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Il faut parler d’un autre fiasco que celui du Stade de France

S'il y a eu une augmentation de 70% des peines de prison ferme entre 1999 et 2019, elle est à relativiser puisque la faillite de l'inexécution est structurelle


Il faut parler d’un autre fiasco que celui du Stade de France
Saint-Denis, 28 mai 2022 © Christophe Ena/AP/SIPA

Je parle de ces peines qu’on n’exécute pas…


Je ne me faisais aucune illusion: je connais trop bien les dysfonctionnements français pour être surpris par les faillites qui nous accablent. À propos du fiasco du Stade de France, un rapport cinglant dénonce une gestion calamiteuse tenant à la fois à un amateurisme ministériel et à une hiérarchie policière de ce fait dépassée. Nous avions raison de nous révolter. Notre pays a été sali nationalement et internationalement, cette honte n’a pourtant pas entraîné la moindre sanction.

Une étude peu reprise dans les médias

Un autre fiasco encore plus dévastateur, car structurel, a été porté à notre connaissance mais il a très peu ému l’opinion publique parce que l’information médiatique a été très chiche pour l’annoncer. Seuls le Figaro et CNews ont accompli correctement leur mission. Parce que, comme c’était essentiel, il convenait de ne pas trop en parler. Une perversion due à une absurde hiérarchisation des problèmes. Il ne suffit pas que les mauvaises nouvelles soient vraies : encore faut-il que le messager qui nous les apprend soit accepté par les gardiens de l’humanitairement et judiciairement correct.

L’Institut pour la Justice (IPJ) n’appartient pas à la catégorie des instances respectables pour le progressisme empli de mansuétude envers les multiples transgressions qui ne l’affectent pas. L’IPJ, il est vrai, n’éprouve de sollicitude que pour les victimes et s’obstine à déplorer la faiblesse ciblée d’une justice pénale dont les citoyens comprennent de moins en moins les décisions: dure avec les modestes, frileuse ou laxiste avec les violences en nombre, commises à un âge de plus en plus précoce.

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Quelles sont donc ces données que l’étude de l’IPJ a communiquées et qui mettent le désastre en évidence ?

D’abord une véritable industrialisation des aménagements de peines de prison ferme. Entre 2016 et 2020, seulement 59% des condamnés à une peine de prison ferme ont été effectivement incarcérés. Le ministère de la Justice juge cohérent ce chiffre « correspondant à la part d’aménagement de peine qui regroupe la semi-liberté, les placements extérieurs ou l’usage du bracelet électronique apparu en 1997 sous Chirac et Jospin et qui a connu son essor sous Nicolas Sarkozy ».

Un peuple français qui attend, agacé

Il y a donc une schizophrénie constante entre l’attente populaire qui légitimement souhaite l’effectivité de la prison quand les cours l’édictent, et les pouvoirs de droite comme de gauche qui font tout pour la rendre autant que possible symbolique – tout en prétendant l’appliquer.

Cette contradiction explique pourquoi des multirécidivistes sortent bien avant le terme de leur incarcération avec le renouvellement, de ce fait, de délits ou de crimes qui indignent les citoyens. Un exemple fourni par un procureur mentionne le cas d’une personne ayant renversé et gravement blessé une douanière : « Cinq bracelets électroniques, un sursis libre, une libération conditionnelle, autant d’aménagements qui ont pour but la réinsertion (…) et voilà le résultat: une douanière qui aurait pu être tuée ».

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Il est extraordinaire qu’on ne s’élève pas contre cette aberration qui permet un aménagement ab initio pour les peines de moins d’un an : le jugement d’un tribunal correctionnel édictant une peine ferme peut ainsi, contre toute logique, être dénaturé. Ce qui est évidemment de nature à discréditer les magistrats « initiaux ». On aboutit à des statistiques trompeuses: s’il y a eu une augmentation de 70% des peines de prison ferme entre 1999 et 2019 – de 55 000 à 93 000 -, elle est à relativiser puisque la faillite de l’inexécution est structurelle et rend caduque cette sévérité apparente. Enfin, en 2020, 8% des peines d’emprisonnement restaient inappliquées cinq ans après leur prononcé – soit 10 000 peines chaque année.

Ce tableau sombre montre un paradoxe qui devrait susciter une réforme politique radicale. Que penserait-on d’une entreprise, d’un service public, d’une institution dont la finalité suprême serait sans cesse mise à mal ? Le pire évidemment. C’est pourtant ce qui affecte gravement le système pénal et l’univers pénitentiaire. Face à ces dysfonctionnements structurels, est-il permis de s’interroger ? Au mois de juillet 2022, 65 % des Français estimaient que « les juges ne sont pas assez sévères ». Cette accusation de faiblesse est exagérée mais je suis persuadé que notre démocratie est ainsi faite – c’est l’un de ses vices – que ce que réclame le peuple n’est jamais le bienvenu… De quoi se mêle-t-il donc alors que le pouvoir, lui, sait ? Mais pour le pire…

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Magistrat honoraire, président de l'Institut de la parole, chroniqueur à CNews et à Sud Radio.

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