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Demy-monde


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jacques demy cinémathèque

« Le monde enchanté de Jacques Demy », tel sera le titre de l’exposition et de la rétrospective consacrées aux films du cinéaste nantais, jusqu’au 4 août à la Cinémathèque. A défaut d’être original,  cela a le mérite de pointer ce qui charme très vite dans l’œuvre de Demy : une capacité à former un monde autonome, un univers varié et cohérent,  un ensemble de couleurs, de personnages, de mélodies et d’histoires, que la  critique s’est plu à appeler Demy-monde. Un même mouvement, une même circulation d’émotions se retrouvent dans les errances de Lola, de la Baie des anges et de Model Shop tout comme dans les chorégraphies des Parapluies de Cherbourg ou des Demoiselles de Rochefort. On se croit presque obligé, face à cet univers apparemment féérique de rappeler qu’il recèle également ses pesanteurs et ses côtés sombres : il est question d’hommes et de femmes seuls, de départ à la guerre, de pauvreté, d’amour déçu et même d’inceste.  C’est pourtant plus simple : l’œuvre de Demy forme un monde à part mais cela ne l’empêche pas de penser notre réalité.
Pour s’en persuader, il faut revoir les deux meilleurs films de Jacques Demy,: Les Parapluies de Cherbourg et Une Chambre en ville.  Ils sont entièrement chantés mais il ne s’agit pourtant pas de comédies musicales mais bien de mélodrames dont tous les dialogues sont absorbés par la mélodie. Certains trouvent insupportable ce principe même, et voient du sentimentalisme dans ces chansons ressassant des amours impossibles. C’est oublier que tout le mérite d’un film comme Les Parapluies de Cherbourg (1964) est précisément de ne rien ignorer de la vie quotidienne d’une jeune fille  qui attend son amour parti faire la guerre en Algérie ni des affres du retour à la vie civile de ce dernier. C’est un mélo, peut-être, mais un mélo qui traite le premier d’un thème qui hantera par la suite le cinéma, notamment américain, celui d’anciens combattants brisés par le traumatisme de guerres lointaines. Dans Une Chambre en ville (1982), cette attention aux réalités  historiques et sociales est poussée à une étrange extrémité : le film raconte l’histoire d’amour entre un ouvrier et une aristocrate sur fond de grève dure. Paradoxalement, en même temps qu’il revient au film chanté, Demy  aborde la thématique sociale et la sexualité de manière frontale.
Ce qui est formidable, au fond, ce n’est pas seulement que toutes ces histoires soient racontées avec subtilité, mais surtout que ce soit par la chanson que Demy parvienne à les rendre vivantes. La musique est le nerf de la guerre dans toute son œuvre, qu’il collabore avec son fidèle Michel Legrand ou avec Michel Colombier (Une Chambre en ville), Donovan (Le Joueur de Flûte) ou The Spirit (Model Shop). Habituellement, dans une comédie musicale hollywoodienne, la musique intervient ponctuellement pour des numéros de danse ou de chant. Demy, lui, en fait une utilisation sensiblement différente, presque inverse : il se sert de la musique pour structurer le film et immerger totalement le spectateur. Si ce n’est pas flagrant dans Les Demoiselles de Rochefort (1967), qui tend parfois à imiter le modèle américain, ça l’est en revanche dans Les Parapluies de Cherbourg, où la mélodie d’un dialogue sur des fiançailles  se transforme insensiblement en un morceau joué par les orgues célébrant le mariage. La musique est une solution de continuité et devient le moteur du film. Elle conditionne sa vitesse, son rythme et sa tonalité. Dans Peau d’âne (1970), la chanson « Amour, amour » traverse le film comme un écho qui renvoie à la liaison entre Peau d’âne et le jeune prince. Quant au thème de la Baie des anges (1963), il tourne en rond comme ces roulettes de casino qui hantent le couple joué par Jeanne Moreau et Claude Mann.
Cette forme de temporalité tragique chez le cinéaste va de pair avec un rapport singulier aux lieux, qui sont rarement habités mais plutôt traversés. Dans les deux films nantais  de Demy, Lola et Une Chambre en ville,  c’est le Passage Pommeraye cher aux surréalistes qui joue un rôle emblématique.  Comme les saltimbanques du Joueur de flute ou les forains des Demoiselles de Rochefort, le personnage déambule et vagabonde, semble toujours sur le départ. Nombre des films de Demy se déroulent ainsi dans des ports : Cherbourg, Rochefort, Nantes, Nice dans La Baie des anges, Marseille dans Trois places pour le 26. Pour commencer ses films, Demy a aussi plusieurs fois utilisé une figure de style  très parlante : une ouverture de l’iris donnant sur une séquence en traveling arrière, comme si le film ne pouvait être introduit qu’en mouvement.
Cette notion de passage et de traversée se retrouve également dans Peau d’âne et Le Joueur de flûte, deux contes adaptés par Demy,  mais il est intéressant de comparer ces deux films car ils procèdent de deux itinéraires esthétiques opposés. Là où Peau d’âne nous plonge d’abord dans un univers de chansons et de décors fantaisistes pour aborder ensuite des sujets plus familiers, Le Joueur de flûte commence comme un film historique pour glisser insensiblement vers le merveilleux et la caricature. Le cinéma de Demy fonctionnant par immersion, c’est étrangement Peau d’âne, le conte fantasque et peinturluré qui s’avère être le plus crédible. Le semi échec d’un film comme L’Evénement le plus important depuis que l’homme a marché sur la lune peut s’expliquer de la même manière : il s’agit d’introduire comme l’aurait fait Marcel Aymé un élément merveilleux dans la vie de monsieur et madame tout-le-monde, alors que Demy, en bon disciple de Cocteau, est meilleur pour faire l’inverse.
Entre le monde de Demy, le monde selon Demy et le Demy-monde,  quinze films sont ainsi visibles à la Cinémathèque, dont certains peu projetés comme Lady Oscar ainsi qu’une série de courts-métrage.
Il n’est pas interdit d’ y aller en chantonnant.

FILMOGRAPHIE :Courts métrages (1955-1959) :

Le Sabotier du Val de Loire, Le Bel Indifférent, Musée Grévin, La Mère et l’Enfant, Ars

 

Longs métrages :

 

1961 : Lola

1962 : Les Sept Péchés capitaux, sketch de La Luxure

1963 : La Baie des Anges

1964 : Les Parapluies de Cherbourg

1967 : Les Demoiselles de Rochefort

1968 : Model Shop

1970 : Peau d’Âne

1972 : Le Joueur de flûte (The Pied Piper)

1973 : L’Événement le plus important depuis que l’homme a marché sur la Lune

1978 : Lady Oscar

1980 : La Naissance du jour (télévision)

1982 : Une chambre en ville

1985 : Parking

1988 : La Table tournante

1988 : Trois places pour le 26



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Timothée Gérardin est l'auteur du blog cinéphile <a href="http://fenetressurcour.blogspot.com">Fenêtres sur cour.</a>

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