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Gilets jaunes: comment le mouvement m’a quitté

De révolte légitime contre l'impôt et la bureaucratie, le mouvement a viré à l'anarchie


Gilets jaunes: comment le mouvement m’a quitté
Acte XI des gilets jaunes à Bordeaux, 26 janvier 2019. ©UGO AMEZ/SIPA / 00892571_000053

De révolte légitime contre l’impôt et la bureaucratie, le mouvement des gilets jaunes a viré à l’anarchie participative. Notre pays rongé par l’assistanat, l’immigration massive et l’islamisation mérite des frontières étanches, pas un concours Lépine des doléances. 


Une fois encore, c’est un coup de fil de la patronne qui m’a sorti de ma réserve : « Toi qui es le plus gilet jaune d’entre nous, viens donc mettre ton grain de sel dans cette soupe nationale en ébullition, et dans le journal. »

« Le plus gilet jaune d’entre nous ? » Pour des journalistes ou des intellectuels, qui ont lu et relu Philippe Muray, qui pensent que les fumeurs de clopes qui roulent au diesel sont pétris de bon sens et parlent comme dans les films d’Audiard, bref, qui ont une certaine idée du peuple, c’est peut-être un compliment ; pour moi qui vis avec quelques spécimens un peu représentatifs dans ma France périphérique, je n’ai pas su comment je devais le prendre.

Gilet jaune d’une semaine

Je reconnais que j’ai plutôt le profil : l’artisan exilé au-delà de la banlieue qui râle contre les taxes et les impôts, qui peste contre les contrôles, les limitations et les radars, et que la prolifération des voiles sur les femmes jusque dans nos campagnes a rendu raisonnablement islamophobe, celui qui rêve d’un État un peu plus gardien de la nation, de sa culture et de sa civilisation, donc des frontières, et un peu moins dépensier, ou un peu mieux, c’est bien moi.

J’étais donc sans doute gilet jaune la première semaine sans vraiment le savoir et sans le porter pour des raisons purement esthétiques, quand la question était de savoir « ce qu’ils faisaient du pognon », même si nous en avons une petite idée dans un pays où la dépense publique représente 56 % du PIB, et la dépense sociale 46 %. Je l’étais sûrement en novembre, quand sur les ronds-points, des citoyens responsables assistaient la police des frontières dans sa lutte contre les migrations clandestines ou quand d’autres invitaient une musulmane voilée à faire un petit effort d’intégration pour devenir une vraie Française libérée, délivrée, échevelée, et quand au début du mouvement, les délateurs bien pensants de la France insoumise croyaient voir revenir Poujade. Je l’étais de tout mon cœur quand j’ai aperçu brièvement dans un cortège un type qui brandissait un panneau sur lequel il avait écrit : « Trump président ». Ensuite, j’ai eu des doutes.

Je retourne ma veste…

Dés la deuxième semaine, quand ceux qui se retroussent les manches sont retournés au turbin pour laisser le champ libre à ceux qui tendent la main, quand les mères célibataires ont remplacé les petits patrons, quand le ras-le-bol de la taxe appliquée à soi s’est changé en exigence d’impôt pour les autres et quand des foules nourries au ressentiment n’ont plus regardé que l’assiette du voisin fortuné, j’ai retourné ma veste.

Le troisième samedi, j’ai jeté le gilet aux orties quand j’ai lu sur les banderoles des slogans tels que « Élus, vous rendrez des comptes », quand j’ai vu dans les foules ceux dont je suis cerné dans la vie, et que je connais bien, ce ramassis d’abstentionnistes, de j’m’enfoutistes, naïvement complotistes sur les bords, qui braillent au café du commerce, mais jamais au café philo, qui toujours récriminent et réclament et jamais ne s’engagent, pour qui je ne manque pas de tendresse parfois, mais que je serais obligé de tuer pour sauver mon pays s’ils étaient tirés au sort pour rédiger la constitution de la prochaine république.

Je ne suis pas Adama

Quand je les ai reconnus, ceux-là ou leurs pareils, inspirés par des « intellectuels gilets jaunes », tel Étienne Chouard, qui qualifie les élus en général de « crapules » et Macron en particulier de « gredin », de « voleur » ou de « criminel », chauffés par ce parlementaire insoumis qui prédit au président une fin tragique, gueulant dans la rue contre les députés, envieux et incendiaires, tels ces révolutionnaires patibulaires et marseillais qui déambulaient avec des piques en quête de têtes et que décrit Chateaubriand, menaçant ceux qui, au sacrifice de leur vie de famille, perdent leurs dimanches et leurs jours fériés, pour se faire traiter de profiteurs sur les marchés, dans l’exercice de ce sacerdoce qu’est devenu l’engagement politique. Il m’est alors venu des envies de répression, de violences policières légitimes et de borgnes au pays des aveugles ingrats et des infâmes crétins. J’ai compris que je n’étais décidément pas gilet jaune quand j’ai aperçu, dans une des dernières manifs un type avec « je suis Adama » écrit sur son gilet et un autre qui réclamait sur une pancarte « Un pavillon pour l’Aquarius » et que personne ne priait d’aller brailler ailleurs.

« On nous parle mal et on ne nous donne pas assez. »

Comme souvent, entré Philinte dans le débat, j’en sortis Alceste. J’avais pourtant espéré un sursaut, mais il n’arriva pas par où je l’attendais. Idéaliste, je voulais voir venir un sursaut identitaire, il fut consumériste, et porté par de pauvres petits citoyens susceptibles. Le mépris du président et le trop faible pouvoir d’achat furent les paroles répétées qui montaient des ronds-points. Le chœur des indignés se mit partout à entonner le même refrain : « On nous parle mal et on ne nous donne pas assez. » Semaine après semaine, la misère ressentie remplaça dans les discours des difficultés réelles et l’on vit des manifestants se plaindre de ne plus pouvoir nourrir leurs enfants un iphone à la main. Une France du bas se mit à gémir et à exiger du respect comme une association communautaire dans un quartier difficile ou comme des collégiens dans une ZEP.

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Ainsi, après deux mois de « gilet-jaunisse », ce qui finit par sembler préoccuper les Français des ronds-points et des Champs-Élysées, ce n’est pas le séparatisme que cache mal le décor de télé du vivre-ensemble, ni la régression de nos modes de vie dans l’espace public que la tiers-mondisation de la France entraîne, ni les conditions de travail des profs dans les territoires perdus pour la République, ni la guerre civile qui vient et qu’annoncent pratiquement tous ceux qui ont été au pouvoir ; ce qui semble faire brailler le plus fort, c’est la diminution d’un pouvoir d’achat que rognent trop d’impôts, et l’augmentation du nombre de riches.

Je veux bien payer mes impôts, si…

Je ne suis donc plus d’accord sur rien de ce que les doléances révèlent. « Mais qu’est ce qu’ils font avec le pognon ? », demandait Jacqueline au début de l’histoire. Revenons donc à la question des origines. Dans un pays où les classes populaires ne s’en sortent pas sans aides sociales, les imposables que nous sommes et qui sont sommés de subvenir à tous les besoins deviennent les dindons de cette farce qu’on appelle la solidarité. Or pour reprendre Christophe Guilluy, le terme « classe populaire » est devenu dans certaines régions, dont la mienne, un euphémisme pour désigner les populations immigrées qui arrivent en flux continu depuis des décennies sur notre sol. En réalité, les charges et les taxes qui nous fatiguent financent des dépenses sociales qui règlent en bonne partie les factures que laisse une immigration constante. Donc, quand je paye mon Urssaf, je remplis des caisses que vident inexorablement des allocations diverses et variées. Ainsi, plus je travaille, plus je cotise et plus je subventionne le « grand remplacement ».

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On pourrait évidemment spolier madame Betancourt ou monsieur Bolloré pour calmer nos colères, mais je crains que le compte n’y soit pas. On pourrait aussi réaffecter toutes ces recettes à, par exemple, l’entretien d’une armée qui protégerait nos frontières et passerait au Kärcher nos banlieues. Et alors, en ce qui me concerne, je me remettrai à payer tous les impôts et toutes les taxes que l’on voudra avec le plus grand consentement. Allez, je remets mon gilet jaune et je vais porter mon idée modeste et géniale à la mairie !

Février 2019 - Causeur #65

Article extrait du Magazine Causeur




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Cyril Bennasar, anarcho-réactionnaire, est menuisier. Il est également écrivain. Son dernier livre est sorti en février 2021 : "L'arnaque antiraciste expliquée à ma soeur, réponse à Rokhaya Diallo" aux Éditions Mordicus.

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