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Les accents antisémites de Corbyn

Antisémitisme 2.0


Les accents antisémites de Corbyn
De gauche à droite: Boris Johnson, Julie Etchingham et Jeremy Corbyn lors du débat télévisé du 19 novembre Jonathan © Hordle/ITV/REX/SIPA Numéro de reportage: Shutterstock40737502_000032

Lors d’un débat télévisé, le chef des travaillistes Jeremy Corbyn a prononcé de manière suspecte le nom de l’agresseur sexuel Jeffrey Epstein. Ce clin d’œil à un vieux cliché antisémite aggrave sa réputation de laxisme face aux dérives judéophobes. Les Britanniques juifs s’inquiètent de sa possible victoire.


Deux hommes en costume cravate sont debout derrière des pupitres à une distance de deux mètres l’un de l’autre. Ils sourient de temps en temps, mais l’atmosphère est quelque peu tendue. Des projecteurs sont braqués sur eux et un public, qui assiste en direct aux échanges entre les deux messieurs, applaudit, rit ou hue selon les interventions des orateurs. Nous sommes le 19 novembre et il s’agit du premier débat télévisé entre Boris Johnson, leader du Parti conservateur, et Jeremy Corbyn, chef des travaillistes. Le 13 décembre, l’un des deux sera Premier ministre du Royaume-Uni. À un moment donné, l’animatrice du débat leur pose une question à propos de Son Altesse Royale, le prince Andrew, fils de la reine qui s’est trouvé mêlé à l’affaire Jeffrey Epstein. Celui-ci, rappelons-le, est le pédocriminel et maître-chanteur américain qui, incarcéré pour avoir organisé un trafic de jeunes filles mineures destinées à être exploitées comme esclaves sexuelles, se serait pendu dans sa cellule au mois d’août dernier. M. Corbyn se lance immédiatement dans un vibrant plaidoyer pour les jeunes victimes de ce véritable ogre moderne, et puis, soudain, il se produit un phénomène très étrange… Ce nom de famille, Epstein, qu’on entend presque quotidiennement dans les médias, se prononce toujours à l’américaine, c’est-à-dire « ep-stine » (si l’on reproduit la prononciation selon les principes de l’orthographe française), mais, inexplicablement, Jeremy Corbyn le prononce d’une tout autre manière: ce qui sort de sa bouche, c’est « ep-schtaine ». Tout le monde sait que ce nom de famille assez courant est juif. Le génial sculpteur, Sir Jacob Epstein, créateur par exemple du tombeau d’Oscar Wilde au Père-Lachaise, était juif. Que vient faire cette prononciation bizarre au milieu de ce débat, si ce n’est pas souligner la judéité de cet ogre – si ce n’est pas pour rappeler que les juifs, ce sont des ogres. Bref, en deux syllabes, M. Corbyn insuffle une nouvelle vie à un vieux fantasme raciste.

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Nous savons depuis longtemps que le Parti travailliste a un problème avec l’antisémitisme. Son aile ultra gauche, sous prétexte de défendre la cause palestinienne, réclame la destruction de l’État d’Israël et accuse les juifs d’être des capitalistes qui exploitent les pauvres à travers le monde. Tout en prétendant purger son parti de ces éléments judéophobes, M. Corbyn a toujours fait preuve d’indulgence à leur égard, de manière à suggérer qu’il partage leur point de vue. Sa prononciation biscornue du nom d’Epstein au moment où toute l’attention du public britannique est fixée sur lui constitue ce qu’on appelle dans le jargon anglais des campagnes électorales un « dog whistle », littéralement un « sifflet pour chiens ». Ce terme désigne un message qui possède un sens explicite pour la plupart des citoyens mais un autre, implicite, pour une section particulière de la population. De prime abord, Jeremy Corbyn semble tout simplement désigner un criminel notoire, mais plus subrepticement, il signale à ses supporteurs radicaux et à tous ceux qui ont des raisons de ne pas aimer les juifs qu’il est toujours là, à leurs côtés.

L’a-t-il fait consciemment ou inconsciemment ? Nous ne le saurons jamais.

Un tollé

Ce qui est certain, c’est que son tour de passe-passe linguistique n’est pas passé inaperçu. Son sifflet n’a pas été entendu que des chiens. Le tollé sur les médias sociaux a été immédiat, les Britanniques juifs en particulier comprenant d’emblée les implications de cette bizarrerie de prononciation qui ne pouvait pas être innocente. Et quand, au cours du débat, M. Corbyn a affirmé qu’il avait bien géré la crise antisémite au sein de sa famille politique, les spectateurs ont réagi par des rires moqueurs. Il est de notoriété publique qu’au moins 130 cas d’antisémitisme n’ont toujours pas été traités par l’instance disciplinaire du Parti travailliste. Certains d’entre eux traînent depuis des années. Dans la première moitié de 2019, 625 nouvelles plaintes ont été enregistrées par cette même instance disciplinaire. Au mois de mai, la très étatique Commission pour l’égalité et les droits humains (Equality and Human Rights Commission) a lancé une enquête afin de déterminer si le Parti travailliste avait fait preuve de discrimination envers les juifs et si sa gestion des plaintes avait été efficace.

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Quoi qu’il en soit M. Corbyn reste l’ami des terroristes: le 13 novembre il a déclaré que les forces spéciales américaines avaient eu tort d’assassiner l’ancien chef de l’État islamique, Abou Bakr Al-Baghdadi. Il aurait mieux valu le mettre gentiment en état d’arrestation. La peur que M. Corbyn inspire aux Britanniques juifs est palpable. Selon des sondages récents, plus de 85 % d’entre eux croient qu’il est antisémite; 78 % préféreraient un Brexit sans accord à son élection comme Premier ministre; et, s’il accédait au pouvoir, 47 % envisageraient sérieusement de quitter le pays.

Tout cela constitue une double tragédie. La première est celle des juifs au Royaume-Uni; la deuxième est celle du Parti travailliste, un parti avec une longue et honorable histoire, qui a beaucoup fait pour le mouvement ouvrier en général à travers le monde et auquel beaucoup de Britanniques juifs ont contribué de manière très significative. Maintenant, les juifs et leur contribution sont rejetés. Qui a gagné ce premier débat télévisé? Selon un sondage à la fin de l’émission, la victoire reviendrait à M. Johnson. Mais seulement 51 % des sondés étaient de son côté; 49 % ont trouvé M. Corbyn plus crédible. Espérons que le 13 décembre ne nous réservera pas un réveil douloureux.




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est directeur adjoint de la rédaction de Causeur.

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