autre argument ait joué contre le foot français et l’espoir éventuel de finir la saison à huis-clos : le maintien de l’ordre. Le fameux match retour de Ligue des Champions entre le PSG et le Borussia Dortmund aura, de mon point de vue, scellé le sort des matches à huis-clos en France. Souvenez-vous de ces milliers de supporters tout autour de l’enceinte du Parc des Princes pour accompagner les bus et chanter pendant tout le match à l’extérieur du stade. Résultat ? Pour un match sans spectateurs, il faut mobiliser autant de CRS que pour un match à guichets fermés. Ne nous y trompons pas, les fins de saisons sont autant de matches à gros enjeux, les supporters de tous les clubs de L1 comme de L2, encouragés par le précédant du PSG et la magnifique communion ce soir-là entre joueurs et fans, auraient agi exactement de la même façon pour aider leurs joueurs à se maintenir, à se qualifier, à battre un rival historique, etc.

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Une autre raison de bon sens n’est pas non plus reprise par les habituels commentateurs de foot. Toutes les saisons amateurs se sont arrêtées, toutes. Pas un club de village du pays ne reprendra avant septembre maintenant. Chaque sport étant constitué de façon pyramidale, pourquoi donc l’AS Bondy ne pourrait pas rejouer quand le Paris Saint-Germain le pourrait ? Autrement dit, Mbappé enfant serait privé de sa passion, mais pas adulte ? Puisque toutes les divisions sont arrêtées, il serait inégalitaire et illogique de ne pas faire de même pour les clubs professionnels.

Enfin, il est assez ironique de constater qu’au pays du Mondial féminin de 2019, personne ne songe au foot féminin. On a beau jeu d’évoquer la reprise prochaine en Angleterre ou en Espagne, mais pourquoi donc nos amis anglais et espagnols ont arrêté définitivement le foot féminin mais se battent, eux aussi contre l’avis de leurs supporters et de leurs joueurs, pour la reprise des championnats masculins… La santé des femmes est-elle plus précieuse que celle des hommes ?



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