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Quand la néo-ruralité sabote notre agriculture

Le bruit et l'odeur, saison 2


Quand la néo-ruralité sabote notre agriculture
Vincent Verschuere, à Saint-Aubin-en-Bray. Capture d'écran France 3.

Oise. Condamné à payer 102 000€ de dommages et intérêts à six néo-ruraux pour trouble anormal du voisinage, le fermier Verschuere ne sait pas comment il pourra payer.


102 000 euros. C’est la somme que devra verser Vincent Verschuere, éleveur dans l’Oise, pour « troubles anormaux du voisinage ». Il y a dix ans, six voisins se plaignent du bruit et de l’odeur de ses vaches. En cause, une ferme transmise de génération en génération au cœur de Saint-Aubin-en-Bray, que Vincent Verschuere agrandit. Après un premier jugement en défaveur de l’agriculteur en 2018, un jugement en appel a été rendu le 4 janvier, à Amiens. Le tribunal a rendu son verdict le 8 mars. La peine est encore plus lourde que celle du premier jugement.

Victoire des néo-ruraux

« Il y a une énorme jurisprudence dans cette affaire. La ferme était là avant les six riverains qui ont porté plainte. Sur les six, aucun n’est issu du village, ce sont des néo-ruraux, dont trois qui n’habitent déjà plus dans le village. Ce sont des gens qui pensent que la campagne est un lieu sans cloche, sans aucun bruit, ils se croient dans Martine à la ferme. Le principal riverain, celui qui a porté l’initiative, a son meilleur copain qui est avocat. Tous les dimanches, ils jouent au golf ensemble. C’est l’avocat qui lui a suggéré de convaincre d’autres voisins de porter plainte pour pouvoir gagner », me souffle Luc Smessaert, vice-président de la FNSEA et éleveur laitier dans l’Oise.

Qu’en disent les habitants du village ? « Je me suis rendu plusieurs fois sur place. La famille de l’éleveur est très bien perçue. C’est d’ailleurs un très joli coin, c’est le début du pays de Bray. Il faut savoir que dans beaucoup de villages français, et notamment dans l’Oise, les fermes sont complètement dans les villages. Elles ne sont pas à l’extérieur comme les fermes céréalières de Seine-et-Marne, par exemple. L »élevage, d’une façon générale, est au cœur des villages. Moi-même, en Picardie, j’amenais des vaches en traversant les routes tous les jours. Le problème c’est qu’aujourd’hui, il n’y a plus cette acceptation de la campagne », ajoute Luc Smessaert.

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Drame pour notre agriculture

Le 29 janvier 2021, une loi de « protection du patrimoine sensoriel des campagnes », portée par le député Pierre Morel-À-L’Huissier (UDI), avait pourtant été votée en première lecture par l’Assemblée nationale. Nous nous en étions réjouis dans nos colonnes. Le Sénat l’avait ensuite adoptée. Comme nous l’explique Luc Smessaert, la défense de Vincent Verschuere avait fait appel pour la prendre en compte, justement.

Son avocat l’a mis en avant au tribunal. Peine perdue. D’une manière générale, il semble qu’en dépit de sa promulgation, l’administration traîne des pieds pour la faire appliquer. À titre d’exemple, l’inventaire du « patrimoine sensoriel et olfactif » qu’est censé effectuer chaque région n’a pas été mené à bien. Et ce sont les éleveurs comme Vincent Verschuere qui en font les frais !

Aux 102 000 euros de dommages et intérêts auxquels est condamné l’éleveur de 33 ans, il faut ajouter plus de 20 000 euros de frais de défense. Évidemment, l’homme est effondré. Sa ferme est là depuis des générations, sa propre mère travaille encore avec lui. Elle espérait avoir une bonne nouvelle avant de prendre une retraite qu’elle n’aura pas volé. À l’heure où les candidats à la présidence sont au diapason pour la sauvegarde de notre agriculture, cette décision des juges est inique. S’étonnera-t-on encore que les agriculteurs se suicident par centaines ? En 2016, pas moins de 526 agriculteurs se sont donné la mort.

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« Alors qu’en pleine guerre en Ukraine, on nous dit qu’il va falloir produire plus chez nous et avoir la souveraineté alimentaire, va-t-on s’interdire de produire du lait, de la viande chez nous ? Va-t-on tout importer sachant que dès qu’il y aura un blocus, les prix vont grimper en flèche ? La ruralité est en danger. Nos campagnes sont attractives parce qu’elles sont cultivées et économiques. Si demain on n’en fait que des cités dortoir, ce ne sera plus du tout la même chose », alerte Luc Smessaert.

Face à cette victoire d’une minorité capricieuse sur le bon sens, des voix se lèvent. Vincent Verschuere peut notamment compter sur Olivier Paccaud, sénateur LR de l’Oise, sur Nadège Lefebvre, Présidente du Conseil départemental, sur la FNSEA.

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Enseignant, auteur du roman "Grossophobie" (Éditions Ovadia, 2022).

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