République : Deux rassemblements contre l’Etat islamique


République : Deux rassemblements contre l’Etat islamique

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 Dans la série « nous vivons une époque formidable » : le rassemblement bicéphale contre la barbarie de l’Etat islamique, hier Place de la République, à Paris, cinq jours après l’assassinat d’Hervé Gourdel en Algérie par un groupe terroriste. En fait de rassemblement, deux, donc, se tenant à bonne distance l’un de l’autre comme de vulgaires syndicats un jour de manif. Sauf que, dans le cas présent, cet « ensemble, séparément », passé la première impression de comique involontaire, est autrement plus grave qu’une discorde entre centrales syndicales. Il contient l’affrontement dont une telle mobilisation est en principe censée nous prémunir.

Les premières à avoir appelé à un rassemblement dimanche Place de la République sont à notre connaissance les parties liées par l’Appel de Paris, soit, entre autres, la Grande Mosquée de Paris et la Coordination des chrétiens d’Orient en danger (CREDO). Cet appel est issu d’un texte commun, daté du 8 septembre, en soutien aux « frères chrétiens d’Orient » et à d’autres « minorités » persécutées par l’Etat islamique – depuis, une coalition arabo-occidentale est entrée en guerre contre les troupes du « calife » Al-Baghdadi.

Ont par la suite appelé au rassemblement, même jour, même heure, même place, SOS-Racisme, la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA), le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP), l’Union des étudiants juifs de France (UEJF) et même le Parti communiste, venu avec ses drapeaux. Leur faisaient face hier, distants d’une centaine de mètres, les primo-appelants, du moins certains d’entre eux, des Franco-Algériens qui avaient accroché à des grilles deux ou trois drapeaux algériens et un drapeau français. Parmi eux, l’ex-Monsieur diversité de l’UMP, Aderrahmane Dahmane, qui a quitté ce parti avec fracas au moment du débat sur l’identité nationale, actuel président du Conseil des démocrates musulmans et conseiller du recteur de la Grande Mosquée de Paris Dalil Boubakeur, et Nacer Kettane, le fondateur et patron de la radio Beur FM, auteur d’un Appel contre la barbarie et contre les amalgames. On avait là, chacun dans la ligne de mire de l’autre, deux fronts encore chauds du battage fait autour de la guerre à Gaza. Mais surtout, deux approches politiques radicalement différentes du « problème », dont l’identification est l’un des grands enjeux politico-identitaires du moment.

Les chrétiens du CREDO avaient manifestement choisi leur camp, celui de la gauche laïque, d’une poignée de religieux musulmans dont l’imam de Drancy Hassen Chalghoumi et des organisations juives, le président du Consistoire central Joël Mergui et le dirigeant du Crif Roger Cukierman s’étant joints à ce rassemblement-ci. On avait ici la liste presque complète des ennemis de l’« islam numérique », dont l’empreinte sociologique, des néo-salafistes aux Frères musulmans, est sans doute plus vaste que celle de l’islam « consulaire » (liés aux consulats maghrébins en France), à défaut d’avoir la surface institutionnelle de ce dernier.

Aux yeux des « jeunes », Abderrahmane Dahmane et ses amis appartiennent à cet islam des darons, des pères. Mais que venait faire hier dans cette maigre assemblée l’hymne algérien, dont le grésillement de vieille platine évoquait le temps glorieux des martyrs ? La diffusion, à deux reprises au moins, du chant patriotique algérien était une initiative probablement peu inspirée, quand en face, plus tard, on entonnerait la Marseillaise. Elle n’en avait pas moins un sens, sinon plusieurs. Hervé Gourdel est mort en Algérie. Deux « unes » de quotidiens algériens,  El-Watan et Liberté, fixées elles aussi à des grilles, étaient illustrées de la photo pleine page d’Hervé Gourdel, avec ces mots : « Les Algériens sous le choc » pour le premier, « Odieux » pour le second. L’hymne devait être compris comme un hommage de la nation algérienne au Français assassiné. Comme un recueillement un peu honteux, également, pour n’avoir pas pu empêcher cette horreur. Mais il était aussi, sûrement, une manière d’afficher la fierté de l’origine et de l’indépendance, dont beaucoup d’anciens de la « génération FLN » pensent qu’elles restent l’une et l’autre en France objet de moqueries.

Les paroles prononcées, elles, témoignaient d’un égal malaise où se mêlaient, comme si souvent, le procès et le désir de reconnaissance. Procès fait à l’Etat français : c’est lui, « le responsable » des départs de jeunes vers l’Irak et le Syrie. Quant à l’Etat islamique, oui, il tue indistinctement, reconnaissait un homme au micro, comme les nazis autrefois, ajoutait-il, et comme ensuite la France coloniale à la poursuite de « l’ALN » (Armée de libération nationale) en Algérie. Tour à tour à la tribune, on se disait « Franco-Algériens », puis « Français » seulement. « Le pays c’est ici et maintenant, c’est ici que nous voulons vivre », martelait un intervenant. Un autre, religieux, relevait, comme horrifié : « On nous demande d’abandonner la moitié du Coran ! » C’est à Hervé Gourdel qu’ils rendaient hommage, mais c’est à leur sort en France qu’ils pensaient aussi. « On somme les musulmans de s’expliquer quand les musulmans agissent mal, mais on cherche en réalité à leur faire endosser une responsabilité collective, or c’est là un principe fallacieux, qui n’est pas accepté en islam, affirmait un homme. Quand Netanyahou massacre des palestiniens, c’est un très mauvais juif, mais ses crimes n’engagent pas tous les juifs. » Pour Abderrahmane Dahmane, il était « hors de question d’applaudir des islamophobes d’hier », réunis ce dimanche dans l’hommage à Hervé Gourdel, non loin de là, au pied d’une autre tribune. « Ils n’ont jamais rien dit quand 200 000 Algériens sont morts pendant les dix ans de guerre civile », maugréait-il.

Dominique Sopo, président de SOS-Racisme, s’irritait qu’on lui rappelle le peu d’audience de son association auprès des musulmans résidant en banlieue – ce qui n’est probablement plus, depuis longtemps, la vocation de l’association antiraciste, dont Ivan Rioufol, le célèbre blogueur du Figaro présent au rassemblement, disait qu’elle n’était pas pour rien dans l’apparition du monstre djihadiste. Ce rassemblement-ci, réunissant plus de monde que celui organisé par les Franco-Algériens, n’avait qu’une seule cible, les terroristes, les « terroristes islamistes », précisait une pancarte. « Au Darfour, un Etat islamiste massacre des Noirs musulmans qui ne lui semblent pas assez musulmans ! », s’indignait un intervenant.

Si la condamnation des « barbares » était sans équivoque, le ton se voulait œcuménique, même si l’occasion est donnée de faire le procès de l’islamisme et l’inventaire de l’islam. « En Orient et en Occident, l’islam est aussi victime de ce terrorisme-là », tempérait sous les applaudissements un chrétien originaire du Liban. « Je suis juif et français, et je lutte au quotidien avec des laïcs, des musulmans, des chrétiens », témoignait le président de l’UEJF. « Hervé Gourdel n’est pas mort pour rien. La laïcité doit être une valeur non seulement française mais universelle », disait un autre. Le président du Consistoire Joël Mergui coupait court aux reproches du « deux poids, deux mesures » dont les pro-Palestiniens disent qu’il profite à Israël : « C’est la même barbarie qui s’attaque Israël et à l’Occident partout dans le monde, disait-il à Causeur. Le Hamas et le Hezbollah ont dans leur charte la destruction de l’Etat juif. »

Très chrétienne pour tous, Virginie Tellenne, alias Frigide Barjot, officiant à nouveau comme porte-parole, désormais au sein de l’association Tous chrétiens d’Orient, multipliait les navettes entre les deux rassemblements, chargée de flyers. « Parfois, à certains musulmans, ça leur fait un peu bizarre quand je leur en donne un », confiait-elle de son air bobo-gouailleur dont la sérénité tranchait avec la gravité ambiante. Elle voyait bien que le rassemblement initial, celui aux couleurs franco-algériennes, s’était réduit à peau de chagrin. Mais c’est auprès de ces personnes si souvent vindicatives, chez qui il n’est pas toujours simple de faire la part entre l’amour et la hargne, et qui peut-être n’aiment déjà plus, qu’elle s’attardait le plus.

 *Photo : DR.



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