Accueil Société « Nous tirons le signal d’alarme sur la mise à disposition de kits de protection pour les travailleurs sociaux »

« Nous tirons le signal d’alarme sur la mise à disposition de kits de protection pour les travailleurs sociaux »

Entretien avec Jean-François Maruszyczak, directeur général d’Emmaüs-France


« Nous tirons le signal d’alarme sur la mise à disposition de kits de protection pour les travailleurs sociaux »
Sans-abris à Lyon durant le confinement. Numéro de reportage : 00954162_000001 © KONRAD K./SIPA

Alors que le coronavirus continue sa progression, les sans-abris et les personnels associatifs qui les côtoient sont en première ligne. Jean-François Maruszyczak, directeur général d’Emmaüs-France, sonne l’alerte. Il réclame lui aussi des masques. 


Alexis Brunet. Comment fait-on pour mettre en pratique le mot d’ordre « restez chez vous » quand on n’a pas de chez soi?  

Jean-François Maruszyczak. C’est bien la question. Les invisibles habituels que sont les personnes à la rue, on les voit encore moins aujourd’hui. De fait, on ne sait pas vraiment où ils sont parce que les confiner alors qu’ils n’ont pas de chez eux, c’est une gabegie qui parfois tourne au ridicule: certains se sont coltinés des PV pour ne pas s’être confinés. Certes, je n’ai pas eu d’échos ces derniers jours, mais c’est surtout parce que nous sommes intervenus auprès du Ministère du Logement pour que cela n’arrive plus. Il y a une semaine, des personnes SDF ont été verbalisées.  

Avec d’autres associations, notamment Médecins du Monde, La Fondation Abbé Pierre ou Le Secours Catholique, vous avez transmis une lettre ouverte au Premier Ministre. Vous y écrivez notamment qu’ « il faut anticiper la suite pour éviter que cette crise sanitaire se transforme en crise sociale durable ». Qu’entendez-vous par là ?  

La crise sanitaire que nous traversons peut avoir plusieurs conséquences sur les personnes les plus précaires. Prenons l’exemple des familles précaires avec enfants. L’Éducation nationale a mis en place un accompagnement en ligne, notamment pour les élèves les plus en difficulté. Mais ces enfants n’ont pas forcément accès à internet et certains doivent faire ça depuis le smartphone de leurs parents. De plus, les enfants de ces familles nécessitent un accompagnement du quotidien. Certes, les enseignants le font, mais un tel enjeu mériterait que dans la réserve civique, on puisse mettre quelque chose en place qui vienne en relais. Je dis cela pour vous démontrer le retentissement durable que peut avoir la crise sanitaire sur les personnes précaires. Sur ces familles-là cela peut être extrêmement fort. Un autre exemple: on sait très bien que les violences intrafamiliales sont plus fortes en période de confinement. Elles sont notamment liées aux dépendances dans les cercles fermés de ces familles, que ce soit alcool, cigarette ou drogues. Le sevrage du jour au lendemain peut être quelque chose d’absolument terrible. Le delirium tremens par exemple, est une chose terrible quand il est vécu de façon non contrôlée, ce qui est le cas chez les sans-abris 

Justement, vous parlez des sans-abris. Sont-ils en première ligne face au coronavirus ?  

Le décompte est déjà compliqué pour les citoyens lambda. Pour les personnes sans domicile, il l’est encore plus. Actuellement on ne les voit plus alors que d’habitude on les voit un minimum quand elles font la manche, notamment dans les grandes villes. Je pense pourtant qu’elles sont toujours dans la rue. Les associations et travailleurs sociaux font un travail extraordinaire qui permet de faire un travail de repérage au quotidien. Mais le travail d’accueil, dans cette période-ci, tient sur une ligne de crête. En temps normal, les sans abris sont repérés, avec des repères comme le fait de venir au moins quotidiennement dans certains dispositifs qui leur permettent d’avoir accès à la santé ou à l’alimentation. 

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Mais actuellement, c’est bien plus compliqué. Les dispositifs sont maintenus avec beaucoup moins de personnel. 

Suite à la crise sanitaire, un certain nombre a été accueilli dans ces dispositifs et on leur a proposé un espace de confinement. L’État a d’ailleurs ouvert 5000 places, notamment en hôtels, qui permettent de s’abriter. Mais abriter ne suffit pas, il faut aussi accompagner. Et sur ce point, on est aujourd’hui dans une situation de faiblesse. On a 30 à 40% de nos salariés qui sont arrêtés, soit parce qu’ils sont malades eux-mêmes, soit parce qu’ils doivent garder leurs enfants. Quant à nos bénévoles, on leur a clairement dit de rester chez eux.  

« ll y a des gens qui veulent aller au front, mais on ne peut pas les envoyer dans n’importe quelles conditions »  

Comment faites-vous pour travailler correctement dans ces conditions?  

Justement, on doit gérer un confinement et un accompagnement avec beaucoup moins de salariés. Et quand on demande à des personnes qui sont en difficultés psychologiques ou de santé de se retrouver dans un cadre complètement confiné, cet accompagnement est extrêmement compliqué. Notre activité de dons d’objets et de revente, qui est la plus connue de nos concitoyens, est complètement fermée actuellement ! Ceci est catastrophique. Nous avons été obligés de mettre en place un système d’entraide mutualisée en interne du mouvement Emmaüs, parce que certaines structures étaient déjà en cessation de paiement ou avec des trésoreries très justes. Pour le reste, nous essayons de tenir le système comme nous pouvons.  

Aujourd’hui, tout un ensemble de bénévoles serait partant pour s’investir. Or, nous tirons depuis longtemps le signal d’alarme, vous n’en serez pas étonné, sur la mise à disposition de kits de protection pour les travailleurs sociaux. Nous comprenons évidemment que ces kits soient destinés en priorité au secteur médical. Mais pour maintenir le système de solidarité avec les salariés, les volontaires et les bénévoles sans avoir de dispositif de protection, sachant que les personnes qui sont en situation de précarité, sont très exposées et ne savent même pas si elles sont malades ou non, c’est très difficile. Il y a des gens qui veulent aller au front, mais on ne peut pas les envoyer dans n’importe quelles conditions.

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Y’a-t-il plus de cas de coronavirus chez les personnes en situation de précarité ?  

C’est difficile de savoir. Dans le mouvement Emmaüs, nous avons eu connaissance de cinq décès. Trois étaient des personnes qui avaient déjà des pathologies. Le coronavirus a accéléré le mouvement. Les lieux ou les espaces de confinement dont on parlait tout à l’heure sont les lieux sur lesquels on a le plus de craintes, avec l’incubation, avec l’ignorance qu’on a du fait que les personnes soient atteintes du virus ou non. On a aussi des craintes sur la suite. Prenons l’exemple de l’évacuation du campement de migrants d’Aubervilliers le 24 mars dernier. Il a été fait dans des mauvaises conditions car les exilés ont ensuite été parqués dans des gymnases. Cela n’a aucun sens. Mêler des personnes qui ont le virus a d’autres qui ne l’ont pas dans un gymnase, c’est très dangereux.  

En effet, on a encore plus de chances d’être contaminé parqué dans un gymnase qu’au « grand air », sans vouloir paraître cynique. Quelles relations avez-vous avec le gouvernement ?  

Nous avons des relations régulières. Nous sommes en contact régulier avec Julien Denormandie, ministre chargé de la Ville et du Logement. Tous les deux jours, il y a des téléconférences lors desquelles on peut lui faire remonter la situation sociale et sanitaire, ou proposer des idées. Il y a de l’écoute. J’ai été à des réunions avec Gabriel Attal, Olivier Véran ou Jean-Michel Blanquer. Le gouvernement se mobilise, on ne dira pas le contraire. Cependant, il faut être très réactif, parce que le virus se propage à une vitesse folle, et on ne trouve pas forcément en face de nous les Ministères qui sont essentiels: le Ministère de l’Intérieur et le Ministère de l’Économie. Le Ministère de l’Intérieur devrait être autour de la table, d’autant plus que le système régalien a été interrompu pour les demandeurs d’asile. Par ailleurs, on devrait être entendu sur la situation économique. Nous savons bien que l’économie entière est à l’arrêt, mais les conséquences sur le tissu associatif ne sont pas à prendre à la légère. À Emmaüs, il y a un autofinancement fort, et il y a maintenant une vraie préoccupation sur le maintien en vie de notre organisation. Nous avons eu des contacts avec la Direction Générale de la Cohésion Sociale, Gabriel Attal, Olivier Véran et Jean-Michel Blanquer. C’est très bien mais il faudra des réponses rapidement pour savoir vers quoi on va.  

Concrètement, qu’attendez-vous aujourd’hui du gouvernement?  

L’alimentation, l’accès à l’hygiène sont des besoins de base pour toute personne sur notre territoire, et sont donc des priorités. Pour vous donner un exemple concret, nous avons demandé à ce que les bains-douches et les sanisettes soient réquisitionnés. Or, j’ai encore vu des sanisettes fermées tout récemment. Ce n’est pas normal. Il faut qu’elles restent ouvertes pour les personnes à la rue. On a besoin qu’une coordination forte soit mise en place pour organiser le système d’aide alimentaire. Aujourd’hui, vous savez très bien que dans la mesure où le système économique s’est arrêté, il y a quand même des productions qui sont disponibles. Les agriculteurs continuent à produire. Nous souhaitons donc que l’aide alimentaire se poursuive. S’il y a un don de 400 000 tonnes de pommes de terres par exemple, il faut ensuite pouvoir les transformer, et ce ne sont pas que les associations qui peuvent s’en occuper. Il faut accélérer le mouvement sur la coordination des produits qui arrivent. Il faut gérer cela sur la durée, car vous savez comme moi qu’on n’est pas près de sortir du confinement. Nous proposons qu’on mette à disposition des camions pour assurer la distribution aux différentes associations en France.  



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Enseignant, auteur du roman "Grossophobie" (Éditions Ovadia, 2022).

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