Le niveau baisse ! Alors, ce sont les notes, que l’on « corrige »
C’est un jeu de rôles qui finit par être bien rodé. Le casting est toujours le même : d’un côté un inspecteur de lettres, contrôleur des bonnes mœurs pédagogiques, de l’autre un vilain professeur qui se refuse définitivement au confort de la soumission.
On ne change pas une équipe qui gagne
Et cette année comme les précédentes, le vilain professeur a reçu un message, minimalement courtois, l’enjoignant avec une inspectoriale fermeté de revoir sa notation des copies de BTS dont il venait de terminer la correction. Ai-je besoin de préciser que le vilain prof, c’est moi…
Le rituel est toujours le même : nous autres professeurs subissons avant réception des copies une séance de brainwashing – moi aussi je peux faire du globish –, nous amenant à considérer que les normes orthographiques et syntaxiques doivent être globalement (sic) respectées et que de toute façon il faut se situer dans la moyenne atteinte lors de la session 2024.
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Le niveau des copies était très homogène. Les qualificatifs les plus synthétiquement adaptés à une juste perception des choses seraient « effarant », « nullissime », « indigne »… C’est sans nuances mais hélas conforme au réel (je crois savoir qu’il est têtu !). On a affaire à des jeunes gens de vingt ans, bacheliers depuis deux ans, pour certains titulaires d’une mention, unanimement incapables d’élaborer une pensée et de construire une phrase correcte. Les deux inaptitudes vont d’ailleurs de pair et s’alimentent l’une l’autre.
Fabrique du crétin
Voilà le fruit de décennies de déconstruction de l’apprentissage de la langue (jugé difficile et discriminant), validée par de nombreux enseignants depuis les petites classes, qui (se) font croire qu’on peut s’exprimer sans maîtriser la grammaire et l’orthographe. Ils se satisfont d’une bouillie qui ne ressemble à aucune langue connue, et vont parfois jusqu’à s’extasier sur une copie quand elle ne présente que dix fautes par page…Venez comme vous êtes, et surtout restez comme vous êtes. Pauvres élèves, que le laxisme maquillé en bienveillance abandonne à leur carence ! Rajoutez là-dessus la fin de la lecture, la prédominance des écrans, l’inertie intellectuelle, le mépris de tout effort… et vous comprendrez pourquoi votre fille est bébête.
Une tête qui dépasse
À l’issue de la correction, il y eut donc échange entre l’inspecteur des bonnes manières et le vilain professeur. Le premier, sans connaissance aucune des copies évaluées, a trouvé injustifié l’écart entre la moyenne obtenue et celle des autres correcteurs. Le deuxième lui a répondu le message qui suit : « Les copies corrigées par mes soins obtiennent effectivement des résultats calamiteux… qui me paraissent pleinement justifiés au vu du niveau qu’elles révèlent presque toutes, tant en ce qui concerne le fond que la forme (degré zéro de la réflexion, absence de références, langue non maîtrisée jusque dans ses rudiments syntaxiques et orthographiques).
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Je crois faire preuve d’une certaine honnêteté intellectuelle en évaluant à leur juste prix les travaux qu’on me soumet, sans chercher à m’illusionner sur leurs vertus pour atteindre à toute force une moyenne préalablement établie. Un certain nombre de collègues, de leur propre aveu, s’autocensurent afin de n’être pas rappelés à l’ordre à l’issue de leur correction. Pour ma part, j’ai la faiblesse de m’accrocher encore à une certaine forme de déontologie dont je sais pourtant qu’elle n’est plus de saison.
Bien sûr je remonterai les notes de deux points, il n’y a pas de raison que les étudiants passés par moi ne soient pas trompés comme les autres sur leur niveau réel, mais j’aurai en le faisant la désagréable impression de contrevenir aux principes de tout professeur qui se respecte et de contribuer à mon corps défendant au discrédit de l’institution tout entière.
Je récupère les copies de bac dans quelques jours. M’est avis qu’on reverra le même film.