Les Verts flinguent le cinéma rhônalpin


Les Verts flinguent le cinéma rhônalpin

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La région Rhône-Alpes avait été pionnière, en France, dans la mise en place d’un fonds de soutien à la production cinématographique décentralisée à la production cinématographique. « Rhône-Alpes Cinéma » avait été créé au début des années 90, à l’initiative de Roger Planchon, immense dramaturge, successeur de Jean Vilar et Georges Wilson à la tête du Théâtre national populaire. Cet homme de théâtre avait compris que la « grande » culture ne pouvait se désintéresser de la production audiovisuelle, mais savait, d’expérience, que le financement direct, par la puissance publique, des œuvres artistiques pouvait conduire à des dérives de type soviétique. C’est pourquoi, avec l’accord des autorités politiques locales, il mit en place une société de production dont la vocation était de prendre des participations dans des projets cinématographiques et télévisuels pouvant contribuer au rayonnement culturel de la région, à sa visibilité touristique, au développement d’une infrastructure technique (studios, prestataires de services). Le financement de ces participations était assuré par une subvention globale versée chaque année à la société Rhône-Alpes Cinéma par la région, qui n’intervenait pas dans les choix artistiques, mais veillait, grâce au droit de veto du président de région, à ce que le cahier des charges de ces productions soit conforme aux objectifs de ce fonds : lieux de tournage, emploi de techniciens locaux, etc. En pratique, on exigeait que pour 1€ investi par la région dans une production, 4€ soient devaient être dépensés sur place, pour les frais de tournage et de post-production. En jargon pseudo-moderne, cela s’appelle une opération gagnant-gagnant : des films à petit et moyen budget trouvent dans Rhône-Alpes Cinéma un partenaire financier sans lequel ils n’auraient pu voir le jour, et la région se trouve mise en valeur, dans les images diffusées et dans le développement d’un savoir-faire local dans une industrie qui a fâcheusement tendance à se concentrer dans les grandes métropoles.

Jusqu’à sa retraite en 2005 (atteint par la limite d’âge qui touche les dirigeants de sociétés privées), Roger Planchon détenait la majorité des actions de la société, la région n’en possédant qu’une part minoritaire, et tout le monde travaillait en confiance : Planchon était insoupçonnable de s’enrichir personnellement avec les deniers publics, et son autorité artistique était si grande que les choix esthétiques de la société étaient validés sans problèmes, quelle que soit la tendance politique majoritaire au Conseil régional. À son départ, ses actions furent réparties entre la région et des partenaires privés, certes, mais dont l’intervention en l’espèce s’apparente plutôt au mécénat qu’à la recherche du profit : la Caisse des dépôts et consignations et la Caisse d’épargne. Tout cela fonctionne à la satisfaction générale, Rhône-Alpes Cinéma dispose d’un catalogue de 220 films dont la société perçoit des droits de diffusion, réinvestis dans de nouvelles productions : c’est un modèle dont s’inspirent d’autres régions françaises, comme le Nord-Pas de Calais.

En mars 2010, les élections régionales en Rhône-Alpes se traduisent par une forte poussée des Verts, qui font presque jeu égal avec le PS et constituent la deuxième force de la majorité plurielle (PS, PC, PRG) dirigée par le socialiste Jean-Jack Queyranne. C’est le début du calvaire pour Rhône-Alpes Cinéma. Pour les ayatollahs écolos, emmenés sur ce dossier par Étienne Tête, l’autonomie relative de cette société de production est insupportable. Ils mènent une campagne démagogique en accusant la région de livrer la production audiovisuelle aux appétits d’un grand capital ponctionnant les deniers publics, et autres balivernes du même tonneau idéologique. En fait, ils souhaitent pouvoir orienter les subventions vers des productions reflétant leurs orientations, comme l’a naïvement avoué la présidente (verte) de la commission «  culture » du conseil régional, Catherine Herbertz, lors du débat budgétaire. Elle exige l’intervention du « regard politique des politiques » sur les financements accordés et suggère des pistes : «  Les orientations politiques délibérées par la Région sont-elles prises en compte ? Par exemple émergence, qualité de la médiation, équité territoriale et équité des financements, diversité culturelle, égalité homme/femme, participation citoyenne éventuellement, démarche de développement durable… » explique-t-elle en annonçant que son groupe s’abstiendra sur ce chapitre du budget de la région.

L’affaire aurait pu s’arrêter là, mais c’était sans compter sur la personnalité d’Etienne Tête, qui fait partie d’une espèce bien connue dans la littérature française, les « fous de justice », les chicaneurs obsessionnels qui encombrent les tribunaux de notre beau pays avec des procédures interminables. Ce médecin gynécologue de formation, écolo tendance khmer vert, est même devenu avocat pour poursuivre devant les tribunaux les combats perdus dans l’arène politique. Il veut la peau de Rhône-Alpes Cinéma et fait feu de tout bois pour dénicher dans les statuts de la société ce qui pourrait la placer dans l’illégalité. Et il vient d’y parvenir, en faisant admettre, par le Tribunal administratif de Lyon que Rhône-Alpes Cinéma était en infraction au regard des réglementations européennes exigeant que toutes les aides publiques d’un pays à la production audiovisuelle soient signalées à Bruxelles. Le tribunal n’a pas admis les arguments de la Région qui estimait être couverte par la convention cadre conclue à ce propos entre l’État français et la Commission de Bruxelles. Ce jugement est pain bénit pour tous ceux qui, hors de France, n’ont de cesse de remettre en question le soutien de la puissance publique à l’industrie culturelle. De la belle ouvrage, tricotée avec de la laine écrue garantie écolo, qui risque de couler une institution qui a l’insolence de bien marcher. Une vraie prise de tête !

 *Photo : LE LANN/SIPA. 00213295_000010.



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