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Bio, OGM, démence

Peggy la science


Bio, OGM, démence
© Denis Bringard/ Biosphoto

Jusqu’où notre bonne conscience nous mène, le sexisme dans le génétiquement modifié, comment la personnalité influe sur notre santé… Peggy Sastre nous dit tout dans la chronique scientifique mensuelle de Causeur!


Économies morales

Il n’aura échappé à personne que le vert est à la mode. Les produits bio, durables et prétendument respectueux de l’environnement ne cessent d’envahir nos étals et nos consciences assoiffées de rédemption. Mais comme au bon vieux temps des indulgences, le fossé entre la sainteté des intentions et la basse réalité des comportements est des plus béants. On estime ainsi que, par rapport à ce qu’ils prêchent, conspuent et affirment désirer sur un plan écologique, les consommateurs ne mettent en pratique que 10 % de leurs belles paroles. Pourquoi un tel hiatus ? Selon Jannis Engel et Nora Szech, économistes au KIT, l’institut de technologie de Karlsruhe, il en va justement là d’un « effet d’indulgence », où la moindre petite bonne action est suffisante pour avoir la conscience tranquille et servir (inconsciemment) d’excuse pour pouvoir, par ailleurs, déroger à son catéchisme. Et même se tamponner le coquillard de problèmes où la charité serait pourtant la bienvenue. Comment les chercheurs sont-ils parvenus à cette conclusion ? Grâce à 200 cobayes, répartis en quatre dispositifs expérimentaux, et des serviettes de toilette. Le but de la manœuvre ? Voir si et comment des consommateurs sont prêts à payer pour un produit éthique, et s’ils appréhendent cet achat comme un ticket d’absolution leur permettant de ne pas trop persévérer dans leurs bonnes manières. Ainsi, dans une simulation d’achat, les participants avaient à choisir entre des serviettes fabriquées ou non dans des ateliers respectant le plus élémentaire droit du travail. Petite astuce, un programme informatique avait préalablement décidé s’ils allaient recevoir une serviette en coton bio ou une autre en coton conventionnel. Ensuite, les participants allaient avoir à choisir entre différentes sommes d’argent – de 0,25 à 12 euros – et différents types de serviettes. Résultat : lorsqu’elle était bio, les participants avaient largement moins envie de « payer » pour une serviette confectionnée dans de bonnes conditions professionnelles. Histoire d’enfoncer le clou, une demi-heure après la première expérience, les chercheurs proposèrent à leurs cobayes de reverser une partie de leur argent à une association venant en aide aux réfugiés. Là encore, ceux qui avaient reçu une serviette bio allaient se montrer les moins généreux avec leurs prochains en souffrance. « On observe que le coton biologique sert d’excuse pour ne pas avoir à se soucier d’un autre champ moral », écrivent les chercheurs. C’est bien résumé.

Référence : tinyurl.com/IndulgenceEponge

Guerre des sexes OGM

La teigne des choux est un petit papillon adorant tellement les crucifères qu’on l’estime responsable d’environ 5 milliards d’euros de dégâts dans le monde. Le problème, c’est qu’il est progressivement devenu résistant aux mêmes pesticides qui ont par ailleurs éliminé ses prédateurs. Autant dire que les producteurs de choux, de brocolis ou de colza (eh oui, c’est de la même famille) en ont gros sur la patate. Ils seront heureux d’apprendre qu’une entreprise de biotechnologie, Oxitec, n’a jamais été aussi près de pouvoir leur proposer une nouvelle arme contre ce nuisible : des papillons génétiquement modifiés pour détruire leurs propres populations. Mais selon un procédé qui a de quoi faire pâlir des féministes antispécistes. En effet, Oxitec a bidouillé les bestioles pour leur ajouter deux gènes mutants. Le premier, inoffensif, les rend simplement fluorescentes pour qu’elles soient faciles à repérer sur le terrain. Le second est outrageusement plus pervers : non seulement il tue les larves peu de temps après leur éclosion, mais ce gène exterminateur ne s’active que chez les femelles ! Lorsque des mâles génétiquement modifiés en viennent à féconder des femelles bio, toutes les larves femelles dépérissent, alors que les mâles continuent leur petite vie. Une fois leur maturité sexuelle atteinte – c’est une affaire de jours, comme il est d’usage chez les papillons –, ils iront joyeusement s’accoupler avec de nouvelles femelles et ainsi continuer d’assouvir le funeste dessein du pesticide embarqué dans leur ADN. Que les techno-affolés se rassurent, les risques que l’expérience tourne mal sont minimes. Les mâles génétiquement modifiés sont de fait plus fragiles que leurs homologues « naturels » et une bonne moitié n’arrivent pas vivants à leur fleur de l’âge, ce qui signifie que l’apport en insectes mutants doit être constant pour que le carnage persiste.

Référence : tinyurl.com/SpermeTueur

Prime aux renfrognés

La nouvelle a de quoi réjouir les acariâtres et chagriner les gros joviaux. Selon des chercheurs suisses et suédois, les individus les plus faciles à vivre sont aussi ceux qui ont le plus de risque de voir leur cervelle ravagée par Alzheimer. À l’inverse, si on en croit leur étude menée sur 397 vieux habitants des régions de Genève et de Lausanne surveillés pendant cinquante-quatre mois, en plus d’un défaut d’« agréabilité », l’ouverture est un autre trait de personnalité protecteur des zones les plus touchées par la maladie – l’hippocampe, l’amygdale, le cortex entorhinal, le lobe temporal mésial et le précunéus. Correspondant à des styles de pensée, d’émotions et d’actions persistant durant toute la vie d’un individu, la notion de personnalité est endémique en sciences humaines et sociales, mais on la voit désormais de plus en plus en médecine et en neurosciences, comme en atteste cette étude dirigée par François R. Herrmann. Plus précisément, c’est ici l’analyse taxonomique de la personnalité, via le modèle de « Big Five », qui est exploitée. Selon ce paradigme, comptant aujourd’hui parmi les plus solides en psychologie, chaque caractère est un cocktail de cinq ingrédients fondamentaux : l’ouverture (à la nouveauté et à l’expérience, curiosité et imagination), la conscienciosité (autodiscipline, respect des obligations, etc.), l’extraversion (énergie, positivité, recherche de la compagnie d’autrui), l’agréabilité (amabilité, empathie, caractère coopératif) et le névrosisme (instabilité émotionnelle, négativité, vulnérabilité).

Référence : tinyurl.com/PerfideCervelle

 

Mars 2020 - Causeur #77

Article extrait du Magazine Causeur




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Peggy Sastre est une journaliste scientifique, essayiste, traductrice et blogueuse française. Dernière publication, "La Haine orpheline" (Anne Carrière, 2020)

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