Portrait en arabesque du matador Juan Bautista par Yves Charnet, le fils prodige de Nevers
Quand on aime un auteur, en l’espèce un écrivain de la déchirure et du manque, on ne le blâme pas de trop écrire. Un écrivain est fait pour usiner, pour produire, pour se délester, pour noircir et encrer nos nuits. Vous connaissez mon admiration pour Yves Charnet, écrivain des bordures, des interstices, de la vue en éclaté, du débord syllabique et du journal implorant. Révélé par Denis Tillinac, au temps où les Hussards guerroyaient dans les antichambres de Saint-Germain-des-Prés, au temps où l’idéologie ne guidait par les poètes encartés, au temps où les dissidents s’amusaient de leur propre dissidence. Chez d’autres, le trop-plein m’ennuie, je perçois les insincérités et les roublardises inhérentes aux professions « artistiques » ; chez lui, parce que c’est un styliste, que sa phrase s’arcboute au réel, parce qu’il détourne les mots, s’en pourlèche, les tord à discrétion, que des sons étranges et nouveaux viennent tinter à notre oreille, j’admets toutes les impudeurs et les prouesses langagières. Il est ce gisant bien vivant, flagellant devant l’éternel qui ne reculera devant aucun totem. J’aime profondément son « bazar », il me rappelle les marchands à 1 franc des foires berrichonnes de mon enfance. L’étal dégueulant d’objets inutiles et faramineux, du plastique aux vertus ménagères et érotiques, du gadget clinquant qui aide les déracinés à ne pas avoir peur, le soir venu des fantômes du passé. Le paradis pour les campagnards en déshérence. Chez Charnet, il y a des couleurs à profusion, des douleurs innommables, des génuflexions, des bravades, et ce que je considère comme le substrat de la grande littérature, ce mariage contre-nature entre une culture populaire, qui suinte les bals et les sous-bois, et une culture plus élitiste, celle qui se nourrit de lectures et d’un savoir livresque. Je crois que là, à ce croisement incertain que tant d’écrivains ont peur d’aborder par incapacité, Charnet règne en magicien d’Oz. Il peut vous citer Sardou et Montherlant, Jean Cau et Julio Iglesias, Lorca et Lama dans un même coup de rein salvateur, il vous embarque sur un tube élimé de Johnny, exsangue à force de l’avoir trop écouté dans son transistor, c’est pour mieux vous guider vers un Pirotte, funambule des vendanges tardives. Cette fois-ci, Charnet réédite ses Lettres à Juan Bautista dans une nouvelle version (Vingt ans après) au Diable Vauvert. Le texte a été adapté au théâtre avec succès par le comédien Arnaud Agnel. D’abord et toujours, la forme sédimente le propos chez ce fils en pointillé. Elle est, une fois de plus, fugace, éphémère, donc terriblement bouillonnante car elle ne s’accroche pas à un genre particulier. Ce n’est ni un roman, ni un essai, un portrait peut-être mais incarné, charnellement incarné, ce texte ne ressemble à rien de que nous lisons habituellement. Il n’a pas la facture trafiquée des prosateurs monolithiques qui écrasent la puissance du verbe par des mots lessivés. Il est poétique, grandiloquent, il susurre parfois, à d’autres moments, il crie, il lacère l’horizon, il s’embourbe, se démène comme un beau diable pour extraire quelques formules lapidaires. Ces lettres racontent une adoration, une illumination, quelque chose qui trouble la vue à jamais. « Le 14 avril 1999 j’ai pénétré dans un autre monde » dit-il, faisant cet aveu : « Je ne connaissais rien de la folie corrida ». Comme tous les éclopés célestes, Charnet s’est accroché à une lumière. Il s’est trouvé un frère dans l’arène. Le Neversois de bar-tabac, empêtré dans les imprimés et les tubes « platine », ligérien par hasard, très loin des taureaux et des dramaturgies sablonneuses, très loin d’Arles et de son onde taurine, a découvert « un poète stoïque de ce qu’on ne verra jamais deux fois ». Charnet se garde bien de commettre un essai vaseux et ampoulé sur l’art de toréer, sur le folklore enguirlandé, Charnet nous parle du petit Jalabert, Jean-Baptiste de son prénom – comme Molière – qui s’appellera Juan Bautista et fit une carrière éclatante au début des années 2000. Charnet évoque cette vision sans user de superlatifs, d’alcools forts et de volutes alambiquées. Il écrit son admiration et son affection pour les matadors, « ces anges aux visages graves », sans les habituelles ritournelles de la mise à mort et de sa projection funeste. Il ne psychologise pas, il crée de la littérature, il tente de s’approcher de l’impensable, c’est-à-dire capter les fragments de la beauté du monde. Quel autre écrivain que lui peut balancer cette phrase sèche, sans repentance, ni gloriole : « Ça reste une drôle de façon de rester fidèle au monde d’avant. La corrida ».
Lettres à Juan Bautista (vingt ans après) de Yves Charnet – Au Diable Vauvert. 400 pages.
Le musée d’Orsay célèbre les cent cinquante ans de l’impressionnisme. Pour l’occasion, toutes les stars des cimaises sont réunies, Monet, Degas, Renoir, Morisot, Pissarro… et une partie du Salon de 1874 est reconstituée pour montrer l’ennui de la peinture académique. Une vision binaire de la création à la Belle Époque.
Hormis ceux qui reviennent de Mars, nul n’ignore que nous célébrons cette année les cent cinquante ans des impressionnistes. Leurs tableaux sont partout, dans la presse, sur les mugs et, bien entendu, dans les musées. Orsay leur consacre une exposition « anniversaire » qui plaira légitimement aux amateurs. Cependant, le trop est parfois l’ennemi du bien. L’impressionnisme est devenu l’inévitable vache à lait des musées, ainsi qu’un prétexte au rabâchage du grand récit de la modernité et à l’occultation de la merveilleuse diversité artistique de la Belle Époque.
Oui‑Oui au pays des impressionnistes
Le dispositif du musée d’Orsay se prétend une « confrontation inédite ». Pourtant, peu de choses ont changé depuis le centenaire, il y a cinquante ans. L’impressionnisme semble être une recette que l’on ressert indéfiniment. J’ai ainsi été frappé de retrouver la même affiche. Ensuite, sur place, même principe : un choix de peintures impressionnistes et leurs commentaires dithyrambiques avec, un peu plus loin, les affreux, ou supposés tels, du Salon officiel.
Deux apports, toutefois. D’abord, la célébration s’étend à trente-quatre institutions en province. Ensuite, il est proposé un voyage immersif en réalité virtuelle « au pays des impressionnistes » (45 min). C’est une merveille technologique à ne pas rater. En ce qui concerne le scénario, les gentils impressionnistes se présentent comme une sorte de Club des cinq, tous unis contre les méchants académistes. Un narrateur à la Oui‑Oui nous vante la vie, la couleur et le plein air.
Ces artistes constitueraient, en outre, le « clan des révoltés ». Un exemple mis en avant est celui de La Gare Saint-Lazare de Monet (1877). On y voit une locomotive arrivant à quai en vapotant aimablement de petits nuages roses et bleu pâle. Cela semble une bluette, mais le cartel affirme sans rire que c’est une œuvre d’une « grande radicalité ». En fin de compte, avec l’impressionnisme, il est proposé un art nullement dérangeant avec, en prime, cette gratification narcissique qui consiste à se croire du côté des rebelles.
Naissance hasardeuse
La première exposition a eu lieu en 1874, dans l’entrepôt de Nadar. Les participants ne sont pas réunis par un idéal artistique. Ils doivent exposer par leurs propres moyens à défaut d’être admis au Salon. Seuls sept artistes sur trente et un peuvent être considérés comme impressionnistes. Un grand invité, De Nittis, sert de caution. Manet, quant à lui, ne veut pour rien au monde être assimilé à ces miteux. Il a beau s’impatienter parfois de certaines limitations, il a ses entrées au Salon. Il y entraîne même sa maîtresse et modèle, Victorine Meurent.
L’exposition de 1874 a longtemps été présentée comme un « choc » où « le public, les artistes et les amateurs, malgré leur incompréhension, prennent conscience d’une rupture et d’une nouvelle orientation de l’art ». Il n’en est rien. Cette exposition n’a rien d’un séisme. Quatre œuvres seulement trouvent preneur. On estime le nombre des visiteurs à 3500, ce qui est très peu. L’écho dans la presse est un peu moins mauvais, sans doute grâce à l’implication de Zola.
Plusieurs expositions du même type se succèdent, mettant à rude épreuve les nerfs et les finances des participants. Deux arrivées vont changer la donne. D’abord, celle de Gustave Caillebotte (1848-1894). Richissime rentier, il pratique une peinture en amateur proche de l’impressionnisme. Son idée est de faire connaître sa production en s’intégrant au groupe existant et en finançant l’agenda.
Une seconde figure importante est celle de Paul Durand-Ruel (1831-1922). Cet audacieux marchand développe un réseau de relais à l’étranger et s’assure de la totalité du stock des artistes retenus pour travailler leur cote. Il vise de grands collectionneurs, notamment russes et américains, animés par un esprit de spéculation intellectuelle, mais aussi financière. Les artistes reconnus du moment ne les intéressent pas, aussi sont-ils prêts à parier de grosses sommes sur des créateurs en position de challengers. Durand-Ruel va leur proposer les impressionnistes et consorts.
L’impressionnisme, point de départ du grand récit de la modernité
L’impressionnisme et ses suiveurs restent longtemps perçus comme des mouvements parmi d’autres. Cependant, dans le premier tiers du XXe siècle, les modernes cherchent à s’affirmer et à produire un grand récit justificateur. Pas besoin de remonter à Giotto : on prend Manet et l’impressionnisme comme point de départ de la saga de la modernité.
Plus tard, en 1986, est créé le musée d’Orsay. La lettre de mission fixe comme objectif de faire connaître la période de 1848 à 1914 « dans toutes ses composantes ». Malheureusement, les dispositions d’esprit des conservateurs, et tout particulièrement celles du maître des lieux, Michel Laclotte, ne s’y prêtent guère. Il exclut d’entrée de jeu les artistes qui perturbent ses convictions, comme Bouguereau, Rochegrosse, etc. Grâce à une politique d’accrochage fort partisane, il s’applique notamment à imposer des « hiérarchies », avec, tout en haut, l’impressionnisme, summum du bon goût français.
Quand on parcourt la liste des expositions temporaires au musée d’Orsay, on mesure le parti pris. En effet, en moins de quarante ans, 147 expositions sont consacrées à l’impressionnisme, à ses suites et aux artistes apparentés, dont 55 centrées sur un artiste. Les symbolistes et expressionnistes bénéficient de 35 événements. Le reste, c’est-à-dire l’essentiel de la période de 1848 à 1914, est représenté par 36 expositions. Cependant, la plupart sont de petits accrochages de dessins ou la présentation d’une seule œuvre récemment acquise ou restaurée. Seules neuf expositions véritables peuvent être comptabilisées. Quatre sont des monographies d’artistes étrangers, apportées par des coopérations internationales. Dans ce vaste « reste », les peintres français ne comptent que cinq expositions, dont la plus intéressante est sans doute celle de Bastien-Lepage en 2007 (commissaire Dominique Lobstein).
C’est à se demander si le musée d’Orsay, au lieu de favoriser la découverte de l’art du XIXe dans sa diversité, n’a pas contribué, en réalité, au conformisme et à l’occultation.
Zola change d’avis
Émile Zola (1840-1902) est à la fois journaliste et théoricien de l’art. Son avis est très intéressant, car il connaît bien les impressionnistes. Au début de sa carrière, il analyse le Salon et la peinture d’histoire. Il pense que le public ne se sent pas concerné par les scènes en costume dont on l’abreuve. En outre, Zola déplore une facture souvent trop plate, lisse et des tons sombres. Il voudrait que les artistes choisissent de vrais sujets de la vraie vie, exactement comme il le fait dans ses romans. C’est le naturalisme.
Zola se consacre à l’explication et à la promotion de « ses » impressionnistes. Malheureusement, ces derniers commencent vite à montrer leurs limites. Leurs sujets restent plaisants, mais bénins. Leur style fait figure de recette un peu sommaire. D’autres artistes, plus jeunes et formés par des maîtres académiques, accompliront le projet naturaliste. En particulier, Jules Bastien-Lepage (1848-1884) fait un tabac. Ce jeune artiste conjugue une perception mélancolique de la vie rurale avec une facture enlevée d’une éblouissante richesse.
Zola et ses poulains se sentent doublés. Ils sont bien embêtés. Dans un premier temps, Zola, beau joueur, concède la primauté de Bastien-Lepage : « Sa supériorité sur les peintres impressionnistes se résume dans ceci qu’il sait réaliser ses impressions[1]. » Puis, il se met à le dénigrer. Sa Jeanne d’Arc est le casus belli. Zola, l’anticlérical, aurait préféré que la sainte fût représentée comme une sorte de cas psychiatrique « dans sa vérité scientifique ».
Bastien-Lepage meurt jeune, mais son influence est énorme dans toute l’Europe, où le naturalisme prospère à sa suite. Son retentissement, précisons-le, est bien supérieur à celui de Manet dont l’historiographie fait aujourd’hui, probablement à tort, un artiste majeur.
Après ces déconvenues, Zola laisse tomber durant trente ans son engagement artistique. Il est vrai qu’avec ses combats politiques, notamment l’affaire Dreyfus, il a du pain sur la planche. Sur le tard, il y revient cependant pour exprimer sa déception au sujet des impressionnistes. « Les germes que j’ai vu jeter en terre ont poussé, ont fructifié d’une façon monstrueuse. »« Je m’éveille et je frémis. Eh quoi, vraiment, c’est pour cela que je me suis battu ? C’est pour cette peinture claire, pour ces taches, pour ces reflets, pour cette décomposition de la lumière ? Seigneur, étais-je fou ? » Il affirme : « M. Monet a trop cédé à sa facilité de production. Bien des ébauches sont sorties de son atelier, dans les heures difficiles, et cela ne vaut rien, cela pousse un peintre sur la pente de la pacotille. » Et il ajoute : « Tous s’y sont mis. L’abus de la note claire fait de certaines œuvres des linges décolorés par de longues lessives d’une fadeur crayeuse. » Jusqu’à écrire : « J’en viens presque à regretter le salon noir, bitumineux d’autrefois. » L’impressionnisme lui paraît, avec le recul, simpliste sur le plan de la forme et gentillet sur celui des sujets. C’est aussi mon avis, même si je respecte tous ces gens autour de moi qui aiment l’ambiance impressionniste.
La mairie de Paris a une nouvelle cible dans son viseur : la place de la Concorde. Les ayatollahs de l’Hôtel de Ville sont déterminés à en bannir les voitures après les JO et à la « végétaliser » pour la rendre forcément plus festive. Une aberration urbaine et un affront à l’histoire de notre capitale.
Il fallait oser. Elle l’a fait. Anne Hidalgo s’attaque à la place qui, par son nom, incarne l’unité de la nation. La Mairie de Paris ne se refuse rien. Éléphant dans un jeu de quilles, elle a désormais dans son viseur la monumentalité royale de la place de la Concorde ; la plus grande de Paris et sûrement la plus belle du monde.
Mais pour l’Hôtel de Ville, c’est seulement un « vaste espace minéral entièrement consacré à l’automobile. L’un des pires îlots de chaleur de la capitale. » Le rapport paraphé par Anne Hidalgo poursuit : « C’est également une zone inhospitalière et dangereuse pour les piétons qui peinent à la traverser alors qu’elle représente, entre les jardins des Tuileries et les jardins des Champs-Élysées, un jalon essentiel de l’axe historique de Paris. L’obélisque qui trône en son centre est inaccessible [faux : des passages piétons permettent d’y accéder] et le patrimoine historique de la place n’est pas valorisé [vrai : la Mairie ne l’a jamais restauré, il s’effondre]. Dans la continuité des travaux d’embellissement de l’avenue et des jardins des Champs-Élysées, la Ville de Paris souhaite engager un projet de réaménagement pérenne de la place de la Concorde. La Coupe du Monde de Rugby, avec son village occupant la moitié de la place [on se souvient du carnage esthétique], et les aménagements sportifs préfigurant les Jeux Olympiques et Paralympiques l’ont montré : les Parisiens et les visiteurs sont prêts à se saisir de cet espace libéré [ils n’ont rien demandé] pour profiter pleinement de ce patrimoine historique et de cet espace public disponible [nullement question de profiter du patrimoine : ces aménagements cachent tout le paysage]. L’enjeu du réaménagement de cette place est à la fois climatique, patrimonial et paysager. »
De nombreux véhicules traversent quotidiennement la place de la Concorde mais la circulation, sur ces quelque sept hectares de pavés, a toujours été fluide ; jusqu’à ce que la Mairie nous ait donné un avant-goût de la punition collective, d’abord avec les interminables travaux de la rue Royale, puis ces derniers mois en créant de nouveaux goulots d’engorgement grâce à la pose de blocs de béton qu’elle chérit tant. C’est que, elle l’affirme : à l’issue des JO, la place sera « rendue » aux piétons. « Nous avons été élus pour transformer la ville et cela a toujours été notre volonté de ne pas faire revenir les voitures après les JO », insiste David Belliard, l’adjoint au maire en charge de l’espace public et de la mobilité. Si nous ignorions les capacités de vandalisme de la Mairie, son rapport prêterait à sourire. On lit notamment que les principaux objectifs poursuivis sont : « pacifier et apaiser la plus grande place parisienne », « renouer avec le patrimoine végétal et ses perspectives emblématiques », « offrir une nouvelle expérience et de nouveaux usages », etc. Ce charabia auquel nous sommes rompus se double cependant d’une quête de respectabilité démocratique. La Mairie a en effet créé une commission censée encadrer son projet (comique, lorsqu’on sait qu’elle s’assoit sur les vetos de la préfecture de Police). Cette assemblée, présidée par Jean-Jacques Aillagon, ancien ministre de la Culture, compte diverses et brillantes personnalités tels Stéphane Bern, le paléoclimatologue Jean Jouzel, le jardinier en chef du château de Versailles Alain Baraton, ou encore l’historien spécialiste de Paris Alexandre Gady. Ce dernier n’est pas dupe et déclare au Parisien (5 avril 2024) : « Il faut veiller à ce qu’on ne serve pas de caution à un projet contraire au génie du lieu », mais reconnaît que cette concertation est « un signe très positif, surtout après les erreurs regrettables sur certaines places comme celle de la République, transformée en mer de béton. » Ce panel de spécialistes du patrimoine s’est réuni pour la première fois début avril. En donnant le coup d’envoi de leurs travaux, Anne Hidalgo a lancé : « Il n’y a pas d’idées particulières. Ça dépendra du résultat de ce grand jus de crâne. » Qu’en termes choisis…
N’est pas vert qui veut
La place de la Concorde a connu différents états depuis sa création par Ange-Jacques Gabriel dans les années 1750. Elle a d’abord été bordée de fossés gazonnés (les balustrades encore visibles en rappellent le dessin), puis ces derniers ont été comblés et plantés de pelouses dans les années 1830, avant que l’obélisque soit érigé en 1836 et que le Second Empire, vers 1860, recouvre définitivement ces parterres de dallage de pierre. C’est cette place minérale et admirablement symétrique que nous connaissons. Là où les dingueries d’Hidalgo riment avec ses utopies, c’est que la place, aujourd’hui, ne peut retrouver ses fossés (le sous-sol est occupé par le métro), ni ses pelouses, puisque le projet prévoit aussi « des installations légères pouvant accueillir une alternance de grands événements, de manifestations culturelles et sportives, ainsi qu’une occupation plus quotidienne de l’espace public ». Les pelouses de la Concorde ressembleraient vite à celles du Champ-de-Mars : de la terre battue – et des voleurs à la tire !
Le même extrémisme qui voulait « adapter Paris à l’automobile » dans les années 1970 se retrouve de nos jours dans cette volonté de désurbaniser la ville. « Végétaliser » la Concorde ne fera pas baisser la chaleur en été. Et vouloir détruire son équilibre témoigne du mépris impardonnable de cette municipalité à l’égard de notre patrimoine.
S’ils veulent de la fraîcheur, les néo-Saint-Just de l’Hôtel de Ville devraient regarder du côté du Cours-la-Reine, splendide promenade ombragée plantée par Catherine de Médicis le long de la Seine, entre la Concorde et l’Alma, totalement délaissée.
La plus belle place du monde, urbaine par excellence, est précisément mise en valeur par les feuillages des jardins des Tuileries et des Champs-Élysées. Elle est sertie par leur verdure comme une pierre précieuse est enchâssée dans sa monture. Elle est le trait d’union qui permet de comprendre cette perspective immuable, entre le Louvre et l’Étoile, imaginée par Le Nôtre.
Que Madame Hidalgo ose tout car c’est à ça qu’on les reconnaît est une chose ; qu’on la laisse faire par paresse ou lâcheté, ça, c’est inexcusable.
« Pour que Bernard Menez chante à l’ouverture des JO 2024 » enflamme la toile
C’est une vague qui vient des profondeurs du pays. Inarrêtable. Déjà, les réseaux sociaux ne peuvent plus taire cette secousse sismique qui dit tout de notre vieille nation abîmée et malgré tout, sauvagement insoumise. Elle n’abdiquera pas. Elle ne renoncera pas à sa mission première : c’est-à-dire montrer qu’un autre chemin est possible. Une forme de résistance, une clameur des terres abandonnées, un appel à retrouver cet esprit français qui faisait de nous, jadis, un phare de la civilisation. L’alliance contre-nature entre le cinéma d’auteur et la gaudriole assumée, le fil étroit de nos incertitudes où l’on s’émouvait d’un second degré, aujourd’hui trop altier pour nos contemporains avides de procès et l’attirance pour cette poésie ébréchée d’une variété boulevardière. Entre la cinéphilie propédeutique et le sillon troupier. Entre « La Nuit américaine » et « Les Lolos de Lola ». Entre l’érotico-comique et la fugue buissonnière.
Les oubliés de la flamme olympique
Cet élan populaire, si longtemps reflué, si longtemps combattu par la sphère médiatique, explose sur la toile. La fronde des oubliés des cérémonies ne fait que commencer. Croyez-moi, elle va enfler et déborder les lignes. Attendez-vous bientôt, dans les rues de Paris, à voir des jeunes femmes porter des tee-shirts à l’effigie de Bernard Menez et, toutes générations confondues, des enfants et des vieillards qui montreront ostensiblement devant les caméras du monde entier leur doigt meurtri, enrubanné dans un pansement, en signe de rébellion festive, en signe de contestation rieuse. Chaque jour, des centaines d’adhésions affluent sur le groupe Facebook récemment créé. Des communautés disparates se consolident, un arc lumineux et improbable s’anime entre les admirateurs de Jacques Rozier et ceux de Pascal Thomas.
Tout un monde englouti refait surface, on évoque la mémoire de Daniel Ceccaldi et sa voix de technocrate endimanché, on se souvient d’un nanar avec Christopher Lee et certains demandent solennellement à l’administration française que notre nouvelle Marianne affiche le visage d’Élisa Servier dans toutes les salles de mariage de France. Nous sommes à l’aube d’un grand mouvement de libération et d’émancipation qu’aucun politicien ne pourra stopper et qu’aucun politologue n’a vu advenir. C’est mal connaître les entrailles de notre pays que de toujours sous-estimer cette ferveur populaire, le goût du pas-chassé, de l’irruption du réel cabossé, et de la franche rigolade. Salutaire et chevaleresque. Comme l’insurrection des « gilets jaunes » stupéfia les plus fins analystes, « Jolie poupée » est un nouveau cri de ralliement, une manière de s’affranchir des postures dogmatiques et de refuser le sérieux courroucé de nos élites.
Sursaut tricolore
Des milliers d’hommes et de femmes, sans carcan, sans œillères, le cœur vif et le sourire au coin des lèvres, se réunissent virtuellement en ce moment-même et s’engagent derrière un seul homme. Les Marseillais ont eu Jul le 8 mai, la France réclame Bernard Menez le soir du vendredi 26 juillet. Cette dissidence-là est un sursaut, un courant d’air, une suspension dans le tunnel des jérémiades continuelles, une bifurcation blagueuse et potache, à la confluence de Sacha Guitry et de Max Pécas, l’horizon enfin débarrassé de toutes les génuflexions, un retour aux sources d’une France qui s’amuse de son image de fille aînée de l’intelligentsia. Bernard est du côté de Pierre Dac et du Petit Rapporteur, « Oh jolie poupée » propagera son onde comme « La pêche aux moules » s’empara des cours de récréation au milieu des années 1970. Bernard né quelques jours avant la Libération de Paris en 1944 est l’interprète idéal pour cet événement planétaire. Il porte admirablement le smoking avec cet air détaché et naïf dans la même lignée que Bourvil. Il a la maturité et l’expérience, 79 ans, pour ne pas chavirer devant une foule en transe. Il bouge de façon fort peu académique, ce qui accentuera l’étrangeté et la stupeur de son apparition.
Imaginez la tête des petits Indiens, Coréens ou Finistériens quand Bernard entamera le premier couplet de « Jolie Poupée », cette ode aux travaux manuels. De cette incompréhension délicieuse, naîtra un art nouveau qui viendra tordre les temps obséquieux. Les anneaux s’enorgueilliraient à intégrer Bernard dans leur dispositif scénique. Au plus haut sommet de l’État, on ne pourra pas rester sourd à cette demande populaire.
Victime d’une agression sauvage, Salman Rushdie lève donc le voile sur sa longue et douloureuse reconstruction dans son dernier livre.
C’était le 12 août 2022, à dix heures quarante-cinq précisément. Salman Rushdie, qui, ironie du sort, donnait une conférence sur l’importance de préserver la sécurité des écrivains, vit un homme jaillir du public et foncer droit sur lui. Arrivé à sa hauteur, celui qu’il surnommera désormais l’A., lui donnera de nombreux coups de couteau, à la poitrine, à l’œil, partout. Salman Rushdie aurait pu, ou aurait dû, mourir des suites de cette agression mais c’était sans compter son incroyable instinct de survie. L’écrivain fut transporté à l’hôpital où il passa dix-huit jours. De son aveu, les dix-huit jours les plus longs de sa vie. Trente-trois ans plus tôt, Salman Rushdie avait été l’objet d’une fatwa prononcée par l’ayatollah Ruhollah Khomeyni, suite à la parution de son livre Les versets sataniques. Les deux événements n’ont cependant aucun lien entre eux. Son agresseur n’ayant jamais lu ni ce livre, ni aucun autre de l’écrivain. Pourtant la première pensée de Salman Rushdie quand il vit l’homme fondre sur lui fut : « Pourquoi maintenant ? Vraiment ? Il s’est passé tant de temps. Pourquoi maintenant, après toutes ces années ? » Cette interrogation ne cessera de le hanter, tout comme les signes prophétiques de cette agression : les premiers mots des Versets sataniques, « Pour renaître, chantait Gibreel Farishta en tombant des cieux, il faut d’abord mourir » ou l’image d’un mort au sol tandis que son assassin se tient au-dessus de lui, un couteau ensanglanté à la main, point de départ de son roman Shalimar le clown.
Dans les jours qui ont suivi, une fois que le pronostic vital n’était plus engagé, l’écrivain et sa femme ont perçu la nécessité de faire un compte rendu de ce qui venait de se passer. Ils se sont donc mis à tenir une sorte de journal vidéo, audio et photographique qui n’avait pas vocation à être rendu public. Il n’était pas encore question de l’écriture du Couteau ni d’un quelconque autre livre. L’auteur des Versets sataniques étant alors tout entier occupé à survivre. Très vite pourtant est venue l’idée de ce texte qui relate une reconstruction aussi bien physique que mentale. « Écrire serait pour moi une façon de m’approprier cette histoire-confesse-t-il, de la prendre en charge, de la faire mienne, refusant d’être une simple victime. J’allais répondre à la violence par l’art. » S’ensuit un récit d’une force peu commune, retraçant les différentes étapes de sa guérison jusqu’à l’acceptation, ô combien difficile, de la perte de son œil. Sa femme sera, dans ce combat, une alliée essentielle. « L’amour était une force réelle écrit-il, une force qui guérit ». Que ce soit celui des siens, celui du public ou celui de ses lecteurs. « Il est toujours difficile d’écrire sur les syndromes post-traumatiques, d’abord à cause du traumatisme, de la quantité de stress, et des troubles qui en résultent ». Salman Rushdie s’y est pourtant employé, signant un livre d’une authenticité qui force le respect. Raconter cette traversée était essentiel mais plus encore, sans doute, rappeler son combat contre les intégrismes et pour la liberté.
Le Couteau de Salman Rushdie, Gallimard, 269 pages
Geneviève de Galard, « l’ange de Dien Bien Phu », n’était pas la seule femme dans cet enfer… La bravoure des prostituées oubliées hante les souvenirs des combattants rescapés.
En cette saison, il est fort plaisant de s’offrir du muguet ou de fêter l’armistice du 8 Mai 1945. Il est en revanche plus rare de commémorer la bataille de Diên Biên Phu qui marqua, en mai 1954, la fin de la guerre d’Indochine. Difficile d’imaginer des femmes dans cet univers martial empreint de virilité. Elles étaient pourtant bien présentes à Diên Biên Phu, même si trop peu de reportages ou documents historiques les évoquent.
L’ange de Dien Bien Phu
À Diên Biên Phu, alors que les combats font rage depuis plusieurs semaines, la jeune Geneviève de Galard, convoyeuse de l’armée française, s’improvise infirmière et son dévouement est tel qu’elle est rapidement surnommée « l’ange de Diên Biên Phu », surnom qui lui restera bien après la guerre. Son courage lui vaudra de nombreuses décorations militaires dont la Légion d’honneur avec mention : « Restera pour les combattants […] la plus pure incarnation des vertus héroïques de l’infirmière française ». Elle écrira son autobiographie et restera dans l’Histoire comme « la seule femme du camp[1] ». Élaborer un très joli mythe, si possible virginal, permettait probablement à l’Armée et à la France d’adoucir l’amertume de la défaite.
Car ce qui est passé sous silence, c’est qu’elle n’est pas seule dans cet enfer. En mai 1954, d’autres silhouettes féminines s’agitent dans une atmosphère apocalyptique. Il s’agit des prostituées du bordel militaire de campagne de Diên Biên Phu. Avant l’ultime assaut, ordre est donné d’évacuer les civils. Une vingtaine de prostituées, de toutes nationalités, refusent et choisissent de rester. Elles endossent alors les rôles de cuisinières, d’infirmières, ou encore d’aides-soignantes et assistent les mourants avec une telle ferveur que le médecin commandant les compare à des « anges de la miséricorde[2] ». Étaient-elles complètement inconscientes de ce qui allait se jouer dans les prochains jours ? Avaient-elles noué des liens si profonds avec les soldats du camp qu’elles ne se sentaient pas de les abandonner ? Était-ce par devoir patriotique ou simple souci de se rendre utile ? Hélas, aucun témoignage ne nous permet de connaître avec certitude ce qui a motivé leur choix mais, en apprenant que certaines d’entre elles sont allées jusqu’à participer aux combats et se sont « battues comme des furies »[3], il me plaît à penser qu’elles y ont vu l’occasion de racheter leur âme, ou, tout du moins, leur honneur.
Tombées dans l’oubli
Quand les combats cessent enfin, Geneviève de Galard est faite prisonnière avec les soldats français. En revanche, le sort des prostituées survivantes est plus incertain même si elles semblent avoir été froidement exécutées par les combattants Vietminh à la reddition le 8 mai 1954, le droit de la guerre ne s’appliquant pas dans leur cas. Non seulement leur dévouement et leur héroïsme ont été complètement passés sous silence mais leur existence même a été effacée des manuels d’histoire. Il faut dire que si la présence de ces prostituées sur le camp était déjà gênante pour l’Armée, leur héroïsme en devenait carrément embarrassant. Gare à ceux qui, par leur témoignage, ont osé contredire la version officielle. Ils ont été priés de se taire ou bien frappés de censure, à l’instar du médecin commandant Paul Grauwin dont les Mémoires, écrits en 1954, ont été modifiés avant publication pour ne pas ternir l’image de l’Armée.
Ironie de l’histoire ou comble de l’injustice : les points d’appui du camp avaient été baptisés de prénoms féminins. L’Histoire retiendra cette anecdote militaire et les vétérans, dans les nombreux documentaires sur la guerre d’Indochine, évoqueront encore avec émotion, des années plus tard, le moment où Isabelle, Béatrice, ou encore Éliane sont tombées. Sans surprise, il n’est jamais fait mention de celles dont personne n’a retenu le nom et qui sont pourtant, elles aussi, tombées, non seulement à la guerre mais également dans l’oubli. Il faudra attendre plusieurs décennies pour que ces femmes réapparaissent timidement, fantômes de Diên Biên Phu, au détour d’un témoignage ou d’un article de presse[4].
Des femmes que nos néoféministes n’entendent pas sortir de leur « invisibilisation »
Ce fait n’est cependant pas propre à l’Armée. Il s’inscrit au contraire dans une longue tradition d’invisibilisation des prostituées qui perdure de nos jours, non seulement dans l’Histoire mais également dans les médias, la culture et la société d’une manière générale.
Ces dernières années, le mouvement féministe et wokiste s’en donne pourtant à cœur joie quand il s’agit d’exhumer de l’Histoire des femmes qui en auraient été injustement effacées. Si, en plus d’être talentueuses ou méritantes, celles-ci se révèlent, de surcroît, avoir été privées de postérité au profit d’un mari ou d’un homme de leur entourage, ce n’en est que plus jouissif pour ces apprentis-justiciers qui ne se privent pas de les ériger en martyres du patriarcat. On aurait aimé y voir une manne inespérée, bien que tardive, pour les prostituées oubliées, de Diên Biên Phu ou d’ailleurs. Hélas, les nouvelles héroïnes, à la morale immaculée, semblent plutôt choisies au regard d’un néo-féminisme dont la plupart des mouvements préfèrent exclure les prostituées de leur lutte. Cette sélection donne lieu à une nouvelle discrimination, ultime insulte pour celles qui en avaient déjà été victimes une première fois et qui, depuis, reposaient peut-être en paix. Réhabiliter la mémoire des femmes : oui, mais pas toutes.
Soixante-dix ans après, il semble un peu tard pour donner aux prostituées de Diên Biên Phu les honneurs militaires ou civils qu’elles mériteraient, mais, peut-être, simplement, comme une ultime excuse, dire qu’elles ont été et ce qu’elles ont fait.
Et si la prévention de l’hyperviolence des mineurs commençait par la résolution de leur donner envie d’aimer la France ? De la sorte, éducateurs et éduqués commenceraient peut-être par regarder dans la même direction…
A la suite de nombreux faits divers (que d’aucuns désirent plutôt qualifier de faits de société), les hommes politiques français s’interrogent sur les raisons de la violence des mineurs. Plusieurs explications ont été apportées à ce phénomène qui tend à se répandre. « Ensauvagement » entend on à droite, « perte des repères », à gauche…
Cependant, en envisageant le problème plus largement, en élargissant la perspective et en abordant le problème en amont, l’observateur ne tarde pas à s’apercevoir que la clé de l’affaire réside moins dans la complexion psychologique, mentale ou spirituelle des mineurs que dans celle des adultes ! Car le mineur n’est jamais vraiment une entité individuelle en soi : il est d’abord le fruit des actions et de l’éducation de ceux qui le précèdent dans la chaîne de la vie.
Des baby-boomers qui ne savent plus où ils habitent
Or, si on appréhende la problématique par ce bout de la lorgnette, que constatons-nous ? Où en sont ceux à qui il incombe d’initier les mineurs à l’existence, à ses codes, ses exigences, ses devoirs, ses opportunités mais aussi à ses dangers ? L’évidence commande d’affirmer que la plupart des adultes ne savent plus « où ils habitent ». On excusera la trivialité de la formule, mais cette métaphore spatiale et d’habitat traduit bien le fait que les adultes sont tout aussi errants que les ados dont ils ont théoriquement la charge.
Qu’est-ce qui nous autorise à formuler ainsi pareil jugement ? Tout simplement le fait que beaucoup de Français, non seulement ne s’aiment plus, mais de surcroît ne savent plus qui ils sont. Ne pas s’aimer est déjà un handicap. Cependant, celui-ci peut être compensé par la connaissance de l’idéal à poursuivre et à atteindre. Mais qu’advient-il quand cet idéal n’existe plus dans les mentalités ? Comment surmonter le dégoût de soi-même quand, de surcroît, on ignore le but en direction duquel on doit fournir l’effort pour s’en extirper ? Or, telle est la condition des baby-boomers français. Non contents d’avoir tiré un trait sur l’héritage de leurs pères, ces derniers se sont fait un honneur de ne vouloir en laisser aucun à leurs descendants, leur progéniture – celle qui erre dans nos rues. Quant aux jeunes issus de l’immigration, ils ne sont pas mieux lotis, malgré le conservatisme de leurs ascendants. Eux aussi ont été contaminés par le nihilisme ambiant. Et malheureusement, par un effet de balancier, une partie d’entre eux bascule même dans le radicalisme religieux.
Les politiques intiment aux parents l’ordre de reprendre leurs gamins en main. Mais comment y parvenir s’ils ne possèdent pas un bien à leur faire désirer, un bien vers lequel tendre, un bien à inculquer ? Pour l’orateur et homme politique romain de l’Antiquité Cicéron, l’avenir d’un peuple se décidait avec la question du choix et de la poursuite « des vrais biens ». Il concluait que « la politique est nécessairement philosophie ». Or, le libéralisme culturel et politique a rendu cette poursuite des biens caduque. Selon ce courant de pensée, tout le monde a le droit de poursuivre son intérêt particulier, sans référence à un bien supérieur qui transcenderait le petit bonheur individuel de chacun, du moment que ce dernier ne gêne personne. Qui ne voit qu’avec une telle philosophie, c’est tout le corps social qui court à sa ruine, que l’anomie, l’absence de règles sociales, menacent ?
Pourquoi rappeler cette thèse centrale du libéralisme ? Parce que nos adolescents ne sont pas bêtes au point de ne pas voir que leurs aînés sont des toupies qui tournent sur elles-mêmes sans avancer dans une direction précise. Certes, peut-être ne conceptualisent-ils pas cet état de fait, mais avec leur intuition, ils en appréhendent la signification sous-jacente. Ils constatent que les adultes n’ont plus ni feu ni lieu spirituels, qu’ils ne « savent plus où ils habitent ». Et après cela, avec un tel bagage, ou plutôt avec une telle absence de bagages, on voudrait les ramener d’autorité dans le droit chemin ? C’est mettre la charrue avant les bœufs. Pour adopter une posture d’autorité avec les mineurs, il ne suffit pas d’avoir une densité personnelle qui en impose extérieurement. Il est surtout nécessaire de savoir qui on est soi-même et quel est le bien que l’on poursuit pour soi et pour les autres. Si on l’ignore, on aura beau asséner tous les préceptes moraux à ceux qu’on est chargé d’éduquer, on manquera de crédibilité.
Ne plus rougir de notre passé
Savoir désigner un bien à poursuivre et décliner clairement son identité : telles sont les deux premières conditions pour parler d’autorité aux mineurs. Pour atteindre cet objectif, il est nécessaire au préalable de renouer avec nos traditions, de ne pas rougir de notre identité française, de notre culture, de nos mœurs – ou de notre religion pour ceux qui sont croyants. Sans cela, l’adulte brassera du vent en voulant inculquer à l’ado les valeurs du « vivre ensemble »… Et ce n’est pas à coups de moraline ni de coups de menton qu’il arrivera à le conduire où il l’entend, mais d’abord par le désir du Bien. Encore faut-il que l’éducateur ait identifié celui-ci et qu’il désire lui-même ce Bien ! Un exemple concret : que l’on commence à enseigner les hauts faits de l’histoire de France, au lieu de la décrier. Les adolescents constateront de la sorte que les adultes sont fiers de s’inscrire dans une généalogie historique, culturelle et spirituelle qui est glorieuse, prestigieuse, malgré ses faces moins reluisantes.
Un éducateur qui rougit de soi n’aura jamais le charisme pour diriger un mineur en quête d’idéal. Ce dernier n’adoptera jamais un projet pour lequel il subodore que l’adulte qui le lui propose n’a aucune appétence lui-même ! Nos jeunes devinent sur nous davantage de choses qu’on ne pense ! L’adulte doit donner à l’ado davantage qu’un exemple moral mais surtout un témoignage du cœur. Et pour cela, il convient qu’il aime sincèrement tout l’héritage légué par l’histoire de notre pays – héritage existentiel puisque c’est lui qui a façonné l’adulte qu’il est devenu.
Dans ces conditions, il ne sera pas inutile de rappeler la dette que nous avons envers notre patrie. Celle-ci n’est pas un point neutre dans l’espace. C’est à elle que nous devons la richesse de notre langue, de notre culture, de notre foi et de nos mœurs. Cette vérité fut jugée comme élémentaire et coulant de source jusqu’à ce que mai 68 ne la remette en question. Aux éducateurs d’aujourd’hui de l’enseigner à nouveau aux jeunes générations qui sont l’avenir de la France. C’est en commençant par s’aimer soi-même et les autres que la violence, que nous portons tous en nous, reculera. Et cette règle vaut surtout pour ces mineurs égarés et privés d’héritage qui sont notre hantise.
Le lauréat du Goncourt japonais écrit avec ChatGPT. Le Prix de la Foire de l’État du Colorado décerné à une toile produite par Midjourney. Le concours mondial de photographie Sony récompensant une image générée par Dall-E… Pauvres artistes en graine : ils se sentaient déjà bien faiblards devant les innombrables chefs-d’œuvre du passé (parions sur leur modestie), les voilà désormais humiliés par les prouesses algorithmiques à venir.
Inquiétude légitime. Non seulement ces « intelligences artificielles » (expression impropre pour désigner des apprentissages machine) se révèlent plus convaincantes que les puristes voudraient le croire. Mais elles produisent à une vitesse qui a de quoi démoraliser les plus prolifiques. De surcroît, elles brouillent les pistes en se faisant passer pour des artistes vivants, ou pire, revenus d’entre les morts. C’est ainsi qu’un programme aurait « trompé » le jury d’un Prix de science-fiction dans la province du Jiangsu. Ainsi que les nostalgiques de Johnny Cash peuvent entendre la voix ressuscitée du baryton sur le tube de Barbie Girl (quand il ne s’agit pas de celle de leurs proches disparus). Ainsi, encore, que des milliers de « faux livres », dopés par de « faux commentaires » inondent chaque jour la plateforme Amazon, au risque d’invisibiliser les « vrais ». Ironie du sort, le montage est parfois si réaliste que seule une autre IA peut découvrir le pot aux roses. Après le déboulonnage de la beauté au 20ᵉ siècle, voilà donc celui de la vérité, grand sujet du 21ᵉ.
Le code ou la censure
Entre la grève des scénaristes d’Hollywood l’année dernière et la tribune des grands noms de la chanson américaine le mois dernier, le néo-luddisme artistique semble avoir de beaux jours devant lui. Mais le dénouement est d’ores et déjà connu : « c’est le sens de l’histoire ! », tel est le sempiternel argument d’une mondialisation heureuse flairant la manne. Nul doute donc que la technologie s’imposera, que la plupart des créateurs composeront dorénavant avec elle et que, bon an mal an, les États finiront par instaurer un cadre législatif pour certifier l’origine des œuvres et protéger les droits d’auteurs dont se nourrissent ces IA génératives. L’Europe, sur ce point, est d’ailleurs en avance et, à défaut de rattraper les GAFAM, joue son rôle de gardien du temple.
Le sujet est-il clos pour autant? Loin de là. Ce qui est en jeu en réalité, c’est moins l’organisation de la société et le cadre réglementaire face au progrès technique que la charge idéologique que ces technologies embarquent avec elles : il faut, bien entendu, reconnaître la formidable ingéniosité des développeurs et le potentiel économique de leurs applications. Mais il faut tout de suite ajouter que notre idolâtrie pour ces machines nous fait peu à peu basculer dans la croyance que le monde ne serait qu’un immense programme téléchargeable, que la nature, les rapports humains, les sensations, les sentiments, tout pourrait être codé et répliqué.
Cette idéologie simpliste en vaut bien une autre, à vrai dire complémentaire, qui consiste à considérer chaque création sous un prisme moral. Le Sabbath de Philip Roth, les nus de Degas, la Belle au Bois Dormant de Disney… On ne compte plus les œuvres conspuées pour outrage aux bonnes mœurs. Pendant que les IA découpent l’art en formules mathématiques, les nouveaux censeurs traquent le moindre signe de déviance pour lui intenter un procès en surfant sur les vertus de l’époque. D’un côté, la gouvernance par les nombres. De l’autre, l’empire du bien.
« L’avenir de cette société est de ne plus pouvoir engendrer que des opposants ou des muets » prévenait Philippe Muray il y a trente ans. Il semble aussi qu’elle ne puisse rien produire que des codeurs ou des sermonneurs. Deux tendances qui n’en forment en réalité qu’une, celle d’un esprit de système enfermant le réel dans des certitudes binaires. L’art, dans ce contexte, ne peut plus ni surprendre ni aiguiser l’esprit critique. Il colle aux lois probabilistes de la rentabilité d’une part, de l’irréprochabilité morale de l’autre. Il n’est plus qu’une série d’instructions modélisables pour âmes sensibles.
La littérature face au kitsch
Bien sûr, ce conformisme atteint son paroxysme lorsque le code devient censeur, autrement dit lorsque les IA contribuent elles-mêmes à diffuser la bonne parole. L’auteur de ces lignes a fait les frais de ces fameux « biais algorithmiques » au moment d’écrire la dernière partie de Simulacre1. Pour rendre crédible le suicide d’un personnage se jetant du haut d’une tour, il a demandé à ChatGPT à partir de quelle hauteur la chute devenait mortelle. L’échange a tourné court : l’IA lui a immédiatement conseillé d’engager une psychothérapie.
Ces filtres de bienséance, ce refus de l’inacceptable, c’est exactement ce que Kundera désignait sous le terme « kitsch ». « Au royaume du kitsch totalitaire, les réponses sont données d’avance et excluent toute question nouvelle »2. Étant donné leur fonctionnement probabiliste et leur esthétique tiédasse, fidèles compagnes du « pas de vague » d’un Occident qui ménage les susceptibilités, nous vivons avec les IA un phénomène inédit d’extension du domaine du kitsch. De l’Est, le kitsch s’est étendu vers l’Ouest. Du communisme soviétique, il a gagné le capitalisme siliconé. Ses formes ont changé, certes : il ne joue pas cartes sur table, il n’exclut pas le déviant avec fracas comme dans les romans de Kundera ; il préfère le reconduire discrètement vers la clinique pour qu’il se refasse une santé (mentale). Il n’est pas non plus l’émanation d’un parti disciplinaire qui surveille et punit ; il s’appuie sur des intelligences factices, algorithmiques, nouveaux avatars des sociétés de contrôle, pour infléchir et conditionner nos comportements. Mais sa raison d’être est la même : exclure de son champ de vision tout ce qui n’adhère pas aux causes parfaites. L’intelligence artificielle, dans cette perspective, n’est plus l’instrument au service de la création. Elle instrumentalise le créateur en assénant ses vérités. Elle devient une arme de kitsch massif contre la « sagesse de l’incertitude », si chère à Kundera.
Pas de fatalité pour autant ! Surtout en ce qui concerne la littérature. Car si l’art du roman a pour vocation d’élucider l’existence, de révéler par conséquent nos illusions et nos mensonges, de débusquer les idéologies contemporaines, de révéler les conformismes, les lieux communs, tout ce qui coïncide avec l’ère du temps, alors ce monde régi par des « IA oui-oui » offre un excellent terrain romanesque. Il est le nouveau théâtre de l’éternelle comédie humaine, plus que jamais gouvernée par les nombres et les tartuferies dont le roman se fera un plaisir de rendre compte. En dépit des apparences, les romanciers ont donc de l’avenir. À condition, bien sûr, qu’ils soient encore lus.
Ces lignes ont été écrites par un humain de chair et d’os, sans support algorithmique, et aux vertus discutables.
Voilà plusieurs jours que la GPA refait surface dans le débat public en France, avec la polémique suscitée par la naissance des jumeaux qui seront élevés par Simon Jacquemus et son compagnon. Quatre mots de Marion Maréchal postés le 23 avril en réponse sur X « où est la maman ? » auront suffi à réveiller le camp du bien. Une polémique qui enfle, propulsée à vive allure par les réseaux sociaux, mais pas dans le sens que nous aurions imaginé. L’interdit juridique est aujourd’hui toléré voire encouragé et toute réaction remettant en cause ces pratiques devient proscrite ; le règne de la bien-pensance a encore de beaux jours devant lui.
🗣 "Ces propos sont homophobes"
➡ La ministre Sarah El Haïry s'indigne des propos de Marion Maréchal à l'égard des enfants nés par GPA du créateur de mode Simon Porte-Jacquemus pic.twitter.com/EzfN2araXH
Dans ce contexte, nous, les opposants à la gestation pour autrui et défenseurs de la famille, sommes attaqués de toutes parts par les progressistes, wokistes, transhumanistes voire même anticapitalistes… cherchez l’erreur. Des attaques qui n’émanent pas que du show-business, puisque nombre de ministres au gouvernement tentent désespérément d’invectiver les opposants, en criant à l’homophobie. Encore une fois, on se trompe de cible. Pourquoi Mesdames El Haïry et Thévenot s’obstinent tant à défendre le choix du couple Jacquemus? Une fois n’est pas coutume, on nous rabâche le sacro-saint argument du droit à l’enfant, envoyant au bûcher toute opposition par procès d’extrémisme. N’est-il pas permis de réagir lorsqu’on nous vante les mérites d’une pratique formellement proscrite par le droit français ? N’est-il pas normal de défendre le corps de nos mères, de nos sœurs ? La vie ne se marchande pas. Le respect du corps des femmes ne passe-t-il pas la garantie totale de l’indisponibilité ? On nous prétend l’inverse, dans un argumentaire qui définit la gestation pour autrui comme un progrès en matière de procréation, dans un contexte de faible natalité en Occident et d’égalité à tout va, tel un énième caprice du « droit absolu à l’enfant ».
Mais qu’est-ce que la vie pour nos chers progressistes, dont le rapport à l’éthique s’amenuise sous nos yeux, hélas, privilégiant les revendications lobbyistes au réel ? Ce constat amer, qui réduit désormais l’Homme à un simple objet ou un bien marchand, prend source lorsque l’ultra libéralisme sociétal a valeur de référence. N’est-il pas légitime de combattre la marchandisation du corps des femmes, ou plutôt « d’individus disposant d’un utérus » pour parler inclusif, non pas pour des motifs économiques mais par simple respect du corps de chacun ? L’indisponibilité du corps humain, sa « non-patrimonialité » telle que défendue dans le Code civil, au travers des articles 16-1 à 16-9, est notre dernier rempart, l’ultime, face à cette pratique dont les termes dérivés fleurissent.
Parmi eux, la « GPA éthique », autrement dit sans rémunération et pour laquelle des candidats aux européennes en font un argument, tel que le candidat socialiste Raphaël Glucksmann, vantant ainsi les mérites d’un vulgaire échange de bons procédés entre individus tels que le troc. Dans « GPA éthique » je vois plutôt un oxymore, deux termes associés dans le seul but de nous faire avaler la couleuvre de ce contrat marchand entre individus. L’amour ne s’achète pas et la procréation n’est pas une transaction.
Un curieux silence à gauche
Où sont les féministes et néoféministes, prônant jour et nuit sororité et indépendance du sexe féminin ? Où sont les femmes d’extrême-gauche, qui honnissent par-dessus tout le grand capital ? Où sont les écologistes, qui devraient être vent debout face au bilan carbone d’une GPA effectuée à l’autre bout du monde ? Et enfin, où sont les humanistes face à la contractualisation d’un enfant à naître ? Nulle part. Un silence qui donne matière à réflexion et qui en dit long, très long, sur l’irrespect du corps humain prôné dans cette partie de l’échiquier politique. Récemment l’IVG a été constitutionnalisé, au terme de plusieurs d’échanges vifs au parlement, une fois n’est pas coutume, en transposant la sociologie et les problématiques purement américaines sur les nôtres. Que se passera-t-il si un jour la GPA est autorisée en France ? La femme ou plutôt l’incubatrice pourra-t-elle faire prôner son droit à l’avortement alors qu’elle est soumise à un contrat de droit commercial ? L’interruption d’une telle grossesse engagera-t-elle réparation, mais aussi des dommages et intérêts envers les acquéreurs ?
L’être humain n’a pas vocation à devenir un bien marchand. S’il y a justement un principe à constitutionnaliser et de toute urgence, c’est l’indisponibilité du corps humain, en vertu de sa dignité, terme qui semble avoir été catégorisé progressivement parmi les gros mots. Cette inviolabilité du corps humain en France nous interdit, et heureusement, de fixer un prix pour un enfant à naître et proscrit également la vente d’organes sur le marché, tel un rein pour se procurer le dernier smartphone en vogue. Mais pour combien de temps encore ?
Alors oui, protégeons la sacralité de l’Homme, du respect d’autrui, du cours naturel de la vie et des lois de la physique. Le corps vaut bien mieux qu’un contrat et l’éthique, la vraie, doit impérativement avoir valeur de référence face à une idéologie toujours plus mortifère et surtout, destructrice. Préservons la famille pour préserver la France.
Les islamo-gauchistes semblent échouer dans leur relance d’un Mai-68, malgré les efforts conjugués d’une Rima Hassan, d’un Louis Boyard ou d’un Aymeric Caron.
L’islamo-palestinisme fait pschitt. En France, il ne fera pas son Mai-68. Son projet révolutionnaire, applaudi jusqu’en Iran par l’ayatollah Khamenei, reste un épouvantail aux yeux du plus grand nombre.
Bellamy tient tête aux bloqueurs de Sciences-Po
Son entrisme au cœur de Sciences-Po et de quelques universités n’arrive pas à mobiliser les étudiants, au-delà du noyau dur des radicaux, éternels idiots utiles des idéologies totalitaires. Les lycéens pro-palestiniens, qui promettaient des blocages d’établissements pour lundi, ont raté également leur entrée. Quant aux banlieues islamisées, pourtant solidaires du sort des habitants de Gaza, rien n’indique qu’elles iront rejoindre les embrigadés qui brandissent des drapeaux palestiniens et portent le keffieh.
Nous n’accepterons jamais que l’extrême-gauche tente d’imposer son idéologie dans nos amphis. pic.twitter.com/Gd4CiqfKYT
Mardi, ils n’étaient qu’une poignée à avoir tenté, avec le soutien du député LFI Louis Boyard, une nouvelle occupation des locaux parisiens de Sciences-Po. François-Xavier Bellamy, tête de liste des LR aux Européennes, a su incarner, par sa courageuse présence sur place, la résistance éclairée à cette subversion dogmatique. Celle-ci ne s’exprime que par slogans et invectives. D’ailleurs, à observer l’indigence intellectuelle de ceux qui réclament, obéissant aux souffleurs, une Palestine libre (« Free Palestine »), c’est-à-dire libérée des Juifs, revient en mémoire ce qu’écrivait Marx en 1852, au début du 18-Brumaire de Louis Bonaparte : « Hegel fait quelque part cette remarque que tous les grands événements et personnages de l’histoire se produisent pour ainsi dire deux fois, mais il a oublié d’ajouter : la première fois comme une grande tragédie, la deuxième fois comme une farce sordide ». On est là dans la farce sordide.
Autant Mai-68 fut euphorique et libérateur – votre serviteur avait 15 ans et en garde un souvenir avant tout festif – autant cette tentation mimétique de la table rase au nom de la charia porte en elle, comme un boulet, la pesanteur austère et liberticide de l’idéologie islamiste. L’appel à la soumission aux règles théocratiques accompagne la cause palestinienne comme une ombre noire. L’indifférence portée par les antisionistes aux Israéliens massacrés le 7 octobre par les sicaires du Hamas et aux otages encore détenus à Gaza (dont trois Franco-israéliens), dit l’hémiplégie mentale des prétendues belles âmes et leur pente vers l’antisémitisme.
La France résiste encore à la tyrannie des minorités
Plus généralement, l’échec du soulèvement islamo-gauchiste dans les universités françaises laisse voir les limites de l’influence nord-américaine, elle-même subvertie par la tyrannie des minorités. Si l’université de Columbia inspira utilement, à l’époque, le mouvement soixante-huitard français dans sa libération joyeuse de la parole et des mœurs et dans ses protestations contre la guerre au Vietnam, cette même université américaine, et bien d’autres, n’exportent plus que le pire de la censure et de l’intolérance au nom du rejet de la guerre à Gaza. Les Etats-Unis sont devenus, à travers leurs idéologues progressistes, les promoteurs des dérives raciales et wokistes qui alimentent le procès permanent de l’Occident. En France, une résistance à cette offensive semble se mettre en place. A suivre…
Portrait en arabesque du matador Juan Bautista par Yves Charnet, le fils prodige de Nevers
Quand on aime un auteur, en l’espèce un écrivain de la déchirure et du manque, on ne le blâme pas de trop écrire. Un écrivain est fait pour usiner, pour produire, pour se délester, pour noircir et encrer nos nuits. Vous connaissez mon admiration pour Yves Charnet, écrivain des bordures, des interstices, de la vue en éclaté, du débord syllabique et du journal implorant. Révélé par Denis Tillinac, au temps où les Hussards guerroyaient dans les antichambres de Saint-Germain-des-Prés, au temps où l’idéologie ne guidait par les poètes encartés, au temps où les dissidents s’amusaient de leur propre dissidence. Chez d’autres, le trop-plein m’ennuie, je perçois les insincérités et les roublardises inhérentes aux professions « artistiques » ; chez lui, parce que c’est un styliste, que sa phrase s’arcboute au réel, parce qu’il détourne les mots, s’en pourlèche, les tord à discrétion, que des sons étranges et nouveaux viennent tinter à notre oreille, j’admets toutes les impudeurs et les prouesses langagières. Il est ce gisant bien vivant, flagellant devant l’éternel qui ne reculera devant aucun totem. J’aime profondément son « bazar », il me rappelle les marchands à 1 franc des foires berrichonnes de mon enfance. L’étal dégueulant d’objets inutiles et faramineux, du plastique aux vertus ménagères et érotiques, du gadget clinquant qui aide les déracinés à ne pas avoir peur, le soir venu des fantômes du passé. Le paradis pour les campagnards en déshérence. Chez Charnet, il y a des couleurs à profusion, des douleurs innommables, des génuflexions, des bravades, et ce que je considère comme le substrat de la grande littérature, ce mariage contre-nature entre une culture populaire, qui suinte les bals et les sous-bois, et une culture plus élitiste, celle qui se nourrit de lectures et d’un savoir livresque. Je crois que là, à ce croisement incertain que tant d’écrivains ont peur d’aborder par incapacité, Charnet règne en magicien d’Oz. Il peut vous citer Sardou et Montherlant, Jean Cau et Julio Iglesias, Lorca et Lama dans un même coup de rein salvateur, il vous embarque sur un tube élimé de Johnny, exsangue à force de l’avoir trop écouté dans son transistor, c’est pour mieux vous guider vers un Pirotte, funambule des vendanges tardives. Cette fois-ci, Charnet réédite ses Lettres à Juan Bautista dans une nouvelle version (Vingt ans après) au Diable Vauvert. Le texte a été adapté au théâtre avec succès par le comédien Arnaud Agnel. D’abord et toujours, la forme sédimente le propos chez ce fils en pointillé. Elle est, une fois de plus, fugace, éphémère, donc terriblement bouillonnante car elle ne s’accroche pas à un genre particulier. Ce n’est ni un roman, ni un essai, un portrait peut-être mais incarné, charnellement incarné, ce texte ne ressemble à rien de que nous lisons habituellement. Il n’a pas la facture trafiquée des prosateurs monolithiques qui écrasent la puissance du verbe par des mots lessivés. Il est poétique, grandiloquent, il susurre parfois, à d’autres moments, il crie, il lacère l’horizon, il s’embourbe, se démène comme un beau diable pour extraire quelques formules lapidaires. Ces lettres racontent une adoration, une illumination, quelque chose qui trouble la vue à jamais. « Le 14 avril 1999 j’ai pénétré dans un autre monde » dit-il, faisant cet aveu : « Je ne connaissais rien de la folie corrida ». Comme tous les éclopés célestes, Charnet s’est accroché à une lumière. Il s’est trouvé un frère dans l’arène. Le Neversois de bar-tabac, empêtré dans les imprimés et les tubes « platine », ligérien par hasard, très loin des taureaux et des dramaturgies sablonneuses, très loin d’Arles et de son onde taurine, a découvert « un poète stoïque de ce qu’on ne verra jamais deux fois ». Charnet se garde bien de commettre un essai vaseux et ampoulé sur l’art de toréer, sur le folklore enguirlandé, Charnet nous parle du petit Jalabert, Jean-Baptiste de son prénom – comme Molière – qui s’appellera Juan Bautista et fit une carrière éclatante au début des années 2000. Charnet évoque cette vision sans user de superlatifs, d’alcools forts et de volutes alambiquées. Il écrit son admiration et son affection pour les matadors, « ces anges aux visages graves », sans les habituelles ritournelles de la mise à mort et de sa projection funeste. Il ne psychologise pas, il crée de la littérature, il tente de s’approcher de l’impensable, c’est-à-dire capter les fragments de la beauté du monde. Quel autre écrivain que lui peut balancer cette phrase sèche, sans repentance, ni gloriole : « Ça reste une drôle de façon de rester fidèle au monde d’avant. La corrida ».
Lettres à Juan Bautista (vingt ans après) de Yves Charnet – Au Diable Vauvert. 400 pages.
Le musée d’Orsay célèbre les cent cinquante ans de l’impressionnisme. Pour l’occasion, toutes les stars des cimaises sont réunies, Monet, Degas, Renoir, Morisot, Pissarro… et une partie du Salon de 1874 est reconstituée pour montrer l’ennui de la peinture académique. Une vision binaire de la création à la Belle Époque.
Hormis ceux qui reviennent de Mars, nul n’ignore que nous célébrons cette année les cent cinquante ans des impressionnistes. Leurs tableaux sont partout, dans la presse, sur les mugs et, bien entendu, dans les musées. Orsay leur consacre une exposition « anniversaire » qui plaira légitimement aux amateurs. Cependant, le trop est parfois l’ennemi du bien. L’impressionnisme est devenu l’inévitable vache à lait des musées, ainsi qu’un prétexte au rabâchage du grand récit de la modernité et à l’occultation de la merveilleuse diversité artistique de la Belle Époque.
Oui‑Oui au pays des impressionnistes
Le dispositif du musée d’Orsay se prétend une « confrontation inédite ». Pourtant, peu de choses ont changé depuis le centenaire, il y a cinquante ans. L’impressionnisme semble être une recette que l’on ressert indéfiniment. J’ai ainsi été frappé de retrouver la même affiche. Ensuite, sur place, même principe : un choix de peintures impressionnistes et leurs commentaires dithyrambiques avec, un peu plus loin, les affreux, ou supposés tels, du Salon officiel.
Deux apports, toutefois. D’abord, la célébration s’étend à trente-quatre institutions en province. Ensuite, il est proposé un voyage immersif en réalité virtuelle « au pays des impressionnistes » (45 min). C’est une merveille technologique à ne pas rater. En ce qui concerne le scénario, les gentils impressionnistes se présentent comme une sorte de Club des cinq, tous unis contre les méchants académistes. Un narrateur à la Oui‑Oui nous vante la vie, la couleur et le plein air.
Ces artistes constitueraient, en outre, le « clan des révoltés ». Un exemple mis en avant est celui de La Gare Saint-Lazare de Monet (1877). On y voit une locomotive arrivant à quai en vapotant aimablement de petits nuages roses et bleu pâle. Cela semble une bluette, mais le cartel affirme sans rire que c’est une œuvre d’une « grande radicalité ». En fin de compte, avec l’impressionnisme, il est proposé un art nullement dérangeant avec, en prime, cette gratification narcissique qui consiste à se croire du côté des rebelles.
Naissance hasardeuse
La première exposition a eu lieu en 1874, dans l’entrepôt de Nadar. Les participants ne sont pas réunis par un idéal artistique. Ils doivent exposer par leurs propres moyens à défaut d’être admis au Salon. Seuls sept artistes sur trente et un peuvent être considérés comme impressionnistes. Un grand invité, De Nittis, sert de caution. Manet, quant à lui, ne veut pour rien au monde être assimilé à ces miteux. Il a beau s’impatienter parfois de certaines limitations, il a ses entrées au Salon. Il y entraîne même sa maîtresse et modèle, Victorine Meurent.
L’exposition de 1874 a longtemps été présentée comme un « choc » où « le public, les artistes et les amateurs, malgré leur incompréhension, prennent conscience d’une rupture et d’une nouvelle orientation de l’art ». Il n’en est rien. Cette exposition n’a rien d’un séisme. Quatre œuvres seulement trouvent preneur. On estime le nombre des visiteurs à 3500, ce qui est très peu. L’écho dans la presse est un peu moins mauvais, sans doute grâce à l’implication de Zola.
Plusieurs expositions du même type se succèdent, mettant à rude épreuve les nerfs et les finances des participants. Deux arrivées vont changer la donne. D’abord, celle de Gustave Caillebotte (1848-1894). Richissime rentier, il pratique une peinture en amateur proche de l’impressionnisme. Son idée est de faire connaître sa production en s’intégrant au groupe existant et en finançant l’agenda.
Une seconde figure importante est celle de Paul Durand-Ruel (1831-1922). Cet audacieux marchand développe un réseau de relais à l’étranger et s’assure de la totalité du stock des artistes retenus pour travailler leur cote. Il vise de grands collectionneurs, notamment russes et américains, animés par un esprit de spéculation intellectuelle, mais aussi financière. Les artistes reconnus du moment ne les intéressent pas, aussi sont-ils prêts à parier de grosses sommes sur des créateurs en position de challengers. Durand-Ruel va leur proposer les impressionnistes et consorts.
L’impressionnisme, point de départ du grand récit de la modernité
L’impressionnisme et ses suiveurs restent longtemps perçus comme des mouvements parmi d’autres. Cependant, dans le premier tiers du XXe siècle, les modernes cherchent à s’affirmer et à produire un grand récit justificateur. Pas besoin de remonter à Giotto : on prend Manet et l’impressionnisme comme point de départ de la saga de la modernité.
Plus tard, en 1986, est créé le musée d’Orsay. La lettre de mission fixe comme objectif de faire connaître la période de 1848 à 1914 « dans toutes ses composantes ». Malheureusement, les dispositions d’esprit des conservateurs, et tout particulièrement celles du maître des lieux, Michel Laclotte, ne s’y prêtent guère. Il exclut d’entrée de jeu les artistes qui perturbent ses convictions, comme Bouguereau, Rochegrosse, etc. Grâce à une politique d’accrochage fort partisane, il s’applique notamment à imposer des « hiérarchies », avec, tout en haut, l’impressionnisme, summum du bon goût français.
Quand on parcourt la liste des expositions temporaires au musée d’Orsay, on mesure le parti pris. En effet, en moins de quarante ans, 147 expositions sont consacrées à l’impressionnisme, à ses suites et aux artistes apparentés, dont 55 centrées sur un artiste. Les symbolistes et expressionnistes bénéficient de 35 événements. Le reste, c’est-à-dire l’essentiel de la période de 1848 à 1914, est représenté par 36 expositions. Cependant, la plupart sont de petits accrochages de dessins ou la présentation d’une seule œuvre récemment acquise ou restaurée. Seules neuf expositions véritables peuvent être comptabilisées. Quatre sont des monographies d’artistes étrangers, apportées par des coopérations internationales. Dans ce vaste « reste », les peintres français ne comptent que cinq expositions, dont la plus intéressante est sans doute celle de Bastien-Lepage en 2007 (commissaire Dominique Lobstein).
C’est à se demander si le musée d’Orsay, au lieu de favoriser la découverte de l’art du XIXe dans sa diversité, n’a pas contribué, en réalité, au conformisme et à l’occultation.
Zola change d’avis
Émile Zola (1840-1902) est à la fois journaliste et théoricien de l’art. Son avis est très intéressant, car il connaît bien les impressionnistes. Au début de sa carrière, il analyse le Salon et la peinture d’histoire. Il pense que le public ne se sent pas concerné par les scènes en costume dont on l’abreuve. En outre, Zola déplore une facture souvent trop plate, lisse et des tons sombres. Il voudrait que les artistes choisissent de vrais sujets de la vraie vie, exactement comme il le fait dans ses romans. C’est le naturalisme.
Zola se consacre à l’explication et à la promotion de « ses » impressionnistes. Malheureusement, ces derniers commencent vite à montrer leurs limites. Leurs sujets restent plaisants, mais bénins. Leur style fait figure de recette un peu sommaire. D’autres artistes, plus jeunes et formés par des maîtres académiques, accompliront le projet naturaliste. En particulier, Jules Bastien-Lepage (1848-1884) fait un tabac. Ce jeune artiste conjugue une perception mélancolique de la vie rurale avec une facture enlevée d’une éblouissante richesse.
Zola et ses poulains se sentent doublés. Ils sont bien embêtés. Dans un premier temps, Zola, beau joueur, concède la primauté de Bastien-Lepage : « Sa supériorité sur les peintres impressionnistes se résume dans ceci qu’il sait réaliser ses impressions[1]. » Puis, il se met à le dénigrer. Sa Jeanne d’Arc est le casus belli. Zola, l’anticlérical, aurait préféré que la sainte fût représentée comme une sorte de cas psychiatrique « dans sa vérité scientifique ».
Bastien-Lepage meurt jeune, mais son influence est énorme dans toute l’Europe, où le naturalisme prospère à sa suite. Son retentissement, précisons-le, est bien supérieur à celui de Manet dont l’historiographie fait aujourd’hui, probablement à tort, un artiste majeur.
Après ces déconvenues, Zola laisse tomber durant trente ans son engagement artistique. Il est vrai qu’avec ses combats politiques, notamment l’affaire Dreyfus, il a du pain sur la planche. Sur le tard, il y revient cependant pour exprimer sa déception au sujet des impressionnistes. « Les germes que j’ai vu jeter en terre ont poussé, ont fructifié d’une façon monstrueuse. »« Je m’éveille et je frémis. Eh quoi, vraiment, c’est pour cela que je me suis battu ? C’est pour cette peinture claire, pour ces taches, pour ces reflets, pour cette décomposition de la lumière ? Seigneur, étais-je fou ? » Il affirme : « M. Monet a trop cédé à sa facilité de production. Bien des ébauches sont sorties de son atelier, dans les heures difficiles, et cela ne vaut rien, cela pousse un peintre sur la pente de la pacotille. » Et il ajoute : « Tous s’y sont mis. L’abus de la note claire fait de certaines œuvres des linges décolorés par de longues lessives d’une fadeur crayeuse. » Jusqu’à écrire : « J’en viens presque à regretter le salon noir, bitumineux d’autrefois. » L’impressionnisme lui paraît, avec le recul, simpliste sur le plan de la forme et gentillet sur celui des sujets. C’est aussi mon avis, même si je respecte tous ces gens autour de moi qui aiment l’ambiance impressionniste.
La mairie de Paris a une nouvelle cible dans son viseur : la place de la Concorde. Les ayatollahs de l’Hôtel de Ville sont déterminés à en bannir les voitures après les JO et à la « végétaliser » pour la rendre forcément plus festive. Une aberration urbaine et un affront à l’histoire de notre capitale.
Il fallait oser. Elle l’a fait. Anne Hidalgo s’attaque à la place qui, par son nom, incarne l’unité de la nation. La Mairie de Paris ne se refuse rien. Éléphant dans un jeu de quilles, elle a désormais dans son viseur la monumentalité royale de la place de la Concorde ; la plus grande de Paris et sûrement la plus belle du monde.
Mais pour l’Hôtel de Ville, c’est seulement un « vaste espace minéral entièrement consacré à l’automobile. L’un des pires îlots de chaleur de la capitale. » Le rapport paraphé par Anne Hidalgo poursuit : « C’est également une zone inhospitalière et dangereuse pour les piétons qui peinent à la traverser alors qu’elle représente, entre les jardins des Tuileries et les jardins des Champs-Élysées, un jalon essentiel de l’axe historique de Paris. L’obélisque qui trône en son centre est inaccessible [faux : des passages piétons permettent d’y accéder] et le patrimoine historique de la place n’est pas valorisé [vrai : la Mairie ne l’a jamais restauré, il s’effondre]. Dans la continuité des travaux d’embellissement de l’avenue et des jardins des Champs-Élysées, la Ville de Paris souhaite engager un projet de réaménagement pérenne de la place de la Concorde. La Coupe du Monde de Rugby, avec son village occupant la moitié de la place [on se souvient du carnage esthétique], et les aménagements sportifs préfigurant les Jeux Olympiques et Paralympiques l’ont montré : les Parisiens et les visiteurs sont prêts à se saisir de cet espace libéré [ils n’ont rien demandé] pour profiter pleinement de ce patrimoine historique et de cet espace public disponible [nullement question de profiter du patrimoine : ces aménagements cachent tout le paysage]. L’enjeu du réaménagement de cette place est à la fois climatique, patrimonial et paysager. »
De nombreux véhicules traversent quotidiennement la place de la Concorde mais la circulation, sur ces quelque sept hectares de pavés, a toujours été fluide ; jusqu’à ce que la Mairie nous ait donné un avant-goût de la punition collective, d’abord avec les interminables travaux de la rue Royale, puis ces derniers mois en créant de nouveaux goulots d’engorgement grâce à la pose de blocs de béton qu’elle chérit tant. C’est que, elle l’affirme : à l’issue des JO, la place sera « rendue » aux piétons. « Nous avons été élus pour transformer la ville et cela a toujours été notre volonté de ne pas faire revenir les voitures après les JO », insiste David Belliard, l’adjoint au maire en charge de l’espace public et de la mobilité. Si nous ignorions les capacités de vandalisme de la Mairie, son rapport prêterait à sourire. On lit notamment que les principaux objectifs poursuivis sont : « pacifier et apaiser la plus grande place parisienne », « renouer avec le patrimoine végétal et ses perspectives emblématiques », « offrir une nouvelle expérience et de nouveaux usages », etc. Ce charabia auquel nous sommes rompus se double cependant d’une quête de respectabilité démocratique. La Mairie a en effet créé une commission censée encadrer son projet (comique, lorsqu’on sait qu’elle s’assoit sur les vetos de la préfecture de Police). Cette assemblée, présidée par Jean-Jacques Aillagon, ancien ministre de la Culture, compte diverses et brillantes personnalités tels Stéphane Bern, le paléoclimatologue Jean Jouzel, le jardinier en chef du château de Versailles Alain Baraton, ou encore l’historien spécialiste de Paris Alexandre Gady. Ce dernier n’est pas dupe et déclare au Parisien (5 avril 2024) : « Il faut veiller à ce qu’on ne serve pas de caution à un projet contraire au génie du lieu », mais reconnaît que cette concertation est « un signe très positif, surtout après les erreurs regrettables sur certaines places comme celle de la République, transformée en mer de béton. » Ce panel de spécialistes du patrimoine s’est réuni pour la première fois début avril. En donnant le coup d’envoi de leurs travaux, Anne Hidalgo a lancé : « Il n’y a pas d’idées particulières. Ça dépendra du résultat de ce grand jus de crâne. » Qu’en termes choisis…
N’est pas vert qui veut
La place de la Concorde a connu différents états depuis sa création par Ange-Jacques Gabriel dans les années 1750. Elle a d’abord été bordée de fossés gazonnés (les balustrades encore visibles en rappellent le dessin), puis ces derniers ont été comblés et plantés de pelouses dans les années 1830, avant que l’obélisque soit érigé en 1836 et que le Second Empire, vers 1860, recouvre définitivement ces parterres de dallage de pierre. C’est cette place minérale et admirablement symétrique que nous connaissons. Là où les dingueries d’Hidalgo riment avec ses utopies, c’est que la place, aujourd’hui, ne peut retrouver ses fossés (le sous-sol est occupé par le métro), ni ses pelouses, puisque le projet prévoit aussi « des installations légères pouvant accueillir une alternance de grands événements, de manifestations culturelles et sportives, ainsi qu’une occupation plus quotidienne de l’espace public ». Les pelouses de la Concorde ressembleraient vite à celles du Champ-de-Mars : de la terre battue – et des voleurs à la tire !
Le même extrémisme qui voulait « adapter Paris à l’automobile » dans les années 1970 se retrouve de nos jours dans cette volonté de désurbaniser la ville. « Végétaliser » la Concorde ne fera pas baisser la chaleur en été. Et vouloir détruire son équilibre témoigne du mépris impardonnable de cette municipalité à l’égard de notre patrimoine.
S’ils veulent de la fraîcheur, les néo-Saint-Just de l’Hôtel de Ville devraient regarder du côté du Cours-la-Reine, splendide promenade ombragée plantée par Catherine de Médicis le long de la Seine, entre la Concorde et l’Alma, totalement délaissée.
La plus belle place du monde, urbaine par excellence, est précisément mise en valeur par les feuillages des jardins des Tuileries et des Champs-Élysées. Elle est sertie par leur verdure comme une pierre précieuse est enchâssée dans sa monture. Elle est le trait d’union qui permet de comprendre cette perspective immuable, entre le Louvre et l’Étoile, imaginée par Le Nôtre.
Que Madame Hidalgo ose tout car c’est à ça qu’on les reconnaît est une chose ; qu’on la laisse faire par paresse ou lâcheté, ça, c’est inexcusable.
« Pour que Bernard Menez chante à l’ouverture des JO 2024 » enflamme la toile
C’est une vague qui vient des profondeurs du pays. Inarrêtable. Déjà, les réseaux sociaux ne peuvent plus taire cette secousse sismique qui dit tout de notre vieille nation abîmée et malgré tout, sauvagement insoumise. Elle n’abdiquera pas. Elle ne renoncera pas à sa mission première : c’est-à-dire montrer qu’un autre chemin est possible. Une forme de résistance, une clameur des terres abandonnées, un appel à retrouver cet esprit français qui faisait de nous, jadis, un phare de la civilisation. L’alliance contre-nature entre le cinéma d’auteur et la gaudriole assumée, le fil étroit de nos incertitudes où l’on s’émouvait d’un second degré, aujourd’hui trop altier pour nos contemporains avides de procès et l’attirance pour cette poésie ébréchée d’une variété boulevardière. Entre la cinéphilie propédeutique et le sillon troupier. Entre « La Nuit américaine » et « Les Lolos de Lola ». Entre l’érotico-comique et la fugue buissonnière.
Les oubliés de la flamme olympique
Cet élan populaire, si longtemps reflué, si longtemps combattu par la sphère médiatique, explose sur la toile. La fronde des oubliés des cérémonies ne fait que commencer. Croyez-moi, elle va enfler et déborder les lignes. Attendez-vous bientôt, dans les rues de Paris, à voir des jeunes femmes porter des tee-shirts à l’effigie de Bernard Menez et, toutes générations confondues, des enfants et des vieillards qui montreront ostensiblement devant les caméras du monde entier leur doigt meurtri, enrubanné dans un pansement, en signe de rébellion festive, en signe de contestation rieuse. Chaque jour, des centaines d’adhésions affluent sur le groupe Facebook récemment créé. Des communautés disparates se consolident, un arc lumineux et improbable s’anime entre les admirateurs de Jacques Rozier et ceux de Pascal Thomas.
Tout un monde englouti refait surface, on évoque la mémoire de Daniel Ceccaldi et sa voix de technocrate endimanché, on se souvient d’un nanar avec Christopher Lee et certains demandent solennellement à l’administration française que notre nouvelle Marianne affiche le visage d’Élisa Servier dans toutes les salles de mariage de France. Nous sommes à l’aube d’un grand mouvement de libération et d’émancipation qu’aucun politicien ne pourra stopper et qu’aucun politologue n’a vu advenir. C’est mal connaître les entrailles de notre pays que de toujours sous-estimer cette ferveur populaire, le goût du pas-chassé, de l’irruption du réel cabossé, et de la franche rigolade. Salutaire et chevaleresque. Comme l’insurrection des « gilets jaunes » stupéfia les plus fins analystes, « Jolie poupée » est un nouveau cri de ralliement, une manière de s’affranchir des postures dogmatiques et de refuser le sérieux courroucé de nos élites.
Sursaut tricolore
Des milliers d’hommes et de femmes, sans carcan, sans œillères, le cœur vif et le sourire au coin des lèvres, se réunissent virtuellement en ce moment-même et s’engagent derrière un seul homme. Les Marseillais ont eu Jul le 8 mai, la France réclame Bernard Menez le soir du vendredi 26 juillet. Cette dissidence-là est un sursaut, un courant d’air, une suspension dans le tunnel des jérémiades continuelles, une bifurcation blagueuse et potache, à la confluence de Sacha Guitry et de Max Pécas, l’horizon enfin débarrassé de toutes les génuflexions, un retour aux sources d’une France qui s’amuse de son image de fille aînée de l’intelligentsia. Bernard est du côté de Pierre Dac et du Petit Rapporteur, « Oh jolie poupée » propagera son onde comme « La pêche aux moules » s’empara des cours de récréation au milieu des années 1970. Bernard né quelques jours avant la Libération de Paris en 1944 est l’interprète idéal pour cet événement planétaire. Il porte admirablement le smoking avec cet air détaché et naïf dans la même lignée que Bourvil. Il a la maturité et l’expérience, 79 ans, pour ne pas chavirer devant une foule en transe. Il bouge de façon fort peu académique, ce qui accentuera l’étrangeté et la stupeur de son apparition.
Imaginez la tête des petits Indiens, Coréens ou Finistériens quand Bernard entamera le premier couplet de « Jolie Poupée », cette ode aux travaux manuels. De cette incompréhension délicieuse, naîtra un art nouveau qui viendra tordre les temps obséquieux. Les anneaux s’enorgueilliraient à intégrer Bernard dans leur dispositif scénique. Au plus haut sommet de l’État, on ne pourra pas rester sourd à cette demande populaire.
Victime d’une agression sauvage, Salman Rushdie lève donc le voile sur sa longue et douloureuse reconstruction dans son dernier livre.
C’était le 12 août 2022, à dix heures quarante-cinq précisément. Salman Rushdie, qui, ironie du sort, donnait une conférence sur l’importance de préserver la sécurité des écrivains, vit un homme jaillir du public et foncer droit sur lui. Arrivé à sa hauteur, celui qu’il surnommera désormais l’A., lui donnera de nombreux coups de couteau, à la poitrine, à l’œil, partout. Salman Rushdie aurait pu, ou aurait dû, mourir des suites de cette agression mais c’était sans compter son incroyable instinct de survie. L’écrivain fut transporté à l’hôpital où il passa dix-huit jours. De son aveu, les dix-huit jours les plus longs de sa vie. Trente-trois ans plus tôt, Salman Rushdie avait été l’objet d’une fatwa prononcée par l’ayatollah Ruhollah Khomeyni, suite à la parution de son livre Les versets sataniques. Les deux événements n’ont cependant aucun lien entre eux. Son agresseur n’ayant jamais lu ni ce livre, ni aucun autre de l’écrivain. Pourtant la première pensée de Salman Rushdie quand il vit l’homme fondre sur lui fut : « Pourquoi maintenant ? Vraiment ? Il s’est passé tant de temps. Pourquoi maintenant, après toutes ces années ? » Cette interrogation ne cessera de le hanter, tout comme les signes prophétiques de cette agression : les premiers mots des Versets sataniques, « Pour renaître, chantait Gibreel Farishta en tombant des cieux, il faut d’abord mourir » ou l’image d’un mort au sol tandis que son assassin se tient au-dessus de lui, un couteau ensanglanté à la main, point de départ de son roman Shalimar le clown.
Dans les jours qui ont suivi, une fois que le pronostic vital n’était plus engagé, l’écrivain et sa femme ont perçu la nécessité de faire un compte rendu de ce qui venait de se passer. Ils se sont donc mis à tenir une sorte de journal vidéo, audio et photographique qui n’avait pas vocation à être rendu public. Il n’était pas encore question de l’écriture du Couteau ni d’un quelconque autre livre. L’auteur des Versets sataniques étant alors tout entier occupé à survivre. Très vite pourtant est venue l’idée de ce texte qui relate une reconstruction aussi bien physique que mentale. « Écrire serait pour moi une façon de m’approprier cette histoire-confesse-t-il, de la prendre en charge, de la faire mienne, refusant d’être une simple victime. J’allais répondre à la violence par l’art. » S’ensuit un récit d’une force peu commune, retraçant les différentes étapes de sa guérison jusqu’à l’acceptation, ô combien difficile, de la perte de son œil. Sa femme sera, dans ce combat, une alliée essentielle. « L’amour était une force réelle écrit-il, une force qui guérit ». Que ce soit celui des siens, celui du public ou celui de ses lecteurs. « Il est toujours difficile d’écrire sur les syndromes post-traumatiques, d’abord à cause du traumatisme, de la quantité de stress, et des troubles qui en résultent ». Salman Rushdie s’y est pourtant employé, signant un livre d’une authenticité qui force le respect. Raconter cette traversée était essentiel mais plus encore, sans doute, rappeler son combat contre les intégrismes et pour la liberté.
Le Couteau de Salman Rushdie, Gallimard, 269 pages
Geneviève de Galard, « l’ange de Dien Bien Phu », n’était pas la seule femme dans cet enfer… La bravoure des prostituées oubliées hante les souvenirs des combattants rescapés.
En cette saison, il est fort plaisant de s’offrir du muguet ou de fêter l’armistice du 8 Mai 1945. Il est en revanche plus rare de commémorer la bataille de Diên Biên Phu qui marqua, en mai 1954, la fin de la guerre d’Indochine. Difficile d’imaginer des femmes dans cet univers martial empreint de virilité. Elles étaient pourtant bien présentes à Diên Biên Phu, même si trop peu de reportages ou documents historiques les évoquent.
L’ange de Dien Bien Phu
À Diên Biên Phu, alors que les combats font rage depuis plusieurs semaines, la jeune Geneviève de Galard, convoyeuse de l’armée française, s’improvise infirmière et son dévouement est tel qu’elle est rapidement surnommée « l’ange de Diên Biên Phu », surnom qui lui restera bien après la guerre. Son courage lui vaudra de nombreuses décorations militaires dont la Légion d’honneur avec mention : « Restera pour les combattants […] la plus pure incarnation des vertus héroïques de l’infirmière française ». Elle écrira son autobiographie et restera dans l’Histoire comme « la seule femme du camp[1] ». Élaborer un très joli mythe, si possible virginal, permettait probablement à l’Armée et à la France d’adoucir l’amertume de la défaite.
Car ce qui est passé sous silence, c’est qu’elle n’est pas seule dans cet enfer. En mai 1954, d’autres silhouettes féminines s’agitent dans une atmosphère apocalyptique. Il s’agit des prostituées du bordel militaire de campagne de Diên Biên Phu. Avant l’ultime assaut, ordre est donné d’évacuer les civils. Une vingtaine de prostituées, de toutes nationalités, refusent et choisissent de rester. Elles endossent alors les rôles de cuisinières, d’infirmières, ou encore d’aides-soignantes et assistent les mourants avec une telle ferveur que le médecin commandant les compare à des « anges de la miséricorde[2] ». Étaient-elles complètement inconscientes de ce qui allait se jouer dans les prochains jours ? Avaient-elles noué des liens si profonds avec les soldats du camp qu’elles ne se sentaient pas de les abandonner ? Était-ce par devoir patriotique ou simple souci de se rendre utile ? Hélas, aucun témoignage ne nous permet de connaître avec certitude ce qui a motivé leur choix mais, en apprenant que certaines d’entre elles sont allées jusqu’à participer aux combats et se sont « battues comme des furies »[3], il me plaît à penser qu’elles y ont vu l’occasion de racheter leur âme, ou, tout du moins, leur honneur.
Tombées dans l’oubli
Quand les combats cessent enfin, Geneviève de Galard est faite prisonnière avec les soldats français. En revanche, le sort des prostituées survivantes est plus incertain même si elles semblent avoir été froidement exécutées par les combattants Vietminh à la reddition le 8 mai 1954, le droit de la guerre ne s’appliquant pas dans leur cas. Non seulement leur dévouement et leur héroïsme ont été complètement passés sous silence mais leur existence même a été effacée des manuels d’histoire. Il faut dire que si la présence de ces prostituées sur le camp était déjà gênante pour l’Armée, leur héroïsme en devenait carrément embarrassant. Gare à ceux qui, par leur témoignage, ont osé contredire la version officielle. Ils ont été priés de se taire ou bien frappés de censure, à l’instar du médecin commandant Paul Grauwin dont les Mémoires, écrits en 1954, ont été modifiés avant publication pour ne pas ternir l’image de l’Armée.
Ironie de l’histoire ou comble de l’injustice : les points d’appui du camp avaient été baptisés de prénoms féminins. L’Histoire retiendra cette anecdote militaire et les vétérans, dans les nombreux documentaires sur la guerre d’Indochine, évoqueront encore avec émotion, des années plus tard, le moment où Isabelle, Béatrice, ou encore Éliane sont tombées. Sans surprise, il n’est jamais fait mention de celles dont personne n’a retenu le nom et qui sont pourtant, elles aussi, tombées, non seulement à la guerre mais également dans l’oubli. Il faudra attendre plusieurs décennies pour que ces femmes réapparaissent timidement, fantômes de Diên Biên Phu, au détour d’un témoignage ou d’un article de presse[4].
Des femmes que nos néoféministes n’entendent pas sortir de leur « invisibilisation »
Ce fait n’est cependant pas propre à l’Armée. Il s’inscrit au contraire dans une longue tradition d’invisibilisation des prostituées qui perdure de nos jours, non seulement dans l’Histoire mais également dans les médias, la culture et la société d’une manière générale.
Ces dernières années, le mouvement féministe et wokiste s’en donne pourtant à cœur joie quand il s’agit d’exhumer de l’Histoire des femmes qui en auraient été injustement effacées. Si, en plus d’être talentueuses ou méritantes, celles-ci se révèlent, de surcroît, avoir été privées de postérité au profit d’un mari ou d’un homme de leur entourage, ce n’en est que plus jouissif pour ces apprentis-justiciers qui ne se privent pas de les ériger en martyres du patriarcat. On aurait aimé y voir une manne inespérée, bien que tardive, pour les prostituées oubliées, de Diên Biên Phu ou d’ailleurs. Hélas, les nouvelles héroïnes, à la morale immaculée, semblent plutôt choisies au regard d’un néo-féminisme dont la plupart des mouvements préfèrent exclure les prostituées de leur lutte. Cette sélection donne lieu à une nouvelle discrimination, ultime insulte pour celles qui en avaient déjà été victimes une première fois et qui, depuis, reposaient peut-être en paix. Réhabiliter la mémoire des femmes : oui, mais pas toutes.
Soixante-dix ans après, il semble un peu tard pour donner aux prostituées de Diên Biên Phu les honneurs militaires ou civils qu’elles mériteraient, mais, peut-être, simplement, comme une ultime excuse, dire qu’elles ont été et ce qu’elles ont fait.
Et si la prévention de l’hyperviolence des mineurs commençait par la résolution de leur donner envie d’aimer la France ? De la sorte, éducateurs et éduqués commenceraient peut-être par regarder dans la même direction…
A la suite de nombreux faits divers (que d’aucuns désirent plutôt qualifier de faits de société), les hommes politiques français s’interrogent sur les raisons de la violence des mineurs. Plusieurs explications ont été apportées à ce phénomène qui tend à se répandre. « Ensauvagement » entend on à droite, « perte des repères », à gauche…
Cependant, en envisageant le problème plus largement, en élargissant la perspective et en abordant le problème en amont, l’observateur ne tarde pas à s’apercevoir que la clé de l’affaire réside moins dans la complexion psychologique, mentale ou spirituelle des mineurs que dans celle des adultes ! Car le mineur n’est jamais vraiment une entité individuelle en soi : il est d’abord le fruit des actions et de l’éducation de ceux qui le précèdent dans la chaîne de la vie.
Des baby-boomers qui ne savent plus où ils habitent
Or, si on appréhende la problématique par ce bout de la lorgnette, que constatons-nous ? Où en sont ceux à qui il incombe d’initier les mineurs à l’existence, à ses codes, ses exigences, ses devoirs, ses opportunités mais aussi à ses dangers ? L’évidence commande d’affirmer que la plupart des adultes ne savent plus « où ils habitent ». On excusera la trivialité de la formule, mais cette métaphore spatiale et d’habitat traduit bien le fait que les adultes sont tout aussi errants que les ados dont ils ont théoriquement la charge.
Qu’est-ce qui nous autorise à formuler ainsi pareil jugement ? Tout simplement le fait que beaucoup de Français, non seulement ne s’aiment plus, mais de surcroît ne savent plus qui ils sont. Ne pas s’aimer est déjà un handicap. Cependant, celui-ci peut être compensé par la connaissance de l’idéal à poursuivre et à atteindre. Mais qu’advient-il quand cet idéal n’existe plus dans les mentalités ? Comment surmonter le dégoût de soi-même quand, de surcroît, on ignore le but en direction duquel on doit fournir l’effort pour s’en extirper ? Or, telle est la condition des baby-boomers français. Non contents d’avoir tiré un trait sur l’héritage de leurs pères, ces derniers se sont fait un honneur de ne vouloir en laisser aucun à leurs descendants, leur progéniture – celle qui erre dans nos rues. Quant aux jeunes issus de l’immigration, ils ne sont pas mieux lotis, malgré le conservatisme de leurs ascendants. Eux aussi ont été contaminés par le nihilisme ambiant. Et malheureusement, par un effet de balancier, une partie d’entre eux bascule même dans le radicalisme religieux.
Les politiques intiment aux parents l’ordre de reprendre leurs gamins en main. Mais comment y parvenir s’ils ne possèdent pas un bien à leur faire désirer, un bien vers lequel tendre, un bien à inculquer ? Pour l’orateur et homme politique romain de l’Antiquité Cicéron, l’avenir d’un peuple se décidait avec la question du choix et de la poursuite « des vrais biens ». Il concluait que « la politique est nécessairement philosophie ». Or, le libéralisme culturel et politique a rendu cette poursuite des biens caduque. Selon ce courant de pensée, tout le monde a le droit de poursuivre son intérêt particulier, sans référence à un bien supérieur qui transcenderait le petit bonheur individuel de chacun, du moment que ce dernier ne gêne personne. Qui ne voit qu’avec une telle philosophie, c’est tout le corps social qui court à sa ruine, que l’anomie, l’absence de règles sociales, menacent ?
Pourquoi rappeler cette thèse centrale du libéralisme ? Parce que nos adolescents ne sont pas bêtes au point de ne pas voir que leurs aînés sont des toupies qui tournent sur elles-mêmes sans avancer dans une direction précise. Certes, peut-être ne conceptualisent-ils pas cet état de fait, mais avec leur intuition, ils en appréhendent la signification sous-jacente. Ils constatent que les adultes n’ont plus ni feu ni lieu spirituels, qu’ils ne « savent plus où ils habitent ». Et après cela, avec un tel bagage, ou plutôt avec une telle absence de bagages, on voudrait les ramener d’autorité dans le droit chemin ? C’est mettre la charrue avant les bœufs. Pour adopter une posture d’autorité avec les mineurs, il ne suffit pas d’avoir une densité personnelle qui en impose extérieurement. Il est surtout nécessaire de savoir qui on est soi-même et quel est le bien que l’on poursuit pour soi et pour les autres. Si on l’ignore, on aura beau asséner tous les préceptes moraux à ceux qu’on est chargé d’éduquer, on manquera de crédibilité.
Ne plus rougir de notre passé
Savoir désigner un bien à poursuivre et décliner clairement son identité : telles sont les deux premières conditions pour parler d’autorité aux mineurs. Pour atteindre cet objectif, il est nécessaire au préalable de renouer avec nos traditions, de ne pas rougir de notre identité française, de notre culture, de nos mœurs – ou de notre religion pour ceux qui sont croyants. Sans cela, l’adulte brassera du vent en voulant inculquer à l’ado les valeurs du « vivre ensemble »… Et ce n’est pas à coups de moraline ni de coups de menton qu’il arrivera à le conduire où il l’entend, mais d’abord par le désir du Bien. Encore faut-il que l’éducateur ait identifié celui-ci et qu’il désire lui-même ce Bien ! Un exemple concret : que l’on commence à enseigner les hauts faits de l’histoire de France, au lieu de la décrier. Les adolescents constateront de la sorte que les adultes sont fiers de s’inscrire dans une généalogie historique, culturelle et spirituelle qui est glorieuse, prestigieuse, malgré ses faces moins reluisantes.
Un éducateur qui rougit de soi n’aura jamais le charisme pour diriger un mineur en quête d’idéal. Ce dernier n’adoptera jamais un projet pour lequel il subodore que l’adulte qui le lui propose n’a aucune appétence lui-même ! Nos jeunes devinent sur nous davantage de choses qu’on ne pense ! L’adulte doit donner à l’ado davantage qu’un exemple moral mais surtout un témoignage du cœur. Et pour cela, il convient qu’il aime sincèrement tout l’héritage légué par l’histoire de notre pays – héritage existentiel puisque c’est lui qui a façonné l’adulte qu’il est devenu.
Dans ces conditions, il ne sera pas inutile de rappeler la dette que nous avons envers notre patrie. Celle-ci n’est pas un point neutre dans l’espace. C’est à elle que nous devons la richesse de notre langue, de notre culture, de notre foi et de nos mœurs. Cette vérité fut jugée comme élémentaire et coulant de source jusqu’à ce que mai 68 ne la remette en question. Aux éducateurs d’aujourd’hui de l’enseigner à nouveau aux jeunes générations qui sont l’avenir de la France. C’est en commençant par s’aimer soi-même et les autres que la violence, que nous portons tous en nous, reculera. Et cette règle vaut surtout pour ces mineurs égarés et privés d’héritage qui sont notre hantise.
Le lauréat du Goncourt japonais écrit avec ChatGPT. Le Prix de la Foire de l’État du Colorado décerné à une toile produite par Midjourney. Le concours mondial de photographie Sony récompensant une image générée par Dall-E… Pauvres artistes en graine : ils se sentaient déjà bien faiblards devant les innombrables chefs-d’œuvre du passé (parions sur leur modestie), les voilà désormais humiliés par les prouesses algorithmiques à venir.
Inquiétude légitime. Non seulement ces « intelligences artificielles » (expression impropre pour désigner des apprentissages machine) se révèlent plus convaincantes que les puristes voudraient le croire. Mais elles produisent à une vitesse qui a de quoi démoraliser les plus prolifiques. De surcroît, elles brouillent les pistes en se faisant passer pour des artistes vivants, ou pire, revenus d’entre les morts. C’est ainsi qu’un programme aurait « trompé » le jury d’un Prix de science-fiction dans la province du Jiangsu. Ainsi que les nostalgiques de Johnny Cash peuvent entendre la voix ressuscitée du baryton sur le tube de Barbie Girl (quand il ne s’agit pas de celle de leurs proches disparus). Ainsi, encore, que des milliers de « faux livres », dopés par de « faux commentaires » inondent chaque jour la plateforme Amazon, au risque d’invisibiliser les « vrais ». Ironie du sort, le montage est parfois si réaliste que seule une autre IA peut découvrir le pot aux roses. Après le déboulonnage de la beauté au 20ᵉ siècle, voilà donc celui de la vérité, grand sujet du 21ᵉ.
Le code ou la censure
Entre la grève des scénaristes d’Hollywood l’année dernière et la tribune des grands noms de la chanson américaine le mois dernier, le néo-luddisme artistique semble avoir de beaux jours devant lui. Mais le dénouement est d’ores et déjà connu : « c’est le sens de l’histoire ! », tel est le sempiternel argument d’une mondialisation heureuse flairant la manne. Nul doute donc que la technologie s’imposera, que la plupart des créateurs composeront dorénavant avec elle et que, bon an mal an, les États finiront par instaurer un cadre législatif pour certifier l’origine des œuvres et protéger les droits d’auteurs dont se nourrissent ces IA génératives. L’Europe, sur ce point, est d’ailleurs en avance et, à défaut de rattraper les GAFAM, joue son rôle de gardien du temple.
Le sujet est-il clos pour autant? Loin de là. Ce qui est en jeu en réalité, c’est moins l’organisation de la société et le cadre réglementaire face au progrès technique que la charge idéologique que ces technologies embarquent avec elles : il faut, bien entendu, reconnaître la formidable ingéniosité des développeurs et le potentiel économique de leurs applications. Mais il faut tout de suite ajouter que notre idolâtrie pour ces machines nous fait peu à peu basculer dans la croyance que le monde ne serait qu’un immense programme téléchargeable, que la nature, les rapports humains, les sensations, les sentiments, tout pourrait être codé et répliqué.
Cette idéologie simpliste en vaut bien une autre, à vrai dire complémentaire, qui consiste à considérer chaque création sous un prisme moral. Le Sabbath de Philip Roth, les nus de Degas, la Belle au Bois Dormant de Disney… On ne compte plus les œuvres conspuées pour outrage aux bonnes mœurs. Pendant que les IA découpent l’art en formules mathématiques, les nouveaux censeurs traquent le moindre signe de déviance pour lui intenter un procès en surfant sur les vertus de l’époque. D’un côté, la gouvernance par les nombres. De l’autre, l’empire du bien.
« L’avenir de cette société est de ne plus pouvoir engendrer que des opposants ou des muets » prévenait Philippe Muray il y a trente ans. Il semble aussi qu’elle ne puisse rien produire que des codeurs ou des sermonneurs. Deux tendances qui n’en forment en réalité qu’une, celle d’un esprit de système enfermant le réel dans des certitudes binaires. L’art, dans ce contexte, ne peut plus ni surprendre ni aiguiser l’esprit critique. Il colle aux lois probabilistes de la rentabilité d’une part, de l’irréprochabilité morale de l’autre. Il n’est plus qu’une série d’instructions modélisables pour âmes sensibles.
La littérature face au kitsch
Bien sûr, ce conformisme atteint son paroxysme lorsque le code devient censeur, autrement dit lorsque les IA contribuent elles-mêmes à diffuser la bonne parole. L’auteur de ces lignes a fait les frais de ces fameux « biais algorithmiques » au moment d’écrire la dernière partie de Simulacre1. Pour rendre crédible le suicide d’un personnage se jetant du haut d’une tour, il a demandé à ChatGPT à partir de quelle hauteur la chute devenait mortelle. L’échange a tourné court : l’IA lui a immédiatement conseillé d’engager une psychothérapie.
Ces filtres de bienséance, ce refus de l’inacceptable, c’est exactement ce que Kundera désignait sous le terme « kitsch ». « Au royaume du kitsch totalitaire, les réponses sont données d’avance et excluent toute question nouvelle »2. Étant donné leur fonctionnement probabiliste et leur esthétique tiédasse, fidèles compagnes du « pas de vague » d’un Occident qui ménage les susceptibilités, nous vivons avec les IA un phénomène inédit d’extension du domaine du kitsch. De l’Est, le kitsch s’est étendu vers l’Ouest. Du communisme soviétique, il a gagné le capitalisme siliconé. Ses formes ont changé, certes : il ne joue pas cartes sur table, il n’exclut pas le déviant avec fracas comme dans les romans de Kundera ; il préfère le reconduire discrètement vers la clinique pour qu’il se refasse une santé (mentale). Il n’est pas non plus l’émanation d’un parti disciplinaire qui surveille et punit ; il s’appuie sur des intelligences factices, algorithmiques, nouveaux avatars des sociétés de contrôle, pour infléchir et conditionner nos comportements. Mais sa raison d’être est la même : exclure de son champ de vision tout ce qui n’adhère pas aux causes parfaites. L’intelligence artificielle, dans cette perspective, n’est plus l’instrument au service de la création. Elle instrumentalise le créateur en assénant ses vérités. Elle devient une arme de kitsch massif contre la « sagesse de l’incertitude », si chère à Kundera.
Pas de fatalité pour autant ! Surtout en ce qui concerne la littérature. Car si l’art du roman a pour vocation d’élucider l’existence, de révéler par conséquent nos illusions et nos mensonges, de débusquer les idéologies contemporaines, de révéler les conformismes, les lieux communs, tout ce qui coïncide avec l’ère du temps, alors ce monde régi par des « IA oui-oui » offre un excellent terrain romanesque. Il est le nouveau théâtre de l’éternelle comédie humaine, plus que jamais gouvernée par les nombres et les tartuferies dont le roman se fera un plaisir de rendre compte. En dépit des apparences, les romanciers ont donc de l’avenir. À condition, bien sûr, qu’ils soient encore lus.
Ces lignes ont été écrites par un humain de chair et d’os, sans support algorithmique, et aux vertus discutables.
Voilà plusieurs jours que la GPA refait surface dans le débat public en France, avec la polémique suscitée par la naissance des jumeaux qui seront élevés par Simon Jacquemus et son compagnon. Quatre mots de Marion Maréchal postés le 23 avril en réponse sur X « où est la maman ? » auront suffi à réveiller le camp du bien. Une polémique qui enfle, propulsée à vive allure par les réseaux sociaux, mais pas dans le sens que nous aurions imaginé. L’interdit juridique est aujourd’hui toléré voire encouragé et toute réaction remettant en cause ces pratiques devient proscrite ; le règne de la bien-pensance a encore de beaux jours devant lui.
🗣 "Ces propos sont homophobes"
➡ La ministre Sarah El Haïry s'indigne des propos de Marion Maréchal à l'égard des enfants nés par GPA du créateur de mode Simon Porte-Jacquemus pic.twitter.com/EzfN2araXH
Dans ce contexte, nous, les opposants à la gestation pour autrui et défenseurs de la famille, sommes attaqués de toutes parts par les progressistes, wokistes, transhumanistes voire même anticapitalistes… cherchez l’erreur. Des attaques qui n’émanent pas que du show-business, puisque nombre de ministres au gouvernement tentent désespérément d’invectiver les opposants, en criant à l’homophobie. Encore une fois, on se trompe de cible. Pourquoi Mesdames El Haïry et Thévenot s’obstinent tant à défendre le choix du couple Jacquemus? Une fois n’est pas coutume, on nous rabâche le sacro-saint argument du droit à l’enfant, envoyant au bûcher toute opposition par procès d’extrémisme. N’est-il pas permis de réagir lorsqu’on nous vante les mérites d’une pratique formellement proscrite par le droit français ? N’est-il pas normal de défendre le corps de nos mères, de nos sœurs ? La vie ne se marchande pas. Le respect du corps des femmes ne passe-t-il pas la garantie totale de l’indisponibilité ? On nous prétend l’inverse, dans un argumentaire qui définit la gestation pour autrui comme un progrès en matière de procréation, dans un contexte de faible natalité en Occident et d’égalité à tout va, tel un énième caprice du « droit absolu à l’enfant ».
Mais qu’est-ce que la vie pour nos chers progressistes, dont le rapport à l’éthique s’amenuise sous nos yeux, hélas, privilégiant les revendications lobbyistes au réel ? Ce constat amer, qui réduit désormais l’Homme à un simple objet ou un bien marchand, prend source lorsque l’ultra libéralisme sociétal a valeur de référence. N’est-il pas légitime de combattre la marchandisation du corps des femmes, ou plutôt « d’individus disposant d’un utérus » pour parler inclusif, non pas pour des motifs économiques mais par simple respect du corps de chacun ? L’indisponibilité du corps humain, sa « non-patrimonialité » telle que défendue dans le Code civil, au travers des articles 16-1 à 16-9, est notre dernier rempart, l’ultime, face à cette pratique dont les termes dérivés fleurissent.
Parmi eux, la « GPA éthique », autrement dit sans rémunération et pour laquelle des candidats aux européennes en font un argument, tel que le candidat socialiste Raphaël Glucksmann, vantant ainsi les mérites d’un vulgaire échange de bons procédés entre individus tels que le troc. Dans « GPA éthique » je vois plutôt un oxymore, deux termes associés dans le seul but de nous faire avaler la couleuvre de ce contrat marchand entre individus. L’amour ne s’achète pas et la procréation n’est pas une transaction.
Un curieux silence à gauche
Où sont les féministes et néoféministes, prônant jour et nuit sororité et indépendance du sexe féminin ? Où sont les femmes d’extrême-gauche, qui honnissent par-dessus tout le grand capital ? Où sont les écologistes, qui devraient être vent debout face au bilan carbone d’une GPA effectuée à l’autre bout du monde ? Et enfin, où sont les humanistes face à la contractualisation d’un enfant à naître ? Nulle part. Un silence qui donne matière à réflexion et qui en dit long, très long, sur l’irrespect du corps humain prôné dans cette partie de l’échiquier politique. Récemment l’IVG a été constitutionnalisé, au terme de plusieurs d’échanges vifs au parlement, une fois n’est pas coutume, en transposant la sociologie et les problématiques purement américaines sur les nôtres. Que se passera-t-il si un jour la GPA est autorisée en France ? La femme ou plutôt l’incubatrice pourra-t-elle faire prôner son droit à l’avortement alors qu’elle est soumise à un contrat de droit commercial ? L’interruption d’une telle grossesse engagera-t-elle réparation, mais aussi des dommages et intérêts envers les acquéreurs ?
L’être humain n’a pas vocation à devenir un bien marchand. S’il y a justement un principe à constitutionnaliser et de toute urgence, c’est l’indisponibilité du corps humain, en vertu de sa dignité, terme qui semble avoir été catégorisé progressivement parmi les gros mots. Cette inviolabilité du corps humain en France nous interdit, et heureusement, de fixer un prix pour un enfant à naître et proscrit également la vente d’organes sur le marché, tel un rein pour se procurer le dernier smartphone en vogue. Mais pour combien de temps encore ?
Alors oui, protégeons la sacralité de l’Homme, du respect d’autrui, du cours naturel de la vie et des lois de la physique. Le corps vaut bien mieux qu’un contrat et l’éthique, la vraie, doit impérativement avoir valeur de référence face à une idéologie toujours plus mortifère et surtout, destructrice. Préservons la famille pour préserver la France.
Les islamo-gauchistes semblent échouer dans leur relance d’un Mai-68, malgré les efforts conjugués d’une Rima Hassan, d’un Louis Boyard ou d’un Aymeric Caron.
L’islamo-palestinisme fait pschitt. En France, il ne fera pas son Mai-68. Son projet révolutionnaire, applaudi jusqu’en Iran par l’ayatollah Khamenei, reste un épouvantail aux yeux du plus grand nombre.
Bellamy tient tête aux bloqueurs de Sciences-Po
Son entrisme au cœur de Sciences-Po et de quelques universités n’arrive pas à mobiliser les étudiants, au-delà du noyau dur des radicaux, éternels idiots utiles des idéologies totalitaires. Les lycéens pro-palestiniens, qui promettaient des blocages d’établissements pour lundi, ont raté également leur entrée. Quant aux banlieues islamisées, pourtant solidaires du sort des habitants de Gaza, rien n’indique qu’elles iront rejoindre les embrigadés qui brandissent des drapeaux palestiniens et portent le keffieh.
Nous n’accepterons jamais que l’extrême-gauche tente d’imposer son idéologie dans nos amphis. pic.twitter.com/Gd4CiqfKYT
Mardi, ils n’étaient qu’une poignée à avoir tenté, avec le soutien du député LFI Louis Boyard, une nouvelle occupation des locaux parisiens de Sciences-Po. François-Xavier Bellamy, tête de liste des LR aux Européennes, a su incarner, par sa courageuse présence sur place, la résistance éclairée à cette subversion dogmatique. Celle-ci ne s’exprime que par slogans et invectives. D’ailleurs, à observer l’indigence intellectuelle de ceux qui réclament, obéissant aux souffleurs, une Palestine libre (« Free Palestine »), c’est-à-dire libérée des Juifs, revient en mémoire ce qu’écrivait Marx en 1852, au début du 18-Brumaire de Louis Bonaparte : « Hegel fait quelque part cette remarque que tous les grands événements et personnages de l’histoire se produisent pour ainsi dire deux fois, mais il a oublié d’ajouter : la première fois comme une grande tragédie, la deuxième fois comme une farce sordide ». On est là dans la farce sordide.
Autant Mai-68 fut euphorique et libérateur – votre serviteur avait 15 ans et en garde un souvenir avant tout festif – autant cette tentation mimétique de la table rase au nom de la charia porte en elle, comme un boulet, la pesanteur austère et liberticide de l’idéologie islamiste. L’appel à la soumission aux règles théocratiques accompagne la cause palestinienne comme une ombre noire. L’indifférence portée par les antisionistes aux Israéliens massacrés le 7 octobre par les sicaires du Hamas et aux otages encore détenus à Gaza (dont trois Franco-israéliens), dit l’hémiplégie mentale des prétendues belles âmes et leur pente vers l’antisémitisme.
La France résiste encore à la tyrannie des minorités
Plus généralement, l’échec du soulèvement islamo-gauchiste dans les universités françaises laisse voir les limites de l’influence nord-américaine, elle-même subvertie par la tyrannie des minorités. Si l’université de Columbia inspira utilement, à l’époque, le mouvement soixante-huitard français dans sa libération joyeuse de la parole et des mœurs et dans ses protestations contre la guerre au Vietnam, cette même université américaine, et bien d’autres, n’exportent plus que le pire de la censure et de l’intolérance au nom du rejet de la guerre à Gaza. Les Etats-Unis sont devenus, à travers leurs idéologues progressistes, les promoteurs des dérives raciales et wokistes qui alimentent le procès permanent de l’Occident. En France, une résistance à cette offensive semble se mettre en place. A suivre…