La lecture émotionnelle de notre histoire légitime sa déconstruction et son effacement. En héritier de Voltaire, Arthur Chevallier prône une approche rationnelle, celle-là même qui a permis d’écrire notre « roman national ».
« La suppression de l’histoire rendrait les peuples plus heureux », estimait Paul Valéry. Elle les délesterait en tout cas d’un fardeau aussi lourd qu’enrichissant, et les priverait du plaisir – de la nécessité ? – de le façonner à leur convenance. L’histoire de l’histoire prouve qu’on a affaire à un matériau malléable qui se prête à toutes les interprétations et à toutes les instrumentalisations. Mais ce n’est pas ce que déplore Arthur Chevallier dans son nouvel ouvrage. « De la décapitation de Louis XVI à la victoire du Front populaire, des journées d’août 1792 à celles de mai 1968, en passant par la bataille d’Austerlitz en 1805 et la Commune de Paris en 1871, l’histoire récente de la France donne des exemples de tout pour tout », reconnaît-il, et l’éditeur-historien de démontrer tout ce que notre passion de l’histoire doit au XIXe siècle : la Restauration a dicté à la monarchie, revenue après la Révolution et l’Empire, la nécessité d’asseoir sa légitimité politique en faisant appel aux historiens ; ce que fera à son tour, et à sa manière, la IIIe République.
La culture commune en danger
Chevallier pointe une nouveauté inquiétante : la lecture de l’histoire passée au filtre des émotions, le règne tout-puissant de l’irrationnel qui ouvre grand la porte à la déconstruction, et donc au délitement de ce qui peut nous rester de culture commune, de liant national. De quoi faire passer Michel Foucault, qui estimait que l’histoire est un outil d’oppression, pour un inoffensif rigolo.
L’interprétation émotionnelle – et non plus scientifique ou politique – de l’histoire justifie le déboulonnage des statues, alimente la concurrence victimaire et légitime des « journées mémorielles » hors-sol. La mémoire hissée au rang de « devoir » ne rafraîchit pas le passé dans l’esprit de nos concitoyens et impose encore moins cette rationalité qu’Arthur Chevallier appelle de ses vœux. « C’est parce qu’elle s’expose au chaos émotionnel que l’humanité a préféré domestiquer la mémoire en créant l’histoire, en imaginant des protocoles de recherche, des règles de pensée, des lieux d’enseignement comptant comme autant de passeports préparatoires à l’exploration d’une contrée dangereuse. » Mais il se navre qu’« en ce début de XXIe siècle, la politique des émotions recouvre toutes les formes d’expression. Les œuvres sont appréciées en fonction de l’idéologie à laquelle elles se rapportent. La lutte se résume à détruire ce que l’autre camp a construit, quitte à oublier l’autre affrontement essentiel, celui entre l’intelligence et la bêtise ». Cette bêtise qui se nourrit d’ignorance.
Une passion française
Il est loin le temps où, pour se moquer des Français passionnés par les anniversaires historiques, Mark Twain pouvait ainsi singer un discours politique : « Si l’homme du 2 décembre n’avait pas existé, le 27 février fatal n’aurait pas eu lieu, le 30 janvier n’aurait pas fait couler tant de larmes amères, le 18 septembre aurait été épargné à la France. Mais nous devons nous consoler de ce triste spectacle en songeant que, si le 2 décembre n’avait pas eu lieu, il n’y aurait pas eu non plus de 13 mars. »
Arthur Chevallier, L’Histoire à l’épreuve des émotions, Le Cerf, 2024.
L’antisémitisme n’a pas attendu le 7 octobre pour trouver des relais d’influence au sommet de certains États et de nombreuses ONG.
Moscou, décembre 1952. Devant ses pairs du Politburo, Joseph Staline lance: « Tout sioniste est l’agent du service de renseignement américain. Or parmi mes médecins, il y a beaucoup de sionistes. » Dans les mois qui suivent, des dizaines de praticiens juifs sont arrêtés en URSS au prétexte d’une participation au prétendu « complot des blouses blanches ». Plusieurs d’entre eux finiront exécutés.
New York, novembre 1975. L’Assemblée générale des Nations Unies prend la résolution 3379, affirmant que « le sionisme est une forme de racisme et de discrimination raciale ». Parmi les pays ayant voté en faveur du texte, on retrouve des membres de l’Organisation de l’unité africaine ainsi que de la Conférence des pays non-alignés. La résolution sera révoquée en décembre 1991.
Durban, septembre 2001. En marge d’une conférence internationale organisée par l’UNESCO dans la seconde ville d’Afrique du Sud, un forum réunissant 6 000 ONG du monde entier adopte une déclaration accusant Israël d’« apartheid » et « d’actes de génocide ». Sur place, des participants juifs sont insultés et physiquement menacés. Le texte sera toutefois vite dénoncé par plusieurs autres ONG, dont Amnesty International, Human Rights Watch et la Fédération internationale des droits de l’homme.
Acevedo (Venezuela), décembre 2005. En visite dans l’État de Miranda au nord du pays, le président Chavez prononce un long discours et déclare notamment : « Une minorité, les descendants de ceux qui crucifièrent le Christ, les descendants de ceux qui jetèrent Bolivar hors d’ici et le crucifièrent aussi à leur manière à Santa Marta en Colombie, s’est appropriée les richesses du monde. »
Istanbul, janvier 2015. Melih Gokcek, le maire de la ville, membre éminent du parti d’Erdogan, commente dans le journal turc anglophone Today’s Zaman les attentats qui viennent d’être commis en France par les frères Kouachi et Amedy Coulibaly. Pour lui, il est «certain qu’Israël est derrière ce genre d’incidents. Le Mossad favorise l’islamophobie en provoquant de tels incidents ».
Israël présenté comme le dernier bastion colonial de l’Occident
Arrêtons là la liste. On le voit, la parole antisémite n’est pas l’apanage des feuilles chou complotistes, des prédicateurs intégristes, des injures de rue. Depuis des décennies, elle s’exprime tout autant à ciel ouvert, dans les plus hautes sphères de la planète. Aux yeux de bon nombre de dirigeants, Israël est le dernier bastion colonial de l’Occident à s’être maintenu en Orient. Et si le Juif était autrefois défini dans la rhétorique antisémite européenne comme un « allogène basané » et sans patrie, il est désormais, vu par les chantres du nouvel antisémitisme mondial comme le parangon de l’Utra-européen, blanc et arrogant.
Mais dans ce registre de la haine, c’est l’Iran qui bat tous les records. Ne serait-ce que parce que les mollahs au pouvoir y ont inventé dès 1979 la « Journée mondiale d’Al Quds » (nom arabe de Jérusalem). À l’instigation de l’Ayatollah Khomeini, chaque dernier vendredi de Ramadan donne lieu dans le pays à des rassemblements contre la présence des Israéliens à Jérusalem-Est. Un peu comme si le pape, à la même époque, avait dédié l’un des vendredis du Carême à la cause des catholiques d’Irlande du Nord.
Ces manifestations sont l’occasion de revisiter des slogans comme : « Mort à Israël, mort à l’Amérique ». Au fil des ans, elles ont trouvé un grand écho dans le reste du monde musulman. En France, la tentative d’importation a été à peu près contenue. Au Royaume-Uni en revanche, la journée mobilise parfois jusqu’à 3 000 participants. Les drapeaux du Hezbollah sont brandis, ceux d’Israël sont brûlés.
En 2006, l’Iran fait encore plus fort. En réaction à la publication de caricatures de Mahomet par le journal danois Jyllands-Posten, le journal iranien Hamshahri, téléguidé par le régime, réplique en proposant un concours de caricatures sur la Shoah. Alors que le président Mahmoud Ahmadinejad venait de promettre la destruction d’Israël et de remettre en cause l’ampleur des crimes hitlériens, le journal veut illustrer avec son concours « l’hypocrisie des occidentaux ». Une constante dans la majorité des dessins publiés : ils mettent un signe égal entre les camps de la mort et le sort des Palestiniens.
De l’antisémitisme dans les pays musulmans ? Pas possible !
Le succès est tel que la même année, une grande conférence anti-sionniste est organisée à Téhéran par les autorités. On y retrouve l’Américain David Duke, ancien du Ku Klux Klan, et bien sûr le négationniste français Robert Faurisson. Au cours de la conférence, l’Allemagne nazie et l’Etat hébreu y sont renvoyés dos à dos, tandis que l’antisémitisme, phénomène défini comme strictement européen, y est présenté comme étranger au monde musulman.
Cette conférence constitue une étape majeure dans la consolidation de l’antisémitisme mondial, qui plait aussi bien en terre d’islam que dans les quartiers islamisés d’Europe. Une partie de l’extrême droite occidentale n’y est pas insensible non plus. Aux Européennes de 2009, la liste antisioniste de Dieudonné M’bala M’bala recycle tout sur son passage, de SUD au GUD : on y trouve d’anciens membres des Verts, de la Ligue communiste révolutionnaire et du Front national. Le financement provient de l’Iran.
Certes cet étonnant attelage idéologique n’aura pas dans les années suivantes d’autres concrétisations électorales majeures. Il n’en demeure pas moins le point de départ de l’association Egalité et Réconciliation, menée par Alain Soral, autour de laquelle gravite toute la dieudosphère, et qui donnera dans la société française un nouveau souffle à l’antisémitisme.
C’est ainsi que la haine envers les Juifs, qui faisait encore horreur à la plupart des forces de gauche, s’est diffusée peu à peu dans les esprits au point d’être devenue l’un des principaux carburants du couple islamo-gauchiste. Évoquant les incidents survenus à l’Assemblée nationale cette semaine, le philosophe Bernard Henri-Lévy observe, sur BFMTV : « Quand David Guiraud traite Meyer Habib de porc, il parle comme Dieudonné et comme Alain Soral ».
En 2017, le sort des Rohingya, musulmans persécutés par la Birmanie, n’a intéressé l’opinion que durant quelques semaines. Et depuis lors, à l’ONU, les Etats musulmans se rangent toujours derrière la Chine pour bloquer les condamnations relatives au martyre des Ouïghours. Rien à faire : pour s’attirer la réprobation, Israël aura toujours un temps d’avance, une capacité supérieure à susciter l’animosité et la mauvaise foi.
Début mai, une vidéo postée par une jeune femme agite la toile. On l’y voit danser, sa peau est blanche ; elle pratique le Legong, une danse balinaise. Il n’en fallait pas plus pour que les imbéciles hurlent « à l’appropriation culturelle » et relaient la séquence sur X. L’imbécile virtuel diffuse et commente la publication, relayé par d’autres imbéciles… Voici la meute formée ; elle grossit et fond sur sa proie. On sonne l’hallali, c’est bientôt la curée: on fustige, on jette des anathèmes…
L’époque coloniale est révolue mais, d’après les Wokes, les Blancs continuent à exploiter les peuples minorisés. À les en croire, il s’agit, sous couvert de les honorer, de s’approprier les cultures desdits peuples afin d’en tirer des bénéfices économiques et symboliques. Éric Fassin, sociologue français de son état, définit ainsi le concept de « l’appropriation culturelle » : «L’appropriation culturelle, c’est lorsqu’un emprunt entre cultures s’inscrit dans un domaine de domination. » Le wokisme engage à dénoncer cette « appropriation culturelle » pour aider à la prise de conscience des injustices normalisées ou institutionnalisées, qui, bien sûr, sont partout. Aussi chacun, sur les réseaux sociaux, défend les particularités qu’il estime iniquement dérobées aux minorités ; les insultes fusent, la brutalité verbale règne.
Le wokisme est une bêtise sectaire
La dernière victime en date de cette folie collective qui s’est emparée de la toile est une Suédo-Indonésienne, Daisy Oxenstierna. Elle vit à Bali, en connaît la langue, les coutumes et pratique, comme c’est la coutume pour toutes les jeunes filles, la traditionnelle danse du Legong qu’on exécutait jadis dans la cour des palais royaux.
Début mai, désireuse de partager son amour pour Bali et cette danse, la malheureuse s’avise de poster sur les réseaux sociaux une vidéo où on la voit danser. Le Legong requiert des gestes précis. Les mouvements des mains, des yeux, des doigts et des pieds doivent concorder. La vidéo devient vite virale, relayée par les sectateurs du wokisme. La malheureuse, blanche (on s’en doute), est vilipendée, accusée de se moquer ostensiblement de cette danse balinaise. On fustige sa gestuelle qu’on qualifie de caricaturale et on voit des grimaces, où, sur le visage de la jeune fille ne s’inscrivent que les mimiques qu’exige le Legong. Bêtise et méchanceté ignares et sectaires. On s’insurge, on l’accuse d’être caricaturale et de grimacer pour se moquer et déprécier les traditions balinaises ; on assène : « Les Blancs s’approprientla culture des autres parce qu’ils n’en ont aucune ». Pour mettre fin au lynchage, la malheureuse devra supprimer sa publication et les commentaires qui l’accompagnent.
Une justicière qui surgit hors de la nuit
Ne désespérons pourtant pas et saluons l’inflenceuse afro-américaine Amala Ekpunobi. Cette ancienne militante d’extrême gauche, lassée par l’intolérance des Wokes, s’est tournée vers les valeurs conservatrices pour devenir ambassadrice de Prager University, un groupe de défense conservateur américain, relais de l’idéologie libertarienne de droite qui crée du contenu en ligne sur des sujets politiques, économiques et sociologiques conservateurs. Mme Ekpunobi, très suivie par la jeunesse a, dans une courte vidéo (voir ci-dessus), su remettre en place les contempteurs de Daisy et souligné la stupidité des procès en appropriation culturelle non fondés. Elle a ainsi confondu les nicodèmes prompts à condamner sans savoir. Voilà les arroseurs arrosés. La danseuse est suédoise, certes, mais aussi indonésienne, donc de sang mêlé. Elle vit à Bali, en connaît la langue, les us et surtout pratique le Legong, jadis dansé dans la cour des palais indonésiens, depuis son enfance, comme c’est la tradition… Pour « l’appropriation culturelle », on repassera !
« La radio n’a pas rendu les hommes plus sots. Mais la bêtise plus sonore » disait Jean Rostand. Grâce aux réseaux sociaux, elle se répand désormais à la vitesse de l’éclair. Puisse Mme Expunobi inciter les minorités à dénoncer, elles aussi, le racisme anti-blancs.
La militante appellait ses troupes hier à boycotter TF1, télévision qui a osé tendre le micro à Benyamin Netanyahou. Plutôt que de faire tant de bruit, elle n’a qu’à zapper sur Al Jazeera.
« La chienlit c’est moi ! » pourrait rageusement revendiquer Mélenchon un jour. Il serait alors enfin éminemment crédible. Et loin de ses errements délictuels bien connus : souvenez-vous, quand il se drapait dans la toge de la République, face à des policiers impassibles dans une affaire qui a marqué les esprits.
On sait que le nouveau Petit Père des Peuples s’est entiché de la cause palestinienne. Son mimétisme forcené en la matière pour engranger des voix est remarquable. Le but : séduire les quartiers à dominante musulmane, mis en effervescence par un odieux trucage de faits pourtant incontournables. Israël est l’agressé et non l’agresseur !
Les souffrances de Palestiniens cyniquement mises à profit
LFI se sert avec une gourmandise même pas dissimulée – les récentes danses endiablées techno-alcoolisées du côté du Canal Saint Martin sont révélatrices – des dramatiques effets d’une guerre lancée en réponse par cette démocratie odieusement vilipendée. Oui les Palestiniens souffrent, mais cette souffrance est soigneusement planifiée et entretenue par le Hamas, groupe terroriste sanguinaire qui estime sans le dire que la fin – la faim – justifie les moyens. Se servir de ces mêmes images pour tenter de convaincre l’électeur français musulman dans cette dernière ligne droite avant les Européennes, c’est aussi mettre à profit ces boucliers humains, cyniquement et monstrueusement répartis dans les territoires palestiniens.
Mélenchon fouille méticuleusement et consciencieusement dans les poubelles de la gauche extrême pour y trouver de nouvelles trouvailles, des pépites en toc mais mortifères, pour coller au mieux avec son actualité révolutionnaire et qu’elle puisse prospérer, surtout quand les sondages sont en berne. Il a ainsi sorti de son sac à malices maléfiques Rima Hassan, jeune femme de 35 ans, au regard aussi sombre que l’avenir qu’elle nous promet. Née en Syrie, arrivée en France à neuf ans, par la grâce du regroupement familial, elle s’est fondue à merveille – du moins pouvait-on le croire – dans le moule de l’assimilation. La France, bonne fille, lui avait en effet offert de belles études de juriste, sanctionnées par un diplôme ad hoc. Employée dans des organismes relevant du Ministère de l’intérieur, elle a su habilement se frotter aux arcanes de l’immigration, voulue ou non. Le cheval de Troie ?
Les illusionnistes de la gauche radicale
Jean-Luc Mélenchon, grand prestidigitateur islamo-rouge, en la propulsant d’emblée à la 7ème place de la liste aux européennes de LFI (les mauvaises langues disent carrément La France Islamiste), veut lui donner un début de stature, en remplaçant au passage d’autres prétendants qui s’interrogent sur le cheminement inquiétant du Che. Qui, de fait, sont promis à la disgrâce.
Bonne fille, Rima Hassan fait fort après cet adoubement : manifestations haineuses au fil de manipulations du même tonneau sur les réseaux, négation d’Israël et autres joyeusetés anti-juives du même acabit. Une entrée tonitruante !
Cerise – avariée – sur le gâteau, cette dame très avenante souhaite même mettre l’information au pas. Ce 30 mai, en rameutant plusieurs milliers de personnes, elle s’en est pris sans succès à un journaliste de LCI, filiale de TF1, qui avait l’outrecuidance d’interviewer le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou, en le sommant d’y renoncer. En plaçant une fois encore une cible dans le dos d’un confrère ! Ce qui en dit long sur les intentions de cette nouvelle figure de LFI, issue de la vénéneuse pépinière entretenue par un jardinier en chef qui jubile. Par le truchement de cette jeune femme, c’est la morgue baveuse de Mélenchon qui parle. Et c’est à une autre morgue – si on n’y prend garde – que ceux-là destinent la liberté de penser…
L’institution présidée par Laurent Fabius accorde l’aide juridictionnelle aux étrangers en situation irrégulière au nom du « principe d’égalité devant la justice ».
Ça se sait dans les coins les plus reculés de notre ancien empire. La France est bonne poire. Non seulement ce n’est plus un délit de s’installer sur son territoire sans y être autorisé (“délit” c’est méchant), mais quand on invite quelqu’un à bien vouloir partir s’il vous plait, on lui offre de multiples possibilités de contourner la décision ou de la contester en justice.
Le contribuable paiera pour la défense des clandestins
Mais pour nos prétendus sages (bien fol qui s’y fie), ce n’est jamais assez. Le Conseil constitutionnel vient de décider que les immigrés clandestins auraient désormais le droit à l’aide juridictionnelle (en l’occurrence, il censure une loi de 1991 qui réservait son bénéfice aux seuls Français et étrangers en situation régulière). Foin de ces distinctions oiseuses entre ceux qui respectent nos lois et ceux qui s’assoient dessus. Désormais, si un sans-papier veut intenter une action en justice, le contribuable français paiera. Ne remarquons pas que ledit contribuable doit débourser de coquettes sommes pour régler un conflit de voisinage ou un contentieux fiscal. Ce serait populiste.
Il est vrai que, dans le cas qui a abouti à la décision de l’institution présidée par Laurent Fabius, des sans-papiers qui poursuivaient des patrons-voyous, il n’est pas scandaleux qu’ils bénéficient de cette aide. Si on accepte que ces gens travaillent, préparent nos repas et nettoient nos bureaux, ils doivent pouvoir se défendre. Le scandale c’est qu’on laisse faire et que les patrons soient rarement sanctionnés.
Alambic infernal
Reste qu’à partir d’un cas particulier, pour lequel on pouvait trouver une solution (faire payer les patrons par exemple, me suggère l’ami Jean-Baptiste Roques), le Conseil inscrit une règle générale dans le marbre constitutionnel. Cet alambic infernal s’appelle l’Etat de droit. Je vous épargne les détails mais cela passe par une Question préalable de Constitutionnalité : on demande aux sages de trancher un point de principe soulevé au cours d’un procès. Ensuite, ce principe s’impose à tous.
Le raisonnement du Conseil est un sophisme géant. S’autorisant de la Déclaration des droits de l’homme et du Citoyen de 1798, qui affirme que la loi « doit être la même pour tous », les Sages de la Rue Montpensier estiment que les étrangers ne résidant pas régulièrement en France doivent bénéficier de garanties égales à celles des autres justiciables. On ne saurait donc admettre la moindre discrimination entre le clandestin et l’immigré en situation régulière.
Toujours plus loin
On peut aller plus loin en appliquant ce raisonnement à la lettre. Pour commencer, on dira que tous les gens se trouvant sur le sol français doivent avoir les mêmes droits : Français, immigrés légaux, clandestins. Il suffira d’être là. La nation réduite à un hall d’aéroport. D’ailleurs, pourquoi s’arrêter en si bon chemin et exclure de nos droits et aides sociales l’étranger resté au village, celui qui n’a pas tenté l’aventure migratoire ? La France est un droit de l’homme. Universel.
Laurent Fabius a récemment déclaré au Monde que la préférence nationale systématique était anticonstitutionnelle1. Si l’on suit sa logique, le fait de réserver le droit de vote aux seuls Français devrait donc être vu comme une intolérable préférence nationale systématique qu’il convient d’accorder sans délai aux Chinois et Soudanais (pour commencer). Pour l’ancien Premier ministre de François Mitterrand, c’est en somme la France elle-même qui est anticonstitutionnelle. Sous prétexte de ce fichu État de droit, il promeut une idéologie sans-frontiériste rejetée par les Français (sans quoi il serait au pouvoir). En nous imposant sa lecture idéologique de nos textes fondateurs, Laurent Fabius se livre tout simplement à un coup de force judiciaire.
La présidente du Mouvement Conservateur ira à Strasbourg si Marion Maréchal dépasse les 5%.
Causeur. Pour commencer, une question très « politicienne » ! Quelles relations entretenez-vous avec Marion Maréchal, votre tête de liste ? Ne regrettez-vous pas de vous être éloignée de LR (et de peut-être voir l’influence politique de votre mouvement être amoindrie, si, comme l’indiquent des sondages, François-Xavier Bellamy était mieux classé que Marion Maréchal le 9 juin prochain) ?
Laurence Trochu. J’ai souvent dit que le soutien apporté par les Conservateurs à Marion Maréchal relevait de l’évidence. Nous partageons en effet la même vision et les mêmes priorités pour la France et l’Europe : cette élection du 9 juin est cruciale et vitale pour notre civilisation européenne menacée d’effacement et même de disparition. C’est un combat pour la survie de notre civilisation qui fait face aux dangers existentiels de l’immigration, de l’islamisation de nos sociétés et de la propagande woke et LGBT. C’est aussi un enjeu pour notre pays, au bord du déclassement économique, inévitable conséquence d’une Europe qui taxe et norme à outrance, bien souvent au nom d’objectifs écologiques démesurés.
Avec Marion Maréchal, nous avons enfin une occasion crédible de changer les rapports de force au Parlement européen et de renverser l’objectif fédéraliste et centralisateur d’Ursula von der Leyen. Nous sommes lucides et courageux mais nous devons aussi être efficaces. C’est au sein du groupe des Conservateurs et Réformistes que nous siègerons à Strasbourg, groupe pivot et central de la droite européenne qui réunit les droites de 18 pays dont l’Italie, l’Espagne, la Pologne.
Je ne remets pas en cause le travail de François-Xavier Bellamy mais sa stratégie qui est, particulièrement depuis 2020, complètement dépassée et donc inefficace. Lors de la préparation des Municipales, puis des Départementales et Régionales, alors membre du Bureau politique et de la Commission Nationale d’Investiture des Républicains, j’ai vu comment ils ont vendu à la découpe les mairies, cantons et régions à Macron, avec le silence complice ou même les encouragements des cadres dirigeants. J’ai compris que le Mouvement Conservateur ne devait pas servir de caution à un parti qui ne permettait plus de défendre nos convictions.
Les Républicains n’ont plus ni chef ni ligne directrice; ce parti est une auberge espagnole, on y trouve tout et son contraire : une tête de liste opposée à la GPA et sa numéro 4, Nadine Morano, qui y est favorable; une tête de liste opposée à la régularisation des travailleurs étrangers et sa numéro 2, Céline Imart, qui y est favorable; une tête de liste qui veut lutter contre l’islamisation et Anne Sander, députée sortante reconduite sur sa liste, qui soutient le FEMYSO, proche des Frères Musulmans.
Par ailleurs, François-Xavier Bellamy siègera à nouveau avec le groupe PPE dirigé par Ursula von der Leyen. Il fera bande à part sur certains votes mais cela n’aura aucun impact. Isolé au sein de son propre parti, il l’est aussi au sein de son groupe. C’est un immense gâchis, car cette erreur de stratégie le réduit à une candidature de témoignage, là où l’urgence de la situation réclame de faire des choix efficaces.
Votre « contribution programmatique » insiste sur les racines chrétiennes de l’Europe, et propose leur inclusion dans les Traités européens. Vieille arlésienne… Mais comment envisagez-vous cette démarche dans notre contexte de plus en plus laïque et surtout « multiculturel » ?
Jacques Chirac a refusé avec force en 2004 la référence aux racines chrétiennes de l’Europe dans le préambule de la Constitution européenne. Il porte une énorme responsabilité dans l’effacement de notre civilisation et dans son remplacement par un projet d’islamisation de nos sociétés européennes, mené par des associations largement financées par les fonds européens.
Ce serait une erreur de réduire la mention des racines chrétiennes de l’Europe à une valeur seulement symbolique. Le traité de Maastricht, repris sur ce sujet par celui d’Amsterdam et celui de Lisbonne, a défini les objectifs de la politique culturelle de l’Union européenne et insiste sur la mise en valeur de l’héritage culturel commun des pays de l’UE. La définition de cet héritage culturel commun en référence à nos racines chrétiennes aurait permis de l’affirmer et de le faire rayonner.
Ne soyons pas dupes! Si l’islamisation de la société s’accélère, c’est aussi parce que la destruction de nos repères s’est accélérée. L’islam, avec ses mœurs et ses lois, vient occuper l’espace de notre décivilisation. Un arbre coupé de ses racines finit toujours par mourir et l’islamisation prospère sur nos propres renoncements.
Un exemple parmi tant d’autres : en 2011, la Commission européenne a édité, comme chaque année, un agenda à destination des étudiants et lycéens de l’UE. À côté de nombreuses informations sur le tabagisme, le racisme, l’écologie et les droits sexuels, cette édition comportait les fêtes de toutes les religions, ainsi que les fêtes païennes du type Halloween, mais omettait de mentionner les fêtes chrétiennes !
Dans ce contexte, l’inscription dans les traités, et déjà dans les directives et règlements, des racines chrétiennes de l’Europe est une nécessité pour affirmer ce que nous sommes. Aimer, protéger et transmettre nos racines chrétiennes, c’est admettre que l’homme doit savoir s’incliner devant la part de sacré qui le dépasse, qu’il ne peut balayer d’un revers de la main, ce que 2000 ans de civilisation nous ont enseigné avec constance. C’est admettre que devant les enjeux moraux qui se posent à nous, du harcèlement que subissent nos enfants exposés aux “drag queens” dans les écoles, aux choix à faire en matière d’usage de l’intelligence artificielle, en passant par le contrôle de la vie humaine, les solutions ne consistent pas essentiellement à trouver des critères matériels, mais à retrouver “la conscience sans laquelle la science n’est que ruine de l’âme”.
Le programme du Mouvement Conservateur critique sévèrement l’influence des idéologies LGBT ou woke au sein des institutions européennes. Sur quoi souhaitez-vous alerter les électeurs exactement ? De quoi parlez-vous, concrètement ?
En principe, la culture relève principalement des États membres, l’UE n’intervenant théoriquement qu’à titre subsidiaire. C’est donc une compétence d’appoint de l’Union européenne. En pratique, l’ingérence de l’UE dans les affaires culturelles est manifeste à deux niveaux. Sur le plan des moyens de la politique culturelle, elle a progressivement mis en place un budget qui va en s’accroissant. Sur le plan de la culture prise au sens de civilisation, elle multiplie résolutions, pétitions de principes et politiques de soutien en faveur de la diversité culturelle et de l’inclusion.
Nous sommes en saturation de ce que la Commission européenne nous impose : la diversité et l’inclusion sont devenues les mots magiques de sa politique culturelle, avec lesquels elle sale abondamment tous ses plats au point de les rendre indigestes. Au menu, c’est la promotion de la diversité culturelle, c’est-à-dire des modes de vie étrangers à la civilisation européenne, comme l’illustrent les millions d’aides versés à la Turquie, à la Tunisie ou encore à la Macédoine du Nord au travers de programmes soi-disant culturels. Au menu encore, les délires wokes et LGBT qui endoctrinent nos enfants avec la théorie du genre et la déconstruction des identités sexuelles. Sous l’impulsion d’Ursula von der Leyen, la Commission européenne décline une stratégie farouche en faveur de l’idéologie LGBT. Nous refusons l’emprise de cette propagande qui prétend qu’un garçon peut choisir d’être une fille, qu’un homme peut être “enceint” ou qu’il existe des femmes à pénis !
Notre responsabilité est de hâter ce temps où le réalisme et le sens commun triompheront. Avec le groupe ECR, nous aurons la puissance de feu pour contrer cette propagande. Je vous invite d’ailleurs à lire la Charte des valeurs signée à Subiacco en la fête de Saint Benoît, patron de l’Europe, et que nous avons jointe à la contribution programmatique du Mouvement Conservateur remise à Marion Maréchal.
Face aux mutations technologiques, vous proposez un encadrement éthique strict de l’intelligence artificielle et des données personnelles, notamment de santé. Comment comptez-vous équilibrer l’innovation technologique et la protection des valeurs humaines et éthiques en Europe ?
J’ai passé une journée au salon VivaTech, pépinière d’innovations qui vont façonner le monde de demain, en permettant à la France de rester dans la course, ou au contraire en sortant de l’Histoire. Nous attendons beaucoup de nos innovateurs – chercheurs, ingénieurs, développeurs – et de nos entreprises, car la déferlante des nouvelles technologies a du bon : c’est là que se trouvent les ressorts de la croissance économique et de l’aventure scientifique de demain. Elle vient aussi avec son lot de dangers, car la technologie n’améliore pas l’homme à elle seule : elle en magnifie la puissance mais en aggrave souvent les excès. Nous savons bien que certains des leaders mondiaux qui se sont exprimés dans ce salon poursuivent des projets transhumanistes avec lesquels nous sommes en désaccord radical.
Face à ces constats, les nations européennes doivent rester dans la course et éviter de laisser les technologies leur échapper : il est temps d’assurer l’excellence de l’Europe. Mais il convient aussi de mettre l’être humain, avec sa dignité et sa vulnérabilité, au centre de la réflexion. Les technologies sont trop souvent abordées sous l’angle unique de la performance et du consumérisme, ne prenant pas en compte l’Homme dans ses dimensions corps, âme et esprit. La perturbation apportée, par exemple, par les réseaux sociaux ou les modèles de langage génératif sur les personnes qui y recherchent des relations interpersonnelles plutôt que des interactions virtuelles, est désormais connue. Il s’agit donc d’accompagner cette révolution technologique pour que l’Europe demeure à la pointe de ces avancées et continue à bâtir sa propre souveraineté numérique, tout en proposant un modèle responsable, soucieux de l’Homme et de la cohésion de notre société. Une mesure me paraît fondamentale : conserver un principe de responsabilité qui permette d’attribuer à une personne physique ou morale les conséquences du comportement d’un système autonome de type IA. Pour sécuriser efficacement les données de santé des citoyens ou pour statuer sur les implants intracérébraux, il est évident qu’il faut adapter le droit et répondre ainsi aux nouveaux besoins de protection de la personne.
Nos députés nationaux travaillent depuis lundi sur l’euthanasie. Après le mariage pour tous ou la PMA pour toutes, les Conservateurs ne sont-ils en passe de perdre une nouvelle bataille anthropologique majeure ?
Vous avez raison de rappeler la réalité ! Depuis 10 ans, le raz-de-marée progressiste s’est intensifié et détruit tous les fondements naturels et même biologiques de la société. C’est exactement pour cela que nous ne devons pas nous tromper dans les moyens de construire des digues. J’ai insisté sur l’impuissance de François-Xavier Bellamy à enrayer cette destruction en raison de son isolement et de son rattachement à Ursula von der Leyen qui est l’un des fossoyeurs de notre civilisation.
Jordan Bardella n’y pourra rien non plus, parce qu’il n’en a pas la volonté. Dans sa logique de dédiabolisation, le Rassemblement National a renoncé à mener ces combats civilisationnels. La moitié des députés a voté l’inscription dans la Constitution du droit à l’avortement. Il y a quelques jours, Jean-Philippe Tanguy a annoncé que le RN ne prendrait pas les moyens de lutter contre la GPA, puisque Marine Le Pen ne tiendra pas sa promesse de campagne de “ne pas reconnaître la filiation des enfants nés de GPA à l’étranger”. Et sur l’euthanasie, les députés RN, comme ceux de LR, se divisent.
C’est donc uniquement aux côtés de Marion Maréchal et du groupe ECR que la résistance se mène de manière claire, cohérente et donc efficace. Tous ceux qui n’ont “rien lâché” et pour lesquels la protection de la vie et de la santé humaines sont des priorités non négociables ne sont représentés que par la liste portée par Marion Maréchal.
Les générations ne se succèdent pas, elles s’enchaînent. Cette continuité immuable était assurée par la famille et la nation. Mais ces institutions sont affaiblies et l’individu est désormais délié de toute appartenance, de sa naissance (programmée) à sa mort (décidée).
La mort, nous la voyons tous les jours passer sous nos fenêtres, mélangeant les existences, les entraînant dans un flux incessant, celui des enfants qui vont à l’école ou des habitués qui font leurs courses. Il suffit du spectacle de ces allées et venues, il suffit qu’on me dépasse dans la rue, ce qui devient de plus en plus facile, pour que s’impose une évidence : à chacun son tour, chacun à sa place, dans un flux qui pousse de côté les existences périmées. On s’en aperçoit surtout quand viennent à manquer des figures que nous ressentions comme emblématiques du quartier, comme cet estropié qui faisait le tour de son bloc en fauteuil roulant. Le « grand remplacement » n’est pas qu’un slogan politique, c’est un principe ontologique, inhérent à la vie elle-même.
Mouvement vital et tragique
Les enfants, en groupe ou accompagnés, paraissent échapper encore à cet engrenage, comme en marge du temps. C’est du moins ce qu’on éprouve au spectacle de classes qui vont au stade ou en reviennent. Au contraire des quarantenaires ou cinquantenaires, en particulier les femmes (à cause du bruit des talons sans doute) qui règnent sur les trottoirs, équipés pour ne communiquer qu’à travers leur portable, allant d’un pas alerte et résolu vers ce qu’ils ne veulent pas voir, leur remplacement, leur mort.
Un auteur exemplaire a pu évoquer à la fin des années trente le lien entre la naissance et la mort, la nécessité que l’individu disparaisse au profit de l’espèce et même qu’une espèce disparaisse « au profit de la réalisation de la vie dans des formes toujours nouvelles[1]. » On le voit par contraste, l’écologie, voulant par principe que rien ne disparaisse, refuse de reconnaître le mouvement vital et tragique qui nous entraîne. Elle dispense des avertissements nécessaires, mais elle a aussi des limites qu’elle ignore, en particulier l’inscription de l’humanité dans l’histoire – ce qui n’est pas rien.
Le propos de Landsberg va contre les impressions que suggère l’ambiance urbaine actuelle aussi bien que contre l’idéologie écologique. Nous oublions que les existences, les générations ne se succèdent pas, mais qu’elles s’enchaînent, s’intègrent à une histoire dont l’humanité est l’auteur. Cette continuité productive est assurée essentiellement par deux institutions, la famille et la communauté politique, la nation. Celles-ci étant actuellement affaiblies, la référence devient l’individu délié de toute appartenance, inscrit dans les limites de son état civil, mais se projetant dans l’humanité entière qu’on tend à ne voir que comme une multitude d’individus. Ce n’est donc pas un hasard si en ce moment, les débats les plus vifs, les débats « sociétaux », portent sur le commencement et la fin des existences individuelles, sur l’avortement et « l’aide à mourir ».
Quant aux conflits toujours possibles entre les prétentions des individus, on les considère en oubliant qu’ils interviennent dans un cadre particulier, celui de communautés politiques porteuses de projets : ils sont de plus en plus souvent arbitrés par la jurisprudence, nationale ou supranationale[2]. Cet aboutissement, qui met face à face les existences individuelles et la puissance de juger, semble être la sécularisation d’une doctrine que la liturgie catholique reprend chaque dimanche : le Christ est « monté aux cieux, il est assis à la droite de Dieu » d’où il reviendra à la fin des temps « pour juger les vivants et les morts », ce que l’on appelle couramment « le Jugement dernier ». Ce jugement ultime, sans appel, au-delà du politique, semble exercé dès à présent, en ce bas monde, par le Conseil constitutionnel ou la Cour européenne des droits de l’homme. Une mentalité cléricale sécularisée ajoute une justification eschatologique à un pouvoir qui, de manière irréaliste, se projette à la fin des temps et charge notre médiocre actualité d’une signification qu’elle ne peut pas porter. Ce à quoi Landsberg, citant Miguel de Unamuno, oppose[3] un élément important de la piété populaire, la croyance au Purgatoire, lieu essentiel bien que dépourvu de statut théologique. « Le peuple catholique, dit Unamuno, ne renoncera jamais à la croyance au Purgatoire, lieu où l’existence du mort, la condition de son âme, sont accessibles à l’activité charitable des vivants. » C’est en effet pour les « âmes du Purgatoire » qu’à la Toussaint, on invite à prier. Dans le Purgatoire, les âmes, séparées des corps ensevelis, poursuivent avec ceux qui sont encore en ce bas monde une histoire commune, jusqu’au « Jugement dernier ». Dans ces conditions, Jésus-Christ reste, comme il l’a dit quand il participait à l’humanité, celui qui sauve et non celui qui juge.
Les souvenirs tuent la mort
En attendant, certains de nos prédécesseurs, qui ont été canonisés, font figure de modèles, dans l’ordre laïque ou dans l’ordre religieux, témoignant de la capacité historique de l’humanité au-delà de la mort. Mais plus proches, plus sensibles nous sont sans doute ceux dont la mort nous a séparés, mais qui figurent encore dans notre vie personnelle, dont nous attendons quelque chose, leur vie terrestre nous semblant avoir été un commencement, une esquisse entremêlée avec la nôtre. De ceux-là, dont on a cru pouvoir « faire son deuil » mais dont la présence résiste et interroge, qui sont pour nous des repères et des questions, on peut dire qu’ils ne sont pas complètement morts puisque nous sommes vivants et que nos existences sont avec les leurs dans un rapport d’intrication.
Que nous ayons avec eux des « comptes à régler » ou que soyons en dette à leur égard, leur présence insistante nous protège en tout cas de l’idée désespérante et paresseuse qui porte à considérer l’humanité comme un flux alors qu’elle apparaît plutôt comme une aventure qui enjambe la mort, un compagnonnage que la mort peut blesser mais pas abolir, une fraternité.
[1] Paul-Louis Landsberg, « Essai sur l’expérience de la mort », p. 18, Le Seuil 1951. Philosophe allemand, Landsberg a quitté son pays quatre jours avant qu’Hitler s’empare du pouvoir pour vivre à Paris ou en Espagne. Passé en zone sud en 1940, arrêté en 1943 à Pau par la Gestapo et déporté, il est mort au camp d’Oranienburg en mars 1944. L’article auquel envoie cette note a d’abord été publié en français dans les années 1930. Jean Lacroix qui a préfacé le recueil posthume de 1951, indique que Landsberg, bien que s’affirmant catholique, avait des désaccords avec l’Église, en particulier sur le suicide. Il portait toujours sur lui de quoi en finir si la Gestapo l’arrêtait, mais à la suite d’une expérience mystique, il a renoncé à s’en servir.
[2] Cf Jean-Eric Schoettl, La Démocratie au péril des prétoires : de l’État de droit au gouvernement des juges, Gallimard 2022. .
[3] Cité page 45 d’« Essai sur l’expérience de la mort ».
Après le bombardement aérien de dimanche sur Rafah, rarement Israël n’aura été autant vilipendé
Les images ont fait le tour du monde; elles sont terribles. Les deux bombes israéliennes lancées le matin du 27 mai à Rafah dans une opération destinée à éliminer deux dirigeants importants du Hamas ont beau avoir atteint leur objectif, l’histoire retiendra qu’elles ont entrainé la mort de nombreux civils palestiniens, 45 prétend le Hamas, dont une fois de plus on rapporte les chiffres sans les vérifier. La réprobation qu’elles ont provoquée fait de cet événement, qualifié d’accident tragique par Benjamin Netanyahu et d’assassinat abominable par les ennemis d’Israël, un épisode majeur dans une guerre qui dure depuis près de huit mois.
Bavure ou volonté de tuer ?
Jamais Israël n’a été aussi critiqué. Je ne parle pas ici des militants LFI, comme ce minable tartufe de David Guiraud, celui qui plaisantait sur le bébé israélien placé dans un four le 7 octobre et qui joue à l’humaniste en pleurant devant le bébé décapité par une bombe israélienne. Je parle de ces sympathisants d’Israël qui disent aujourd’hui: « Désormais, ça suffit. Il faut arrêter les combats tout de suite et faire la paix ». Comme si le cessez-le-feu avait la moindre chance de mener à la paix avec un Hamas grandi par sa résilience en face de la plus forte armée du Moyen-Orient et pour qui la destruction d’Israël n’est pas une option politique, mais une obligation sacrée.
Il faut d’abord qualifier et localiser l’événement. Bavure tragique ou volonté de tuer? Cette dernière hypothèse peut être écartée, car même le plus allumé des kahanistes sait que le bénéficiaire des morts civiles à Gaza est le Hamas, qui ne demande que cela. Israël a réussi l’exploit de transférer 900 000 habitants de Rafah vers d’autres zones de l’enclave, qui ont pris un caractère humanitaire. Or, contrairement à ce qui a souvent été dit, le bombardement a eu lieu à 1500m en dehors de ce périmètre. Pourquoi des tentes se trouvaient-elles à cet endroit, à cent mètres environ du point d’impact des bombes et pourquoi les habitants n’avaient-ils pas quitté cette zone de guerre? Est-ce que le Hamas s’en servait comme de boucliers humains ?
Ensuite, la bombe. On sait aujourd’hui qu’il s’agissait de bombes américaines GBU-39, de petit diamètre, très précises et portant une très faible charge explosive, 17 kg : à titre de comparaison, pour un missile non nucléaire, la charge est souvent de 500 kg à une tonne. Il s’agit donc de frappes de précision destinées à des éliminations ciblées et certainement pas du tapis de bombes destructeur auquel font croire des commentateurs très orientés. C’est précisément parce que les Israéliens n’ont pas recours à ce type de bombardements à Rafah, au risque de ralentir leur progression et de mettre leurs propres soldats en danger, que l’accusation de bombardements massifs et sans précautions est inepte. Pour rappel, le Hamas avait affirmé qu’Israël avait envoyé sept bombes d’environ une tonne d’explosifs chacune, une information mensongère parmi tant d’autres.
Le ciblage ne semble pas en cause, puisque les objectifs ont bien été atteints. Alors pourquoi ce terrible incendie à une centaine de mètres de distance ? Ces bombes, aussi petites soient-elles, peuvent générer un effet de souffle important et celui-ci peut entrainer des incendies dans les réservoirs d’hydrocarbures ou des explosions en chaine dans des dépôts de munitions surtout si elles sont stockées sans précautions. C’est probablement ce qui s’est passé, d’autant que des conversations captées après l’accident confirment l’existence de ces dépôts.
L’enquête indépendante de LCI confirme la thèse israélienne sur le drame de Rafah: l’incendie meurtrier a été causé par l’explosion d’un dépôt d’armes du Hamas placé au milieu de civils boucliers. Du vrai journalisme. 🙏@24hPujadas. pic.twitter.com/5QeOgIPLMB
Articles au vitriol dans la presse, mais réactions mesurées dans beaucoup de chancelleries
C’est là une constante du modus operandi du Hamas que d’installer ces munitions à proximité des lieux d’habitation. Il suffit de se rappeler les dramatiques explosions de nitrate d’ammonium dans le port de Beyrouth pour noter que le Hezbollah avait cette même négligente habitude.
De telles considérations ne dédouanent pas totalement les Israéliens qui ont peut-être manqué de prudence. L’enquête déterminera si tous les risques avaient été pesés avant de lancer l’opération, mais Rafah n’est ni Dresde, ni Coventry. Aucune intention de tuer des civils ne peut être alléguée. C’est bien ce que signifie la réaction très mesurée de l’administration américaine, contrastant avec les articles au vitriol des journaux engagés, des pacifistes professionnels et les réactions débridées de LFI qui y cherche un tremplin pour les européennes.
Malheureusement, les victimes civiles de Rafah ont renforcé dans le monde la détestation d’Israël. Ces drames sont inhérents à la guerre: les bombardements alliés sur la France en préparation du débarquement ont fait en 1944 plus de 50 000 victimes dans la population. Des villes entières, St-Nazaire, Dunkerque, Calais, Beauvais, Le Havre ou Brest furent presque complètement détruites. Deux fois par jour, Philippe Henriot fustigeait à la radio les « Anglo Saxons soumis à l’internationale judéo-bolchévique qui tuent sans état d’âme de bons Français », et la visite surprise de Pétain, le 26 avril 1944, venu « apporter sa compassion au peuple de Paris » fut un vrai succès populaire.
Est-ce que de tels drames enlevaient la légitimité du combat des Alliés contre l’Allemagne nazie? La réponse est évidemment non. Exiger d’Israël l’arrêt immédiat et unilatéral des combats revient à acter la victoire du Hamas, un adversaire avec lequel la paix est impossible, comme la paix sans capitulation était impossible avec les nazis.
Le vainqueur tend à faire silence sur ces victimes civiles, vite assimilées à des dommages collatéraux. Les récents sièges de Mossoul et de Raqqa, menés contre Daech par une coalition à laquelle la France appartenait, ne font pas exception à la règle, mais il y a un écart moral considérable entre le bombardement destiné à tuer des civils pour épouvanter une population et celui où la mort des civils est une occurrence non recherchée. À la première catégorie appartient le bombardement de Tokyo qui dans la nuit du 9 au 10 mars 1945 a fait 100 000 morts. Récemment, la guerre menée par la Russie en Tchétchénie relève de ce type, avec des bombardements massifs, qui ont fait plus de 100 000 victimes civiles sans entrainer de réaction dans la communauté internationale. On pourrait multiplier les exemples.
Contre Israël, et contre Israël seulement, le mot génocide est brandi de façon de plus en plus banale. Il s’agit, comme l’avait théorisé Goebbels, d’utiliser constamment contre l’ennemi une qualification mensongère qui deviendra progressivement indiscutable par sa répétition même.
La guerre de Gaza se double d’une guerre des mots dans laquelle le Hamas, ses sponsors internationaux, les Frères Musulmans et les idiots utiles de l’islamisme jouent chacun leur partition. L’objectif est de faire d’Israël un paria infréquentable, et cette dernière quinzaine a été particulièrement productive, avec les incriminations du Procureur de la CPI contre le Premier ministre israélien et l’incendie du camp de tentes de Rafah, mais aussi par la lamentable compromission des organisations internationales dans les hommages à feu Raïssi, le boucher de Téhéran.
N’oublions pas que cette guerre des mots ne vise pas seulement Benjamin Netanyahu, Israël ni même les Juifs. Elle met en cause l’aptitude à utiliser le langage pour exprimer la vérité du monde dans ses nuances et sa complexité. Il s’agit d’un vrai combat de civilisation et ce combat n’est pas gagné…
La tête de liste de Reconquête !, en charme plus d’un… dont notre contributeur, Philippe Bilger.
Ce billet ne va pas me donner l’image d’un intellectuel de la politique. Que je n’ai jamais été, d’ailleurs. À ma grande honte, j’ai toujours été plus passionné par la forme des échanges, la qualité des expressions et des affrontements, la vigueur et l’intelligence des argumentations que par le fond souvent confus des débats d’où ressortait en définitive le fait que, malgré les apparences parfois violemment polémiques, les idées développées n’étaient pas si éloignées les unes des autres, sorties de leur vernis obligatoirement contestataire. C’est d’abord à cause de cette relative similitude des programmes européens, à l’exception de LFI et des Ecologistes campés dans un extrémisme irresponsable ou mou que j’ai tendance à m’attacher, avec une infinie curiosité et, je le crois, une réelle objectivité technique, à la nature des confrontations et à ce qu’elles révèlent des personnalités, des dons, des talents et des esprits.
Notre contributeur s’attache beaucoup à la forme
On pourrait y ajouter la plus ou moins grande incidence que chacun assigne à la vie politique nationale à partir de l’objet européen. Il est clair qu’il va être majoritairement négligé en raison de la frustration démocratique éprouvée par les Français depuis la réélection d’Emmanuel Macron. Et ce d’autant plus que, même si la tête de liste de Renaissance était bonne, elle ne pourrait pas s’opposer à l’intense courant d’hostilité emportant le président et son Premier ministre dans un rejet commun.
Il est facile d’imaginer alors comme je me délecte des émissions politiques réunissant les candidats importants – sur LCI d’abord puis, le 27 mai, sur BFMTV – d’autant plus que je n’ai jamais été de ceux viscéralement persuadés que les citoyens valaient mieux que leurs représentants. Parce qu’ils me permettent de me dissocier, de me cliver, de telle sorte que celui qui sait pour qui il va voter le 9 juin se sent, par ailleurs, totalement libre de goûter telle intervention, telle réplique – par exemple Raphaël Glucksmann, lassé, renvoyant dans ses cordes une Manon Aubry répétitive -, l’oralité déployée avec brio par une candidate au détriment des autres, le plaisir, sans la moindre mauvaise conscience, d’apprécier, en quelque sorte pour l’esthétique et la densité du verbe, une personnalité, sa verve, son alacrité, sa puissance de conviction. Même si elle est aux antipodes de mon choix à venir. Rien ne me procure plus de bonheur que ce dédoublement entre le citoyen et l’auditeur, l’observateur.
J’aime ne pas me sentir ligoté par des partialités m’empêchant d’aller jusqu’au bout de mes impressions ou de mes déceptions. Je ne méconnais pas évidemment que ma subjectivité, mon tempérament ne peuvent pas se délester totalement de ma conception de la parole. Une parole n’a de sens, pour moi, que si elle dit quelque chose ! On peut n’être pas du tout médiocre dans l’exercice oral mais pourtant ne pas savoir ce que sont véritablement l’art et l’exigence de convaincre. On comprendra alors pourquoi, si je défends plus que jamais François-Xavier Bellamy dont l’intelligence, la tenue, la courtoisie mais avec une pugnacité toute récente, le verbe et la dialectique sont remarqués et remarquables, je m’accorde le droit de digresser. Pour ce dernier, je le fais avec d’autant plus de sincérité qu’il est peu ou prou abandonné en rase campagne par les chefs à plumes de LR alors qu’il y a des soutiens déterminants qui devraient lui être apportés, à rebours de manœuvres de coulisses destinées à préparer la candidature future de Laurent Wauquiez alors que tout est encore ouvert pour 2027.
Pas née de la dernière pluie
Marion Maréchal n’est plus une révélation. Sa mise entre parenthèses de toute vie politique (à partir de 2017) durant quelques années lui a fait énormément de bien. De retour chez Éric Zemmour, quelles que soient les divergences de fond ou tactiques entre elle et lui – il est clair qu’elle s’en prend plus à François-Xavier Bellamy qu’à Jordan Bardella -, elle manifeste, dans les récents débats, une densité, une autorité, une sûreté, le fil impressionnant d’un verbe maîtrisé aussi bien dans l’affirmation que dans la contradiction, une ironie… Elle fait preuve d’un ton et d’une qualité de langage qui enlèvent à ce que sa pensée pourrait avoir d’extrême et de provocant l’âpreté dont par exemple Éric Zemmour ne s’est jamais privé. Si nous disposions, pour la politique, d’un quotidien comme l’Équipe pour le sport, elle bénéficierait de beaucoup d’étoiles. Son transfert serait hors de prix ! Je ne suis pas de ceux enthousiastes par inconditionnalité ; je mesure seulement comme sur le plan technique, de la forme, son apparence ajoutant à son expression la place au-dessus du lot. Si je la juge bien supérieure dans ses prestations à Manon Aubry (elle récite), à Valérie Hayer (elle tremble) et à Marie Toussaint (elle ennuie), ce n’est pas que je suis misogyne : je crois au contraire qu’on a oublié combien certaines femmes pouvaient avoir de talent et combien d’autres pourraient en avoir.
Quand j’ai « soumis à la question » Marion Maréchal le 22 janvier 2021, elle m’avait déjà surpris : sa parole est bien meilleure que celle de sa tante, moins appliquée et moins contrainte que celle de Jordan Bardella. Face à elle, Emmanuel Macron aurait trouvé à qui parler. Il aurait été moins sûr de son fait, moins condescendant. Il ne sera plus là. Dommage, j’aurais bien aimé un peu de politique-fiction. Entre elle et lui.
« C’est dans le passé qu’est tout notre bonheur ; et le mien me torture de sa grâce évanouie »
Sachons gré à Frédéric Martinez d’avoir su rendre hommage, et vivant, un poète pour « happy few » – Paul-Jean Toulet donc, qui dut longtemps s’accommoder d’une gloire discrète. Un peu à la manière, ténue mais insistante, d’un Henry Jean-Marie Levet dont les Cartes Postales firent la gloire posthume – et les délices et l’admiration de Larbaud, Fargue, Morand ou Sylvia Beach.
Martinez dit Toulet avec talent et inspiration – comme on a rarement lu. Et l’on pèse ses mots. Martinez connaît « son homme » comme on connaît seuls ses intimes (mauvais exemple ? Soit) et il en écrit avec émotion, justesse, équanimité, grâce et érudition. Il y a là, réellement, comme un miracle de transsubstantiation, un passage de témoin mémorable.
Écoutez-le : « Paul-Jean Toulet naquit à Pau en 1867. Il mourut à Guéthary en 1920. Il écrivit des livres. Le plus célèbre d’entre eux, Les Contrerimes, fut publié après sa mort (par son ami, le distingué, et stendhalien émérite, Henri Martineau). Dans ce recueil de poèmes amers et brefs, il sut imposer un style personnel tissé de classicisme et d’irrévérence. Contemporain de Proust, d’Apollinaire, Toulet fut une figure du Paris 1900, un opiomane notoire et le chef de file de l’école fantaisiste (qui regroupait, entre autres, Francis Carco, Tristan Derème et Jean Pellerin).
Et quoi encore ? Je reprends. Plus qu’un écrivain, Toulet est un sentiment, un état d’âme. Son bonheur d’écrire et son mal de vivre, son sourire en larmes font de sa lecture une expérience singulière. Son œuvre est une confidence. Ceux qui la reçoivent ne l’oublient pas.
L’homme qui voulait prendre garde à la douceur des choses se rendit à celle des mots. Son français est une grâce. Peu de poètes l’eurent à ce point. Illustre et pourtant méconnu, il fut un écrivain discret. Trop. Certains de ses poèmes comptent parmi les plus beaux de la littérature française. On ignore souvent qu’il en est l’auteur. (…) Ce livre n’est pas une biographie. C’est l’histoire d’un poème ».
Vous n’avez pas envie de continuer ? D’en savoir plus ? Vous ne le trouvez pas pour le moins habité ce prologue, nerveux, cursif, personnel ? Vous galéjez. Il évoquait « (son) frère le whisky et (son) amie la nuit », Stendhal était son écrivain de chevet, une de ses plus constantes admirations, il disait avoir « aimé le plus au monde » : « les femmes, l’alcool et les paysages ». Il cultivait « le crincrin de la blague et le sistre du doute ».
L’ont aimé – voire admiré – Carco, Proust, Valéry (« la matière, à ce degré de finesse, n’est plus elle-même, et s’approche du système nerveux » – à propos des Contrerimes), Maurice Rostand, Francis Jammes, Henri de Régnier, Claudel, Giraudoux, Bernanos, Gide, Jacques Réda, Philippe Jaccottet, Borgès, Vialatte, Pascal Pia, Michel Bulteau, Jean d’Ormesson, Jean Dutourd, Hubert Juin, j’en passe.
Lui, aimait Baudelaire, Verlaine, La Fontaine, Leconte de Lisle, Moréas, Corbière, Banville, Laforgue, Maurice de Guérin. Un « néo-classique » dirait-on, plus tard, lorsque l’on considèrerait, à rebours, les surréalistes, Apollinaire ou Claudel, ses contemporains. Martinez en parle comme d’ « un faux blasé, crédule, aussi peu roué que Stendhal ».
Il était drôle, acide, léger, érudit, railleur, cultivait les archaïsmes et la conversation, rêva de fonder un « club de grammaire » (c’était un latiniste éminent et sa poésie – prosodie, lexique et grammaire – s’en ressent), cultiva la fantaisie comme paravent à la mélancolie, et fut le meilleur ami de Debussy.
Il fut un romancier d’occasion, un styliste d’élection et un poète par nécessité (la seule, peut-être, qu’on lui connût). Il fit du mélange des genres – le langage populaire, la tradition latine et l’exotisme – une de ses « marques de fabrique ». Pierre-Olivier Walzer, « touletologue » éminent, l’évoquait ainsi : « Ce qu’on goûte chez lui, ce sont les charmes du langage, la fantaisie du primesaut, l’ironie mordante ou amusée, les tours de la syntaxe, le choix des mots, la délicatesse ou l’imprévu des images, en bref : le style ». Remarquez combien ce poète donne de talent à ses exégètes.
Né à Pau, Toulet avait des attaches à l’île Maurice – où il s’en fut, trois ans durant, après des études un peu chahuteuses qui le menèrent de Pau à Bordeaux et de Bordeaux à Saintes, en passant par Bayonne. A Maurice, il mène une vie de jeune homme amateur de plaisirs, ceux de l’amour évidemment, mais aussi du jeu et de l’alcool. Puis c’est Alger, où il se fait journaliste : ce néophyte a une sensibilité de moraliste. « La pointe essayée, plus qu’ornementale, devient formule contondante dénonçant toute vanité ». Il regagne la France en 1889. Dès lors, sa vie rétrospectivement va former « une manière de triptyque ».
De 1889 à 1898, une période provinciale (son Béarn natal) et oisive en apparence – il accumule notes et impressions. De 1899 à 1912 – hormis un excursus en Extrême-Orient (1902-1903, flanqué de son grand ami Curnonsky, visite de Singapour, Hanoï, Saïgon…) -, il mène une existence de noctambule parisien, riche de fréquentations multiples et parfois illustres.
Couché à 7H du matin, il émerge vers 15h et s’en va au Bar de la Paix retrouver Maurras, Léon Daudet, Edmond Jaloux, Henri de Régnier, Giraudoux, Émile Henriot, Jean-Louis Vaudoyer, Valéry ou Debussy. Il était Rive Droite et n’avait guère l’âme républicaine. Léon Daudet l’évoquait ainsi : « Nous l’aimions pour son horreur de la foule, des préjugés démocratiques, de la niaiserie diffuse et des gens importants. » Ses préjugés étaient d’une époque, et d’un milieu. Pour sa défense (en a-t-il besoin ?), nous citerons Montesquieu, dans ses Pensées : « On ne jugera jamais bien les hommes si on ne leur passe les préjugés de leur temps ».
Martinez résume magnifiquement ce « début dans la vie » : « Amant des femmes, aimé des muses, il connut la Belle Époque et vécut de mauvais jours. Artisan d’un désastre semé d’adjectifs, cet intermittent de la gloire apprit que la littérature est une fille de l’enfer. Plus dangereuse que les apaches qui jouent du couteau près des fortifs, plus perfide que les mondaines qui vous lacèrent le cœur, cette mauvaise fille se montre pareille aux dieux : elle tue ceux qu’elle aime. Au charmant Toulet, elle avait promis le Ciel, elle avait tout donné ; elle avait prodigué talent et fortune : il dilapida l’un et l’autre. Flambeur effréné, amoureux compulsif, l’enfant gâté perdit sa rente sur le tapis vert des casinos et le cuir des sofas. A Pau ou à Biarritz, quand les femmes font l’amour et les croupiers la loi, rien ne va plus dans la nuit de strass. Les démons de Toulet se nomment poker, opium, whisky ; ils se nomment Marie, Nane, Yvonne ». (Vous n’avez toujours pas envie de lire Martinez ?)
Troisième phase, de 1913 à 1920, à nouveau le Béarn, il s’y marie : la création poétique prend le meilleur de son temps – ainsi que la collection de ses proses, légères et spirituelles, publiées dans La Vie parisienne en particulier, ou avec Curnonsky (futur « Prince des gastronomes ») ou Willy (premier mari de Colette qui devait s’en séparer en 1907) : entre autres, Bréviaire des courtisanes, Le Métier d’amant, L’Implacable Siska ou Les Amis de Siska. Les titres nous dispensent d’insister. Le souci d’art disparaît. La sensibilité vire alors à la gauloiserie, et l’esprit au calembour. Il était temps de rentrer (au pays).
Monsieur du Paur, homme public (1898), Mon amie Nane(1905) et La Jeune fille verte (1920) lui vaudront un certain succès, d’estime et public. Virtuosité du style (toujours) et ambitions réduites les caractérisent, même si d’aucuns (Jean d’Ormesson, Geneviève Dormann, Michel Déon) ont fait de Mon amie Nane un petit livre culte. Parenthèse : l’hommage de Déon à Toulet sera « explicite » lorsque, quelques décennies plus tard, Le Jeune Homme vert, un de ses romans les plus aboutis, répondra à La Jeune fille verte. Fermons la parenthèse.
Et écoutons Frédéric Martinez qui nous semble caractériser assez exactement ces romans : « Passé le premier émerveillement que procure un style souverain, ils s’avèrent ennuyeux, souvent déplaisants, témoignages surannées et guettés par le kitsch d’une époque plus lointaine qu’il y paraît d’abord, préhistoire du vingtième siècle peuplée de petites femmes et de fontaines Wallace, redécouvrant le feu dans l’électricité éclairant ses cavernes modern style ». Équanimité de Martinez, notions-nous d’emblée, et impartialité : amant, oui, aveugle, non. Et peut-être un peu sévère pour Mon Amie Nane. Mais la cocasserie de quelques-unes des lettres ou cartes postales qu’il s’adressait à « soi-même », leur élégance et leur désinvolture, son Almanach des Trois Impostures (les dieux, les amis, les femmes) – où, moraliste à la Chamfort, il se montre amer, incisif, spirituel – et, surtout, Les Contrerimes, dont demeurent la nonchalante ironie et l’inquiète beauté, lui garantiront la place unique, isolée, altière qui est la sienne dans la poésie française. Toulet, trop sceptique pour s’y attarder, qui excelle en outre dans les formes brèves, n’écrira pas son Temps retrouvé. La tonalité y eût été pourtant.
Recueil de trois cents pièces, chansons, dizains, quatrains ou coples, Les Contrerimes modulent un désenchantement sans remède qui décolore les voluptés et les spectacles de la vie.
La connaissance que Toulet avait des formes littéraires à travers les siècles jointe à une évidente liberté d’allure explique la subtilité voulue de ses vers, où la composition et l’émotion s’exaltent l’une l’autre. Loin d’y entendre quelque impassibilité parnassienne (pas si lointaine parfois), on y perçoit le vibrato primitif que visait, par-dessus tout, Paul-Jean Toulet – poète « pince-sans-rire » (sic) de la nostalgie et de la mémoire, obsédé par le temps (qui passe) et par la mort (qui vient). Charles Du Bos, une fois n’est pas coutume, évoque très justement sa poésie : « C’est dans la réduction à l’unité d’impressions venues des quatre points de l’horizon, mais perçues et senties simultanément, et comme avec instantanéité, sur le seul plan de l’imagination, que Toulet est incomparable ».
Les images, chez Toulet, magnifient en effet, par de brefs rapprochements, « ce qu’il y a de fugace dans les beautés du monde ». Et Pierre-Olivier Walzer, de conclure : « De Baudelaire, de Moréas, Toulet a appris cet art infiniment discret qui fuit la déclamation, domine le sentiment et réalise un exact équilibre entre les émotions et leur expression littéraire. Faire entendre le plus en disant le moins : il y a là le secret d’un classicisme, renouvelé par l’accent moderne d’une musicalité qui doit beaucoup à Verlaine. Les choses allant toujours « la même chose », il ne peut appartenir à l’art que de fixer, avec une ironique délicatesse, la fragilité des apparences sensibles et l’amère monotonie des recommencements humains. »
Écoutons-le donc encore, inlassablement. Lisons En Arles, sa chanson la plus fameuse : « Dans Arle, où sont les Aliscams,/ Quand l’ombre est rouge, sous les roses,/ Et clair le temps,/ Prends garde à la douceur des choses./ Lorsque tu sens battre sans cause/ Ton cœur trop lourd ;/ Et que se taisent les colombes : / Parle tout bas, si c’est d’amour,/ Au bord des tombes. » L’amour. La mort. Le passage.
Sa mort, justement, il l’avait « rêvé », dix-huit ans plus tôt, dans une lettre à Madame Bulteau (« Toche »), une des femmes qui lui voulut le plus de bien : « Ce doit être délicieux, Toche, de mourir, de sentir toute la fatigue de la vie fuir par le bout des doigts, comme son sang dans un bain ». Terrassé par une hémorragie cérébrale, Toulet abandonne, dans un livre, une ébauche de poème : « Ce n’est pas drôle de mourir/ Et d’aimer tant de choses/ La nuit bleue et les matins roses/ Le verger plein de glaïeuls roses/ (L’amour prompt) / Les fruits lents à mûrir… »
Né inconsolé, dandy sceptique et désenchanté (parfois désespéré), homme qui aimait les femmes sans les aimer, poète tantôt aigre-doux et ironique, tantôt tendre et léger, poète « fêlé » dont retentit longtemps, une fois qu’on l’a entendu, le timbre inimitable, Toulet nous laisse un vade-mecum en forme de pirouette grinçante. Le voici : « Si vivre est un devoir, quand je l’aurai bâclé, / Que mon linceul au moins me serve de mystère. / Il faut savoir mourir, Faustine, et puis se taire : / Mourir comme Gilbert en avalant sa clé. »
A lire : Prends garde à la douceur des choses – Paul-Jean Toulet, une vie en morceaux, de Frédéric Martinez, Flammarion.
La lecture émotionnelle de notre histoire légitime sa déconstruction et son effacement. En héritier de Voltaire, Arthur Chevallier prône une approche rationnelle, celle-là même qui a permis d’écrire notre « roman national ».
« La suppression de l’histoire rendrait les peuples plus heureux », estimait Paul Valéry. Elle les délesterait en tout cas d’un fardeau aussi lourd qu’enrichissant, et les priverait du plaisir – de la nécessité ? – de le façonner à leur convenance. L’histoire de l’histoire prouve qu’on a affaire à un matériau malléable qui se prête à toutes les interprétations et à toutes les instrumentalisations. Mais ce n’est pas ce que déplore Arthur Chevallier dans son nouvel ouvrage. « De la décapitation de Louis XVI à la victoire du Front populaire, des journées d’août 1792 à celles de mai 1968, en passant par la bataille d’Austerlitz en 1805 et la Commune de Paris en 1871, l’histoire récente de la France donne des exemples de tout pour tout », reconnaît-il, et l’éditeur-historien de démontrer tout ce que notre passion de l’histoire doit au XIXe siècle : la Restauration a dicté à la monarchie, revenue après la Révolution et l’Empire, la nécessité d’asseoir sa légitimité politique en faisant appel aux historiens ; ce que fera à son tour, et à sa manière, la IIIe République.
La culture commune en danger
Chevallier pointe une nouveauté inquiétante : la lecture de l’histoire passée au filtre des émotions, le règne tout-puissant de l’irrationnel qui ouvre grand la porte à la déconstruction, et donc au délitement de ce qui peut nous rester de culture commune, de liant national. De quoi faire passer Michel Foucault, qui estimait que l’histoire est un outil d’oppression, pour un inoffensif rigolo.
L’interprétation émotionnelle – et non plus scientifique ou politique – de l’histoire justifie le déboulonnage des statues, alimente la concurrence victimaire et légitime des « journées mémorielles » hors-sol. La mémoire hissée au rang de « devoir » ne rafraîchit pas le passé dans l’esprit de nos concitoyens et impose encore moins cette rationalité qu’Arthur Chevallier appelle de ses vœux. « C’est parce qu’elle s’expose au chaos émotionnel que l’humanité a préféré domestiquer la mémoire en créant l’histoire, en imaginant des protocoles de recherche, des règles de pensée, des lieux d’enseignement comptant comme autant de passeports préparatoires à l’exploration d’une contrée dangereuse. » Mais il se navre qu’« en ce début de XXIe siècle, la politique des émotions recouvre toutes les formes d’expression. Les œuvres sont appréciées en fonction de l’idéologie à laquelle elles se rapportent. La lutte se résume à détruire ce que l’autre camp a construit, quitte à oublier l’autre affrontement essentiel, celui entre l’intelligence et la bêtise ». Cette bêtise qui se nourrit d’ignorance.
Une passion française
Il est loin le temps où, pour se moquer des Français passionnés par les anniversaires historiques, Mark Twain pouvait ainsi singer un discours politique : « Si l’homme du 2 décembre n’avait pas existé, le 27 février fatal n’aurait pas eu lieu, le 30 janvier n’aurait pas fait couler tant de larmes amères, le 18 septembre aurait été épargné à la France. Mais nous devons nous consoler de ce triste spectacle en songeant que, si le 2 décembre n’avait pas eu lieu, il n’y aurait pas eu non plus de 13 mars. »
Arthur Chevallier, L’Histoire à l’épreuve des émotions, Le Cerf, 2024.
L’antisémitisme n’a pas attendu le 7 octobre pour trouver des relais d’influence au sommet de certains États et de nombreuses ONG.
Moscou, décembre 1952. Devant ses pairs du Politburo, Joseph Staline lance: « Tout sioniste est l’agent du service de renseignement américain. Or parmi mes médecins, il y a beaucoup de sionistes. » Dans les mois qui suivent, des dizaines de praticiens juifs sont arrêtés en URSS au prétexte d’une participation au prétendu « complot des blouses blanches ». Plusieurs d’entre eux finiront exécutés.
New York, novembre 1975. L’Assemblée générale des Nations Unies prend la résolution 3379, affirmant que « le sionisme est une forme de racisme et de discrimination raciale ». Parmi les pays ayant voté en faveur du texte, on retrouve des membres de l’Organisation de l’unité africaine ainsi que de la Conférence des pays non-alignés. La résolution sera révoquée en décembre 1991.
Durban, septembre 2001. En marge d’une conférence internationale organisée par l’UNESCO dans la seconde ville d’Afrique du Sud, un forum réunissant 6 000 ONG du monde entier adopte une déclaration accusant Israël d’« apartheid » et « d’actes de génocide ». Sur place, des participants juifs sont insultés et physiquement menacés. Le texte sera toutefois vite dénoncé par plusieurs autres ONG, dont Amnesty International, Human Rights Watch et la Fédération internationale des droits de l’homme.
Acevedo (Venezuela), décembre 2005. En visite dans l’État de Miranda au nord du pays, le président Chavez prononce un long discours et déclare notamment : « Une minorité, les descendants de ceux qui crucifièrent le Christ, les descendants de ceux qui jetèrent Bolivar hors d’ici et le crucifièrent aussi à leur manière à Santa Marta en Colombie, s’est appropriée les richesses du monde. »
Istanbul, janvier 2015. Melih Gokcek, le maire de la ville, membre éminent du parti d’Erdogan, commente dans le journal turc anglophone Today’s Zaman les attentats qui viennent d’être commis en France par les frères Kouachi et Amedy Coulibaly. Pour lui, il est «certain qu’Israël est derrière ce genre d’incidents. Le Mossad favorise l’islamophobie en provoquant de tels incidents ».
Israël présenté comme le dernier bastion colonial de l’Occident
Arrêtons là la liste. On le voit, la parole antisémite n’est pas l’apanage des feuilles chou complotistes, des prédicateurs intégristes, des injures de rue. Depuis des décennies, elle s’exprime tout autant à ciel ouvert, dans les plus hautes sphères de la planète. Aux yeux de bon nombre de dirigeants, Israël est le dernier bastion colonial de l’Occident à s’être maintenu en Orient. Et si le Juif était autrefois défini dans la rhétorique antisémite européenne comme un « allogène basané » et sans patrie, il est désormais, vu par les chantres du nouvel antisémitisme mondial comme le parangon de l’Utra-européen, blanc et arrogant.
Mais dans ce registre de la haine, c’est l’Iran qui bat tous les records. Ne serait-ce que parce que les mollahs au pouvoir y ont inventé dès 1979 la « Journée mondiale d’Al Quds » (nom arabe de Jérusalem). À l’instigation de l’Ayatollah Khomeini, chaque dernier vendredi de Ramadan donne lieu dans le pays à des rassemblements contre la présence des Israéliens à Jérusalem-Est. Un peu comme si le pape, à la même époque, avait dédié l’un des vendredis du Carême à la cause des catholiques d’Irlande du Nord.
Ces manifestations sont l’occasion de revisiter des slogans comme : « Mort à Israël, mort à l’Amérique ». Au fil des ans, elles ont trouvé un grand écho dans le reste du monde musulman. En France, la tentative d’importation a été à peu près contenue. Au Royaume-Uni en revanche, la journée mobilise parfois jusqu’à 3 000 participants. Les drapeaux du Hezbollah sont brandis, ceux d’Israël sont brûlés.
En 2006, l’Iran fait encore plus fort. En réaction à la publication de caricatures de Mahomet par le journal danois Jyllands-Posten, le journal iranien Hamshahri, téléguidé par le régime, réplique en proposant un concours de caricatures sur la Shoah. Alors que le président Mahmoud Ahmadinejad venait de promettre la destruction d’Israël et de remettre en cause l’ampleur des crimes hitlériens, le journal veut illustrer avec son concours « l’hypocrisie des occidentaux ». Une constante dans la majorité des dessins publiés : ils mettent un signe égal entre les camps de la mort et le sort des Palestiniens.
De l’antisémitisme dans les pays musulmans ? Pas possible !
Le succès est tel que la même année, une grande conférence anti-sionniste est organisée à Téhéran par les autorités. On y retrouve l’Américain David Duke, ancien du Ku Klux Klan, et bien sûr le négationniste français Robert Faurisson. Au cours de la conférence, l’Allemagne nazie et l’Etat hébreu y sont renvoyés dos à dos, tandis que l’antisémitisme, phénomène défini comme strictement européen, y est présenté comme étranger au monde musulman.
Cette conférence constitue une étape majeure dans la consolidation de l’antisémitisme mondial, qui plait aussi bien en terre d’islam que dans les quartiers islamisés d’Europe. Une partie de l’extrême droite occidentale n’y est pas insensible non plus. Aux Européennes de 2009, la liste antisioniste de Dieudonné M’bala M’bala recycle tout sur son passage, de SUD au GUD : on y trouve d’anciens membres des Verts, de la Ligue communiste révolutionnaire et du Front national. Le financement provient de l’Iran.
Certes cet étonnant attelage idéologique n’aura pas dans les années suivantes d’autres concrétisations électorales majeures. Il n’en demeure pas moins le point de départ de l’association Egalité et Réconciliation, menée par Alain Soral, autour de laquelle gravite toute la dieudosphère, et qui donnera dans la société française un nouveau souffle à l’antisémitisme.
C’est ainsi que la haine envers les Juifs, qui faisait encore horreur à la plupart des forces de gauche, s’est diffusée peu à peu dans les esprits au point d’être devenue l’un des principaux carburants du couple islamo-gauchiste. Évoquant les incidents survenus à l’Assemblée nationale cette semaine, le philosophe Bernard Henri-Lévy observe, sur BFMTV : « Quand David Guiraud traite Meyer Habib de porc, il parle comme Dieudonné et comme Alain Soral ».
En 2017, le sort des Rohingya, musulmans persécutés par la Birmanie, n’a intéressé l’opinion que durant quelques semaines. Et depuis lors, à l’ONU, les Etats musulmans se rangent toujours derrière la Chine pour bloquer les condamnations relatives au martyre des Ouïghours. Rien à faire : pour s’attirer la réprobation, Israël aura toujours un temps d’avance, une capacité supérieure à susciter l’animosité et la mauvaise foi.
Début mai, une vidéo postée par une jeune femme agite la toile. On l’y voit danser, sa peau est blanche ; elle pratique le Legong, une danse balinaise. Il n’en fallait pas plus pour que les imbéciles hurlent « à l’appropriation culturelle » et relaient la séquence sur X. L’imbécile virtuel diffuse et commente la publication, relayé par d’autres imbéciles… Voici la meute formée ; elle grossit et fond sur sa proie. On sonne l’hallali, c’est bientôt la curée: on fustige, on jette des anathèmes…
L’époque coloniale est révolue mais, d’après les Wokes, les Blancs continuent à exploiter les peuples minorisés. À les en croire, il s’agit, sous couvert de les honorer, de s’approprier les cultures desdits peuples afin d’en tirer des bénéfices économiques et symboliques. Éric Fassin, sociologue français de son état, définit ainsi le concept de « l’appropriation culturelle » : «L’appropriation culturelle, c’est lorsqu’un emprunt entre cultures s’inscrit dans un domaine de domination. » Le wokisme engage à dénoncer cette « appropriation culturelle » pour aider à la prise de conscience des injustices normalisées ou institutionnalisées, qui, bien sûr, sont partout. Aussi chacun, sur les réseaux sociaux, défend les particularités qu’il estime iniquement dérobées aux minorités ; les insultes fusent, la brutalité verbale règne.
Le wokisme est une bêtise sectaire
La dernière victime en date de cette folie collective qui s’est emparée de la toile est une Suédo-Indonésienne, Daisy Oxenstierna. Elle vit à Bali, en connaît la langue, les coutumes et pratique, comme c’est la coutume pour toutes les jeunes filles, la traditionnelle danse du Legong qu’on exécutait jadis dans la cour des palais royaux.
Début mai, désireuse de partager son amour pour Bali et cette danse, la malheureuse s’avise de poster sur les réseaux sociaux une vidéo où on la voit danser. Le Legong requiert des gestes précis. Les mouvements des mains, des yeux, des doigts et des pieds doivent concorder. La vidéo devient vite virale, relayée par les sectateurs du wokisme. La malheureuse, blanche (on s’en doute), est vilipendée, accusée de se moquer ostensiblement de cette danse balinaise. On fustige sa gestuelle qu’on qualifie de caricaturale et on voit des grimaces, où, sur le visage de la jeune fille ne s’inscrivent que les mimiques qu’exige le Legong. Bêtise et méchanceté ignares et sectaires. On s’insurge, on l’accuse d’être caricaturale et de grimacer pour se moquer et déprécier les traditions balinaises ; on assène : « Les Blancs s’approprientla culture des autres parce qu’ils n’en ont aucune ». Pour mettre fin au lynchage, la malheureuse devra supprimer sa publication et les commentaires qui l’accompagnent.
Une justicière qui surgit hors de la nuit
Ne désespérons pourtant pas et saluons l’inflenceuse afro-américaine Amala Ekpunobi. Cette ancienne militante d’extrême gauche, lassée par l’intolérance des Wokes, s’est tournée vers les valeurs conservatrices pour devenir ambassadrice de Prager University, un groupe de défense conservateur américain, relais de l’idéologie libertarienne de droite qui crée du contenu en ligne sur des sujets politiques, économiques et sociologiques conservateurs. Mme Ekpunobi, très suivie par la jeunesse a, dans une courte vidéo (voir ci-dessus), su remettre en place les contempteurs de Daisy et souligné la stupidité des procès en appropriation culturelle non fondés. Elle a ainsi confondu les nicodèmes prompts à condamner sans savoir. Voilà les arroseurs arrosés. La danseuse est suédoise, certes, mais aussi indonésienne, donc de sang mêlé. Elle vit à Bali, en connaît la langue, les us et surtout pratique le Legong, jadis dansé dans la cour des palais indonésiens, depuis son enfance, comme c’est la tradition… Pour « l’appropriation culturelle », on repassera !
« La radio n’a pas rendu les hommes plus sots. Mais la bêtise plus sonore » disait Jean Rostand. Grâce aux réseaux sociaux, elle se répand désormais à la vitesse de l’éclair. Puisse Mme Expunobi inciter les minorités à dénoncer, elles aussi, le racisme anti-blancs.
La militante appellait ses troupes hier à boycotter TF1, télévision qui a osé tendre le micro à Benyamin Netanyahou. Plutôt que de faire tant de bruit, elle n’a qu’à zapper sur Al Jazeera.
« La chienlit c’est moi ! » pourrait rageusement revendiquer Mélenchon un jour. Il serait alors enfin éminemment crédible. Et loin de ses errements délictuels bien connus : souvenez-vous, quand il se drapait dans la toge de la République, face à des policiers impassibles dans une affaire qui a marqué les esprits.
On sait que le nouveau Petit Père des Peuples s’est entiché de la cause palestinienne. Son mimétisme forcené en la matière pour engranger des voix est remarquable. Le but : séduire les quartiers à dominante musulmane, mis en effervescence par un odieux trucage de faits pourtant incontournables. Israël est l’agressé et non l’agresseur !
Les souffrances de Palestiniens cyniquement mises à profit
LFI se sert avec une gourmandise même pas dissimulée – les récentes danses endiablées techno-alcoolisées du côté du Canal Saint Martin sont révélatrices – des dramatiques effets d’une guerre lancée en réponse par cette démocratie odieusement vilipendée. Oui les Palestiniens souffrent, mais cette souffrance est soigneusement planifiée et entretenue par le Hamas, groupe terroriste sanguinaire qui estime sans le dire que la fin – la faim – justifie les moyens. Se servir de ces mêmes images pour tenter de convaincre l’électeur français musulman dans cette dernière ligne droite avant les Européennes, c’est aussi mettre à profit ces boucliers humains, cyniquement et monstrueusement répartis dans les territoires palestiniens.
Mélenchon fouille méticuleusement et consciencieusement dans les poubelles de la gauche extrême pour y trouver de nouvelles trouvailles, des pépites en toc mais mortifères, pour coller au mieux avec son actualité révolutionnaire et qu’elle puisse prospérer, surtout quand les sondages sont en berne. Il a ainsi sorti de son sac à malices maléfiques Rima Hassan, jeune femme de 35 ans, au regard aussi sombre que l’avenir qu’elle nous promet. Née en Syrie, arrivée en France à neuf ans, par la grâce du regroupement familial, elle s’est fondue à merveille – du moins pouvait-on le croire – dans le moule de l’assimilation. La France, bonne fille, lui avait en effet offert de belles études de juriste, sanctionnées par un diplôme ad hoc. Employée dans des organismes relevant du Ministère de l’intérieur, elle a su habilement se frotter aux arcanes de l’immigration, voulue ou non. Le cheval de Troie ?
Les illusionnistes de la gauche radicale
Jean-Luc Mélenchon, grand prestidigitateur islamo-rouge, en la propulsant d’emblée à la 7ème place de la liste aux européennes de LFI (les mauvaises langues disent carrément La France Islamiste), veut lui donner un début de stature, en remplaçant au passage d’autres prétendants qui s’interrogent sur le cheminement inquiétant du Che. Qui, de fait, sont promis à la disgrâce.
Bonne fille, Rima Hassan fait fort après cet adoubement : manifestations haineuses au fil de manipulations du même tonneau sur les réseaux, négation d’Israël et autres joyeusetés anti-juives du même acabit. Une entrée tonitruante !
Cerise – avariée – sur le gâteau, cette dame très avenante souhaite même mettre l’information au pas. Ce 30 mai, en rameutant plusieurs milliers de personnes, elle s’en est pris sans succès à un journaliste de LCI, filiale de TF1, qui avait l’outrecuidance d’interviewer le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou, en le sommant d’y renoncer. En plaçant une fois encore une cible dans le dos d’un confrère ! Ce qui en dit long sur les intentions de cette nouvelle figure de LFI, issue de la vénéneuse pépinière entretenue par un jardinier en chef qui jubile. Par le truchement de cette jeune femme, c’est la morgue baveuse de Mélenchon qui parle. Et c’est à une autre morgue – si on n’y prend garde – que ceux-là destinent la liberté de penser…
L’institution présidée par Laurent Fabius accorde l’aide juridictionnelle aux étrangers en situation irrégulière au nom du « principe d’égalité devant la justice ».
Ça se sait dans les coins les plus reculés de notre ancien empire. La France est bonne poire. Non seulement ce n’est plus un délit de s’installer sur son territoire sans y être autorisé (“délit” c’est méchant), mais quand on invite quelqu’un à bien vouloir partir s’il vous plait, on lui offre de multiples possibilités de contourner la décision ou de la contester en justice.
Le contribuable paiera pour la défense des clandestins
Mais pour nos prétendus sages (bien fol qui s’y fie), ce n’est jamais assez. Le Conseil constitutionnel vient de décider que les immigrés clandestins auraient désormais le droit à l’aide juridictionnelle (en l’occurrence, il censure une loi de 1991 qui réservait son bénéfice aux seuls Français et étrangers en situation régulière). Foin de ces distinctions oiseuses entre ceux qui respectent nos lois et ceux qui s’assoient dessus. Désormais, si un sans-papier veut intenter une action en justice, le contribuable français paiera. Ne remarquons pas que ledit contribuable doit débourser de coquettes sommes pour régler un conflit de voisinage ou un contentieux fiscal. Ce serait populiste.
Il est vrai que, dans le cas qui a abouti à la décision de l’institution présidée par Laurent Fabius, des sans-papiers qui poursuivaient des patrons-voyous, il n’est pas scandaleux qu’ils bénéficient de cette aide. Si on accepte que ces gens travaillent, préparent nos repas et nettoient nos bureaux, ils doivent pouvoir se défendre. Le scandale c’est qu’on laisse faire et que les patrons soient rarement sanctionnés.
Alambic infernal
Reste qu’à partir d’un cas particulier, pour lequel on pouvait trouver une solution (faire payer les patrons par exemple, me suggère l’ami Jean-Baptiste Roques), le Conseil inscrit une règle générale dans le marbre constitutionnel. Cet alambic infernal s’appelle l’Etat de droit. Je vous épargne les détails mais cela passe par une Question préalable de Constitutionnalité : on demande aux sages de trancher un point de principe soulevé au cours d’un procès. Ensuite, ce principe s’impose à tous.
Le raisonnement du Conseil est un sophisme géant. S’autorisant de la Déclaration des droits de l’homme et du Citoyen de 1798, qui affirme que la loi « doit être la même pour tous », les Sages de la Rue Montpensier estiment que les étrangers ne résidant pas régulièrement en France doivent bénéficier de garanties égales à celles des autres justiciables. On ne saurait donc admettre la moindre discrimination entre le clandestin et l’immigré en situation régulière.
Toujours plus loin
On peut aller plus loin en appliquant ce raisonnement à la lettre. Pour commencer, on dira que tous les gens se trouvant sur le sol français doivent avoir les mêmes droits : Français, immigrés légaux, clandestins. Il suffira d’être là. La nation réduite à un hall d’aéroport. D’ailleurs, pourquoi s’arrêter en si bon chemin et exclure de nos droits et aides sociales l’étranger resté au village, celui qui n’a pas tenté l’aventure migratoire ? La France est un droit de l’homme. Universel.
Laurent Fabius a récemment déclaré au Monde que la préférence nationale systématique était anticonstitutionnelle1. Si l’on suit sa logique, le fait de réserver le droit de vote aux seuls Français devrait donc être vu comme une intolérable préférence nationale systématique qu’il convient d’accorder sans délai aux Chinois et Soudanais (pour commencer). Pour l’ancien Premier ministre de François Mitterrand, c’est en somme la France elle-même qui est anticonstitutionnelle. Sous prétexte de ce fichu État de droit, il promeut une idéologie sans-frontiériste rejetée par les Français (sans quoi il serait au pouvoir). En nous imposant sa lecture idéologique de nos textes fondateurs, Laurent Fabius se livre tout simplement à un coup de force judiciaire.
Laurence Trochu en meeting à Saint-Nom-la-Bretèche (78), 25 mai 2024. DR.
La présidente du Mouvement Conservateur ira à Strasbourg si Marion Maréchal dépasse les 5%.
Causeur. Pour commencer, une question très « politicienne » ! Quelles relations entretenez-vous avec Marion Maréchal, votre tête de liste ? Ne regrettez-vous pas de vous être éloignée de LR (et de peut-être voir l’influence politique de votre mouvement être amoindrie, si, comme l’indiquent des sondages, François-Xavier Bellamy était mieux classé que Marion Maréchal le 9 juin prochain) ?
Laurence Trochu. J’ai souvent dit que le soutien apporté par les Conservateurs à Marion Maréchal relevait de l’évidence. Nous partageons en effet la même vision et les mêmes priorités pour la France et l’Europe : cette élection du 9 juin est cruciale et vitale pour notre civilisation européenne menacée d’effacement et même de disparition. C’est un combat pour la survie de notre civilisation qui fait face aux dangers existentiels de l’immigration, de l’islamisation de nos sociétés et de la propagande woke et LGBT. C’est aussi un enjeu pour notre pays, au bord du déclassement économique, inévitable conséquence d’une Europe qui taxe et norme à outrance, bien souvent au nom d’objectifs écologiques démesurés.
Avec Marion Maréchal, nous avons enfin une occasion crédible de changer les rapports de force au Parlement européen et de renverser l’objectif fédéraliste et centralisateur d’Ursula von der Leyen. Nous sommes lucides et courageux mais nous devons aussi être efficaces. C’est au sein du groupe des Conservateurs et Réformistes que nous siègerons à Strasbourg, groupe pivot et central de la droite européenne qui réunit les droites de 18 pays dont l’Italie, l’Espagne, la Pologne.
Je ne remets pas en cause le travail de François-Xavier Bellamy mais sa stratégie qui est, particulièrement depuis 2020, complètement dépassée et donc inefficace. Lors de la préparation des Municipales, puis des Départementales et Régionales, alors membre du Bureau politique et de la Commission Nationale d’Investiture des Républicains, j’ai vu comment ils ont vendu à la découpe les mairies, cantons et régions à Macron, avec le silence complice ou même les encouragements des cadres dirigeants. J’ai compris que le Mouvement Conservateur ne devait pas servir de caution à un parti qui ne permettait plus de défendre nos convictions.
Les Républicains n’ont plus ni chef ni ligne directrice; ce parti est une auberge espagnole, on y trouve tout et son contraire : une tête de liste opposée à la GPA et sa numéro 4, Nadine Morano, qui y est favorable; une tête de liste opposée à la régularisation des travailleurs étrangers et sa numéro 2, Céline Imart, qui y est favorable; une tête de liste qui veut lutter contre l’islamisation et Anne Sander, députée sortante reconduite sur sa liste, qui soutient le FEMYSO, proche des Frères Musulmans.
Par ailleurs, François-Xavier Bellamy siègera à nouveau avec le groupe PPE dirigé par Ursula von der Leyen. Il fera bande à part sur certains votes mais cela n’aura aucun impact. Isolé au sein de son propre parti, il l’est aussi au sein de son groupe. C’est un immense gâchis, car cette erreur de stratégie le réduit à une candidature de témoignage, là où l’urgence de la situation réclame de faire des choix efficaces.
Votre « contribution programmatique » insiste sur les racines chrétiennes de l’Europe, et propose leur inclusion dans les Traités européens. Vieille arlésienne… Mais comment envisagez-vous cette démarche dans notre contexte de plus en plus laïque et surtout « multiculturel » ?
Jacques Chirac a refusé avec force en 2004 la référence aux racines chrétiennes de l’Europe dans le préambule de la Constitution européenne. Il porte une énorme responsabilité dans l’effacement de notre civilisation et dans son remplacement par un projet d’islamisation de nos sociétés européennes, mené par des associations largement financées par les fonds européens.
Ce serait une erreur de réduire la mention des racines chrétiennes de l’Europe à une valeur seulement symbolique. Le traité de Maastricht, repris sur ce sujet par celui d’Amsterdam et celui de Lisbonne, a défini les objectifs de la politique culturelle de l’Union européenne et insiste sur la mise en valeur de l’héritage culturel commun des pays de l’UE. La définition de cet héritage culturel commun en référence à nos racines chrétiennes aurait permis de l’affirmer et de le faire rayonner.
Ne soyons pas dupes! Si l’islamisation de la société s’accélère, c’est aussi parce que la destruction de nos repères s’est accélérée. L’islam, avec ses mœurs et ses lois, vient occuper l’espace de notre décivilisation. Un arbre coupé de ses racines finit toujours par mourir et l’islamisation prospère sur nos propres renoncements.
Un exemple parmi tant d’autres : en 2011, la Commission européenne a édité, comme chaque année, un agenda à destination des étudiants et lycéens de l’UE. À côté de nombreuses informations sur le tabagisme, le racisme, l’écologie et les droits sexuels, cette édition comportait les fêtes de toutes les religions, ainsi que les fêtes païennes du type Halloween, mais omettait de mentionner les fêtes chrétiennes !
Dans ce contexte, l’inscription dans les traités, et déjà dans les directives et règlements, des racines chrétiennes de l’Europe est une nécessité pour affirmer ce que nous sommes. Aimer, protéger et transmettre nos racines chrétiennes, c’est admettre que l’homme doit savoir s’incliner devant la part de sacré qui le dépasse, qu’il ne peut balayer d’un revers de la main, ce que 2000 ans de civilisation nous ont enseigné avec constance. C’est admettre que devant les enjeux moraux qui se posent à nous, du harcèlement que subissent nos enfants exposés aux “drag queens” dans les écoles, aux choix à faire en matière d’usage de l’intelligence artificielle, en passant par le contrôle de la vie humaine, les solutions ne consistent pas essentiellement à trouver des critères matériels, mais à retrouver “la conscience sans laquelle la science n’est que ruine de l’âme”.
Le programme du Mouvement Conservateur critique sévèrement l’influence des idéologies LGBT ou woke au sein des institutions européennes. Sur quoi souhaitez-vous alerter les électeurs exactement ? De quoi parlez-vous, concrètement ?
En principe, la culture relève principalement des États membres, l’UE n’intervenant théoriquement qu’à titre subsidiaire. C’est donc une compétence d’appoint de l’Union européenne. En pratique, l’ingérence de l’UE dans les affaires culturelles est manifeste à deux niveaux. Sur le plan des moyens de la politique culturelle, elle a progressivement mis en place un budget qui va en s’accroissant. Sur le plan de la culture prise au sens de civilisation, elle multiplie résolutions, pétitions de principes et politiques de soutien en faveur de la diversité culturelle et de l’inclusion.
Nous sommes en saturation de ce que la Commission européenne nous impose : la diversité et l’inclusion sont devenues les mots magiques de sa politique culturelle, avec lesquels elle sale abondamment tous ses plats au point de les rendre indigestes. Au menu, c’est la promotion de la diversité culturelle, c’est-à-dire des modes de vie étrangers à la civilisation européenne, comme l’illustrent les millions d’aides versés à la Turquie, à la Tunisie ou encore à la Macédoine du Nord au travers de programmes soi-disant culturels. Au menu encore, les délires wokes et LGBT qui endoctrinent nos enfants avec la théorie du genre et la déconstruction des identités sexuelles. Sous l’impulsion d’Ursula von der Leyen, la Commission européenne décline une stratégie farouche en faveur de l’idéologie LGBT. Nous refusons l’emprise de cette propagande qui prétend qu’un garçon peut choisir d’être une fille, qu’un homme peut être “enceint” ou qu’il existe des femmes à pénis !
Notre responsabilité est de hâter ce temps où le réalisme et le sens commun triompheront. Avec le groupe ECR, nous aurons la puissance de feu pour contrer cette propagande. Je vous invite d’ailleurs à lire la Charte des valeurs signée à Subiacco en la fête de Saint Benoît, patron de l’Europe, et que nous avons jointe à la contribution programmatique du Mouvement Conservateur remise à Marion Maréchal.
Face aux mutations technologiques, vous proposez un encadrement éthique strict de l’intelligence artificielle et des données personnelles, notamment de santé. Comment comptez-vous équilibrer l’innovation technologique et la protection des valeurs humaines et éthiques en Europe ?
J’ai passé une journée au salon VivaTech, pépinière d’innovations qui vont façonner le monde de demain, en permettant à la France de rester dans la course, ou au contraire en sortant de l’Histoire. Nous attendons beaucoup de nos innovateurs – chercheurs, ingénieurs, développeurs – et de nos entreprises, car la déferlante des nouvelles technologies a du bon : c’est là que se trouvent les ressorts de la croissance économique et de l’aventure scientifique de demain. Elle vient aussi avec son lot de dangers, car la technologie n’améliore pas l’homme à elle seule : elle en magnifie la puissance mais en aggrave souvent les excès. Nous savons bien que certains des leaders mondiaux qui se sont exprimés dans ce salon poursuivent des projets transhumanistes avec lesquels nous sommes en désaccord radical.
Face à ces constats, les nations européennes doivent rester dans la course et éviter de laisser les technologies leur échapper : il est temps d’assurer l’excellence de l’Europe. Mais il convient aussi de mettre l’être humain, avec sa dignité et sa vulnérabilité, au centre de la réflexion. Les technologies sont trop souvent abordées sous l’angle unique de la performance et du consumérisme, ne prenant pas en compte l’Homme dans ses dimensions corps, âme et esprit. La perturbation apportée, par exemple, par les réseaux sociaux ou les modèles de langage génératif sur les personnes qui y recherchent des relations interpersonnelles plutôt que des interactions virtuelles, est désormais connue. Il s’agit donc d’accompagner cette révolution technologique pour que l’Europe demeure à la pointe de ces avancées et continue à bâtir sa propre souveraineté numérique, tout en proposant un modèle responsable, soucieux de l’Homme et de la cohésion de notre société. Une mesure me paraît fondamentale : conserver un principe de responsabilité qui permette d’attribuer à une personne physique ou morale les conséquences du comportement d’un système autonome de type IA. Pour sécuriser efficacement les données de santé des citoyens ou pour statuer sur les implants intracérébraux, il est évident qu’il faut adapter le droit et répondre ainsi aux nouveaux besoins de protection de la personne.
Nos députés nationaux travaillent depuis lundi sur l’euthanasie. Après le mariage pour tous ou la PMA pour toutes, les Conservateurs ne sont-ils en passe de perdre une nouvelle bataille anthropologique majeure ?
Vous avez raison de rappeler la réalité ! Depuis 10 ans, le raz-de-marée progressiste s’est intensifié et détruit tous les fondements naturels et même biologiques de la société. C’est exactement pour cela que nous ne devons pas nous tromper dans les moyens de construire des digues. J’ai insisté sur l’impuissance de François-Xavier Bellamy à enrayer cette destruction en raison de son isolement et de son rattachement à Ursula von der Leyen qui est l’un des fossoyeurs de notre civilisation.
Jordan Bardella n’y pourra rien non plus, parce qu’il n’en a pas la volonté. Dans sa logique de dédiabolisation, le Rassemblement National a renoncé à mener ces combats civilisationnels. La moitié des députés a voté l’inscription dans la Constitution du droit à l’avortement. Il y a quelques jours, Jean-Philippe Tanguy a annoncé que le RN ne prendrait pas les moyens de lutter contre la GPA, puisque Marine Le Pen ne tiendra pas sa promesse de campagne de “ne pas reconnaître la filiation des enfants nés de GPA à l’étranger”. Et sur l’euthanasie, les députés RN, comme ceux de LR, se divisent.
C’est donc uniquement aux côtés de Marion Maréchal et du groupe ECR que la résistance se mène de manière claire, cohérente et donc efficace. Tous ceux qui n’ont “rien lâché” et pour lesquels la protection de la vie et de la santé humaines sont des priorités non négociables ne sont représentés que par la liste portée par Marion Maréchal.
Les générations ne se succèdent pas, elles s’enchaînent. Cette continuité immuable était assurée par la famille et la nation. Mais ces institutions sont affaiblies et l’individu est désormais délié de toute appartenance, de sa naissance (programmée) à sa mort (décidée).
La mort, nous la voyons tous les jours passer sous nos fenêtres, mélangeant les existences, les entraînant dans un flux incessant, celui des enfants qui vont à l’école ou des habitués qui font leurs courses. Il suffit du spectacle de ces allées et venues, il suffit qu’on me dépasse dans la rue, ce qui devient de plus en plus facile, pour que s’impose une évidence : à chacun son tour, chacun à sa place, dans un flux qui pousse de côté les existences périmées. On s’en aperçoit surtout quand viennent à manquer des figures que nous ressentions comme emblématiques du quartier, comme cet estropié qui faisait le tour de son bloc en fauteuil roulant. Le « grand remplacement » n’est pas qu’un slogan politique, c’est un principe ontologique, inhérent à la vie elle-même.
Mouvement vital et tragique
Les enfants, en groupe ou accompagnés, paraissent échapper encore à cet engrenage, comme en marge du temps. C’est du moins ce qu’on éprouve au spectacle de classes qui vont au stade ou en reviennent. Au contraire des quarantenaires ou cinquantenaires, en particulier les femmes (à cause du bruit des talons sans doute) qui règnent sur les trottoirs, équipés pour ne communiquer qu’à travers leur portable, allant d’un pas alerte et résolu vers ce qu’ils ne veulent pas voir, leur remplacement, leur mort.
Un auteur exemplaire a pu évoquer à la fin des années trente le lien entre la naissance et la mort, la nécessité que l’individu disparaisse au profit de l’espèce et même qu’une espèce disparaisse « au profit de la réalisation de la vie dans des formes toujours nouvelles[1]. » On le voit par contraste, l’écologie, voulant par principe que rien ne disparaisse, refuse de reconnaître le mouvement vital et tragique qui nous entraîne. Elle dispense des avertissements nécessaires, mais elle a aussi des limites qu’elle ignore, en particulier l’inscription de l’humanité dans l’histoire – ce qui n’est pas rien.
Le propos de Landsberg va contre les impressions que suggère l’ambiance urbaine actuelle aussi bien que contre l’idéologie écologique. Nous oublions que les existences, les générations ne se succèdent pas, mais qu’elles s’enchaînent, s’intègrent à une histoire dont l’humanité est l’auteur. Cette continuité productive est assurée essentiellement par deux institutions, la famille et la communauté politique, la nation. Celles-ci étant actuellement affaiblies, la référence devient l’individu délié de toute appartenance, inscrit dans les limites de son état civil, mais se projetant dans l’humanité entière qu’on tend à ne voir que comme une multitude d’individus. Ce n’est donc pas un hasard si en ce moment, les débats les plus vifs, les débats « sociétaux », portent sur le commencement et la fin des existences individuelles, sur l’avortement et « l’aide à mourir ».
Quant aux conflits toujours possibles entre les prétentions des individus, on les considère en oubliant qu’ils interviennent dans un cadre particulier, celui de communautés politiques porteuses de projets : ils sont de plus en plus souvent arbitrés par la jurisprudence, nationale ou supranationale[2]. Cet aboutissement, qui met face à face les existences individuelles et la puissance de juger, semble être la sécularisation d’une doctrine que la liturgie catholique reprend chaque dimanche : le Christ est « monté aux cieux, il est assis à la droite de Dieu » d’où il reviendra à la fin des temps « pour juger les vivants et les morts », ce que l’on appelle couramment « le Jugement dernier ». Ce jugement ultime, sans appel, au-delà du politique, semble exercé dès à présent, en ce bas monde, par le Conseil constitutionnel ou la Cour européenne des droits de l’homme. Une mentalité cléricale sécularisée ajoute une justification eschatologique à un pouvoir qui, de manière irréaliste, se projette à la fin des temps et charge notre médiocre actualité d’une signification qu’elle ne peut pas porter. Ce à quoi Landsberg, citant Miguel de Unamuno, oppose[3] un élément important de la piété populaire, la croyance au Purgatoire, lieu essentiel bien que dépourvu de statut théologique. « Le peuple catholique, dit Unamuno, ne renoncera jamais à la croyance au Purgatoire, lieu où l’existence du mort, la condition de son âme, sont accessibles à l’activité charitable des vivants. » C’est en effet pour les « âmes du Purgatoire » qu’à la Toussaint, on invite à prier. Dans le Purgatoire, les âmes, séparées des corps ensevelis, poursuivent avec ceux qui sont encore en ce bas monde une histoire commune, jusqu’au « Jugement dernier ». Dans ces conditions, Jésus-Christ reste, comme il l’a dit quand il participait à l’humanité, celui qui sauve et non celui qui juge.
Les souvenirs tuent la mort
En attendant, certains de nos prédécesseurs, qui ont été canonisés, font figure de modèles, dans l’ordre laïque ou dans l’ordre religieux, témoignant de la capacité historique de l’humanité au-delà de la mort. Mais plus proches, plus sensibles nous sont sans doute ceux dont la mort nous a séparés, mais qui figurent encore dans notre vie personnelle, dont nous attendons quelque chose, leur vie terrestre nous semblant avoir été un commencement, une esquisse entremêlée avec la nôtre. De ceux-là, dont on a cru pouvoir « faire son deuil » mais dont la présence résiste et interroge, qui sont pour nous des repères et des questions, on peut dire qu’ils ne sont pas complètement morts puisque nous sommes vivants et que nos existences sont avec les leurs dans un rapport d’intrication.
Que nous ayons avec eux des « comptes à régler » ou que soyons en dette à leur égard, leur présence insistante nous protège en tout cas de l’idée désespérante et paresseuse qui porte à considérer l’humanité comme un flux alors qu’elle apparaît plutôt comme une aventure qui enjambe la mort, un compagnonnage que la mort peut blesser mais pas abolir, une fraternité.
[1] Paul-Louis Landsberg, « Essai sur l’expérience de la mort », p. 18, Le Seuil 1951. Philosophe allemand, Landsberg a quitté son pays quatre jours avant qu’Hitler s’empare du pouvoir pour vivre à Paris ou en Espagne. Passé en zone sud en 1940, arrêté en 1943 à Pau par la Gestapo et déporté, il est mort au camp d’Oranienburg en mars 1944. L’article auquel envoie cette note a d’abord été publié en français dans les années 1930. Jean Lacroix qui a préfacé le recueil posthume de 1951, indique que Landsberg, bien que s’affirmant catholique, avait des désaccords avec l’Église, en particulier sur le suicide. Il portait toujours sur lui de quoi en finir si la Gestapo l’arrêtait, mais à la suite d’une expérience mystique, il a renoncé à s’en servir.
[2] Cf Jean-Eric Schoettl, La Démocratie au péril des prétoires : de l’État de droit au gouvernement des juges, Gallimard 2022. .
[3] Cité page 45 d’« Essai sur l’expérience de la mort ».
Après le bombardement aérien de dimanche sur Rafah, rarement Israël n’aura été autant vilipendé
Les images ont fait le tour du monde; elles sont terribles. Les deux bombes israéliennes lancées le matin du 27 mai à Rafah dans une opération destinée à éliminer deux dirigeants importants du Hamas ont beau avoir atteint leur objectif, l’histoire retiendra qu’elles ont entrainé la mort de nombreux civils palestiniens, 45 prétend le Hamas, dont une fois de plus on rapporte les chiffres sans les vérifier. La réprobation qu’elles ont provoquée fait de cet événement, qualifié d’accident tragique par Benjamin Netanyahu et d’assassinat abominable par les ennemis d’Israël, un épisode majeur dans une guerre qui dure depuis près de huit mois.
Bavure ou volonté de tuer ?
Jamais Israël n’a été aussi critiqué. Je ne parle pas ici des militants LFI, comme ce minable tartufe de David Guiraud, celui qui plaisantait sur le bébé israélien placé dans un four le 7 octobre et qui joue à l’humaniste en pleurant devant le bébé décapité par une bombe israélienne. Je parle de ces sympathisants d’Israël qui disent aujourd’hui: « Désormais, ça suffit. Il faut arrêter les combats tout de suite et faire la paix ». Comme si le cessez-le-feu avait la moindre chance de mener à la paix avec un Hamas grandi par sa résilience en face de la plus forte armée du Moyen-Orient et pour qui la destruction d’Israël n’est pas une option politique, mais une obligation sacrée.
Il faut d’abord qualifier et localiser l’événement. Bavure tragique ou volonté de tuer? Cette dernière hypothèse peut être écartée, car même le plus allumé des kahanistes sait que le bénéficiaire des morts civiles à Gaza est le Hamas, qui ne demande que cela. Israël a réussi l’exploit de transférer 900 000 habitants de Rafah vers d’autres zones de l’enclave, qui ont pris un caractère humanitaire. Or, contrairement à ce qui a souvent été dit, le bombardement a eu lieu à 1500m en dehors de ce périmètre. Pourquoi des tentes se trouvaient-elles à cet endroit, à cent mètres environ du point d’impact des bombes et pourquoi les habitants n’avaient-ils pas quitté cette zone de guerre? Est-ce que le Hamas s’en servait comme de boucliers humains ?
Ensuite, la bombe. On sait aujourd’hui qu’il s’agissait de bombes américaines GBU-39, de petit diamètre, très précises et portant une très faible charge explosive, 17 kg : à titre de comparaison, pour un missile non nucléaire, la charge est souvent de 500 kg à une tonne. Il s’agit donc de frappes de précision destinées à des éliminations ciblées et certainement pas du tapis de bombes destructeur auquel font croire des commentateurs très orientés. C’est précisément parce que les Israéliens n’ont pas recours à ce type de bombardements à Rafah, au risque de ralentir leur progression et de mettre leurs propres soldats en danger, que l’accusation de bombardements massifs et sans précautions est inepte. Pour rappel, le Hamas avait affirmé qu’Israël avait envoyé sept bombes d’environ une tonne d’explosifs chacune, une information mensongère parmi tant d’autres.
Le ciblage ne semble pas en cause, puisque les objectifs ont bien été atteints. Alors pourquoi ce terrible incendie à une centaine de mètres de distance ? Ces bombes, aussi petites soient-elles, peuvent générer un effet de souffle important et celui-ci peut entrainer des incendies dans les réservoirs d’hydrocarbures ou des explosions en chaine dans des dépôts de munitions surtout si elles sont stockées sans précautions. C’est probablement ce qui s’est passé, d’autant que des conversations captées après l’accident confirment l’existence de ces dépôts.
L’enquête indépendante de LCI confirme la thèse israélienne sur le drame de Rafah: l’incendie meurtrier a été causé par l’explosion d’un dépôt d’armes du Hamas placé au milieu de civils boucliers. Du vrai journalisme. 🙏@24hPujadas. pic.twitter.com/5QeOgIPLMB
Articles au vitriol dans la presse, mais réactions mesurées dans beaucoup de chancelleries
C’est là une constante du modus operandi du Hamas que d’installer ces munitions à proximité des lieux d’habitation. Il suffit de se rappeler les dramatiques explosions de nitrate d’ammonium dans le port de Beyrouth pour noter que le Hezbollah avait cette même négligente habitude.
De telles considérations ne dédouanent pas totalement les Israéliens qui ont peut-être manqué de prudence. L’enquête déterminera si tous les risques avaient été pesés avant de lancer l’opération, mais Rafah n’est ni Dresde, ni Coventry. Aucune intention de tuer des civils ne peut être alléguée. C’est bien ce que signifie la réaction très mesurée de l’administration américaine, contrastant avec les articles au vitriol des journaux engagés, des pacifistes professionnels et les réactions débridées de LFI qui y cherche un tremplin pour les européennes.
Malheureusement, les victimes civiles de Rafah ont renforcé dans le monde la détestation d’Israël. Ces drames sont inhérents à la guerre: les bombardements alliés sur la France en préparation du débarquement ont fait en 1944 plus de 50 000 victimes dans la population. Des villes entières, St-Nazaire, Dunkerque, Calais, Beauvais, Le Havre ou Brest furent presque complètement détruites. Deux fois par jour, Philippe Henriot fustigeait à la radio les « Anglo Saxons soumis à l’internationale judéo-bolchévique qui tuent sans état d’âme de bons Français », et la visite surprise de Pétain, le 26 avril 1944, venu « apporter sa compassion au peuple de Paris » fut un vrai succès populaire.
Est-ce que de tels drames enlevaient la légitimité du combat des Alliés contre l’Allemagne nazie? La réponse est évidemment non. Exiger d’Israël l’arrêt immédiat et unilatéral des combats revient à acter la victoire du Hamas, un adversaire avec lequel la paix est impossible, comme la paix sans capitulation était impossible avec les nazis.
Le vainqueur tend à faire silence sur ces victimes civiles, vite assimilées à des dommages collatéraux. Les récents sièges de Mossoul et de Raqqa, menés contre Daech par une coalition à laquelle la France appartenait, ne font pas exception à la règle, mais il y a un écart moral considérable entre le bombardement destiné à tuer des civils pour épouvanter une population et celui où la mort des civils est une occurrence non recherchée. À la première catégorie appartient le bombardement de Tokyo qui dans la nuit du 9 au 10 mars 1945 a fait 100 000 morts. Récemment, la guerre menée par la Russie en Tchétchénie relève de ce type, avec des bombardements massifs, qui ont fait plus de 100 000 victimes civiles sans entrainer de réaction dans la communauté internationale. On pourrait multiplier les exemples.
Contre Israël, et contre Israël seulement, le mot génocide est brandi de façon de plus en plus banale. Il s’agit, comme l’avait théorisé Goebbels, d’utiliser constamment contre l’ennemi une qualification mensongère qui deviendra progressivement indiscutable par sa répétition même.
La guerre de Gaza se double d’une guerre des mots dans laquelle le Hamas, ses sponsors internationaux, les Frères Musulmans et les idiots utiles de l’islamisme jouent chacun leur partition. L’objectif est de faire d’Israël un paria infréquentable, et cette dernière quinzaine a été particulièrement productive, avec les incriminations du Procureur de la CPI contre le Premier ministre israélien et l’incendie du camp de tentes de Rafah, mais aussi par la lamentable compromission des organisations internationales dans les hommages à feu Raïssi, le boucher de Téhéran.
N’oublions pas que cette guerre des mots ne vise pas seulement Benjamin Netanyahu, Israël ni même les Juifs. Elle met en cause l’aptitude à utiliser le langage pour exprimer la vérité du monde dans ses nuances et sa complexité. Il s’agit d’un vrai combat de civilisation et ce combat n’est pas gagné…
La tête de liste de Reconquête !, en charme plus d’un… dont notre contributeur, Philippe Bilger.
Ce billet ne va pas me donner l’image d’un intellectuel de la politique. Que je n’ai jamais été, d’ailleurs. À ma grande honte, j’ai toujours été plus passionné par la forme des échanges, la qualité des expressions et des affrontements, la vigueur et l’intelligence des argumentations que par le fond souvent confus des débats d’où ressortait en définitive le fait que, malgré les apparences parfois violemment polémiques, les idées développées n’étaient pas si éloignées les unes des autres, sorties de leur vernis obligatoirement contestataire. C’est d’abord à cause de cette relative similitude des programmes européens, à l’exception de LFI et des Ecologistes campés dans un extrémisme irresponsable ou mou que j’ai tendance à m’attacher, avec une infinie curiosité et, je le crois, une réelle objectivité technique, à la nature des confrontations et à ce qu’elles révèlent des personnalités, des dons, des talents et des esprits.
Notre contributeur s’attache beaucoup à la forme
On pourrait y ajouter la plus ou moins grande incidence que chacun assigne à la vie politique nationale à partir de l’objet européen. Il est clair qu’il va être majoritairement négligé en raison de la frustration démocratique éprouvée par les Français depuis la réélection d’Emmanuel Macron. Et ce d’autant plus que, même si la tête de liste de Renaissance était bonne, elle ne pourrait pas s’opposer à l’intense courant d’hostilité emportant le président et son Premier ministre dans un rejet commun.
Il est facile d’imaginer alors comme je me délecte des émissions politiques réunissant les candidats importants – sur LCI d’abord puis, le 27 mai, sur BFMTV – d’autant plus que je n’ai jamais été de ceux viscéralement persuadés que les citoyens valaient mieux que leurs représentants. Parce qu’ils me permettent de me dissocier, de me cliver, de telle sorte que celui qui sait pour qui il va voter le 9 juin se sent, par ailleurs, totalement libre de goûter telle intervention, telle réplique – par exemple Raphaël Glucksmann, lassé, renvoyant dans ses cordes une Manon Aubry répétitive -, l’oralité déployée avec brio par une candidate au détriment des autres, le plaisir, sans la moindre mauvaise conscience, d’apprécier, en quelque sorte pour l’esthétique et la densité du verbe, une personnalité, sa verve, son alacrité, sa puissance de conviction. Même si elle est aux antipodes de mon choix à venir. Rien ne me procure plus de bonheur que ce dédoublement entre le citoyen et l’auditeur, l’observateur.
J’aime ne pas me sentir ligoté par des partialités m’empêchant d’aller jusqu’au bout de mes impressions ou de mes déceptions. Je ne méconnais pas évidemment que ma subjectivité, mon tempérament ne peuvent pas se délester totalement de ma conception de la parole. Une parole n’a de sens, pour moi, que si elle dit quelque chose ! On peut n’être pas du tout médiocre dans l’exercice oral mais pourtant ne pas savoir ce que sont véritablement l’art et l’exigence de convaincre. On comprendra alors pourquoi, si je défends plus que jamais François-Xavier Bellamy dont l’intelligence, la tenue, la courtoisie mais avec une pugnacité toute récente, le verbe et la dialectique sont remarqués et remarquables, je m’accorde le droit de digresser. Pour ce dernier, je le fais avec d’autant plus de sincérité qu’il est peu ou prou abandonné en rase campagne par les chefs à plumes de LR alors qu’il y a des soutiens déterminants qui devraient lui être apportés, à rebours de manœuvres de coulisses destinées à préparer la candidature future de Laurent Wauquiez alors que tout est encore ouvert pour 2027.
Pas née de la dernière pluie
Marion Maréchal n’est plus une révélation. Sa mise entre parenthèses de toute vie politique (à partir de 2017) durant quelques années lui a fait énormément de bien. De retour chez Éric Zemmour, quelles que soient les divergences de fond ou tactiques entre elle et lui – il est clair qu’elle s’en prend plus à François-Xavier Bellamy qu’à Jordan Bardella -, elle manifeste, dans les récents débats, une densité, une autorité, une sûreté, le fil impressionnant d’un verbe maîtrisé aussi bien dans l’affirmation que dans la contradiction, une ironie… Elle fait preuve d’un ton et d’une qualité de langage qui enlèvent à ce que sa pensée pourrait avoir d’extrême et de provocant l’âpreté dont par exemple Éric Zemmour ne s’est jamais privé. Si nous disposions, pour la politique, d’un quotidien comme l’Équipe pour le sport, elle bénéficierait de beaucoup d’étoiles. Son transfert serait hors de prix ! Je ne suis pas de ceux enthousiastes par inconditionnalité ; je mesure seulement comme sur le plan technique, de la forme, son apparence ajoutant à son expression la place au-dessus du lot. Si je la juge bien supérieure dans ses prestations à Manon Aubry (elle récite), à Valérie Hayer (elle tremble) et à Marie Toussaint (elle ennuie), ce n’est pas que je suis misogyne : je crois au contraire qu’on a oublié combien certaines femmes pouvaient avoir de talent et combien d’autres pourraient en avoir.
Quand j’ai « soumis à la question » Marion Maréchal le 22 janvier 2021, elle m’avait déjà surpris : sa parole est bien meilleure que celle de sa tante, moins appliquée et moins contrainte que celle de Jordan Bardella. Face à elle, Emmanuel Macron aurait trouvé à qui parler. Il aurait été moins sûr de son fait, moins condescendant. Il ne sera plus là. Dommage, j’aurais bien aimé un peu de politique-fiction. Entre elle et lui.
L'écrivain et poète français Paul-Jean Toulet (1867-1920). DR.
« C’est dans le passé qu’est tout notre bonheur ; et le mien me torture de sa grâce évanouie »
Sachons gré à Frédéric Martinez d’avoir su rendre hommage, et vivant, un poète pour « happy few » – Paul-Jean Toulet donc, qui dut longtemps s’accommoder d’une gloire discrète. Un peu à la manière, ténue mais insistante, d’un Henry Jean-Marie Levet dont les Cartes Postales firent la gloire posthume – et les délices et l’admiration de Larbaud, Fargue, Morand ou Sylvia Beach.
Martinez dit Toulet avec talent et inspiration – comme on a rarement lu. Et l’on pèse ses mots. Martinez connaît « son homme » comme on connaît seuls ses intimes (mauvais exemple ? Soit) et il en écrit avec émotion, justesse, équanimité, grâce et érudition. Il y a là, réellement, comme un miracle de transsubstantiation, un passage de témoin mémorable.
Écoutez-le : « Paul-Jean Toulet naquit à Pau en 1867. Il mourut à Guéthary en 1920. Il écrivit des livres. Le plus célèbre d’entre eux, Les Contrerimes, fut publié après sa mort (par son ami, le distingué, et stendhalien émérite, Henri Martineau). Dans ce recueil de poèmes amers et brefs, il sut imposer un style personnel tissé de classicisme et d’irrévérence. Contemporain de Proust, d’Apollinaire, Toulet fut une figure du Paris 1900, un opiomane notoire et le chef de file de l’école fantaisiste (qui regroupait, entre autres, Francis Carco, Tristan Derème et Jean Pellerin).
Et quoi encore ? Je reprends. Plus qu’un écrivain, Toulet est un sentiment, un état d’âme. Son bonheur d’écrire et son mal de vivre, son sourire en larmes font de sa lecture une expérience singulière. Son œuvre est une confidence. Ceux qui la reçoivent ne l’oublient pas.
L’homme qui voulait prendre garde à la douceur des choses se rendit à celle des mots. Son français est une grâce. Peu de poètes l’eurent à ce point. Illustre et pourtant méconnu, il fut un écrivain discret. Trop. Certains de ses poèmes comptent parmi les plus beaux de la littérature française. On ignore souvent qu’il en est l’auteur. (…) Ce livre n’est pas une biographie. C’est l’histoire d’un poème ».
Vous n’avez pas envie de continuer ? D’en savoir plus ? Vous ne le trouvez pas pour le moins habité ce prologue, nerveux, cursif, personnel ? Vous galéjez. Il évoquait « (son) frère le whisky et (son) amie la nuit », Stendhal était son écrivain de chevet, une de ses plus constantes admirations, il disait avoir « aimé le plus au monde » : « les femmes, l’alcool et les paysages ». Il cultivait « le crincrin de la blague et le sistre du doute ».
L’ont aimé – voire admiré – Carco, Proust, Valéry (« la matière, à ce degré de finesse, n’est plus elle-même, et s’approche du système nerveux » – à propos des Contrerimes), Maurice Rostand, Francis Jammes, Henri de Régnier, Claudel, Giraudoux, Bernanos, Gide, Jacques Réda, Philippe Jaccottet, Borgès, Vialatte, Pascal Pia, Michel Bulteau, Jean d’Ormesson, Jean Dutourd, Hubert Juin, j’en passe.
Lui, aimait Baudelaire, Verlaine, La Fontaine, Leconte de Lisle, Moréas, Corbière, Banville, Laforgue, Maurice de Guérin. Un « néo-classique » dirait-on, plus tard, lorsque l’on considèrerait, à rebours, les surréalistes, Apollinaire ou Claudel, ses contemporains. Martinez en parle comme d’ « un faux blasé, crédule, aussi peu roué que Stendhal ».
Il était drôle, acide, léger, érudit, railleur, cultivait les archaïsmes et la conversation, rêva de fonder un « club de grammaire » (c’était un latiniste éminent et sa poésie – prosodie, lexique et grammaire – s’en ressent), cultiva la fantaisie comme paravent à la mélancolie, et fut le meilleur ami de Debussy.
Il fut un romancier d’occasion, un styliste d’élection et un poète par nécessité (la seule, peut-être, qu’on lui connût). Il fit du mélange des genres – le langage populaire, la tradition latine et l’exotisme – une de ses « marques de fabrique ». Pierre-Olivier Walzer, « touletologue » éminent, l’évoquait ainsi : « Ce qu’on goûte chez lui, ce sont les charmes du langage, la fantaisie du primesaut, l’ironie mordante ou amusée, les tours de la syntaxe, le choix des mots, la délicatesse ou l’imprévu des images, en bref : le style ». Remarquez combien ce poète donne de talent à ses exégètes.
Né à Pau, Toulet avait des attaches à l’île Maurice – où il s’en fut, trois ans durant, après des études un peu chahuteuses qui le menèrent de Pau à Bordeaux et de Bordeaux à Saintes, en passant par Bayonne. A Maurice, il mène une vie de jeune homme amateur de plaisirs, ceux de l’amour évidemment, mais aussi du jeu et de l’alcool. Puis c’est Alger, où il se fait journaliste : ce néophyte a une sensibilité de moraliste. « La pointe essayée, plus qu’ornementale, devient formule contondante dénonçant toute vanité ». Il regagne la France en 1889. Dès lors, sa vie rétrospectivement va former « une manière de triptyque ».
De 1889 à 1898, une période provinciale (son Béarn natal) et oisive en apparence – il accumule notes et impressions. De 1899 à 1912 – hormis un excursus en Extrême-Orient (1902-1903, flanqué de son grand ami Curnonsky, visite de Singapour, Hanoï, Saïgon…) -, il mène une existence de noctambule parisien, riche de fréquentations multiples et parfois illustres.
Couché à 7H du matin, il émerge vers 15h et s’en va au Bar de la Paix retrouver Maurras, Léon Daudet, Edmond Jaloux, Henri de Régnier, Giraudoux, Émile Henriot, Jean-Louis Vaudoyer, Valéry ou Debussy. Il était Rive Droite et n’avait guère l’âme républicaine. Léon Daudet l’évoquait ainsi : « Nous l’aimions pour son horreur de la foule, des préjugés démocratiques, de la niaiserie diffuse et des gens importants. » Ses préjugés étaient d’une époque, et d’un milieu. Pour sa défense (en a-t-il besoin ?), nous citerons Montesquieu, dans ses Pensées : « On ne jugera jamais bien les hommes si on ne leur passe les préjugés de leur temps ».
Martinez résume magnifiquement ce « début dans la vie » : « Amant des femmes, aimé des muses, il connut la Belle Époque et vécut de mauvais jours. Artisan d’un désastre semé d’adjectifs, cet intermittent de la gloire apprit que la littérature est une fille de l’enfer. Plus dangereuse que les apaches qui jouent du couteau près des fortifs, plus perfide que les mondaines qui vous lacèrent le cœur, cette mauvaise fille se montre pareille aux dieux : elle tue ceux qu’elle aime. Au charmant Toulet, elle avait promis le Ciel, elle avait tout donné ; elle avait prodigué talent et fortune : il dilapida l’un et l’autre. Flambeur effréné, amoureux compulsif, l’enfant gâté perdit sa rente sur le tapis vert des casinos et le cuir des sofas. A Pau ou à Biarritz, quand les femmes font l’amour et les croupiers la loi, rien ne va plus dans la nuit de strass. Les démons de Toulet se nomment poker, opium, whisky ; ils se nomment Marie, Nane, Yvonne ». (Vous n’avez toujours pas envie de lire Martinez ?)
Troisième phase, de 1913 à 1920, à nouveau le Béarn, il s’y marie : la création poétique prend le meilleur de son temps – ainsi que la collection de ses proses, légères et spirituelles, publiées dans La Vie parisienne en particulier, ou avec Curnonsky (futur « Prince des gastronomes ») ou Willy (premier mari de Colette qui devait s’en séparer en 1907) : entre autres, Bréviaire des courtisanes, Le Métier d’amant, L’Implacable Siska ou Les Amis de Siska. Les titres nous dispensent d’insister. Le souci d’art disparaît. La sensibilité vire alors à la gauloiserie, et l’esprit au calembour. Il était temps de rentrer (au pays).
Monsieur du Paur, homme public (1898), Mon amie Nane(1905) et La Jeune fille verte (1920) lui vaudront un certain succès, d’estime et public. Virtuosité du style (toujours) et ambitions réduites les caractérisent, même si d’aucuns (Jean d’Ormesson, Geneviève Dormann, Michel Déon) ont fait de Mon amie Nane un petit livre culte. Parenthèse : l’hommage de Déon à Toulet sera « explicite » lorsque, quelques décennies plus tard, Le Jeune Homme vert, un de ses romans les plus aboutis, répondra à La Jeune fille verte. Fermons la parenthèse.
Et écoutons Frédéric Martinez qui nous semble caractériser assez exactement ces romans : « Passé le premier émerveillement que procure un style souverain, ils s’avèrent ennuyeux, souvent déplaisants, témoignages surannées et guettés par le kitsch d’une époque plus lointaine qu’il y paraît d’abord, préhistoire du vingtième siècle peuplée de petites femmes et de fontaines Wallace, redécouvrant le feu dans l’électricité éclairant ses cavernes modern style ». Équanimité de Martinez, notions-nous d’emblée, et impartialité : amant, oui, aveugle, non. Et peut-être un peu sévère pour Mon Amie Nane. Mais la cocasserie de quelques-unes des lettres ou cartes postales qu’il s’adressait à « soi-même », leur élégance et leur désinvolture, son Almanach des Trois Impostures (les dieux, les amis, les femmes) – où, moraliste à la Chamfort, il se montre amer, incisif, spirituel – et, surtout, Les Contrerimes, dont demeurent la nonchalante ironie et l’inquiète beauté, lui garantiront la place unique, isolée, altière qui est la sienne dans la poésie française. Toulet, trop sceptique pour s’y attarder, qui excelle en outre dans les formes brèves, n’écrira pas son Temps retrouvé. La tonalité y eût été pourtant.
Recueil de trois cents pièces, chansons, dizains, quatrains ou coples, Les Contrerimes modulent un désenchantement sans remède qui décolore les voluptés et les spectacles de la vie.
La connaissance que Toulet avait des formes littéraires à travers les siècles jointe à une évidente liberté d’allure explique la subtilité voulue de ses vers, où la composition et l’émotion s’exaltent l’une l’autre. Loin d’y entendre quelque impassibilité parnassienne (pas si lointaine parfois), on y perçoit le vibrato primitif que visait, par-dessus tout, Paul-Jean Toulet – poète « pince-sans-rire » (sic) de la nostalgie et de la mémoire, obsédé par le temps (qui passe) et par la mort (qui vient). Charles Du Bos, une fois n’est pas coutume, évoque très justement sa poésie : « C’est dans la réduction à l’unité d’impressions venues des quatre points de l’horizon, mais perçues et senties simultanément, et comme avec instantanéité, sur le seul plan de l’imagination, que Toulet est incomparable ».
Les images, chez Toulet, magnifient en effet, par de brefs rapprochements, « ce qu’il y a de fugace dans les beautés du monde ». Et Pierre-Olivier Walzer, de conclure : « De Baudelaire, de Moréas, Toulet a appris cet art infiniment discret qui fuit la déclamation, domine le sentiment et réalise un exact équilibre entre les émotions et leur expression littéraire. Faire entendre le plus en disant le moins : il y a là le secret d’un classicisme, renouvelé par l’accent moderne d’une musicalité qui doit beaucoup à Verlaine. Les choses allant toujours « la même chose », il ne peut appartenir à l’art que de fixer, avec une ironique délicatesse, la fragilité des apparences sensibles et l’amère monotonie des recommencements humains. »
Écoutons-le donc encore, inlassablement. Lisons En Arles, sa chanson la plus fameuse : « Dans Arle, où sont les Aliscams,/ Quand l’ombre est rouge, sous les roses,/ Et clair le temps,/ Prends garde à la douceur des choses./ Lorsque tu sens battre sans cause/ Ton cœur trop lourd ;/ Et que se taisent les colombes : / Parle tout bas, si c’est d’amour,/ Au bord des tombes. » L’amour. La mort. Le passage.
Sa mort, justement, il l’avait « rêvé », dix-huit ans plus tôt, dans une lettre à Madame Bulteau (« Toche »), une des femmes qui lui voulut le plus de bien : « Ce doit être délicieux, Toche, de mourir, de sentir toute la fatigue de la vie fuir par le bout des doigts, comme son sang dans un bain ». Terrassé par une hémorragie cérébrale, Toulet abandonne, dans un livre, une ébauche de poème : « Ce n’est pas drôle de mourir/ Et d’aimer tant de choses/ La nuit bleue et les matins roses/ Le verger plein de glaïeuls roses/ (L’amour prompt) / Les fruits lents à mûrir… »
Né inconsolé, dandy sceptique et désenchanté (parfois désespéré), homme qui aimait les femmes sans les aimer, poète tantôt aigre-doux et ironique, tantôt tendre et léger, poète « fêlé » dont retentit longtemps, une fois qu’on l’a entendu, le timbre inimitable, Toulet nous laisse un vade-mecum en forme de pirouette grinçante. Le voici : « Si vivre est un devoir, quand je l’aurai bâclé, / Que mon linceul au moins me serve de mystère. / Il faut savoir mourir, Faustine, et puis se taire : / Mourir comme Gilbert en avalant sa clé. »
A lire : Prends garde à la douceur des choses – Paul-Jean Toulet, une vie en morceaux, de Frédéric Martinez, Flammarion.