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Faire taire Bertrand Cantat, c’est faire chanter la démocratie

Le droit est le même pour tous


Faire taire Bertrand Cantat, c’est faire chanter la démocratie
Bertrand Cantat aux Eurockéennes de Belfort en 2012. SIPA. 00639880_000014

Sous la pression de manifestants, le chanteur Bertrand Cantat a dû renoncer à exercer son métier lors des festivals d’été. Et quand même des juristes en viennent à lui contester ses libertés, il devient urgent de le rappeler: en France, le droit est le même pour tous. 


À l’occasion de l’étonnante polémique qui entoure « l’affaire Cantat » deux camps s’affrontent désormais. D’une part, ceux qui considèrent que le chanteur incarne à lui tout seul, les violences faites aux femmes et que, par conséquent, le fait qu’il puisse à nouveau user de sa liberté de citoyen et de son talent pour exercer son métier est un scandale insupportable. Qu’il convient donc de l’en empêcher et de le réduire au silence. D’autre part, ceux qui considèrent que Bertrand Cantat ou pas, dans une démocratie, il est des principes juridiques supérieurs et que protéger sa liberté d’expression, aussi déplaisant que cela puisse être pour certains personnages, c’est défendre cette liberté pour tous les citoyens.

Bertrand Cantat est redevenu un citoyen comme les autres

Madame Frison-Roche, juriste de qualité, a dû sentir la fragilité de la position des anti-Cantat. Elle a publié un texte qui se veut une défense et une illustration juridique de la volonté de le faire taire. Partant du communiqué publié par le chanteur dans lequel il utilise une expression passée dans le langage courant disant « qu’il a payé sa dette à la justice », l’auteur, avec une mauvaise foi surprenante, reproche au chanteur de penser avoir acheté la mort de Marie Trintignant contre quatre ans de prison. Car, nous dit-elle, «la justice pénale prononce des peines et non pas des prix ». Marie-Anne Frison-Roche oublie opportunément que la peine est justement le prix payé à la société lorsque l’on a lourdement transgressé l’ordre social. Le règlement s’effectue par l’intermédiaire de l’État utilisant sa violence légitime, qui va fixer la sanction et la faire exécuter.

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On ne s’étendra pas ici sur les développements théoriques de la pénologie mais on rappellera cependant qu’un des premiers fondements de la peine repose bien sur « la théorie de la rétribution » d’Emmanuel Kant. Historiquement, pour passer de la justice privée (œil pour œil, dent pour dent) à la justice publique il a fallu transférer à l’État, devenu titulaire de la violence légitime sur les corps, la créance que possédaient les victimes. En lui donnant les deux compétences de la vengeance et de la réparation. La vengeance, c’est la peine au profit de l’ensemble de la société, avec la justice pénale. La réparation, ce sont les indemnisations uniquement matérielles données aux victimes de la faute, avec la justice civile. Depuis le XIXe siècle les choses ont évolué et il faut aujourd’hui compléter la rétribution par la dissuasion (C. Beccaria ; J. Bentham) et plus récemment par la correction.

Par conséquent, lorsque Bertrand Cantat dit qu’il a « payé sa dette », tout le monde sait bien qu’il affirme avoir subi sa punition telle qu’elle avait été fixée par le juge. Dans tous ses aspects. Et qu’il est donc redevenu un citoyen comme les autres avec les mêmes droits et devoirs. Pas plus, pas moins. Madame Frison-Roche nous expose la différence entre droits et libertés pour essayer de faire apparaître le chanteur comme un citoyen amoindri. Cette présentation est ridicule car il demande simplement de pouvoir user de sa liberté de citoyen ayant accompli sa peine.

Bertrand Cantat a effectué la totalité de la peine fixée

Pour dénaturer un souhait juridiquement légitime, l’article prétend qu’il invoquerait (« évoquerait ») « un droit à l’oubli ». Une lecture attentive du texte montre bien que c’est simplement un mensonge. On n’en trouve nulle trace dans le communiqué de Bertrand Cantat. Il y a, hélas, d’autres déformations grossières et en particulier celles qui résultent de constructions qui attribuent à Bertrand Cantat le qualificatif de « meurtrier » condamné à quatre ans de prison pour la mort de Marie Trintignant. Rappelons encore qu’il a été condamné à huit ans de réclusion par une juridiction lituanienne, en application des lois de ce pays pour une qualification équivalant à ce que le code pénal français appelle : « violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner », prévues et réprimées par l’article 222–7 du code pénal. Quand on est juriste, revendiquée comme tel, on devrait éviter d’oublier que la qualité de « meurtrier » ne peut être appliquée qu’à ceux condamnés sur la base de l’article 221-1 du code pénal qui dispose : « le fait de donner volontairement la mort à autrui constitue un meurtre ». Sur le plan juridique, Bertrand Cantat n’est pas un meurtrier au regard du droit français. Au contraire, par exemple, de Jacqueline Sauvage condamnée à 10 ans de réclusion criminelle par deux cours d’assises successives pour le meurtre de son mari.

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Mais il y a plus grave, puisqu’on oublie de rappeler (mensonge par omission ?), qu’en application des accords existants entre la France et la Lituanie, il a été autorisé à exécuter sa peine en France. Comme tous les autres condamnés, compte tenu de sa conduite, il a bénéficié des mesures prévues par la loi permettant de l’aménager. Peine qui a donc continué à s’exécuter sous des formes différentes : contrôle judiciaire strict, pointages, bracelet électronique, obligations très contraignantes dont il fallait justifier l’accomplissement, sous le contrôle d’un juge de l’application des peines et d’agents de probation. Parmi ces obligations, il y avait celle du silence et de la discrétion pendant la durée de la conditionnelle, ce qui a été respecté. Toutes ces modalités ont fait que, durant cette période, Cantat n’était pas libre et absolument pas un citoyen comme les autres. Il faut donc comprendre que la détention est une modalité de la « réclusion criminelle », pas la seule.  Il a donc effectué la TOTALITE de la peine fixée. Et prétendre le contraire en insistant sur ses « quatre ans de prison » témoigne d’une désinvolture juridique et d’un populisme judiciaire particulièrement déplaisants.

Tenter d’empêcher Bertrand Cantat est illégal

On trouve d’autres approximations pour contester à Bertrand Cantat l’exercice de ses prérogatives de citoyen, en particulier celles dont il voudrait pouvoir se servir aujourd’hui : la liberté d’expression, de création et de travail. Le texte contient à propos des manifestations qui entourent les concerts et les pressions sur les organisateurs une sentence comme celle-ci : « et contre cette liberté d’expression Bertrand Cantat ne peut rien, car les personnes qui s’expriment ainsi ne sont en rien ses débiteurs. » Mais bien sûr que si ! Comme tous les citoyens de ce pays, elles sont débitrices vis-à-vis des autres de la possibilité d’exercer leurs libertés. Soit en ne les entravant ni en ne les empêchant, soit en s’en remettant à l’État démocratique qui est le nôtre pour en garantir l’exercice.

Parce que précisément, Madame Frison-Roche, tout à ses leçons de maintien, oublie opportunément l’article 431–1 du code pénal qui dit précisément que « le fait d’entraver, d’une manière concertée et à l’aide de menaces, l’exercice de la liberté d’expression, du travail, d’association, de réunion ou de manifestation est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende ». Ce qui veut dire que les manifestations et les pressions sur les organisateurs, et sur les spectateurs pour aboutir à l’annulation des activités professionnelles de Bertrand Cantat, sont des infractions pénales.

Défendre Bertrand Cantat c’est défendre la société

C’est comme ça. Lorsque Nadine Trintignant, relayée par des manifestations furieuses, dit qu’il faut que les organisateurs de concerts les annulent, elle appelle à une violation du code pénal. À elle on n’en fera pas grief, mais aux excités qui descendent sur le pavé pour cracher en hurlant sur les spectateurs, c’est une autre histoire. Alors, critiquer Bertrand Cantat, déplorer l’usage qu’il fait de sa liberté, voire l’insulter c’est une chose, et personnellement je ne me suis jamais gêné. Mais le code pénal nous explique qu’il y a façon et façon.

Il faut donc répéter, en ces temps où l’appel à l’interdiction et la censure sont quotidiens, où notre liberté d’expression se trouve menacée tous les jours, que, quelle que soit la personnalité de Bertrand Cantat, défendre ses libertés de citoyen c’est défendre celle de nous tous. En se servant des armes du droit sans le solliciter ni le déformer. Car s’il est souvent pénible, il présente l’avantage d’être le même pour tous.

Avant de donner des leçons, il faut se rappeler ce que disait Léo ferré : «n’oubliez jamais que ce qu’il y a d’encombrant dans la morale, c’est que c’est toujours la morale des autres».



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