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Mime la mort

Frédéric Bécourt publie "Thanatose" aux éditions Héliopoles


Mime la mort
Frédéric Bécourt © Olivier Allard

Avec Thanatose, Frédéric Bécourt signe un roman acide sur une époque où la virtualité l’emporte sur le réel.


Frédéric Bécourt publie un roman tous les deux ans ; c’est un rythme élevé que je lui souhaite de tenir. Je m’étais fait l’écho – enthousiaste – de ses deux premiers romans, dans Causeur, où son univers, proche de Michel Houellebecq, n’était pas tendre avec notre époque, c’est le moins que l’on puisse écrire. Ses héros n’étaient pas au mieux de leur forme, et le gris était la couleur dominante. Avec Thanatose, Guillaume Labarthe, le personnage principal, est même carrément mort. Enfin, pas tout à fait. Il simule la mort, semble-t-il malgré lui. C’est un phénomène assez rare, observé chez quelques espèces animales, notamment l’araignée, désigné sous le vocable scientifique de « thanatose ».

Époque épatante

Guillaume est un garçon falot, sans colonne vertébrale, comme il en existe tant de nos jours. À bientôt trente ans, il vit encore chez sa mère, l’acariâtre Mina, autocentrée, heureuse de « posséder » encore sa progéniture. Le père est mort, il ne sera nommé « papa » qu’à la dernière page du roman. Dire que le contexte familial est peu épanouissant relève de la litote. Il sort rarement, car il gagne sa vie sur internet, comme coach en jeux vidéo. L’époque est épatante, non ? Il a cependant une compagne, Alice. Un jour, elle lui propose de participer à une distribution de colis alimentaires à la permanence du Secours Catholique, située dans le quatorzième arrondissement de la capitale. Ça part d’un bon sentiment tout ça. Mais un marginal, sans volonté terroriste religieuse revendiquée, je le précise, entre dans la petite permanence et tire dans le tas. Bilan : quatre morts, dont la gentille Alice. Guillaume, quant à lui, il tombe, même pas mort, juste « sans vie », le coup de la thanatose.

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Sorti de l’hôpital, il recommence son petit train train quotidien, égoïste et porté sur le virtuel. Dans le métaverse, il va retrouver le double de sa compagne, bien morte elle, sous la forme de l’avatar « calisson2803 », le surnom que lui donnait son père quand elle était une gamine. Il y a alors des échanges nocturnes sur la toile. L’avatar sait taper là où la cicatrice reste douloureuse. « Si t’étais un homme tu serais mort à ma place », balance « calisson2803 ».

Réalité parallèle

Bécourt se lance alors dans une critique aigre-douce du monde contemporain dominé paradoxalement par la virtualité et le rationalisme. La clé de ce dialogue virtuel est peut-être donnée par le Dr Hamani, une « jolie brune un peu trop maigre », psy de quarante ans. Extrait : « (…) votre psychisme, déclare doctement Hamani, refuse de traiter ce qui vous est arrivé. Il ne nie pas les événements, si vous voulez, mais il les repousse en fabriquant une autre réalité. » Et encore : « En réalité, il s’agit d’une question de survie pour lui : il n’a pas la faculté de s’adapter, alors il se ment. »

Bécourt, en prenant soudain de l’altitude, souligne ce qui est en train de gravement nuire à notre civilisation.

Frédéric Bécourt, Thanatose, Héliopoles. 258 pages

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Pascal Louvrier est écrivain. Dernier ouvrage paru: « Philippe Sollers entre les lignes. » Le Passeur Editeur.

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