À l’Opéra de Paris, des interprètes remarquables au service d’une chorégraphie vide.

Des danseurs magnifiques défendant leurs rôles avec cette rage de bien faire qui porte à l’excellence ; des lumières somptueuses jouant entre la couleur du sang et celle du deuil et se frayant un passage dans une obscure clarté parfaitement irréelle ; un jeu complexe de lourds rideaux grenat qui morcelle le spectacle en cent séquences d’inégales durées et définit des espaces immenses ou resserrés jusqu’à l’étouffement. Et pour tout élément de décor, un lustre unique, mais monumental et portant mille feux, bien fait pour rappeler que l’on est ici à l’Opéra de Paris, le vrai, celui de Napoléon III. Dans cette pièce signée par l’Israélien Hofesh Shechter, tout est remarquablement sophistiqué, tout… sauf la chorégraphie qui est d’un vide abyssal.
Noceurs décadents
Certes elle est spectaculaire, cette chorégraphie qui fait penser, et ne fait penser à rien d’autre qu’une soirée dansante entre noceurs décadents. Elle exige de la part de ses interprètes, 13 danseurs du Ballet de l’Opéra de Paris, un engagement sans faille tant ce travail de groupe, ces ensembles mouvants et sinueux doivent être périlleux à exécuter en bonne intelligence, tant le rythme en est diabolique, les contorsions des corps infernales alors que les bras sont devenus serpents et que les mains sont métamorphosées en flammes.
Mais, de bout en bout, la gestuelle semble ne pas évoluer. Ou plus exactement, elle paraît obéir inlassablement aux mêmes procédés. L’agitation n’en masque pas la vacuité.
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Elle ennuie à force d’uniformité. Et quand bien même il ne dure qu’un peu plus d’une heure, le spectacle apparaît comme interminable.
Hofesh Shechter lance les danseurs dans une tempête de mouvements sans d’autre motif que d’occuper l’espace et de vous en mettre plein la vue. Et ce n’est pas l’épais programme édité par l’Opéra et ses commentaires savants qui parviennent à donner de l’épaisseur à un ouvrage qui en manque absolument.
L’inanité de l’écriture
Une fois encore, et c’est vraiment dans l’air du temps, on se retrouve confronté à un ouvrage bien ficelé, accompagné de lumières somptueuses, travaillées avec un art consommé par l’éclairagiste Tim Visser, et qui semblent être le clou du spectacle ; à des costumes élégants, mais sans caractère aucun, à l’exception d’une redingote délirante, des robes du soir, des tenues parfaitement taillées, mais ne dégageant strictement rien d’intéressant pour le théâtre. Toutefois ils sont signés par la maison Chanel ce qui fait office de sésame dans une société qui adule les marques de luxe et pour qui en porter est une fin en soi.
La musique, où l’on sent des réminiscences du Moyen-Orient, a été composée par le chorégraphe lui-même. Exécutée par deux instruments à cordes, un instrument à vent et une batterie juchés dans le lointain de la scène, hurlante parfois comme il se doit, elle n’est pas désagréable à entendre à condition sans doute que ce ne soit qu’une seule fois. Et elle accompagne plutôt bien cette pièce où vélocité et virtuosité des danseurs masquent l’inanité de l’écriture.
Cet intitulé aux sonorités vulgaires
Mais comme cela bondit, tourbillonne et galope, épaté par l’abattage des exécutants le public applaudit bien fort. Pas trop longtemps tout de même, comme s’il réalisait en son for intérieur que Red Carpet n’est au fond pas grand chose. C’est cet intitulé aux sonorités vulgaires (le mot carpette a pour nous des consonances fâcheuses) qui scelle la chorégraphie. Et l’on se demande pourquoi un titre en anglais pour un ouvrage commandé et financé par l’Opéra de Paris, conçu par un Israélien, exécuté par des danseurs français pour un public francophone. Comme si l’usage du français était chose ringarde, sinon déshonorante. Tapis rouge eut résonné avec plus d’élégance, de références flatteuses. Et de légitimité.
Red Carpet. Par le Ballet de l’Opéra de Paris. Opéra Garnier. Jusqu’au 14 juillet 2025.
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