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Catho, musulmane, laïque: choisissez votre tribu française

Notre pays court droit à la partition


Catho, musulmane, laïque: choisissez votre tribu française
"La vie n'est pas un long fleuve tranquille".

Dans notre société travaillée par les communautarismes, tout concorde à fragmenter la société en trois grands piliers : laïque, catholique et musulman. Un multiculturalisme latent sous la houlette d’Emmanuel Macron réunit superficiellement tout ce petit monde sous la bannière de la start-up nation. Analyse de la partition en cours. 


 

Le roi danse. Arabesques, balancés, entrechats et jetés. En face, les lobbyistes de la laïcité tentent de s’ajuster à la chorégraphie du « Et en même temps ». Un Conseil des Sages par-ci, une visite chez le Pape par-là, une loi de confiance et une tournée des imams… Virevoltante sarabande dont la partition semble changer de tonalité à chaque mesure. Mais cette ouverture à la française, toute baroque qu’elle soit, est peut-être bien moins l’œuvre d’un Lully que d’un Abraham Kuyper.

Nul doute que ce pasteur néerlandais, idéologue de la pilarisation, aimerait cette approche segmentée, touchant différents secteurs de la société, concourant au cloisonnement en « piliers » des principales familles de pensée religieuses, philosophiques ou politiques d’un pays. C’est selon ce principe que se sont structurés les Pays-Bas où l’on peut, comme il le souhaitait, rester dans son pilier « du berceau à la tombe », en naissant dans une maternité, poursuivant un cursus scolaire, adhérant à un syndicat ou un parti politique, regardant des chaînes télévisées clairement rattachées à des structures catholiques, protestantes ou laïques selon son appartenance, le tout chapeauté par le corpus des valeurs communes de la Nation réduit au strict minimum. Il en va de même pour la société belge.

Est-il possible de « pilariser » ainsi la France en sculptant dans notre république une et indivisible trois piliers : catholique, laïque et musulman ? Envisager en système structuré les mesures disparates prises depuis le début du quinquennat rend l’hypothèse crédible.

L’école, fourrier du communautarisme

L’éventuel futur pilier laïque a été doté d’un référent dont le nom, rassurant et majestueux, donne des gages de l’importance accordée à son rôle : « Conseil des Sages de la laïcité ». Persuadé d’agir pour l’ensemble de la société, cet organe a rédigé une compilation des règles actuelles en matière de laïcité à l’école. Les possibilités offertes aux religieux les plus intrusifs d’imposer la marque visible de leur choix spirituel dans l’enceinte de l’école apparaissent nombreuses dans ce vademecum. Le constat y est fait que l’appréciation du caractère prosélyte est laissée à la subjectivité du directeur d’école. Les rédacteurs ne disposaient ni des crédits ni du temps nécessaires pour évaluer l’état des troupes en charge de mettre en application les textes de loi sur le terrain. Ces aristocrates de l’éducation n’avaient jamais expérimenté, par eux-mêmes, le courage physique et la force psychologique requis pour affronter quotidiennement, au portail d’une école, la pression de parents d’élèves, voire celle de collègues ayant fait le choix politique des accommodements déraisonnables, dans des quartiers où, rappelons-le, même la police n’est plus respectée.

Parce qu’ils ont quelque peu surévalué le nombre de hussards et oublié leur contexte d’exercice, leur vademecum de la laïcité va conduire à une involontaire et discrète partition de l’école, renvoyant définitivement celle des territoires perdus à une assignation identitaire. La création récente d’un « référent laïcité », au chaud dans un bureau de l’inspection académique, ne changera rien à la donne. Les particularismes scolaires y sont déjà nombreux : CP à effectifs réduits, enseignement de l’arabe et du turc délégué par l’éducation nationale à des pays étrangers sans réel contrôle des pratiques de classe, stratégies d’évitement des sujets litigieux (suppression du sport pendant le ramadan, de certains thèmes de science ou d’histoire ou signalement à l’avance des jours où l’on va les aborder afin de laisser la possibilité de soustraire son enfant à ces leçons…). Le vademecum vient de confirmer que peuvent s’y ajouter le port de signes religieux pour les accompagnateurs de sorties scolaires, les intervenants extérieurs, les participants à l’espace-parents à mettre en place dans l’enceinte de l’école. De toute façon, en cas de refus d’ajustement de l’école de la république aux usages et exigences locales, la possibilité pour le tissu associatif local de développer son propre réseau d’écoles sera là. Nulle raison que l’offre de formation hors système classique se limite à la pédagogie Montessori dans les quartiers bobos. L’article 38 de la loi pour un Etat au service d’une société de confiance proposant « des mesures de clarification et de modernisation du statut des cultes, en renforçant leurs ressources  et […] autorise les associations cultuelles à détenir tout immeuble acquis à titre gratuit », une telle évolution devrait se trouver grandement facilitée. Cela devrait achever de convaincre les équipes pédagogiques du secteur public de la nécessité d’être accommodantes par crainte de voir fuir leurs élèves vers des systèmes d’enseignement parallèles.

Une cuillère pour les catholiques

Restait à consolider l’école du pilier catholique : c’est chose faite avec l’obligation de l’instruction dès trois ans qui permettra à cette dernière de voir affluer de nouveaux financements publics. En effet, conformément à la loi Debré de 1959, les municipalités assument la charge des frais de scolarité pour les enfants de leur commune, équitablement, qu’ils soient dans des structures publiques ou privées sous contrat. L’instruction n’étant, jusqu’à présent, obligatoire qu’à partir de 6 ans, cette obligation ne concernait que les écoles élémentaires. Avec cette nouvelle mesure, les financements publics communaux couvriront également les écoles maternelles privées sous contrat. «Dans notre mythologie républicaine, l’école maternelle n’occupe pas toute la place qu’elle pourrait occuper. Elle est et sera d’avantage à l’avenir un moment fondamental de notre parcours scolaire» a déclaré Emmanuel Macron aux Assises de la maternelle en mars dernier. N’en doutons pas, puisque dans une France pilarisée, l’école jouera le rôle le plus important : celui de garantir à chaque individu une porte d’entrée précoce dans son pilier, à l’âge où s’intègrent les normes et usages de la vie en société.

La rigidité de chaque pilier doit être assurée par la mise en place de diverses structures dont l’importance  permet de réduire le commun républicain au strict minimum. Le discours des Bernardins a permis de raffermir le rôle de l’architecture du monde catholique, légitimant par symétrie la volonté récemment exprimée de construire un Islam de France. Les grandes lignes annoncées devraient permettre d’obtenir une bonne étanchéité du domaine islamique : tout reposerait sur une Association pour l’Islam de France composée de Français de confession musulmane qui serait financée par des fonds issus d’une taxe sur les produits Halal, les agences de voyages spécialisées dans le pèlerinage à la Mecque et les dons des fidèles, l’objectif affiché étant d’émanciper l’Islam de la tutelle de l’Etat.

Des syndicats victimes de l’entrisme islamiste

Simultanément, l’entrisme islamiste qui utilise pour l’instant le véhicule des syndicats pour peser sur la vie des entreprises devrait à terme parvenir à faire émerger un syndicalisme musulman dont les revendications iront, sans doute, bien plus loin que l’intransigeance sur le repos dominical de la Confédération Française des Travailleurs Chrétiens. L’étage syndical des trois piliers prendra alors corps. Celui des médias est déjà acté pour les musulmans, les paraboles ayant depuis longtemps assuré le séparatisme en matière d’information et de divertissement télévisuel. Enfin, le tissu associatif propre à chaque pilier rendra l’accès à bien des services totalement conformes aux exigences les plus strictes de sa communauté.

Mais l’aspect le plus machiavélique de cette stratégie de partition de la France réside en deux points. Le premier est la séduction qu’elle peut présenter pour un peuple à l’âme jacobine : la volonté affichée d’asseoir le système sur des structures définies peut rassurer les réfractaires à la société multiculturelle ultralibérale tous azimuts à l’anglo-saxonne. Le second est l’habile exploitation de la ligne de faille qui parcourt le camp des associations de défense de la laïcité, séparant ceux qui donnent à la Nation et à son histoire une place centrale de ceux qui se placent dans une perspective multiculturelle.

Des laïques ingénus

Ainsi, la mouvance de défense de la laïcité, canal historique, et les théoriciens de la « tenaille identitaire » se font-ils les alliés involontaires de la pilarisation de la société. En effet, leur foi béate en l’attractivité de leurs valeurs qu’ils pensent capable de ramener spontanément tout citoyen vers les Lumières et leur multiculturalisme latent les rendent étrangement muets, voire accommodants sur certains points tels que le port du voile par les adultes intervenant en milieu scolaire. Ceci concourt à banaliser cette pratique emblématique du pilier musulman, l’isolant de ceux dont l’égalité homme-femme est une valeur clé. Symétriquement, l’amalgame qu’ils pratiquent entre les tenants d’une ligne identitaire dure et les laïques simplement attachés à la Nation, contribue à rejeter ces derniers vers le pilier catholique. Par confort intellectuel, ils maquillent en fruit d’une ouverture d’esprit ces petits renoncements qui servent la stratégie d’un islam moyenâgeux dont les pratiques rétrogrades sont les vecteurs d’une infiltration calculée des esprits. Avec la fermeté d’un commissaire politique, cultivant volontiers le mépris de la caste des érudits citoyens du monde pour les idées du peuple, ils s’emploient à museler tout questionnement sur la compatibilité interculturelle. Convaincus d’être seuls détenteurs de la vérité laïque, ils s’emmurent donc eux-mêmes au creux de ce que leurs lunettes idéologiques les poussent à voir comme une « tenaille identitaire »,  facilitant la politique de segmentation de notre société. Ces défenseurs de la laïcité, bien qu’ils soient persuadés d’être les garants de la dimension universaliste qu’ils lui prêtent, préparent donc, malgré eux, son reflux dans son futur pilier de cantonnement.

Multiculturalisme pour tous

Il y a donc fort à parier qu’Emmanuel Macron, conscient de la compatibilité entre leur multiculturalisme idéologique et son monde libéral sans frontières,  choisira de faire de leurs associations et autres think-tanks fraichement créés les interlocuteurs de référence de son pilier laïque, d’autant plus aisément qu’en cette période de disette pour les naufragés du Parti socialiste, les vocations de devraient pas manquer pour se remettre en scène.

Jupiter obtiendra ainsi un temple posé sur trois piliers, dont le tympan commun sera réduit à minima, et n’inclura plus la laïcité, qui ne subsistera vraiment que dans un pilier laïque taillé sur mesure pour s’épargner les questions qui fâchent sur la compatibilité de certaines pratiques avec le socle des valeurs de la France ciselé par l’histoire.

Pourtant n’oublions pas : Molenbeek a été façonné par la pilarisation de la société belge. Les Pays Bas, tentant de rompre avec ce système,  ont mis en place une nouvelle politique d’intégration qui insiste plutôt sur la « citoyenneté commune » appliquée aux immigrés, suggérant que « l’unité de la société doit être fondée sur ce que ses membres ont en commun […], à savoir le fait que les gens parlent néerlandais, que chacun se conforme aux normes néerlandaises fondamentales »[tooltips content= »Tweede Kamer (Deuxième Chambre), TK 2003-2004, 2920″]1[/tooltips].  A la lumière de ces expériences, la plus grande prudence devrait donc être de mise avant d’entrainer la France dans une telle libanisation. C’est une nation dont le peuple a fait le choix d’être uni sous trois couleurs et non embastillé dans trois piliers. De son histoire est née une république « une et indivisible ». Toute action contribuant à la fragmentation de la France constitue donc une atteinte à ce principe fondateur et, très probablement, à l’expression de la volonté de ses citoyens.

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est enseignante et ex-directrice d'école.

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