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Rassurer pour sortir de la crise


Rassurer pour sortir de la crise

La crise est aussi, et peut-être surtout aujourd’hui, une crise de la demande. Si celle-ci ne retrouve pas un plancher d’ici quelques mois, l’économie risque de sombrer dans une spirale déflationniste – chute de la consommation, baisse des prix, faillites, chômage croissant.

Or, dans un premier temps, le gouvernement a préféré miser sur des investissements massifs pour sortir de la crise par le haut. Le problème est que les effets positifs des milliards d’euros débloqués pour les équipements de défense, les infrastructures routières, fluviales et ferroviaires, la réalisation du canal Seine Nord Europe et la construction de quatre lignes de TGV (projets phares annoncés par le président de la République dans son discours de Douai) ne se feront sentir que dans plusieurs mois voire quelques années. Avant que ces intentions ne deviennent des emplois, il faudra passer des marchés publics, monter des dossiers, obtenir des autorisations, faire face à des oppositions. En somme, pour sortir de la crise, il ne suffit pas que l’Etat commande des TGV, il faut que les gens achètent des DVD.

Le plan de relance gouvernemental ne constitue donc pas une réponse adaptée au scénario déflationniste qui pourrait se déployer à grande allure – rappelez-vous le tsunami financier, avant d’être mouillé, tout le monde était déjà noyé.

Le cauchemar déflationniste s’explique autant sinon plus par des facteurs psychologiques que par un problème de pouvoir d’achat. Quelqu’un qui émarge à 2 000 € par mois mais qui a l’assurance de conserver son emploi dépense plus facilement que celui dont le salaire s’élève à 2 500 € mais qui craint de perdre son boulot. Mais ceux qui ont peur – et ont de bonnes raisons pour cela – ne sont pas les seuls à contribuer à l’atonie de la demande. Les marchés sont aussi désertés par ceux qui pensent payer moins demain. Bref, les perdants de la crise et ceux qui espèrent en sortir gagnants contribuent également à la nourrir.

Les Français, nous dit-on tous les jours, ont peur de l’avenir. Précaires ou employés dans des secteurs particulièrement menacés de l’économie, ils sont nombreux à réduire leurs dépenses et à augmenter leur épargne pour anticiper un avenir incertain. D’autres, moins chanceux, ont déjà perdu leur travail. Avec des revenus en baisse et une visibilité très réduite concernant leurs futures ressources, pas question pour eux d’engager des dépenses inutiles, même s’ils ont touché des indemnités de licenciement.

Ces situations ont des conséquences en cascade. Qu’il s’agisse du commerce de proximité qui en pâtit ou des retraités obligés d’entretenir même partiellement leurs enfants et/ou petits-enfants directement frappés, de plus en plus de Français auront de moins en moins d’argent à dépenser.

Mais il existe aussi une autre catégorie de Français qui ne craignent pas la crise et espèrent même en profiter personnellement. Ni leurs emplois, ni leurs revenus ne sont menacés – du moins le croient-ils – mais ils préfèrent attendre, pour acheter une voiture, une machine à laver ou un appartement que les prix baissent. Qui, sauf en cas de nécessité absolue, changera de voiture quand d’un côté le marché de l’occasion est en chute libre (baisse de 16 % du nombre de transactions en janvier) et que de l’autre le prix des voitures neuves ainsi que les taux d’intérêt sont en baisse ?

En d’autres termes, ceux dont le pouvoir d’achat a diminué ou va diminuer et ceux dont le pouvoir d’achat va croître ont d’excellentes raisons de diminuer leur consommation. L’effet conjugué des comportements de ces deux groupes risque de pousser l’économie française sur la pente déflationniste.

Le gouvernement doit donc répondre à une double-urgence : rassurer le plus grand nombre d’une part, éviter une spirale de baisse des prix non contrôlée poussant les autres à l’attentisme. Et il faut faire vite : si l’état d’esprit des uns et des autres ne change pas avant l’été, le choc déflationniste est plus que probable.

La manière la plus efficace de rassurer les Français serait d’appliquer à la question de l’emploi la même logique que celle qui a guidé l’action gouvernementale dans la crise financière : de même qu’elle a endossé des dettes privées, la collectivité doit maintenant payer les travailleurs que la baisse de la demande rend – provisoirement – superflus. Concrètement, cela signifie payer des indemnités de chômage plus importantes plus longtemps et élargir le cercle des bénéficiaires.

Les entreprises qui voient leurs carnets de commandes rétrécir doivent réduire leurs coûts et beaucoup seront obligées d’en passer par des licenciements. Le temps de sortir de la crise, ces employés doivent passer sous la responsabilité de l’Etat. L’intervention du chef de l’Etat laisse penser qu’il a décidé d’emprunter ce chemin mais sans s’y engager franchement. Quelques mesures en faveur des jeunes et des CDDistes ne feront pas l’affaire.

En revanche l’idée de lier subordonner les aides publiques à des engagements de non-licenciements est purement démagogique. Difficile voire impossible à appliquer, cette mesure créerait des effets pervers pires encore que les phénomènes qu’elle est supposée combattre et surtout elle risque de ralentir la sortie de crise.

On pourrait analyser dans le détail chacune des mesures envisagée ou annoncée par le président de la République. Mais l’essentiel est ailleurs : le nerf de cette guerre-là, on l’aura compris, est la confiance bien plus que le cash. Les acteurs économiques sont brutalement passés d’une sous-estimation des risques à leur surestimation. Quoi qu’en disent les commentateurs prompts à décréter que Sarkozy a été « nul », il est trop tôt pour savoir si le verbe présidentiel a ramené un peu de sérénité dans l’esprit des Français. Sans confiance, la logique foncièrement égoïste du comportement économique condamne les marchés – comme sur le champ de bataille, quand la peur gagne les esprits, le « chacun pour soi » entraîne la défaite pour tous. Bref, l’important n’est pas de savoir s’il faut supprimer la taxe professionnelle ou réduire la TVA, mais de faire en sorte que les Français retrouvent la foi en l’avenir et le goût du présent. Et ça, ça ne se décrète pas.



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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