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Pédophilie : du crime au tabou


Pédophilie : du crime au tabou
Rubens, <em>Le Rapt de Ganymède.</em>
Rubens, Le Rapt de Ganymède.

J’ai passé mon dimanche à chercher des mouchoirs. Pas de vulgaires kleenex, mais des mouchoirs en soie. Quand on est maire de Paris, on n’essuie pas ses larmes dans n’importe quoi et c’est à Bertrand Delanoë que je voulais envoyer un petit paquet enrubanné, afin que, le moment venu, il ait de quoi sécher ses pleurs. Car, le moment viendra, comme il vient pour tout homme, où il plaira à Dieu de rappeler à lui le cardinal Bertone et, ce moment-là, Bertrand Delanoë aura beaucoup de chagrin. Peut-être sera-t-il même inconsolable.

Certes, il y a deux semaines encore, le maire de Paris trouvait « choquants » les propos de ce cardinal qui associait dans une même phrase homosexualité et pédophilie : « De telles prises de position, écrivait le premier magistrat parisien dans le plus indigné des communiqués, sont d’autant plus dangereuses qu’elles stigmatisent délibérément une identité et portent ainsi atteinte au respect de la diversité et de la liberté individuelle. »

Or, depuis – il faut dire qu’une semaine entière a passé, l’éternité quoi ! –, Bertrand Delanoë a changé, puisqu’il salue, dans le plus ému des communiqués, la mémoire de Jean Le Bitoux, grande figure des combats homosexuels français et fondateur de Gai pied, disparu le 21 avril.

Quel rapport entre Jean Le Bitoux et Tarcisio Bertone ? Aucun, évidemment. Enfin, si. Les deux établissent, à leur manière, un lien entre homosexualité et pédophilie. Le premier, secrétaire d’Etat du Saint-Siège, le fait le 12 avril dernier au détour d’une conférence de presse donnée au Chili. Il ose affirmer qu’on lui a rapporté que certains spécialistes lient homosexualité et pédophilie : levée générale de boucliers. Quant au second, Jean Le Bitoux, ses manières sont un peu plus rudes. Il y a quelques années, il affirmait qu’homosexualité et pédophilie avaient partie liée, sans s’attirer autre chose à sa mort que la « gratitude » du maire de Paris pour son « courage militant ». Allez y comprendre quelque chose.

Dans un court entretien donné au magazine gay Illico en mars 2001, Jean Le Bitoux revenait sur l’histoire du mouvement militant homosexuel : « En France, l’homosexualité vient d’une culture pédophile avec André Gide. En 1968, il existait même un comité d’action pédérastique révolutionnaire. Dans le discours du GLH à partir de 1975, il y a tout un héritage du FHAR notamment sur la question pédophile. À l’époque, il s’agissait de libérer son corps, libérer ses fantasmes. Il ne faut pas oublier qu’à cette époque-là la majorité est à 21 ans, ce qui est bien tard. Dans les années 1970, tout est à libérer y compris l’enfant qui est corseté comme la femme, comme l’homosexuel. Aujourd’hui, on ne parle plus du tout du même enfant. L’enfant des années 1970 était l’esclave d’une vieille civilisation, l’enfant d’aujourd’hui est extrêmement sacralisé. » Il poursuivait : « Tony Duvert tenait une rubrique dans Gai Pied où il affirmait : la question pédophile existe et certains gays sont pédophobes et ils considèrent que l’émancipation des homosexuels se fera sur le dos des pédophiles. On a inventé un homosexuel qui laisse de côté la question pédophile. »

Contrairement à beaucoup de sa génération (dont Bertrand Delanoë), Jean Le Bitoux n’avait pas la mémoire qui flanche. Il se souvenait même très bien des positions de Guy Hocquenghem, de René Schérer ou encore de Michel Foucault.

Dans les années 1970, tous plaident pour une reconnaissance des sexualités que l’on n’appelle pas encore « minoritaires », mais « périphériques ». Et loin de se contenter d’être des militants LBGT (lesbien, bisexuel, gay, trans), ils sont des militants LGBTP. Ils incluent le « P » de la pédophilie dans leurs revendications. Militants homosexuels et pédophiles deviennent compagnons de route et font front commun contre l’« ordre bourgeois » qui tient les « sexualités périphériques » pour des pathologies, des déviances, quand ce n’est pas pour des crimes.

C’est notamment le cas de Michel Foucault au tournant des années 1980 qui défend la pédophilie ou, plutôt, qui refuse qu’on l’enferme dans une monstrueuse figure psychiatrisée : l’auteur de L’Histoire de la sexualité dénonce ce qu’il pressent advenir – et qui adviendra pour connaître son paroxysme à Outreau – : la sacralisation de l’enfant innocent et la condamnation a priori de l’adulte. L’un et l’autre victime et criminel par nature : bourreau, fais ton office ! Cependant, que faire du désir sexuel de l’enfant ? Car pour Foucault, Hocquenghem ou Schérer, l’enfant n’est pas que pure candeur : il est aussi un être sexuellement désirant. Et désirable.

Dans ces années-là, la question de la sexualité de l’enfant n’est pas un tabou. L’intelligentsia française envoie, par exemple, en 1977 une pétition au Parlement réclamant la suppression de la majorité sexuelle et la dépénalisation des actes sexuels avec les moins de 15 ans. Dans les mêmes années, Libération publie des annonces de lecteurs cherchant des partenaires de 12 à 18 ans. Quant à Daniel Cohn-Bendit, il écrit avoir eu des jeux à caractère sexuel avec des enfants et s’en vante même sur le plateau d’Apostrophe, sans d’ailleurs que les gendarmes ne l’attendent à la sortie de l’émission pour lui passer les bracelets.

C’est que la pédophilie n’a pas la connotation nécessairement criminelle qu’elle a aujourd’hui. Le pédophile a encore, si l’on peut dire, des humanités : il s’idéalise en continuateur de l’antique pédéraste, en éraste qui ne serait fait que pour apprendre la vie à un éromène, en pédagogue qui aimerait les enfants. « Alcibiade, monte donc sur les genoux de Socrate, il va te faire réviser ta philo. »

Puis, le chemin des militants homosexuels et pédophiles se sépare. Cela se produit, selon Jean Le Bitoux, en 1982, avec l’affaire du Coral. Une dénonciation calomnieuse à propos de jeunes ados violés, des personnalités impliquées, un grand scandale médiatique : c’est une affaire d’Outreau avant l’heure – mais sans l’empressement de l’instruction à embastiller la terre entière.

Seulement, le « mal » est fait : les militants homosexuels ont obtenu, en août 1982, la dépénalisation de l’homosexualité et ils ont désormais autre chose à faire que de s’occuper de leurs anciens compagnons de route, d’autant plus qu’ils sont devenus, avec cette sale affaire du Coral, passablement encombrants. Et Jean Le Bitoux de conclure de façon cinglante : « Aujourd’hui, je pense que les pédophiles sont toujours les boucs émissaires des homosexuels. Le débat n’est plus du côté d’un espace de liberté que les pédophiles n’ont toujours pas, mais du côté de la jeunesse des homosexuels. »

Mince alors ! Tarcisio Bertone a dû lire Jean Le Bitoux, qui ose le plus odieux des amalgames et établit une relation entre pédophilie et homosexualité.

Qu’a-t-il dit, au fait, de si scandaleux, le cardinal ? « Nombre de psychologues, de psychiatres ont démontré qu’il n’y avait pas de relation entre célibat et pédophilie mais beaucoup d’autres ont démontré, et m’ont dit récemment, qu’il y avait une relation entre homosexualité et pédophilie. » Voilà ce qu’a déclaré Bertone, répondant à une question posée lors d’une conférence de presse au Chili.

À moins de confier à Robert Faurisson la réécriture de l’histoire du mouvement homosexuel en France depuis André Gide jusqu’aux années 1980 et de brûler à Paris-Plage l’œuvre de Michel Foucault, la vérité nous oblige à donner raison à Tarcisio Bertone : la relation entre homosexualité et pédophilie a été posée, depuis fort longtemps, par des intellectuels qui n’étaient ni des « fascistes » ni des « réactionnaires », mais des militants et des théoriciens de l’homosexualité, les tenants d’une avant-garde luttant contre ce qu’ils appelaient la « vieille morale bourgeoise » et une société qui surveille et punit.

Seulement, le mot pédophilie ne peut plus être prononcé sans emporter avec lui tout sens critique. Il vaut condamnation immédiate à celui qui en est suspecté, comme à celui, d’ailleurs, qui oserait interroger et remettre en cause ses présupposés. Surtout ne pas se demander s’il n’existerait pas une légère différence entre un violeur d’enfants et un amateur de beautés adolescentes : non ! à défaut de la tête, on leur coupera indistinctement les couilles. Ne pas se demander non plus ce qu’est la pédophilie, mais enfermer le mot et son indétermination sous le masque monstrueux et infrangible du pédophile, nouvel ogre de la fable contemporaine. La pédophilie n’est plus seulement un crime. Elle est un tabou, la camera oscura d’une sexualité qui s’estime désormais affranchie de toute histoire.

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