Au-delà des querelles d’héritage, retenons la formidable histoire d’amour qui a enchanté les vingt dernières années de Johnny Hallyday. Le bonheur de ce grand torturé s’appelait Laeticia. Son biographe raconte.
C’est une tragédie qui se poursuit après la mort de Johnny. Son héritage déchaîne les passions. Mais comme le souligne Philippe Sollers dans son nouveau roman, Cercle, « l’époque est de plus en plus hystérique », ajoutant : « Dans le digital et le numérique, il faut inculper quelqu’un. ». Son héritage, donc, est à l’image de sa vie : rock’n’roll. En réalité, il faudrait parler de l’héritage de Johnny, celui qu’on lui a légué au moment de partir sur les routes, c’est-à-dire tout gamin, blondinet au regard bleu. Un ange déchu. Son géniteur, Léon, ne lui a rien laissé. Il s’est tiré peu après sa naissance, vendant le petit lit de fer et les habits du nouveau-né pour les boire en galante compagnie. Dans ses veines de père défaillant coule du sang tzigane. Pas question de se poser, d’élever un enfant, d’être papa, en un mot. Alors, la fuite, vite !
Johnny sans père… ni mère
Sa mère, Huguette, est mannequin. Le bébé est un poids pour sa carrière. Johnny, qui s’appelle encore Jean-Philippe, sera élevé par sa tante, Hélène Mar, la sœur de Léon. Elle est belle, a du charisme. Johnny l’aimera comme une mère. Voilà. Ça a débuté comme ça. Dans un décor de guerre, en plus. Notre rocker est né le 15 juin 1943. Une sale année pour l’humanité. Un héritage qui se résume ainsi : l’abandon du père, l’absence de la mère (pas présente à son mariage avec Sylvie Vartan ; elle pourrait s’en souvenir pour comprendre le testament qui fait tant parler), le manque d’amour. Avec ça, on fait quoi ? On survit. On fait d’une enfance cabossée, erratique, une force, une rage de vivre. On devient un héros antique. On ne peut sortir de la tragédie. Avant la naissance. Après la mort. Johnny a même fait plus : il est devenu un mythe. Avec une fêlure au cœur, jusqu’à son dernier souffle. Point de suture.
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L’amour, le fil rouge du répertoire du rocker au regard de loup blessé. Sans jamais être dupe. « Y a peu d’amour avec tellement d’envie ». Michel Berger a compris Johnny. Il lui a écrit une chanson sublime. Éternelle.
Laeticia a sauvé ce grand brûlé de l’âme
Je ne veux parler que d’une femme, ici. Sa dernière compagne, son épouse, Laeticia. Elle l’a vu mourir. Elle l’a veillé alors qu’il souffrait atrocement. Elle l’a lavé, comme Marie-Madeleine a lavé les pieds du Christ. Il avait perdu plus de quinze kilos. Il avait « rapetissé », avait avoué un ami intime. Il n’était plus Johnny, il redevenait inexorablement Jean-Philippe Smet, né dans la rue, fils de personne, idole des jeunes, adulé et si seul quand les projecteurs s’éteignent et que la nuit tombe. Rock star et chanteur abandonné. Ne croyant pas au bonheur et lui foutant des coups dans la gueule quand il avait l’audace de frapper à sa porte verrouillé à triple tour.
Johnny l’était tout autant. Difficile de savoir ce qu’il pensait. Perdu longtemps dans d’interminables silences, fumant cigarette sur cigarette, le bleu de la fumée du tabac brun voilant son regard. Dépressif avec l’envie de se suicider. Un de ses proches m’avait dit : « Un jour, c’était à Cannes, je crois, Johnny était assis sur sa moto. Il s’ennuyait. Il m’a alors balancé : ‘Et si on allait rouler à toute allure, et se tuer ?’ » La fureur de vivre et l’envie d’en finir. Éros et Thanatos. Le déchirement des grands brûlés de l’âme.
Johnny va très mal quand il rencontre Laeticia. Un album en anglais, Rough Town, qui ne décolle pas, surtout à l’étranger. Une promotion cafardeuse. L’équipe de Johnny part au Nouveau-Mexique tourner un clip. Sur la route du retour, le rocker décide de poser son sac à Miami, dans l’espoir de trouver un bateau. Un soir, on vient le chercher à son hôtel pour aller dîner dans un resto japonais, le Sushi Rock Café. Déprimé, il hésite, puis finit par se laisser convaincre. Il arrive en retard, comme d’hab. Il s’assoit à une table de dix personnes. A l’autre bout, il remarque une jeune fille blonde avec de petites taches de rousseur sur son fin visage. Elle a vingt ans à peine, des lèvres comme dessinées par le peintre Raphaël. Française, elle habite Miami avec son père, propriétaire de l’Amnésia, boîte branchée à South Beach. Sa mère est en France, car ses parents sont divorcés. André Boudou est fils de pêcheur. C’est un homme rusé en affaires, malheureux en amour. Après s’être séparé de sa nouvelle compagne, il a perdu trente kilos et fait une dépression. Laeticia, sa fille, l’a aidé à remonter la pente, jour après jour, finissant par s’oublier elle-même. Abnégation totale.
Coup de foudre sur une deux-chevaux
Le coup de foudre se produit. Il allume le feu. Johnny, presque cinquante-deux ans au compteur, revenu de tout, vient de tomber amoureux de Laeticia, née le 18 mars 1975. L’amour se fout du temps. Lorsqu’il la revoit, le rocker l’embrasse dans un garage, sur le capot d’une 2 CV. Sacrément gonflé, le mec !
L’année suivante, le 25 mars 1996, Johnny dit oui à Laeticia. Échange des alliances à la mairie de Neuilly. Nicolas Sarkozy, alors maire de la ville, est heureux, c’est un fan du chanteur. Seule la mort séparera les deux amoureux.
Ça a été rude entre eux, surtout au début. Johnny voulait passer par la fenêtre tous les deux jours, me confiera Pierre Billon, compagnon de route (66) du Taulier. Elle a tout supporté, tout accepté. Elle est arrivée à le calmer, le stabiliser, tenir à distance les démons destructeurs. Johnny, il lui a appris à s’aimer, à accepter son corps, à tourner le dos à son adolescence d’anorexique tourmentée. Ça a été fabuleux.
Il était Jean-Philippe Smet
Des petits bonheurs au quotidien. Une vie de famille, enfin, pour le rocker aux santiags de vent. Deux petites filles, Jade et Joy. Plusieurs métamorphoses professionnelles souhaitées par Laeticia. Un chanteur à la voix plus rauque, avec un répertoire plus sombre, des textes plus profonds, des musiques plus lentes, des clips tournés comme des films montrant un Johnny acteur, incroyablement touchant. Oui, un Johnny qui finit par te faire chialer.
Elle lui a fait poser ses valises, sans qu’il se détruise. Une fois, à Los Angeles, je l’ai vu partant pour une randonnée avec des étudiants du lycée français. Il était heureux. Il vivait une autre vie. Il était Jean-Philippe Smet, un peu en retrait du showbiz et de son boucan d’enfer. Il était en paix avec lui-même. Il savait qu’il devait tout ça à Laeticia. Comme il lui devait d’avoir renoué avec sa mère, Huguette, et d’avoir pu lui dire « Maman » avant qu’elle ne ferme les yeux pour toujours.
Ce que je sais, c’est qu’on rendra justice à La femme aux cheveux longs, qui a appris « la sagesse, sans faiblesse, sans ivresse et sans état d’âme» à son diable de mari.
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