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Carl Schmitt, la géopolitique expliquée à sa fille

Sur l'essai "Terre et mer"


Carl Schmitt, la géopolitique expliquée à sa fille
Baie d'Ajaccio, 2017. Photo de Thomas Pesquet. Sipa. Numéro de reportage : SIPAUSA31418364_000023.

Terre et Mer. Ce n’est pas le nom d’un restaurant proposant à la fois viandes et poissons, mais le titre français d’un essai de Carl Schmitt, paru initialement en allemand sous le titre Land und Meer. Eine weltgeschichtliche Betrachtung en 1942. Et, bonne nouvelle, les très inspirées éditions Pierre-Guillaume De Roux viennent de le rééditer.

La géopolitique, science développée dans le monde anglo-saxon et germanique à la fin du XIXe siècle, possède certaines lois fondamentales, qui permettent de se faire une bonne représentation des relations entre les Etats au cours de l’histoire. La grande qualité de Carl Schmitt, c’est qu’il rend très accessible l’approche géopolitique au lecteur lambda, en privilégiant une approche didactique pour retracer les évolutions de ces rapports entre Etats. Si bien que Terre et Mer aurait pu s’appeler « La géopolitique expliquée à ma fille », Schmitt ayant d’ailleurs dédicacé son livre à sa fille Amina.

Une porte d’entrée dans l’oeuvre de Schmitt

Schmitt aborde ici un certain nombre de questions qui, mises en rapport les unes avec les autres, font sens: la révolution des mentalités opérée par les grandes découvertes à la Renaissance, la lutte pour la domination des océans, les destinées des nations européennes (siècle d’or espagnol puis déclin de l‘Espagne, montée en puissance de l’Angleterre, hésitation de la France quant à son orientation terrestre ou maritime) dans leurs rapports à la domination du monde, la superposition du religieux et du politique, lors de la Réforme, entre volonté maritime des nations protestantes et l’orientation continentale des puissances catholiques, les évolutions du droit international, en particulier dans le droit de la guerre, induites par l’appropriation des océans comme espaces d’expression militaire et politique… Autant de questions qui seront approfondies dans les oeuvres ultérieures de Schmitt – on pense ici notamment au Nomos de la Terre, d’un accès plus ardu. En somme, on pourrait dire que Terre et Mer est la porte d’entrée idéale dans l’oeuvre, très vaste, de Carl Schmitt, permettant de comprendre et maîtriser les lignes essentielles de sa pensée.

Si l’on peut regretter l’absence de nouvelle traduction – l’éditeur s’est contenté de reprendre celle que Jean-Louis Pesteil avait donné lors de la première édition française de Terre et Mer au Labyrinthe en 1985, non exempte de quelques maladresses, on appréciera en revanche l’appareil critique qui accompagne l’ouvrage.

Alain de Benoist introduit Zygmunt Bauman

Comme à son habitude, Alain de Benoist livre une présentation très érudite de l’auteur, qu’il a en grande partie fait connaître en France, avec Raymond Aron et Julien Freund. Benoist nous offre un portrait fait à la fois d’éléments biographiques et de commentaires des œuvres de Schmitt, ce qui permet au lecteur d’approcher avec finesse la complexité du parcours et de la pensée de Schmitt au fil du temps, et de rompre avec les truismes agaçants qui entourent la figure et l’oeuvre du maître de Plettenberg: Benoist rappelle qu’avant 1933, Schmitt, proche du parti conservateur DNVP, réclamait l’interdiction du parti nazi, et subit à partir de 1936 une violente campagne de dénigrement de la part des juristes nazis, qui mit quasiment fin à sa carrière. En outre, on appréciera les parallèles établis par l’éditorialiste d’Eléments entre les catégories géopolitiques forgées par Schmitt avec les catégories socio-psychologiques établies par le sociologue Zygmunt Bauman: la domination des puissances thalassocratiques anglo-saxonnes s’accompagne de l’entrée des sociétés occidentales dans le modèle de la « société liquide ».

…et Julien Freund conclut

La postface de Julien Freund, déjà présente dans l’édition de 1985, reste étonnamment d’actualité. Ayant anticipé le déplacement de la puissance de la zone atlantique à la zone pacifique, Freund livre une réflexion stimulante sur ce qu’il appelle la « thalassopolitique », dominée par l’élément marin, par opposition à la « géopolitique », dominé par l’élément terrestre. Le retour épistémologique sur le développement de la science géopolitique au XXe est un bon aide-mémoire.

Beaucoup de cuistres se piquent de parler de géopolitique et d’expliquer la marche du monde à qui veut l’entendre, sans avoir jamais rien lu. Merci, donc, aux éditions Pierre-Guillaume De Roux de nous permettre de nous faire notre propre idée en nous donnant accès à ce texte fondamental.

Carl Schmitt, Terre et Mer. Un point de vue sur l’histoire mondiale. Editions Pierre-Guillaume de Roux, 2017.

Terre et Mer

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