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L’enfer fait femme

"Le Squelette de Madame Morales" de Rogelio A. Gonzalez, en version restaurée, au cinéma le 3 avril 2024


L’enfer fait femme
Arturo de Córdova "Le squelette de Mme Morales" (1960) © Camélia Films

Voilà un petit film noir mexicain qui va contrarier les amazones du woke dans leur croisade contre le mâle dominant.


À Mexico, le modeste taxidermiste Pablo Morales, éternel bon vivant, subit depuis 15 ans les avanies de son épouse, Gloria, bigote acariâtre, frigide, affectée au surplus d’une infirmité du genou qui ajoute encore à son aigreur.

Jalouse du bonheur épicurien de son mari adoré par les gosses du quartier, entouré d’amis également portés sur la bouteille, l’invalide valétudinaire et neurasthénique est sous l’emprise d’un prêtre fanatique et d’une confrérie de vieilles ouailles confites en dévotion. Gloria, réfractaire aux fumets de viande, exigeant à tout bout de champ que Pablo se désinfecte les mains à l’alcool à 90°, n’est pas seulement hystérique, elle est aussi menteuse, hypocrite, mythomane : n’hésitant pas à tenter d’empoisonner la chouette domestique, ou à faire du chantage contre sa bonne en l’accusant de vol, elle ira jusqu’à s’automutiler pour que le voisinage la croie battue par son mari.

À bout de patience, le brave homme décide de se débarrasser de ce monstre conjugal, concocte le venin fatal injecté dans les immondes décoctions lactées de sa conjointe, dont il dépèce bientôt le cadavre en bon professionnel, avant de s’amuser de ses ossements, reconstituant par jeu l’un de ces squelettes dont il fait commerce : mis en poudre, ils servent d’engrais… L’os du genou difforme étayant les soupçons, le madré Pablo sera tout de même inculpé de meurtre… Le procès, au dénouement de cette comédie noire délicieusement corrosive, est un régal.

Joyau méconnu du cinéma mexicain, Le Squelette de Madame Morales est réalisé en 1960 par Rogelio A. Gonzalez, cinéaste prolifique (plus de 70 films au compteur !), sur un scénario de l’Espagnol Luis Alcoriza, connu pour être le plus fidèle collaborateur d’un autre exilé, Luis Buñuel. C’est à Alcoriza qu’on doit, entre autres, le scénario de L’Ange exterminateur (1962), autre chef d’œuvre du génial cinéaste de L’âge d’or et d’Un chien andalou. Sept ans avant Le Squelette…, Alcoriza signait déjà le script de El (Tourments), dans lequel à l’inverse une femme également prénommée Gloria était la victime d’un propriétaire terrien jaloux jusqu’au délire paranoïaque, rôle dévolu au même séduisant comédien, Arturo de Cordova, qui incarne ici Pablo Morales. Le Squelette de Madame Morales, nous apprend le spécialiste Olivier Père dans le dossier de presse, est tiré de The Islington Mystery, une nouvelle d’Arthur Machen (1863-1967), cet écrivain britannique (dont, si je puis me permettre, je vous recommande de lire en traduction Le Grand Dieu Pan, très beau texte).

Reste que dans cette adaptation exhumée à bon escient sous les auspices de Camelia Films, on est assez loin du fantastique brumeux d’outre-Manche. Férocement anticlérical, traversé de saillies qui, en 2024, ne manqueront pas de passer pour rageusement misogynes (« – tu as une taille fine, tu as des hanches rondes comme une jument »), de part en part sardonique à souhait, envahi par l’acide partition lyrico-jazzy du compositeur Raul Lavista, cette pure merveille en noir et blanc méritait de sortir de l’ombre. Le voilà mis en lumière, au risque de subir les foudres du nouvel obscurantisme contemporain.      

Le Squelette de Madame Morales. Film de Rogelio A. Gonzalez. Avec Arturo de Cadova, Amparo Rivelles, Elda Peralta, Guillermo Orea. Mexique, noir et blanc, 1960

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