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Série noire pour la Syrie


Crédits photo : Lauras Eye

Le témoignage de Brian Stoddart, universitaire australien spécialiste de l’histoire du sport, est celui d’un amoureux de la Syrie. Et tant mieux ! Très peu de spécialistes ont vu venir l’écroulement de la nation syrienne. Son témoignage, qui empile des idées un peu en vrac, traduit bien la sidération générale devant une situation longtemps restée inimaginable. Il y a une quinzaine d’années, on pouvait lire le même genre de réactions face à l’éclatement de la Yougoslavie, où quarante ans de mariages mixtes et de relations de bon voisinage ne résistèrent pas au violent retour du refoulé historique.

La rédaction

Jusqu’à une date récente, visiter la Syrie vous confrontait à un paradoxe. Qu’un pays au régime pro-iranien, soutien sans faille du Hamas et du Hezbollah, arrière-base des rebelles irakiens, se révèle aussi accueillant et chaleureux en étonnait plus d’un.

Un ami américain m’avait même confié avoir été particulièrement impressionné par la gentillesse de l’accueil dont il avait bénéficié malgré l’hostilité des Etats-Unis envers la Syrie.

Si la plupart des étrangers n’effectuaient qu’un passage touristique dans le pays, j’y ai quant à moi travaillé sur une longue période, à travers un projet de développement éducatif financé par l’Union Européenne. J’en ai retiré une profonde affection pour ce pays, sentiment qui, à mesure que la situation se dégrade, se transforme de plus en plus en stupéfaction.

Damas un jour, Damas toujours

Habitant près de la splendide mosquée des Omeyyades, je me faisais quotidiennement des amis sunnites, chrétiens, chiites, alaouites et druzes. A Hariqa, le quartier d’affaires de Damas non loin de l’immense souk Hamidiyé, la même mixité était manifeste dans la myriade d’échoppes et restaurants. Aux yeux de la majorité des étrangers présents en Syrie, cette société semblait harmonieuse en dépit de sa complexité : des épisodes tragiques comme le massacre des Chrétiens en 1860 à Damas étaient plutôt l’exception que la règle. Certes, les origines ethnoconfessionnelles et les pratiques religieuses étaient reconnues mais s’intégraient presque toujours à une identité nationale syrienne construite sur la double opposition à l’Empire ottoman et au mandat français.

Il y avait bien quelques tensions palpables : au cours de conversations privées, de nombreux syriens laissaient entendre qu’un peu plus de démocratie serait bienvenu ou que la vie chère et l’absence d’avenir pour leurs enfants les inquiétaient. Oui, reconnaissaient-ils, le joug autocratique du parti Baath les privait des libertés publiques occidentales, interdisant le moindre débat politique intérieur. Curieusement, nombre de mes amis syriens- confortés par les réformes initiées par Bachar al-Assad au début de sa présidence- pensaient que leur pays allait s’ouvrir peu à peu. Notons au passage qu’en ce moment, les commerces damascènes n’étant plus ouverts que quelques heures par jour, l’écroulement du tourisme aidant, la dépression économique est estimée à 3% du PIB, pire que pendant la crise financière !

Âgé de trente-quatre ans à sa prise de fonctions, le président avait encouragé l’économie de marché et cherché à réchauffer les relations diplomatiques avec l’Occident. Très vite, des aides européennes – telles que le projet dans lequel je me suis impliqué- ont afflué pour aider les Syriens à relever le défi de l’éducation d’une population jeune en pleine croissance démographique tandis que les revenus pétroliers baissaient.

C’est auprès des jeunes que l’on observait le plus fort hiatus entre les clichés et la réalité du pays. Les étudiants syriens sont habillés comme n’importe lesquels de leurs camarades à travers le monde. Ils partagent les mêmes aspirations, une vision du monde similaire, et maîtrisent aussi bien les nouvelles technologies, comme en témoigne l’usage des réseaux sociaux qui constituent les principaux canaux d’information sur la situation syrienne.

Du sang dans les rues

Par leurs reportages, l’aspect paisible et hospitalier du pays s’efface derrière les images d’horreur de la féroce répression menée par Maher, le frère de Bachar, ses hommes de la quatrième division blindée et de la garde présidentielle. A Deraa, Lattaquié, Homs, Deir-ez-Zor et ailleurs, on peut vraisemblablement parler de milliers de morts et de « disparus » encore plus nombreux. Dans les faubourgs des villes, la myriade de services de renseignement aux mains du régime ratisse brutalement les pâtés de maison pour y traquer les « fauteurs de troubles ».

Partout, confusion et méfiance règnent, et l’on ne sait plus à qui faire confiance, parents et amis n’échappant à la suspicion générale. A Homs, la guerre interconfessionnelle semble avoir déjà commencé. Selon des témoignages locaux, les membres de trois familles alaouites – par ailleurs indépendantes du clan Assad malgré leur proximité communautaire- ont été assassinés par des salafistes. En guise de riposte, les miliciens alaouites des Assad (la brigade Chabiha) ont entamé une chasse aux salafistes qui entretient l’esprit de vendetta.

Ce genre d’incidents atteste qu’Assad et les alaouites se trouvent le dos au mur car la chute du régime menacerait leur survie. D’autant que le régime ne prêche pas toujours le faux en prétendant que des islamistes et des individus armés jettent de l’huile sur le feu de la contestation. Qu’il est loin le rôle de ciment national joué par Bachar, dont l’image trônait sur les t-shirts, magnets et autres pare-brises de propagande !

Aujourd’hui, la mutation du mécontentement en guerre civile à la libanaise n’est plus à exclure. Les conséquences pour le pays et la région seraient bien évidemment catastrophiques.

Dire qu’il y a encore quelques mois, les Syriens, de toutes classes et confessions confondues, paraissaient communier les uns avec les autres…

Traduit de l’anglais par Gil Mihaely



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est professeur émérite de l'université de La Trobe (Australie)

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