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Claude Pinoteau est mort


Claude Pinoteau est mort

Claude Pinoteau est mort. Il révéla Sophie Marceau dans La boum

Claude Pinoteau était un bon réalisateur, un bon professionnel et un bon faiseur à la manière d’un Henri Verneuil ou d’un Philippe de Broca. Ca n’a l’air de rien mais ça veut dire beaucoup dans une production actuelle où le moindre gugusse déborde de prétentions artistiques et n’a qu’un objectif : dénoncer les atrocités du monde moderne. Éveiller nos consciences, la belle affaire ! Entre une génération de réalisateurs « engagés » et des âneries industrielles filmées à la truelle, Pinoteau incarnait un cinéma certes commercial mais de qualité. J’oserais presque dire de tradition française.

Il a magnifiquement filmé la bourgeoisie parisienne des années 80 dans ses deux volets de La Boum. Claude Brasseur en dentiste quadra infidèle, Brigitte Fossey en illustratrice de presse exaltée et Bernard Giraudeau en séduisant professeur d’allemand sont les marqueurs d’une société qui a aujourd’hui disparu. La mondialisation a englouti nos derniers repères sociaux. Dans quelques années, des étudiants en sociologie regarderont cette comédie sentimentale comme un objet historique, la fin d’un monde heureux, les ultimes roucoulements des Trente Glorieuses.

C’est ce qui explique en partie le succès de cette saga multi-rediffusée à la télévision : le spectateur prend une bouffée vivifiante de nostalgie, il y a des Matra Rancho dans les rues, des week-ends au Grand Hôtel de Cabourg, une grand-mère un peu louf au volant, des parents au bord du divorce, un séjour linguistique en Allemagne et des vacances aux sports d’hiver. La belle vie à la sauce giscardo-libérale, cocktail explosif de mœurs plus libres et d’une société de consommation flamboyante ! Le rêve à portée des classes moyennes. Pinoteau montrait alors à des milliers de famille la voie de la réussite où seules les intermittences du cœur égratignaient la vie quotidienne. C’était avant que l’ascenseur social ne commence sa chute abyssale.

Le Pinoteau des années 80 ne dénonçait pas le racisme ambiant, la lutte des classes ou la dérive des continents, il racontait des histoires solides, instillait des émotions justes et surtout découvrait de jeunes comédiennes à l’écran. Nous étions en pleine guimauve, c’était politiquement correct et diablement réconfortant. Les modeux avaient tendance à railler ce cinéma à papa, si peu subversif à leur goût, et pourtant, le grand public, lui, raffolait de cette vie idéalisée, de ses bons sentiments et de son indispensable happy end sans quoi une sortie au cinéma s’apparente à du vol organisé. A Montceau-les-Mines ou à Vierzon, les mères de famille trouvaient que Brasseur cintré dans son imperméable était terriblement attirant. On lui donnait à l’unanimité le César du meilleur acteur interprétant une profession libérale. En vétérinaire, en chirurgien-dentiste ou en écrivain, Brasseur faisait monter le thermomètre des chaumières. Désinvolte, hâbleur, attendrissant, d’une mauvaise foi épidermique, il était parfait. Quant à Brigitte Fossey, elle avait cette fêlure des femmes trompées qui sublime et érotise l’amour. Et puis, Pinoteau était à l’origine du phénomène Marceau.

Un naturel désarmant, un charme fou, une bouille d’ange, des intonations à la Claudia Cardinale, une innocence que Pinoteau saura moduler au fil de leur collaboration. Sous l’œil du réalisateur, dans L’Etudiante en 1988, l’actrice n’aura jamais été aussi désirable et sincère, si ce n’est dans Descente aux enfers de Francis Girod où son potentiel érotique fulminait. Pinoteau était un formidable accoucheur de talents, en 1974, il avait déjà saisi toute la dramaturgie et l’incandescence d’Isabelle Adjani dans La gifle. Plus tard, il mit en lumière la trop rare Elisabeth Bourgine, délicieuse de justesse et de fragilité. Pinoteau aimait filmer les femmes en devenir, il magnifiait leur jeunesse, saisissait sur pellicule leur pouvoir de séduction pour les rendre inoubliables. Si les actrices débutantes l’inspiraient, il rendait également les autres comédiennes encore plus émouvantes. On se souviendra longtemps des regards de Léa Massari, Nicole Courcel ou Annie Girardot capturés par la caméra délicate de Pinoteau.



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Journaliste et écrivain. A paraître : "Et maintenant, voici venir un long hiver...", Éditions Héliopoles, 2022

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