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Patrice Jean et René Fallet, deux hussards d’honneur

Patrice Jean récompensé pour "Le parti d’Edgar Winger" hier soir, à Paris


Patrice Jean et René Fallet, deux hussards d’honneur
Eric Naulleau remet le Prix des Hussards 2022 à Patrice Jean, 22 juin 2022, Paris. D.R.

La littérature décomplexée s’est installée, hier soir, dans les salons du Lutetia


En ces temps de progressisme mou où chaque auteur a peur de son ombre, où les ligues de vertu patrouillent le Tipp-Ex à la main, qu’il est bon de se retrouver dans des lieux préservés de toute moraline. Alors que dehors, la fureur d’une littérature dépourvue de style et de nerf, dévitalisée jusqu’à l’écœurement, prospère, il reste des îlots de résistance. Couvons-les ! Dernier rempart au déversoir à âneries, le Prix des Hussards tient le cap depuis neuf ans maintenant grâce à Marina Cousté et à François Jonquères, à la fois mécènes et amoureux sincères d’une littérature décomplexée, deux mots qui vont si rarement ensemble. Dans cette aventure, ils n’ont rien à gagner. Seuls le plaisir et l’amitié les guident. Ils ont réuni autour d’eux une bande de réfractaires à l’ordre établi dont les réunions sont l’occasion d’agapes et de débats enflammés. Autour de la table, le président au calme olympien, Éric Naulleau a parfois bien du mal à modérer les excès langagiers de certains. Il y a dans cette assemblée de bretteurs aiguisés, des ferrailleurs de tout premier plan dignes de la IIIème République. Je pense ici à François Cérésa de Service Littéraire qui aime la farce et le coup de poing ou, à Yves Thréard ambassadeur du Figaro dont les prises de parole argumentées et charpentées sont susceptibles de faire vaciller le jury. Il est l’artisan des majorités absolues. Il aurait été redoutable au perchoir, capable de convaincre les partis d’opposition et ses ombrageux chefs de parti. 

Patrice Jean, le lauréat 2022. 22 juin 2022 D.R.

Ce Prix très singulier dans la galaxie des récompenses demeure fidèle à un courant de pensée désorganisé et batailleur des années 1950 qui fut le premier à débusquer le procureur derrière l’auteur. L’année dernière, il avait été décerné en septembre en raison de la pandémie. Il retrouve en 2022 sa place dans le calendrier, entre le printemps et le début de l’été. Il s’est donné comme mission de récompenser l’audace, le talent, l’irrévérence, la chair forcément faible, le picaresque ou l’éruptif. Tout ce qui est banni habituellement des cénacles littéraires. 

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Chez ces gens-là, un peu romantiques et désabusés, on croit encore à la liberté d’expression pleine et entière si et seulement si elle est soutenue par une plume originale et tentatrice. J’ai la chance de faire partie de ces lascars-là. Notre bête noire ? Cet esprit de sérieux qui est devenu la norme. Nous le combattons dans le tintement des coupes de champagne et les rires gamins. Oui, nous tenons à cette espièglerie salutaire faite de camaraderie et de saillies, de coups de coude et de blagues tonitruantes. Hier, dans les salons du Lutetia, la politique et sa misérable cohorte de calculs furent totalement absentes des conversations. On ne parla point de l’hémicycle bouillonnant, de la voirie parisienne défaillante ou du gouvernement vacillant. C’est dire le détachement souverain des convives réunis et leur hauteur de vue. Nous n’étions pas là pour nous vautrer dans les draps sales de la République mais pour célébrer deux auteurs réfractaires au modernisme. L’un bien vivant, paradoxal car aussi discret par son allure que son œuvre perfore les failles du système. C’est un artilleur en habit de jésuite. Il y a du Jacques Laurent chez Patrice Jean qui a reçu le Prix des Hussards pour Le parti d’Edgar Winger (Gallimard). Dans l’édition française, il est l’auteur qui monte selon la formule d’Olivier Maulin. Un lauréat qui n’a pas arrêté de signer des livres durant toute la soirée. Un écrivain avec de vrais lecteurs qui l’ont lu et qui ne l’ont pas seulement acheté par effet de mode, redonne espoir à tous ses confrères. On peut donc être lu en France sans arrière-pensée. Patrice n’est pas la création d’une maison. Il est le contraire d’un objet médiatique. Il poursuit inlassablement son travail de sape et comptez sur lui pour épingler nos travers et notre lente dérive. Il sera toujours là pour nous alerter sur notre inexorable désintégration collective. Nous lui souhaitons une longue et belle carrière.Dans ce rendez-vous des infréquentables, un autre auteur, disparu en 1983, était à l’honneur avec la parution posthume de son Journal de 5 à 7 inédit aux éditions Les Équateurs. Ce document inestimable tant par sa férocité que par son empreinte nostalgique a été salué d’un Coup de Shako. René Fallet fait partie assurément de la famille élargie des « Hussards », il en a les mauvaises manières et la plume légère, le goût du scandale et l’absence de remords. Cet anar-pêcheur à la prose acide est certainement l’un des plus grands auteurs populistes du siècle dernier. Chez lui, on puise tout ce qui fait le sel de la vie, la veine pamphlétaire, un appel à la nature qui ne pontifie pas la rivière, le refus de l’autorité, l’amour baroque, les triangulaires de la fesse et ce désespoir en bandoulière qui étreint dans la nuit froide, du côté de Jaligny dans l’Allier ou de Villeneuve-Saint-Georges en banlieue cheminote. À quand Fallet aux épreuves du Bac, de quoi dessaler des lycéens bien trop sages pour leur âge ? À quoi reconnait-on le succès d’un cocktail littéraire ? On y parle très peu de littérature ce qui est un signe de bonne santé mentale. Nous savons nous tenir. On croise les copains, on se chambre, on se tient chaud. Dominique Guiou est descendu de son piédestal lillois pour converser avec Alice Ferney et Yann Moix. Philippe Lacoche, le marquis picard aux souliers rouges couve d’un regard bienveillant notre grande Sophie Bachat dont nous attendons prochainement un roman hybride et enfiévré. L’éminence grise de l’édition, le camarade Jean-Pierre Montal, sorte de Jacques Foccart en costume slim, rôdait. Il a le don pour détecter les futurs espoirs de la littérature. Patrick Eudeline, le rocker félin par sa démarche chaloupée et sa silhouette élégante, était assailli par des fans. Il vient de ressusciter le magazine Best dont le numéro 2 est actuellement dans les kiosques. Philibert Humm, grand reporter à Match m’a confié ses embarras mécaniques. Il cherche une Vespa PX 125 à moins de 3 000 euros. Arnaud Guillon, l’homme le plus drôle de la rive gauche, n’a toujours pas acheté la Maserati Ghibli de l’ex-Baron Empain. Pascale Bilger a les plus beaux yeux de Paris. Philippe Brugnon, l’ami de jeunesse de Jean-René Huguenin m’a confirmé que l’écrivain si prometteur n’était pas mort accidentellement dans une Mercedes 300 SL à ailes de papillon comme la légende le répète bêtement, mais en roadster 190 SL. Ce qui m’a fortement perturbé. L’Académicien Frédéric Vitoux nous a raconté une anecdote très savoureuse sur l’aplomb de Bernard Frank quand il s’agissait de se faire payer un travail d’écriture. Un maître ! Pascal Thomas en pantalon blanc à la manière d’Eddie Barclay dont nous attendons les mémoires a évoqué sa passion du jeu et la féérie de ses martingales. Je n’ai pas pu saluer Arnaud Le Guern, ni la délicieuse Stéphanie des Horts qui vient d’intégrer le jury. Et puis, à la toute fin, telle une star hollywoodienne en trench-coat sur le bras, Elisabeth Lévy, exfiltrée du plateau de Hanouna a fait tonner son rire communicatif dans la salle. Vivement l’année prochaine !

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Journaliste et écrivain. A paraître : "Et maintenant, voici venir un long hiver...", Éditions Héliopoles, 2022

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