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Notre-Dame-des-Landes: qui a le plus menti, finalement?

Et autres questions rabat-joie sur l'abandon du projet


Notre-Dame-des-Landes: qui a le plus menti, finalement?
La "route des chicanes"", qui traversait la ZAD de Notre-Dame-des-Landes et était prétendument interdite à la circulation, 16 janvier 2018 © Sébastien Salom Gomis/SIPA

L’annonce de l’abandon du projet d’aéroport du Grand Ouest a résonné comme une victoire des zadistes installés illégalement à Notre-Dame-des-Landes. Mais le mythe d’un retour à la nature cache des réalités moins reluisantes. Dix questions sur un abandon.


Édouard Philippe a tranché, l’aéroport de Nantes-Atlantique sera agrandi. La zone d’aménagement différé de 1 600 hectares (ZAD, rebaptisée « zone à défendre »), gelés depuis les années 1970 dans la perspective d’un nouvel équipement, n’a plus de raison d’être. Les élus locaux, les quatre exploitants agricoles qui refusaient l’expropriation et les zadistes ont fait plier les pouvoirs publics. Reste maintenant à faire plier quelques faits, particulièrement têtus. Le tour en dix questions.

Est-ce le triomphe des zadistes ?

Ce n’est pas ainsi qu’ils le vivent. Les zadistes entendent renverser le système capitaliste et instaurer de nouveaux rapports humains, libérés de la compétitivité et de la course au rendement (les textes disponibles sur nadir.org, le site de la ZAD NDDL, ne laissent subsister aucun doute à ce sujet). Ils ne sont pas en lutte contre un aéroport, mais contre l’inflation du transport aérien, symptôme d’une mondialisation hors de contrôle. Autant dire que leur victoire finale n’est pas pour demain. À tout prendre, Notre-Dame-des-Landes n’était pas le plus mauvais des combats. Enseignant à l’Institut français de géopolitique (Paris 8), Philippe Subra s’est penché sur le phénomène des zones à défendre. Il a isolé quelques déterminants de leur succès : « Un bocage plus accueillant que des champs nus, la proximité d’un pôle universitaire qui fournit des militants et une alliance avec des acteurs locaux. » Ce dernier point est crucial. À Sivens (Tarn), les syndicats d’agriculteurs étaient très hostiles aux zadistes. En Loire-Atlantique, une alliance de circonstances s’est nouée. Elle a été déterminante (voir ci-dessous).

Est-ce une défaite pour l’État ?

Il est trop tôt pour savoir si le gouvernement tirera un quelconque bénéfice politique de son choix. En revanche, pour la Direction générale de l’aviation civile (DGAC), c’est la déroute, l’humiliation totale. Le dossier de Notre-Dame-des-Landes était solide, quoi qu’en disent les opposants. La DGAC a fait travailler trois personnes à plein temps sur ce projet pendant dix ans. Elle a recruté et formé des contrôleurs aériens, pour une montée en puissance du trafic qui n’aura pas lieu. Et si un avion s’écrase un jour sur Nantes (comme a failli le faire un MD-83 de Luxor Air en 2004), la DGAC devra probablement rendre des comptes. En raison de la proximité de la ville, la sécurité des procédures d’approche et de décollage n’est pas optimale. Tous les professionnels en conviennent.

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Qui sont les zadistes, au juste ?

« Zadiste » est une marque déposée[tooltips content= »Sur une initiative de René Leblanc, élu anti-aéroport et ex-délégué régional de l’Institut national de la propriété industrielle à Rennes. »]1[/tooltips], mais difficile de savoir ce qu’elle recouvre.

Les porte-parole du mouvement s’expriment seulement sous un pseudonyme collectif, « Camille ». L’effectif sur le site est évalué entre 80 et 250 personnes, en fonction des saisons. L’éventail va du punk à chien désocialisé au jeune diplômé en lutte contre les excès du libéralisme. Le corpus idéologique mêle des références à la Confédération nationale du travail anarchiste, à Attac, aux Anonymous et aux théoriciens de la décroissance, Pierre Rabhi en tête. Selon Philippe Subra, le modèle le plus proche est le mouvement italien No Tav de la vallée de Suse, en lutte depuis vingt ans contre la ligne Lyon-Turin.

Non hiérarchisé, le mouvement est travaillé par des contradictions flagrantes. La plus comique, souvent soulignée, était de voir de nombreux végans antispécistes militer contre l’aéroport pour sauver des élevages. Par ailleurs, les zadistes sont « no border » en ce qui concerne les humains, mais ultraprotectionnistes en matière agricole, défendant des circuits courts. Selon l’Association citoyenne intercommunale des populations concernées par le projet d’aéroport (Acipa), quatre zadistes exploitent aujourd’hui des terres. Ils sont squatteurs, mais cotisent à la mutualité sociale agricole ! La majorité, étudiants ou jeunes chômeurs, ne fait que passer dans le secteur, quelques semaines ou quelques jours. L’économie de troc et les jardins potagers de la ZAD n’ont jamais franchi le stade du bricolage (voir dernière question). En dehors des grands rassemblements ponctuels et des reportages encadrés par les opposants au projet, la ZAD était largement virtuelle. En cas d’évacuation, la difficulté ne serait pas de faire partir les activistes, mais de les empêcher de converger vers le site pour affronter les forces de l’ordre, depuis Nantes, Rennes, Lorient, etc.

Est-ce un tournant dans la prise en compte des enjeux écologiques ?

Ce n’est pas là-dessus que la décision s’est jouée. La ZAD n’est pas classée Natura 2000. Identique à des centaines de coins de bocage du Grand Ouest, elle est d’un « naturel » tout relatif. Le secteur a été traité à la chimie lourde au xixe siècle, quand des millions de tonnes de calcaire ont été épandues sur les landes acides de Bretagne, afin de les rendre cultivables. « Au sortir de Nantes, par la route de Vannes », écrit Stendhal[tooltips content= »Dans Les Mémoires d’un touriste. »]2[/tooltips], de passage sur la ZAD en 1838, « l’on se trouve comme perdu au milieu d’une vaste bruyère parfaitement stérile », aujourd’hui transformée en pâturages guère plus sauvages que le Champ-de-Mars.

Paradoxe supplémentaire, si le secteur a été moins grignoté par l’urbanisation que d’autres pans de la troisième couronne nantaise, c’est parce que les terrains étaient gelés, dans la perspective de l’aéroport ! « L’avenir de ce territoire ne doit pas être une urbanisation et une agriculture intensive destructrices », pointe France Nature Environnement, dans le communiqué émis juste après l’annonce de l’abandon du nouvel aéroport par Édouard Philippe. Manière implicite d’admettre que la zone d’aménagement différé a joué un rôle protecteur.

Pourquoi une telle mobilisation d’EELV et des associations écologistes ?

Principalement par souci de retombées médiatiques ou politiques. L’aéroport n’aurait pas figuré dans les dix plus gros chantiers de la décennie, contrairement à l’EPR de Flamanville, au projet ITER ou aux LGV Tours-Bordeaux et Le Mans-Rennes. Le parallèle avec ce dernier chantier est éloquent. Condamnée à un déficit éternel, de l’aveu de la SNCF, la LGV le Mans-Rennes a consommé deux fois plus de foncier que l’ex-futur aéroport, qui aurait été bénéficiaire. Elle a tranché le paysage sur 182 km, sans faire lever un sourcil à EELV ni à France Nature Environnement. Peut-être le fait que cette dernière dispose d’un siège d’administrateur à la SNCF, qui la subventionne, explique-t-il cette retenue.

Quel rôle ont joué les élus locaux ?

Les opposants réunis dans le Collectif des élus doutant de la pertinence de l’Aéroport (Cédpa) ont été exemplaires de combativité, d’abnégation et d’intelligence politique, avec ce que cela suppose de mauvaise foi. Ils ont toujours maintenu l’unité, en dépit de dissensions inévitables. Ils ont attaqué point par point les argumentaires du syndicat mixte d’aménagement en charge du projet. Quand ils perdaient devant la justice administrative (c’est à dire 178 fois sur 180), ils parvenaient à transformer leur défaite en succès médiatique. Ainsi ont-ils réussi à transcender en bataille pour l’intérêt général ce qui était, au départ, un combat local. Jean-Paul Naud, maire de Notre-Dame-des-Landes, voulait conserver le caractère champêtre de sa commune. Françoise Verchère, porte-parole du Cédpa, ex-maire de Bouguenais, où se situe l’aéroport actuel, entendait garder l’usine Airbus implantée sur sa commune. Au début. L’un comme l’autre disent que ces années de combat ont considérablement élargi leur vision de la politique.

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En face, les élus pro-aéroport, emmenés par l’ex-maire de Nantes Jean-Marc Ayrault, sa dauphine Johanna Rolland et le patron du département, Philippe Grosvalet (tous PS), ont brillé par leur ambivalence. Ménageant la chèvre du développement économique et le chou de l’allié écologique, ils ont réussi l’insigne exploit d’être pour NDDL, tout en subventionnant les associations qui étaient contre (voir ci-dessous).

Que va devenir le secteur ?

Édouard Philippe a annoncé que le gouvernement ne garderait pas les terres qu’il avait préemptées. Il est peu probable que la majorité des 37 agriculteurs expropriés demandent à revenir. Beaucoup sont décédés.

Sans intervention énergique, les surfaces agricoles et les espaces verts seront lentement grignotés par l’urbanisation. C’est une tendance lourde. La métropole nantaise gagne près de 14 000 habitants chaque année. La ZAD est à la lisière nord. Selon les données mises en ligne par la préfecture, la Loire-Atlantique perd chaque année 2 000 à 3 000 hectares de surface agricole utilisée (SAU), dont quelque 800 hectares « artificialisés » (bétonnés, en clair), le reste devenant des réserves de chasse, des friches, des parcs, etc. Le président du Conseil départemental, Philippe Grosvalet, soutient que « ces chiffres sont exagérés » et que « la réduction de la SAU annuelle ne dépasse pas 900 hectares ». Soit, tout de même, une ZAD NDDL (1 600 ha) consommée tous les deux ans, dans l’indifférence générale. La commune de Vigneux-de-Bretagne, qui se partage le périmètre de la ZAD à égalité avec Notre-Dame-des-Landes, a perdu un tiers de sa surface agricole utilisée entre 1988 et 2010[tooltips content= »Selon les données de la base ministérielle Agreste, la SAU à Vigneux est tombé de 3 465 à 2 354 ha. »]3[/tooltips].

Les élus locaux connaissent cette tendance et entendent la combattre. Ils l’ont répété le 22 décembre dans la salle des fêtes de Notre-Dame-des-Landes, en conférence de presse. Selon Jean-Paul Naud et Thérèse Leparoux, ancienne vice-présidente de la communauté de commune Erdre et Gesvres, « les outils administratifs pour freiner le grignotage existent, c’est seulement une question de volonté politique ».

Ces élus soutiennent la création d’une structure inspirée de la Société civile des terres du Larzac (SCTL), créée en 1985 suite à l’abandon du projet d’extension du camp militaire. Quelque 6 500 hectares ont été confiés à un conseil d’administration (dont le membre le plus célèbre est José Bové) qui loue les terres à des paysans. À Notre-Dame-des-Landes, l’idée serait de promouvoir l’élevage bio en pariant sur les circuits courts et les achats des collectivités. Reste à convaincre les pouvoirs publics d’accepter cette dérogation au droit commun, dans un secteur autrement convoité que le Nord-Larzac. Le plus dur est à faire.

Où vont aller les zadistes ?

Les étudiants retourneront peut-être à temps complet à leurs études. Une minorité va continuer la lutte. Deux chantiers reviennent dans les conversations : le centre de commerce et de loisirs EuropaCity, à Gonesse (Val-d’Oise), et le centre d’enfouissement des déchets nucléaires ultimes Cigeo de Bure (Meuse). Nucléaire oblige, les pouvoirs publics sont assez vigilants en ce qui concerne Bure. En avril 2015, la Direction régionale de la sécurité intérieure a arrêté trois Anonymous qui avaient piraté des sites officiels en rapport avec le nucléaire et la défense. Les intéressés avaient travaillé bénévolement pour les zadistes de Notre-Dame-des-Landes, sans être inquiétés le moins du monde.

De quel poids ont pesé les organisations paysannes ?

Elles ont joué un rôle discret, mais déterminant. La Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles (FDSEA) était contre l’aéroport, mais elle n’a pas milité. La confédération paysanne a été beaucoup plus active, ainsi que Copain 44, un collectif de plusieurs associations, dont le Groupement d’agriculture biologique de Loire-Atlantique (GAB44) et Accueil Paysan. Les quelques opposants irréductibles à l’expropriation, à l’image de Sylvain Fresneau, ont pu compter sur leur soutien, dans une relation complexe avec les zadistes. Face aux forces de l’ordre, ces derniers fournissaient des troupes de choc. Quand certains zadistes sont devenus trop remuants (en mars 2013, par exemple), les paysans les ont évacués par la force, se faisant traiter de « collabos ». C’est que, tout au long du conflit, par des voies détournées, les syndicalistes agricoles ont évité la rupture complète entre la ZAD et la préfecture. Le GAB44 est à lui seul un condensé de ce positionnement alambiqué. Massivement subventionné par le département, la ville de Nantes et la région[tooltips content= »En 2016, ces collectivités lui ont apporté 47 % de son budget de 654 662 euros. »]4[/tooltips], tous favorables au projet d’aéroport, il militait contre ! Le porte-parole du collectif Copain 44, Vincent Delabouglise, éleveur bio, est d’ailleurs administrateur du GAB44.

Ces agriculteurs n’ont jamais adhéré au projet de collectivisation intégrale des terres avancées par la mouvance zadiste. Ils sont intéressés par le modèle du Larzac, mais comment faire pression sur les pouvoirs publics sans les zadistes ?

Qui a le plus menti, finalement ?

Les défenseurs du projet ont diffusé des ragots invérifiables sur les zadistes, évoquant des pièges à loup posés dans les champs, des caches d’armes, des geôles secrètes et des bébés mort-nés ! « Vous verrez, on retrouvera les ossements au moment du chantier… » Les zadistes n’ont pas été en reste en matière de bobards, revendiquant une « autonomie alimentaire » qui n’a jamais existé, même de loin. Les employés du Super U de Vigneux peuvent en témoigner ! La « contre-société » exhibée à certains envoyés spéciaux relevait du village Potemkine.

Le 22 janvier, les opposants à l’aéroport se sont livrés à une comédie surréaliste. Les journalistes ont été informés du nettoyage et de la « réouverture » de la D281, que les zadistes avaient coupée et tenaient – prétendument – comme une place forte. Dite « route des chicanes », elle traverse la ZAD du nord au sud. Arrivés sur place, les caméras et micros de France Télévisions, BFM, Europe 1, etc., ont été priés de rester à l’écart, les zadistes voulant préserver « un moment d’intimité » (annoncé sur plusieurs sites !). La réalité est plus prosaïque. Il n’y avait rien à voir. La D281 n’a jamais été complètement coupée à la circulation. Voilà des mois qu’elle a été dégagée de 99,9 % des obstacles qui la jonchaient. En octobre et décembre 2017, des voitures, des vélos et des tracteurs tirant des engins agricoles de plusieurs dizaines de tonnes la parcouraient sans encombre ! Pourquoi ce montage ? Tout simplement parce que sans mise en scène, à raison de 20 hectares par zadiste, la ZAD elle-même était quasiment invisible. « La vérité est solide, disait l’essayiste américain Oliver W. Holme. Vous pouvez la frapper comme un ballon de foot toute la journée, elle sera toujours ronde et pleine le soir. » À Notre-Dame-des-Landes, il était vraiment temps que le soleil se couche.

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Février 2018 - #54

Article extrait du Magazine Causeur




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