Potemkine!

Emmanuel Macron au pays du soleil


Potemkine!
Emmanuel Macron, quartier Bassens de Marseille, 1er septembre 2021 © Ludovic MARIN / POOL / AFP.

Tout le monde connaît l’histoire. Quand Catherine II manifestait le désir d’aller voir sur place comment vivait son peuple, son Premier ministre et amant, Potemkine, prenait date et balisait soigneusement l’itinéraire de la tsarine de villages artificiels d’une propreté suspecte, que l’on emplissait pour l’occasion de paysans en vêtements de fête. Aux arbres plantés pour la journée on attachait avec des fils de soie des rossignols qui chanteraient la gloire de la souveraine — et en avant la moujik !

Emmanuel Macron visitait ce matin 2 septembre la cité Bassens, à Marseille. Quelques heures avant, des dizaines d’employés de sociétés privées sont venus nettoyer ces lieux voués d’ordinaire à l’abandon et à la crasse, témoigne BFM. « Si vous aviez vu l’état de la cité hier (mardi) soir… il y avait vraiment un décalage, il y avait visiblement des ordures, des poubelles qui n’avaient pas été ramassées depuis plusieurs jours », a confié une habitante à l’envoyé spécial, Igor Sahiri.

Potemkine ! 

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Qu’aura vu Macron ? Un site HLM propre et pas plus désespérant qu’un autre. On lui a fait pour trois jours un décor d’opérette. Macron « au pays du soleil », comme aurait dit Vincent Scotto.

Tout le monde sait que Marseille est — merci FO ! — une ville d’une saleté repoussante, et particulièrement dans les Quartiers Nord : ceux du Sud, en revanche, sont propres, selon une partition que j’ai observée jadis à… Casablanca. Ici, c’est le Tiers-monde tous les jours, sans avoir à prendre l’avion.

Il y a sept ans, Manuel Valls et Najat Vallaud-Belkacem sont venus, la main dans la main, visiter à Marseille le lycée Victor-Hugo, classé ZEP. On a, pour l’occasion, instauré une safe zone de cent mètres autour de l’établissement, confiné les enseignants dans la salle des professeurs, habillé les lieux de plantes vertes, rempli les extincteurs d’incendie, qui sont toujours vides, et réquisitionné d’ex-élèves passés en fac ou en prépas — c’est ainsi que je fus mis au courant — pour jouer aux lycéens de Terminale et discuter doctement avec les deux éminences. Potemkine ! Potemkine !

Rien de ce que l’on montre aux dirigeants n’est vrai. La réalité va se rhabiller avant leur venue — et se remet à poil après leur passage. Je suspecte d’ailleurs qu’il en est de même lorsqu’un patron se déplace dans une usine lointaine. 

Le calife Haroun-al-Rachid, à ce que racontent les 1001 nuits, se déguisait parfois en marchand, et accompagné de son poète favori (homosexuel, mais c’est un détail), descendait dans les rues de Bagdad voir comment vivait vraiment son peuple. Et le lendemain, il faisait voler les têtes.

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C’est aujourd’hui impossible. Un ministre de l’Éducation auquel je voulais du bien, il y a quinze ans, et à qui je proposai un jour de venir avec moi, en catimini, visiter un collège de la petite ceinture à l’improviste, m’expliqua que la Sécurité exigeait d’être avertie quinze jours avant. Que sa cellule « Communications » prévenait à son tour les médias. Et que pour intelligent qu’il fût, il devait se contenter de fariboles et de réalités truquées.

Marseille est une ville en déshérence. La dette publique est colossale, l’immobilier s’écroule, les écoles sont à refaire, le centre-ville est extrêmement périphérique, et comme l’a suggéré Manuel Valls, redevenu chroniqueur, il faudrait raser la ville et la repeupler « autrement ». Il n’y a guère que la Vélodrome qui brille — oui, mais il est privé.

Alors, à, part lancer sa campagne… Macron promettra de l’argent, Paris fera semblant de visiter le grand cadavre marseillais, comme d’habitude, et le mettra sous tutelle comme on met les mourants sous assistance respiratoire, et la misère continuera. 

Ah si, les hommes de Darmanin, dans une descente-éclair spectaculaire, ont arrêté deux dealers (sans doute déjà libérés à l’heure où j’écris) et saisi un kilo de shit — la consommation de quelques heures. Potemkine n’aurait pas fait mieux.


Le regard libre d’Élisabeth Lévy
Le dialogue entre Emmanuel Macron et un jeune marseillais sur le chômage…

Revenons sur un échange entre Emmanuel Macron et un habitant de la cité Brassens à Marseille. Il affirme avoir été victime de racisme dans son internat où on le traitait de sale arabe puis avoir arrêté de travailler à cause du racisme. C’est peut-être injuste, mais j’ai du mal à le croire. Marseille est une ville très mélangée. Par qui a-t-il été traité de sale arabe, par des Comoriens, des Gitans ou des Pierre dont on déplore l’absence dans les cités des quartiers Nord ?

Visionnez la chronique d’Elisabeth Lévy en vidéo ci-dessous. Retrouvez notre directrice de la rédaction chaque matin dans la matinale de Sud Radio à 8h15.




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Normalien et agrégé de lettres, Jean-Paul Brighelli a parcouru l'essentiel du paysage éducatif français, du collège à l'université. Il anime le blog "Bonnet d'âne" hébergé par Causeur.

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