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Les cinq bobards des journalistes français sur le Brexit

Ils ne savent rien, mais ils disent tout!


Les cinq bobards des journalistes français sur le Brexit
Boris Johnson lors de sa campagne, le 7 novembre 2019. Numéro de reportage : AP22396613_000022 Auteurs : Daniel Leal-Olivas/AP/SIPA

 


Hostiles au Brexit jusqu’à l’aveuglement et n’y comprenant rien, de pseudo-experts médiatiques français répètent avec un art consommé du psittacisme un certain nombre d’approximations hâtives, de demi-vérités et d’erreurs d’appréciation. Décryptage.


« Dire la vérité n’est […] un devoir qu’envers ceux qui ont droit à la vérité. » Ainsi parlait Benjamin Constant [tooltips content= »Dans le texte connu aujourd’hui sous le titre Le Droit de mentir. »](1)[/tooltips]. On peut se demander si les Français ont droit à la vérité. En sont-ils même dignes ? S’agissant du Brexit, la réponse est non. Depuis des mois, les médias français répètent inlassablement un certain nombre d’approximations hâtives, de demi-vérités et d’erreurs d’appréciation. Ces poncifs erronés circulent de plateau télé en feuille imprimée, énoncés toujours d’un air docte et avec un psittacisme irréprochable qui préfigure la grande volière de Parrot World dont l’ouverture est prévue l’année prochaine à Crécy-la-Chapelle. Entre le recours à la perfide Albion comme repoussoir, la paresse intellectuelle et la mentalité de troupeau (l’esprit de gramophone, disait Orwell), les raisons de cette avalanche de banalités inexactes varient. N’est constant que le paradoxe du modèle économique des médias en France. Celui-ci repose sur l’exploitation d’une armée de vagues commentateurs et spécialistes, qui doivent meubler entre les titres du journal et les spots publicitaires, et sont ainsi obligés de donner libre carrière à leurs préjugés nationaux et idéologiques tout en prenant un air très savant. Il y a certes des exceptions honorables, mais comment le non-spécialiste peut-il les distinguer dans le lot des jongleurs de mots prétentieux ? Pour se repérer dans ce paysage instable, voici le palmarès des cinq lieux communs les plus discutables :

#1 « Boris Johnson est un menteur… »

« Qui est cet imposteur universel dont on parle tant ? » demande un personnage de Mademoiselle de Scudéry dans son dialogue, Du mensonge. On croirait qu’il s’agit du Premier ministre britannique, tel qu’il est dépeint par nos experts médiatiques, pour qui sa caractéristique la plus essentielle serait une mythomanie qui le différencie des autres politiciens. Ceux qui propagent cette idée sont apparemment persuadés de nous révéler une grande vérité. Pourtant, le politicien qui ne ment pas n’existe pas. « Supermenteur » était le surnom de qui ? Ah oui, de Jacques Chirac, dont la France vient de célébrer la mémoire avec autant de louanges que d’affection. On objectera que Johnson et Chirac, ce n’est pas la même chose. Ce n’est jamais la même chose, selon qu’on prend le politicien dont il s’agit en affection ou non. Traiter Boris Johnson de menteur dès le début de son mandat était tout simplement une tentative de le disqualifier avant qu’il ne fasse quoi que ce soit.

#2 « Boris Johnson fait semblant de négocier avec l’Union européenne… »

Dès avant son arrivée au 10 Downing Street, Boris Johnson avait annoncé qu’il voulait que le Royaume-Uni quitte l’UE le 31 octobre, qu’il fallait envisager une sortie sans accord, mais qu’il croyait possible de négocier un tel accord avant la date fatidique. Nos experts ayant pénétré les voies mystérieuses de la Providence divine, ont asséné à maintes reprises que non ! Johnson ne cherchait pas vraiment à pactiser avec Bruxelles. Car, en partisan fanatisé du Brexit, il visait le « no deal », et les négociations n’étaient qu’une comédie pour préparer le jeu des reproches qui suivrait inévitablement le départ « désordonné » du Royaume-Uni.

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Ici, il s’agit d’une erreur de logique contre laquelle le cardinal de Retz nous met en garde dans son Discours sur l’hypocrisie : « Si le contraire de ce que dit le menteur était toujours vrai, […] on trouverait la vérité de son intention dans la contrariété de ses paroles. » En fait, Boris Johnson a bel et bien négocié et il a conclu un accord avec les Vingt-Sept. Le devoir du commentateur authentique consiste à distinguer le vrai du faux dans les paroles et les actes d’un politicien, plutôt que de tout mettre dans le même sac.

#3 « Michel Barnier a dit… »

Les phrases qui commencent ainsi constituent les révélations les plus paresseuses de nos experts, car n’importe qui peut lire les déclarations peu prolixes et les communiqués de presse laconiques du très discret eurocrate français. En plus de la fainéantise, la simple reproduction des interventions témoigne d’une incapacité à comprendre que M. Barnier est un négociateur occupé à mener des négociations. Quand il prend la parole en public, ce n’est pas pour exprimer véritablement un souhait, un reproche ou du dépit, mais pour prendre une position précise à un moment précis des tractations. Il est obligé de cacher son jeu. À la différence de ses très naïfs commentateurs, M. Barnier a fait sienne cette maxime de Vauvenargues : « La dissimulation est un effort de la raison, bien loin d’être un vice de la nature. » On nous répétait que, « selon M. Barnier », Bruxelles ne rouvrirait pas l’accord de retrait. Eh bien, n’en déplaise à ses thuriféraires, Bruxelles et M. Barnier l’ont fait.

#4 « Le système politique britannique est mis à mal par le populisme… »

Le Brexit serait l’une des nombreuses têtes de cette hydre nommée populisme qui menace nos démocraties. On définit généralement le populisme comme un effort pour discréditer les institutions politiques traditionnelles au nom de quelque vague « volonté du peuple », que tel ou tel démagogue prétend incarner. Pour les « experts », la cause est entendue : un référendum malavisé en 2016 a permis à une forme plébiscitaire de la démocratie de miner le vieux système parlementaire du Royaume-Uni ; les élites traditionnelles ont dû céder du pouvoir à une bande de voyous parvenus, comme Nigel Farage ; la démagogie de Boris Johnson fait fi de la Constitution et dresse le peuple contre les élus.

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La réalité est plus nuancée. Qui a voté la loi ouvrant au référendum de 2016 ? Qui a promis de respecter le résultat du référendum ? Qui a voté la loi déclenchant l’article 50 ? Et celle qui consacre le départ du Royaume-Uni de l’UE ? Réponse : le Parlement. On peut aller plus loin : qui s’est montré incapable de décider de la forme que prendra le Brexit ? Qui a refusé de ratifier les accords négociés avec Bruxelles ? Qui répugne à se dissoudre, préférant maintenir en place un gouvernement minoritaire ? Pour le meilleur ou pour le pire, c’est toujours – et plus que jamais – le Parlement qui détient le pouvoir au Royaume-Uni. Contre certaines apparences. Car, comme le dit l’Espagnol Baltasar Gracián dans L’Homme détrompé : « On ne saurait bien voir les choses du monde qu’en les regardant à rebours. » À rebours de ce que font nos experts patentés.

#5 « Le Parti conservateur britannique est devenu un parti de la droite dure… »

Le Brexit aurait permis à l’aile droite du Parti conservateur, incarnée par Boris Johnson, de prendre le pouvoir. L’exclusion d’une vingtaine de députés modérés semble confirmer ce jugement. On ne sait pas très bien ce qu’est l’aile droite du parti : des politiciens favorables au Brexit passablement nationalistes ; et probablement les enfants les plus fidèles de Margaret Thatcher. S’il y a un mot qui, aux yeux des intellectuels français, résume toute l’histoire, toute la pensée britannique, c’est « libéralisme », souvent qualifié de « sauvage » ou précédé du préfix « néo ». On évoque ainsi le spectre d’une Angleterre où tout a été déréglementé afin de créer une sorte de Singapour sur la Tamise, ultime fantasme cauchemardesque des Français au sujet de leurs voisins d’outre-Manche. Partielles et partiales, ces vérités confinent au mensonge. « Toutes les vérités seraient bonnes à dire si on les disait ensemble », dit Joseph Joubert. Certes, il y a au Parti conservateur quelques fanatiques nationalistes et quelques nostalgiques du thatchérisme. Mais la grande majorité des députés tories ne cherchent qu’à honorer le résultat du référendum avant de passer à autre chose. Le programme que propose Boris Johnson consiste surtout à dépenser beaucoup d’argent public sur la police, les hôpitaux et l’éducation.

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On m’objectera que les tabloïds anglais racontent des absurdités sur l’Europe. Cependant, peu de gens se tournent vers eux pour comprendre qui se passe. Les experts français prétendent eux, sans la moindre ironie, faire de la « pédagogie ». Leurs suppositions hâtives déguisées en analyses profondes induisent le public en erreur à propos d’un sujet essentiel. Comme le dit La Rochefoucauld : « Le désir de paraître habile empêche souvent de le devenir. »

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Novembre 2019 - Causeur #73

Article extrait du Magazine Causeur




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est directeur adjoint de la rédaction de Causeur.

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