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Tunisie : Pourquoi la France n’a rien vu venir


Tunisie : Pourquoi la France n’a rien vu venir
photo : magharebia
photo : magharebia

La polémique autour des propos maladroits du ministre des Affaires étrangères Michèle Alliot-Marie qui, quelques jours avant la fuite de Ben Ali a proposé à son régime le savoir-faire français en matière de maintien de l’ordre, est l’arbre qui cache la forêt : le gouvernement français tout entier a été pris au dépourvu. Autant dire que la révolution de Jasmin est une déconvenue stratégique. La France investit chaque année des milliards d’euros pour que ceux qui la gouvernent soient informés un minimum à l’avance de ce genre d’événements. Cela n’a pas été le cas. Pourtant, les services de renseignement ont déclenché l’alerte mais au sommet de l’Etat on a préféré se fier à notre ambassade à Tunis qui, elle, croyait en Ben Ali.

Que s’est-il donc passé dans les semaines et les jours précédant le départ précipité de Ben Ali ? Selon des sources issues de la communauté de renseignement, il existe depuis plusieurs années au sein de celle-ci un large consensus sur l’affaiblissement progressif du clan Ben Ali/Trabelsi. Nos espions savaient que, malgré les apparences, l’accaparement de la richesse du pays par le couple présidentiel n’avait pas entraîné un approfondissement de son emprise sur la société.

Le scénario tunisien a été l’exact opposé de celui qui s’est déroulé en Iran il y a deux ans, où, malgré une très forte contestation le régime a pu compter sur une milice fidèle et efficace (les Basidjis), une armée politisée (les Pasdaran), une large nomenclature qui a beaucoup à perdre ainsi que des secteurs importants (même s’ils sont probablement minoritaires) de la société. Les Ayatollah pouvaient – et peuvent toujours – compter sur plusieurs millions d’Iraniens prêts à défendre le régime. En presque un quart de siècle de pouvoir Ben Ali n’est pas arrivé à ancrer son pouvoir aussi efficacement et au moment de la crise, il s’est retrouvé seul ou presque, ne pouvant compter que sur quelques milliers ou dizaines de milliers de partisans convaincus. Cette faille du système Ben Ali, les services français l’avaient très bien cernée et les rapports alarmants se sont multipliés ces dernières années.

Paradoxalement, cela n’a pas aidé. Un voyant clignotant au rouge pendant trop longtemps finit par ne plus attirer l’attention. Quand, le 17 décembre dernier, l’acte désespéré de Mohamed Bouazizi a déclenché un large mouvement de protestation, ceux qui depuis quelques années prédisaient la fin du régime avaient déjà un petit problème de crédibilité vis-à-vis de leurs principaux clients au Château et dans les ministères. En plus, ces derniers étaient branchés simultanément sur une autre source qui, elle, soutenait un avis radicalement opposé : l’ambassade de France à Tunis.

Contrairement aux agences de renseignement, les diplomates estimaient – avec l’avantage supposé de bien connaître terrain – que Ben Ali s’en tirerait. On peut donc mieux comprendre la déclaration de MAM : nourrie par les rapports maison elle n’a pas pris au sérieux les doutes pourtant de plus en plus circonstanciés émis par les autres sources de renseignement et notamment l’analyse de l’ébullition sur internet, observée avec attention par nos analystes.

Une fois la crise tunisienne déclenchée, le président de la République a donc dû trancher entre deux lignes : celle du Quai qui, grosso modo, affirmait « nihil novi sub soli » et celle des services qui mettaient en avant le caractère révolutionnaire et inédit de la situation.

Il est bien sûr très facile de prévoir le passé. Il ne s’agit nullement de chercher des coupables. Reste que cet échec rappelle que le renseignement est une activité complexe dans laquelle « l’information brute » (à supposer qu’une telle chose existe) n’est que la face visible de l’iceberg. En décidant de suivre le Quai d’Orsay, Nicolas Sarkozy avait probablement encore à l’esprit la révolution ratée de juin 2009 en Iran. Echaudés par l’expérience iranienne, les dirigeants français ont donc écouté la « voix du terrain ». Henri Guaino, conseiller spécial du président, a remarqué mardi matin sur France Info que la grande proximité entre la Tunisie et la France – et plus encore entre les deux classes politiques – avait rendu Paris aveugle. Les diplomates qui ont écrit les rapports, câbles et les analyses, comme ceux qui les lisaient à Paris avaient tous avec « l’ancien régime » des liens qui les ont privés de la nécessaire lucidité : en annonçant que Ben Ali tiendrait, peut-être même ont-ils pris leurs désirs inconscients pour des réalités. Mais il s’agit là d’un procès d’intention.



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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