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Un parti unique pour une Europe unie !



image : bastiat2012.fr

Au début, on en plaisante. Tous ces candidats ectoplasmiques qui ne décollent pas des 0,5%, voire du zéro pointé. Maintenant, ils renoncent les uns après les autres : ils expliquent qu’ils n’ont pas assez de moyens, qu’ils n’atteindront pas les 500 signatures, que leurs préoccupations idéologiques ont finalement été prises en compte par un des « grands candidats », comme on dit. On les trouve un peu ridicules ou un peu opportunistes. Ou les deux.
Cette hécatombe, pourtant, a de quoi inquiéter. Des plus fantaisistes aux plus agaçants, des hystériques aux ministres aigris, en passant par des valeurs sûres comme Jean-Pierre Chevènement, on a l’impression que l’on procède à un vrai nettoyage par le vide. Au point que l’on pourrait très bien imaginer une élection présidentielle où les candidatures se résumeraient à un maigre quadrige ou à un quintette étique : Sarkozy, Hollande, Marine Le Pen, Bayrou et Mélenchon.

Bien sûr, à l’heure où j’écris, il y a encore en lice deux inoxydables trotskystes, témoins vintage d’une Quatrième Internationale chimiquement pure ; une écologiste glaciale, joyeuse comme une mise en détention préventive ; un gaulliste rimbaldien surtout animé par une haine tenace de l’actuel président et un autre gaulliste, souverainiste celui-là, qui voit la France comme une Belle au bois dormant qui aurait juste besoin d’un baiser eurosceptique parfumé au franc pour être réveillée. Mais où sont les 16 candidats de 2002 ? Et les 12 qui, en 2007, couvraient tout l’arc politique français et permettaient à chacun de s’exprimer au plus près de ses convictions ?[access capability= »lire_inedits »]

Allons plus loin. Prenons des paris. Après avoir fait illusion un temps, Marine le Pen peut jouer les arrogantes et refuser de parler à qui n’est pas « un des deux grands », elle ne rééditera pas l’exploit paternel, triangulée par un Claude Guéant au mieux de sa forme. On peut aussi parier sans trop de risques qu’une des prophéties malicieuses de François Mitterrand, qui n’en était pas avare, ne se réalisera pas : il avait dit à François Bayrou, du temps de la cohabitation Balladur, que lui seul avait l’étoffe d’un futur président de la République. Que ce soit le cas ou pas, l’éternel outsider du centrisme autonome semble condamné, encore une fois, à un splendide isolement sous le plafond de verre qui l’empêche d’accéder au second tour. Le Front de Gauche fera sans doute mieux que de la résistance et Mélenchon paraît en mesure de rassembler enfin sur son nom une gauche antilibérale qui s’était fragmentée de manière suicidaire après le succès au référendum de 2005. Mais pour quoi faire ? Pas grand-chose, sinon jouer les figurants furieux à la gauche du PS avec un groupe à l’Assemblée négocié dans le cadre d’accords de désistement « pour battre la droite ». Quant au Front national et au Modem, faute d’une injection de proportionnelle, ils resteront cette fois encore à la porte du Palais-Bourbon.

Tout se jouera donc, comme d’habitude, entre les deux monstres survitaminés de la politique française. À droite, depuis 2002, toutes les sensibilités sont noyées dans une UMP-Moloch créée comme une arme de guerre destinée à faire entrer Chirac, puis Sarkozy, à l’Élysée en dévorant tout ce qui passait à sa portée. À gauche, le PS, converti depuis bientôt trente ans à l’économie de marché et à l’Europe, est boosté par ses primaires, une réussite incontestable qui lui a permis de faire pièce au mastodonte d’en face en désignant un candidat légitimé par des centaines de milliers d’électeurs.
Pour toutes ces raisons, il est difficile de donner complètement tort à Marine Le Pen quand elle utilise, pour désigner ce duopole de fait, l’acronyme un brin racoleur d’« UMPS », qui ressemble à un sigle pour une banque suisse.
Serions-nous effectivement en passe de nous anglo-saxonniser ? Allons-nous nous aligner sur ces démocraties occidentales standardisées qui, par tradition pour la Grande-Bretagne, mimétisme, lassitude ou facilité pour bien d’autres, pratiquent le bipartisme ? Est-il possible que tout soit mis en œuvre pour faire prévaloir l’uniformité sur la diversité, par exemple en plaçant sous surveillance accrue les élus locaux susceptibles de donner les 500 parrainages ou en rendant toujours plus difficile le remboursement des frais de campagne ?

Dans l’entre-deux-guerres, alors que depuis des lustres, deux partis seulement s’opposaient au Royaume-Uni, en France, où existaient les mêmes tendances conservatrices et travaillistes, elle s’épanouissaient en mille fleurs : SFIO, Parti radical-socialiste, Gauche indépendante, Démocrates populaires, Républicains du centre, Républicains sociaux, Indépendants, Action française, j’en passe et des meilleurs, dont on détecte encore de temps à autre des traces dans certains discours, à la manière de ces illusions d’optique appelées rémanences et qui font persister l’image d’un objet bien après sa disparition. La Ve République voulut en finir avec le règne des partis. Mais elle ne supprima pas les gènes batailleurs dont nous sommes porteurs depuis les clubs révolutionnaires et la Convention nationale. Les gaullistes durent s’allier avec des centristes qui n’aimaient pas de Gaulle, et les socialistes batailler pied à pied avec un PCF aussi puissant qu’eux.

Pourtant, la bipolarisation qui se profile aujourd’hui est d’une nature différente. Elle n’est pas, ou plus, le fruit d’une logique institutionnelle, mais davantage la conséquence de notre intégration toujours plus grande dans l’Union européenne qui n’admet qu’une seule politique économique « gravée dans le marbre » de ses traités – par ailleurs de moins en moins ratifiés par les peuples eux-mêmes. Depuis les traités de Maastricht et de Lisbonne, notamment, les États-membres de l’Union n’ont plus qu’une maîtrise partielle de leur politique budgétaire et monétaire. La crise de l’euro et l’interminable naufrage grec ont révélé à Bruxelles que certains jouissaient encore d’une autonomie excessive et les mises sous tutelle de moins en moins déguisées de nations défaillantes se multiplient. Dans une Europe parfaitement intégrée, qui pourra alors proposer une politique économique différente ? UMP et PS mimeront éventuellement l’affrontement sur le droit de grève ou l’âge de la retraite, mais, quel que soit le vainqueur de mai, tout ce qui touchera aux finances, c’est-à-dire au nerf de la politique, sera hors d’atteinte des citoyens. Dans un tel contexte, la bipolarisation à l’œuvre aujourd’hui risque fort de se transformer en unipolarisation avec petit doigt sur la couture du pantalon présidentiel face au drapeau étoilé.
Pour amuser la galerie, on fait semblant de croire que le duel Hollande-Sarkozy traduit un choix de société. Au fur et à mesure qu’approchera l’échéance, les discours se durciront artificiellement mais, encore une fois, même s’il y a alternance, il n’y aura pas d’alternative.

La bipolarisation, finalement, n’est que le premier pas vers l’avenir radieux du parti unique.[/access]

Mars 2012 . N°45

Article extrait du Magazine Causeur



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