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Une paix froide vaut mieux que la guerre


Une paix froide vaut mieux que la guerre
Ancien ambassadeur d'Israël, Elie Barnavi est historien, spécialiste des Guerres de religions en France.
Ancien ambassadeur d'Israël en France, Elie Barnavi est historien.
Ancien ambassadeur d'Israël en France, Elie Barnavi est historien.

Votre livre sonne comme un cri d’alarme : si on ne fait rien aujourd’hui pour débloquer le processus de paix au Proche-Orient, la situation risque d’évoluer de manière catastrophique pour les Palestiniens comme pour les Israéliens. Pourquoi dire cela aujourd’hui plus qu’hier, ou avant-hier ?

Parce que si la diplomatie fait du sur-place, sur le terrain, la situation évolue. La paix n’étant possible que si elle est fondée sur le principe du partage de la terre, il importe plus d’avoir que de partager. Or, la poursuite de la colonisation des territoires palestiniens rendra bientôt sans objet tout plan sérieux de création d’un État palestinien doté de contiguïté territoriale, faute de territoire où il puisse se réaliser.
Ce n’est pas tout, peut-être pas même l’essentiel. Après tout, il n’existe pas de situation irréversible – on peut toujours défaire ce qui a été fait. Ce qui me semble plus inquiétant est l’évolution des mentalités, des deux côtés de la barricade : l’évidente confessionnalisation du conflit, autrement dit sa transformation en un affrontement d’essence religieuse, est due non seulement aux aléas exaspérants du « processus de paix », mais aussi à des mouvements de fond au sein des sociétés israélienne et palestinienne. Pour ne rien dire de l’environnement proche-oriental. Aussi bien, nous risquons non seulement de n’avoir pas de quoi partager, mais aussi avec qui partager. Écoutez bien les voix palestiniennes de plus en plus nombreuses qui se font entendre pour dire que, décidément, la création d’un État indépendant est désormais caduque et que ce qu’il faut maintenant c’est se battre pour des droits égaux à l’intérieur d’un État binational !
Voilà pourquoi, me semble-t-il, c’est bien maintenant qu’il faut enfin agir, avant que l’irréparable s’installe. Vous savez, à force de crier au loup, il arrive que le loup finisse par arriver.

Vous qualifiez Israël de « ghetto armé » n’est-ce pas quelque peu réducteur pour un pays dont le rayonnement économique, scientifique et culturel s’est accru de manière impressionnante au cours des dernières décennies, en dépit de la persistance du conflit avec les Palestiniens ? La « gestion » du conflit à défaut de la recherche active de sa solution n’est elle pas une perspective moralement insatisfaisante, certes, mais offrant l’avantage d’être pratiquement réalisable sans dommages majeurs pour le pays ?

Je suis le dernier à nier la grandeur de l’entreprise sioniste et sa formidable réussite historique, je le dis d’ailleurs avec force dans mon livre. Je dis aussi que l’échec de ce que je considère être le principal volet du projet national juif, la normalisation des relations des Juifs avec les Gentils, n’est pas imputable au seul Israël, loin s’en faut. Mais il ne faut pas se voiler la face, à force de vivre par l’épée, on finit par être dominé par elle. Davantage encore que dans la réalité d’un petit État en butte à un environnement hostile, c’est dans les têtes que le ghetto armé fait des ravages. Voyez nos réactions à la commission, puis au rapport Goldstone. Quelle que soit la manière dont on juge le mandat de cette commission et ses conclusions, je vois dans le refus même de coopérer avec son président (un Juif sioniste, faut-il le rappeler) une manifestation d’autisme caractéristique de la mentalité de ghetto armé.
Enfin, la « gestion » du conflit en attendant l’arrivée du Messie n’est pas seulement une « perspective moralement insatisfaisante », c’est, je crois l’avoir montré en réponse à votre première question, la meilleure recette pour enterrer pour de bon le projet sioniste.

Ne sous-estimez vous pas la force du refus fondamental du projet sioniste dans le monde arabo-musulman ? Le réalisme de certains dirigeants arabes (Abdallah hier, Fayçal aujourd’hui) n’est-il pas contredit chaque jour par le comportement de « la rue arabe » dans sa dimension populaire comme dans ses élites culturelles (cf. affaire Farouk Hosni) ?

Ce n’est pas la « rue arabe » qui fait la politique au Proche-Orient, mais les gouvernements. Que ces derniers, dont la légitimité est assurément problématique aux yeux de leurs peuples, craignent leurs opinions publiques, c’est un fait. Mais cela n’a pas empêché Sadate et Hussein de Jordanie de faire la paix avec Israël, ni Assad père et fils et les Palestiniens d’en avoir fait leur objectif « stratégique », ni Abdallah d’Arabie saoudite de lancer son plan de paix global.
Évidemment, si la paix advient, elle n’aura pas l’allure de celle qui règne entre les pays du Benelux. Mais qu’importe ? C’est d’une paix formelle que nous avons besoin, qui libère Palestiniens et Israéliens de l’occupation – une paix froide, qui, il faut l’espérer, s’échauffera avec le temps. À l’époque où Ehud Barak négociait avec le Président Hafez el-Assad, un diplomate de la région faisait remarquer que le type de paix que recherchaient les Israéliens n’existait nulle part entre les Arabes. Mais cela vaut tout de même mieux que la guerre.

Vous qualifiez, à juste titre, l’affrontement israélo-arabe de choc d’une société du premier monde contre une société du tiers-monde. N’est-il pas quelque peu utopique d’envisager pour l’avenir une cohabitation pacifiée entre ces deux sociétés dont l’écart de prospérité reste aussi important ? La barrière de sécurité, qui n’aura plus d’utilité sécuritaire dans l’hypothèse d’une paix globale, n’en trouvera-t-elle pas une nouvelle pour empêcher l’afflux de migrants économiques ?

Du coup, ce problème-là est le lot de beaucoup de monde, et d’abord en Europe ! Vous conviendrez que ce n’est pas une raison pour ne pas régler le problème de la paix et de la guerre. Encore une fois, il ne s’agit pas de rechercher d’emblée une cohabitation harmonieuse, mais plutôt un modus vivendi supportable.
À plus long terme, on est en droit d’espérer un transfert de richesse, une élévation du niveau de vie palestinien – voyez ce qui se passe aujourd’hui en Cisjordanie, encore sous occupation – et, pourquoi pas, en définitive, une sorte de Marché commun.

Vous privilégiez, dans votre réflexion pour l’avenir, la résolution du conflit israélo-palestinien dans un cadre bilatéral sous la houlette américaine, alors que d’autres analystes, comme Robert Malley estiment aujourd’hui qu’il convient de mener une approche simultanée de la résolution de l’ensemble des contentieux, avec la Syrie et le Liban, notamment. Pourquoi ?

Je pense que Robert Malley a raison, il faut traiter l’ensemble des contentieux. Si je semble privilégier le conflit israélo-palestinien, c’est parce qu’il est le plus difficile et qu’il pèse d’un poids énorme sur tous les autres. Avec la Syrie, l’affaire est relativement simple, les termes du marché clairs, la marge de manœuvre étroite. Je vous rappelle que cinq Premiers ministres israéliens, Benjamin Netanyahou compris lors de son premier mandat, ont accepté de « descendre du Golan ».
Quant au Liban, pays avec lequel Israël n’a pas de contentieux territorial (l’affaire des Fermes de Shebaa, à régler entre le Liban et la Syrie, n’est qu’un prétexte du Hezbollah pour entretenir sa milice), il suivra automatiquement le grand frère syrien.

La principale incertitude quant à la viabilité d’un éventuel accord de paix entre Israël et les Palestiniens réside dans la guerre civile larvée que se livrent le Hamas et le Fatah. N’est-il pas plus urgent de travailler à la constitution d’une autorité palestinienne dotée d’une vraie légitimité, que de s’exciter sur quelques constructions de logements à Pisgat Zeev ou Maale Adoumim ?

Les deux questions sont importantes, et d’ailleurs indirectement liées : chaque brique supplémentaire dans les implantations de Cisjordanie ou à Jérusalem sape l’autorité de Ramallah et renforce celle de Gaza. Et les deux sont très difficiles.
Les Égyptiens, surtout, travaillent à la première, jusqu’ici avec un résultat nul. C’est que le fossé entre les deux branches du mouvement national palestinien est profond, sans doute impossible à combler à moins d’une épreuve de force décisive. Il importe donc de renforcer autant que faire se peut l’Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas, afin que celui-ci puisse convaincre les Palestiniens qu’au bout du compte la voie du compromis et de la paix est préférable à la confrontation. Où l’on retrouve la poursuite de la colonisation…
Cela dit, il est probable que « s’exciter sur quelques constructions de logements », comme vous dites, a probablement été une erreur. Il valait mieux poser sur la table un plan de paix américain (il en existe plusieurs versions, pas la peine de réinventer la roue) et l’imposer aux parties. L’arrêt de la colonisation y eût été de toute manière inclus. Et, si déjà on a opté pour l’arrêt de la colonisation, il eût fallu se donner les moyens de l’obtenir !

Votre livre se termine par une adresse, presque une supplique au président Obama. Avez-vous l’impression d’avoir été entendu en observant son action depuis son arrivée à la Maison Blanche ?

Dans un premier temps, Barak Obama a fait un sans-faute : il fallait rompre avec l’héritage des années Bush, et son successeur l’a fait, avec style et conviction. Le discours du Caire et la main tendue à l’Iran dans l’ordre symbolique, le fait même qu’il ait mis le problème israélo-palestinien à l’ordre du jour de sa présidence dès le début de son mandat, sans attendre la fin de son second – tout cela allait dans la bonne direction.
Force est de reconnaître que la méthode de la main tendue donne des signes d’essoufflement. Dans le monde qui est le nôtre, les beaux discours ne suffisent pas, le charisme et le charme trouvent vite leur limite en l’absence de résultats, et la carotte ne vaut rien sans son frère le bâton. L’impression de flottement qui se dégage des actions de l’administration Obama – pas seulement au Proche-Orient d’ailleurs, et pas seulement à l’étranger – et le sentiment des divers trublions qu’on peut dire impunément non au Président des États-Unis, augurent mal de sa capacité à faire mieux que son prédécesseur. Espérons que c’est un moment passager…

Aujourd'hui, ou peut-être jamais: Pour une paix américaine au Proche-Orient

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