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Sauter, ça conserve


Sauter, ça conserve
Gretel Bergmann.
Gretel Bergmann
Gretel Bergmann.

Une école de New York vient de baptiser son stade du nom de Margaret Lambert, née Gretel Bergmann en 1914 à Laupheim, dans le Bade-Wurtemberg. Elle est venue assister à l’inauguration du stade en compagnie de son mari, Bruno Lambert, un médecin retraité de 99 ans. À la lecture des comptes-rendus de cet événement dans la presse locale, le couple semble bénéficier d’une forme physique et mentale exceptionnelle pour un âge aussi avancé.

Jusqu’aux Jeux olympiques d’Atlanta, en 1998, Bruno et Margaret avaient vécu dans l’anonymat et l’honnête aisance que donne la pratique de la médecine de quartier à Brooklyn, où ils se sont installés en 1938. C’est le comité olympique allemand, qui désirait honorer, en les invitant à Atlanta, les principaux athlètes ayant contribué, dans le passé, à porter les couleurs nationales bien haut sur les stades que l’on doit la « redécouverte » de Gretel Bergmann, ancienne détentrice du record d’Allemagne de saut en hauteur féminin en 1933 avec un bond de 1,61 m. Cela peut paraître minable quand on sait que l’actuel record du monde de la spécialité est actuellement la propriété de la Bulgare Stevka Kostadinova avec une barre franchie à 2,09 m. Mais il faut bien se souvenir qu’à l’époque, les dames sautaient encore en ciseau et que les petites pilules aussi magiques qu’indétectables au contrôle anti-dopage n’avaient pas encore fait leur apparition dans les vestiaires.

Gretel Bergmann fut exclue des stades allemands quelques mois après la prise du pouvoir par les nazis, parce qu’elle était juive. Elle émigra alors en Angleterre, et poursuivit son entraînement avec l’espoir de devenir rapidement une sujette de Sa Gracieuse Majesté, pour concourir sous les couleurs de l’Union Jack lors des Jeux olympiques de Berlin en 1936. Elle s’entraînait alors avec d’autant plus d’ardeur qu’elle rêvait de voir le tout nouveau stade olympique de la capitale du Reich acclamer une athlète juive en présence d’Adolf Hitler dans la tribune officielle.

Mais le comité olympique des Etats-Unis menaçait de boycotter les Jeux si l’Allemagne excluait des rangs de ses athlètes ceux dont les origines n’avaient pas l’heur de plaire aux nouveaux maîtres du pays. Hitler désirait avant tout « mettre la pâtée » aux Américains, en nombre de médailles, lors de ces jeux et demande alors aux athlètes juifs allemands exilés de revenir à Berlin, en échange de faveurs accordées aux membres des familles de ces athlètes qui étaient restés dans le pays.

Gretel Bergmann accepte, en revient en Allemagne quelque mois avant les jeux, pour s’entraîner avec l’équipe nationale. Dans le groupe des sauteuses en hauteur, il y avait Dora Ratjen, une fille que les autres trouvaient, certes, un peu bizarre, mais sans plus. Dans les vestiaires, on ne prenait pas à l’époque de douches collectives, et personne ne fut en position de remarquer que Dora, était en fait née sous le nom Heinrich dans la famille d’un tenancier de bar à Brême. A l’issue du stage de préparation, Gretel fut exclue du groupe sous le prétexte de « performance insuffisante » et Dora-Heinrich fut sélectionné(e) à sa place. La magouille n’eut pas le résultat escompté, puisque ce(tte) dernier(e) termina 4ème du concours, un classement que nos jeunes athlètes féminines d’aujourd’hui désignent délicatement comme « la  place de la conne ». Pour la petite histoire, Dora-Heinrich fut exclu(e) de l’équipe en 1938, lorsque deux camarades d’entraînement la rencontrèrent par hasard un soir dans un bar le visage couvert de ce que les anglo-saxons appellent a five o’clock shadow, une ombre de barbe renaissante une dizaine d’heures après le rasage matinal. Dora redevint Heinrich, et succéda à son père devant le zinc du bistrot de la ville portuaire du nord de l’Allemagne, où il vécut sans histoires jusqu’à 90 ans.

Ce comportement queer avant la lettre mit Gretel dans une rage folle, et elle s’embarqua, à Brême, vers les Etats-Unis, sans aller boire le dernier verre chez les Ratjen… En 1938, elle gagne le championnat des Etats-Unis, et rencontre sur les stades un sprinter, Bruno Lambert, émigré juif allemand comme elle, qu’elle épouse et soutient dans ses études de médecine en faisant des petits boulots à New York. Le sport, c’est fini, et Gretel Bergmann est maintenant Mrs Lambert, la femme du toubib du coin de la rue.

Margaret Lambert a longtemps hésité avant d’accepter l’invitation à se rendre à Atlanta aux frais de la fédération allemande d’athlétisme. Au bout du compte, elle finit par accepter car, dit-elle « Il n’ ya pas de raison pour que les jeunes générations paient éternellement pour les crimes de leurs ascendants ». S’il existe une morale à cette histoire, c’est que beaucoup sauter dans sa jeunesse garantit une longévité supérieure à la moyenne et une solide ration de bon sens.



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