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Islam: enfin une analyse historico-critique du Coran en langue française

Un Coran alternatif?


Islam: enfin une analyse historico-critique du Coran en langue française
Les historiens Mohammad Ali Amir-Moezzi et Guillaume Dye. © Hannah ASSOULINE

Le Coran des historiens, dirigé par Mohammad Ali Amir-Moezzi et Guillaume Dye est une somme révolutionnaire. L’analyse historico-critique des sourates éloigne le Coran d’Allah pour le rapprocher des hommes, révélant des influences diverses, notamment chrétiennes. Aux imams d’en tirer matière à réflexion.


 

Le Coran, texte dit incréé, c’est-à-dire rédigé par Mahomet sous la dictée d’Allah, constitue l’un des mythes fondateurs de l’islam autant qu’un défi concret à l’adaptation de cette religion au monde moderne. Des auteurs, comme Florence Mraizika[tooltips content= »Le Coran décréé : le défi de la science, Docteur Angélique, 2018. »][1][/tooltips], avaient déjà œuvré à la déconstruction de la lecture traditionnelle de ce texte. Le Coran des historiens, publié sous la direction de Mohammad Ali Amir-Moezzi et Guillaume Dye, éloigne un peu plus le Coran d’Allah pour le rapprocher des hommes ainsi que de leurs contradictions. Cette somme révolutionnaire et aconfessionnelle achève de convaincre le lecteur qu’à l’instar de l’Ancien et du Nouveau Testament, le Coran se révèle un « texte composite », un patchwork aux sources variées, un mille-feuille scripturaire. Mais ce n’est, bien sûr, pas le seul apport de cet impressionnant travail de recherche.

Une prise de recul vis-à-vis de la version traditionnelle

Cette exégèse historico-critique fait en effet table rase des présupposés sur la composition et la lecture du Coran. Comme le résume Guillaume Dye : « L’un des problèmes majeurs des études coraniques a souvent été une forme de dogmatisme, et une incapacité à concevoir des explications différentes de la version traditionnelle, qui repose pourtant parfois sur des bases assez fragiles. » Ce qui a présidé à ce projet, c’est la recherche d’une nouvelle vision.

Ainsi, l’hypothèse d’un Coran compilé sous Uthmân (574-656), compagnon de Mahommed, se voit révoquée au profit de l’influence plus tardive du cinquième calife Abd-al-Malik (646-705) qui disposait des « ressources pour se lancer dans un travail éditorial de ce type ». On y découvre également un texte qui n’est pas encore stabilisé à la fin du viie siècle, et donc achevé plus tardivement que l’histoire officielle ne le dit. Enfin, les auteurs taillent en pièces l’idée d’un document qui n’aurait pas varié, et dont le processus d’écriture et de composition s’est probablement étalé sur plusieurs décennies. Il en ressort qu’un travail de rédaction « a pu avoir lieu durant les années qui séparent la mort de Mahomet de la constitution du codex coranique ».

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Un véritable travail historique

Même pour des lecteurs familiers de théologie, les surprises sont nombreuses et souvent belles, à l’image des pages consacrées à « l’archéologie préislamique », qui proposent d’écrire une histoire de l’Arabie à l’aide non plus des traditions, mais des archives des pays de la région ou des inscriptions conservées sur les ruines. Elle dévoile une Arabie préislamique forte de ses royaumes cultivés, urbains et moins polythéistes qu’on ne le prétend. L’« analyse des graffitis » – le Coran des pierres – constitue notamment « une vaste source de connaissance sur les premières générations de musulmans ». Bien que le statut des « graffitis coraniques » reste ambigu, le spécialiste « est en droit de se demander dans quelle mesure certains énoncés différents et “non conformes” ne seraient pas les traces […] de versions alternatives du Coran ».

L’article consacré aux manuscrits coraniques mérite le qualificatif de fascinant. On y apprend l’existence de nombreuses archives, d’écrits méconnus conservés sur microfilm – des trésors qui présentent de multiples variations avec le récit officiel : « Les chercheurs affichent l’espoir de découvrir d’autres palimpsestes, avec d’autres versions du texte coranique. » On découvre par ailleurs qu’il est presque impossible de bâtir une biographie fiable de Mahomet – « une énigme presque totale » à en croire les auteurs. Quant à la profession de foi complète – (shahâda) – faisant référence au Prophète, elle semble plus tardive qu’on ne le dit. « [Elle] se développe seulement autour des années 690 et […] la plus ancienne mention de Mahomet remonte à l’année 685. » Ce qui signifie que l’apparition de Mahomet dans les textes officiels a été progressive… Ce point sera certainement le plus difficile à admettre pour nombre de musulmans pratiquants –, mais le propos des chercheurs ne vise pas à convaincre ceux pour qui le Coran ne s’analyse pas, mais s’apprend par cœur.

Un Coran ou des Corans?

Des écrits précoraniques semblent donc avoir inspiré la rédaction du Coran. Grâce aux itinéraires des divers matériaux empruntés, on peut suivre le processus de théologisation à l’œuvre dans le livre saint des musulmans. On reste pantois au demeurant devant les trésors d’ingéniosité qui ont été nécessaires aux recherches – on citera l’enquête menée sur la sourate 55 : 8-9, composée par au moins deux auteurs et dont il ressort que le premier était « brillant et savant avec une très bonne connaissance des récits bibliques et des homélies syriaques » quand le second qui a enrichi la sourate, se révèle « incapable de comprendre ce que l’auteur a voulu dire ».

À lire aussi: « Replaçons le Coran dans son contexte historique »

L’analyse aconfessionnelle de l’ensemble des sourates constitue en outre une première en langue française. La grande cohérence dans la méthode retenue conjugue approches philologiques et historiques, et permet de bien saisir la complexité du texte coranique. On découvre à cette occasion que la longue sourate 17, fortement marquée par des « souvenirs, des évocations ou des épisodes mystérieux », trouve en réalité son sens dans la « légende chrétienne des Sept Dormants d’Éphèse ». La mise en regard de ces deux sources débouche sur une conclusion surprenante : « Le Coran emploie une histoire chrétienne familière pour développer [sa théologie] et corriger ce qu’il perçoit comme une erreur majeure : la doctrine selon laquelle Dieu possède un fils. » Allah ne serait donc plus l’auteur exclusif du Coran. Il aurait reçu l’aide de théologiens chrétiens. Grâce au travail de Amir-Moezzi et Dye, se révèle ainsi à nous la manière dont la gnose islamique se serait progressivement constituée.

Le livre pose en définitive une question centrale : un Coran ou des Corans ? De multiples sources ; un document composé sur de longues années par plusieurs rédacteurs ; des influences diverses : juives, chrétiennes, manichéennes ; un prophète dont il paraît difficile d’écrire une biographie. On sait d’avance que le courage manquera pour que les acquis de la recherche soient largement diffusés, y compris dans les manuels scolaires ! Quant aux conséquences théologiques éventuelles de ces exégèses passionnantes, on doute que de nombreux imams en profitent pour mener une relecture critique de leur livre saint. Ce serait pourtant honorer « le projet civique et politique avoué » de ces trois volumes.

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Janvier 2020 - Causeur #75

Article extrait du Magazine Causeur




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