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Papiers (re)collés

Aimons-les vivants : Yves Charnet


Papiers (re)collés
Yves Charnet © Photo: Hannah Assouline.

Monsieur Nostalgie poursuit sa série de l’été sur les écrivains vivants qui mériteraient un peu plus de lumière sur leur œuvre. Aujourd’hui, il nous parle d’Yves Charnet, le pape nivernais de l’autofiction qui revient chez Tarabuste avec ses Abattis.


Encore Yves Charnet ! Je sais ce que vous vous dites. La mafia niverno-berrichonnemarche à plein régime dans ce pays. Stoppez-les ! Faites-les taire ! Insidieusement, elle tisse sa toile dans les rédactions parisiennes, entre réseautage et conflits d’intérêt. Ces gens-là, sont le poison des écrivains encartés, ils ne respectent donc rien. Ils vont de Morand à Duras, de Lama à Godard, des Carpentier aux surréalistes. Ils baguenaudent et emmerdent les cénacles. Ils aiment les costumes blancs de Mort Shuman et la méritocratie à la française, les pavillons de banlieue et les seigneurs de la pellicule. Le grand écart est leur figure de style favorite. Ils s’amusent des mots en triturant leurs propres maux. Leur dissidence parfois surjouée est un puissant moteur, glouton et ronronnant ; ils ne reculent devant aucune offrande sacrificielle. Leur pudeur à géométrie variable est ce fonds de commerce qu’ils embellissent au fil des années.

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Attention, ce ne sont pas des boutiquiers, plutôt de grands timides, des enfants tristes capables de se mettre à nu pour une phrase carénée comme une starlette cannoise. Ils remuent les souvenirs entre François Chalais et Denise Glaser. Ils charivarisent. Ils mettent leur peau sur la table comme le professait jadis l’ermite de Meudon. Autrefois reclus dans les marges, ils avancent dorénavant en bande organisée. Il y a un axe maléfique entre Bourges et Nevers qui fait froid dans le dos. Leur territoire s’étend même jusqu’aux confins de la Brenne et du Bourbonnais. Ils sont les héritiers de Larbaud et de Raboliot. Des braconniers. Jusqu’où iront-ils ? Visent-ils les prix d’automne ? Le comité Gallimard tremble car leur blanche a la couleur vraie de la littérature. Que fait le juge Falcone ? Copinage ligérien en sous-main, province dans la musette, mobylette à pot percé, chanteurs de variétés et acteurs racés, toute la lyre, vous aurez compris leur manège. Toute la rengaine des sous-préfectures éclairées à la lanterne de la mélancolie est à la manœuvre. On connait leur chanson. Ils ont l’intention de nous prendre en tenaille. Dans cette série d’été, Yves Charnet avait évidemment toute sa place, il ferait même office de « maison témoin ». Il représente les espoirs un peu déçus des années 1990 quand il était chaperonné par Denis Tillinac, ce qui donne de la matière et de la profondeur à ses écrits. Le succès est un leurre, à la portée d’un habile médiocre, de ces faiseurs qui commettent des romans comme on peint au rouleau. Alors qu’une carrière lézardée est un signe de promesse éternelle. On voyait grand et haut pour ce fils de personne, le héros de la dame, le démiurge de Decize. Il avait la caisse et le talent pour décrocher la lune. Et puis, de mésaventures en mésaventures, sa « carrière », mot dégueulasse à usage des inutiles, a tangué. Elle n’a pas pris certainement la direction qu’il imaginait. Pourtant, son nom prononcé dans une assemblée de fins lecteurs fait toujours son petit effet. On le rattache à Pirotte, on le blondinise, ne serait-il pas un Hussard de gauche ou un Derrida du Ring Parade ? Sa vie et son œuvre forment un tout homogène et remarquable.

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Nous, les adorateurs de la retenue, nous avions des aprioris sur l’autofiction ? Ce déversoir, cette crue incessante du moi, ne pouvait pas produire dans notre esprit étriqué une littérature de qualité. Elle était psychanalyse, débord incontrôlable et enfermement, truc de cœur sec. Yves Charnet écrit de l’autofiction lisible, il y met tous ses déboires et ses élans, il s’y expose jusqu’à se flageller. Tout ce cirque ne serait que cris et spasmes sans l’introduction d’une langue violemment charpentée. Charnet choisit la langue contre les autres, contre lui-même probablement. Il opte pour l’écriture et non la narration béate. Il a la conviction intime, profonde que les errances, les drames et les colères ne sont qu’un emballage. Ce qui tient, ce qui sédimente, ce qui régule les hormones, ce qui compte à la fin, au bout du bout, c’est la langue, l’imbrication, la recherche, le son, la mélopée et la stupéfaction. Ce travail sur les mots est, à vrai dire, assez peu répandu parmi les écrivains vivants. Personne ne s’y risque. On raconte des histoires, on récite ses malheurs, mais écrit-on vraiment ? En outre, Yves Charnet est un incorrigible garnement, il vient de publier Abattis, admirablement préfacé par Laurent Roth, cet abécédaire luxueux de citations forme un portrait « juré craché ». Il réussit l’exploit d’emprunter cette fois-ci les mots des autres (Delon, Colette, Fargue, Orwell, Bernanos, etc.) pour dépecer sa propre bête à la manière d’un Perros.

Abattis – Yves Charnet – Tarabuste 280 pages

Monsieur Nostalgie

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Journaliste et écrivain. Dernières publications : "Tendre est la province", (Équateurs), "Les Bouquinistes" (Héliopoles), et "Monsieur Nostalgie" (Héliopoles).

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