Syrie: friture sur la ligne Damas-Moscou-Téhéran


Syrie: friture sur la ligne Damas-Moscou-Téhéran
Rencontre Assad-Poutine (Moscou, octobre 2015). Sipa. Numéro de reportage : AP21814074_000001
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Rencontre Assad-Poutine (Moscou, octobre 2015). Sipa. Numéro de reportage : AP21814074_000001

L’échec, on le sait, est toujours difficile à gérer. Mais gérer le succès n’est pas plus aisé. Alors qu’un cessez-le-feu en Syrie est annoncé pour samedi, là est justement le défi principal de l’alliance pro-régime (l’Etat syrien, la Russie et l’Iran) dont les trois acteurs ne partagent pas la même vision stratégique et n’ont donc pas la même idée de la suite à donner à l’avancée de leurs troupes sur le terrain.

À Moscou, une longue tradition de réflexion stratégique et des intérêts allant bien au-delà de la Syrie poussent les décideurs à chercher à encaisser rapidement les dividendes politiques que leur rapporte un usage somme toute dosé de la force armée. Le rapprochement récent avec les Américains ouvre aux Russes de multiples occasions d’utiliser les jetons gagnés en Syrie comme monnaie d’échange dans d’autres contextes. Il est toujours prudent de sortir de table quand on gagne, surtout si on se sent invincible : à la guerre comme aux cartes ou à la roulette (russe), une série de succès peut vite se gâter. Moscou a par ailleurs probablement déjà acté le fait que la Syrie ne serait plus jamais ce qu’elle était. Pas étonnant que Damas voie les choses différemment.

Assad aspire en effet à retrouver un pays qui s’apparenterait le plus possible au statu quo ex ante, c’est-à-dire à la Syrie de février 2011, avant que le printemps arabe ne la plonge dans la guerre civile. Tout autre chose – une Syrie plus ou moins diminuée – mettrait en péril sa survie politique et physique, les deux allant ensemble dans ce genre de systèmes politiques. La légitimité de la dynastie républicaine syrienne ne résisterait pas longtemps à une amputation sévère du territoire national et de sa souveraineté. Or, si la crise syrienne est en train d’entrer dans une phase de gel, Assad devra affronter ce scénario cauchemardesque.

Qu’Assad essaie de jouer à la queue (syrienne) qui commande la tête (russe) est donc normal : il sait qu’engagés militairement, les Russes auraient du mal à arrêter les opérations pour plier bagages et rapatrier leurs soldats. Cet élément lui laisse une certaine marge de manœuvre mais ne change pas l’essentiel : le président syrien n’ayant pas les mêmes objectifs stratégiques que ses alliés russes, il a intérêt à les pousser à atteindre ses propres buts de guerre, c’est-à-dire grosso modo reprendre le contrôle de l’ensemble du territoire national et recouvrer l’intégralité de sa souveraineté.

Quant à l’Iran, contrairement à la Russie, l’identité du chef de l’Etat syrien fait partie de ses intérêts vitaux car la dimension symbolique chiite est essentielle. Les débats théologiques autour des liens entre alaouites et chiites duodécimains ne changent pas la donne politique : Damas est une pièce indispensable de l’arc chiite et même la haine d’Israël, des Etats-Unis et de l’Occident d’un futur dirigeant syrien sunnite ne pourraient pas remplacer le ciment confessionnel de l’édifice géostratégique iranien. C’est pour cette raison que les Iraniens ont tout intérêt à aider Assad à utiliser les Russes sans pour autant consentir à devenir leur jouet.

Le plus important développement dans la crise syrienne est cette fissure entre Damas et Téhéran d’un côté, Moscou de l’autre, une fente qui risque de lézarder l’alliance dans un moment où une dimension politique crédible semble s’esquisser. Ainsi, quand un cessez-le-feu – souhaité et négocié entre Moscou et Washington – s’ébauche, une question se pose : les forces syriennes auront-elles intérêt à calmer le jeu quitte à regarder avec rage leurs ennemis se reposer, se ravitailler et renforcer leur contrôle sur les territoires qu’ils occupent ?

Puisqu’un cessez-le-feu n’est manifestement pas dans l’intérêt d’Assad, toute la question est de savoir si les Russes ont les moyens de contrôler les forces sur le terrain (syriennes et iraniennes) et d’imposer leur volonté politique à un allié récalcitrant.



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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