Monsieur Edouard Philippe, naguère Premier ministre, a fait savoir qu’il serait candidat aux prochaines élections présidentielles. Considérant peut-être que le présent quinquennat n’irait pas à son terme, il aura jugé opportun de ne pas trop traîner à annoncer cette décision d’importance que, s’imagine-t-il, la France entière attendait fébrilement.
Fin, donc, d’un suspense intenable. Le candidat déclaré nous annonce un programme qu’il se plaît à présenter comme « massif »1. On a connu beaucoup de qualificatifs assortis aux programmes électoraux, mais celui de massif a au moins le mérite de la nouveauté.
Un programme, précise le postulant, qui devra mobiliser les forces politiques allant de la droite sage, la droite propre sur elle, aux socialistes teintés rose tendre, modérément socialisants si vous préférez. En d’autres termes, ce programme se situe clairement au centre. Nous devrions donc avoir du massif central. Et conséquemment se dit-on, à l’image de l’autre aux volcans éteints ou en sommeil depuis la nuit des temps, rien de particulièrement volcanique, éruptif ou puissamment disruptif à en attendre. Nous voilà prévenus.
Pour ce qu’on sait de ce programme, figurerait en bonne place l’engagement de revitaliser le secteur industriel. Sur ce point, l’homme peut se prévaloir d’une réussite certaine. Lorsqu’il était à Matignon, n’a-t-il pas relancé magistralement l’industrie du panneau routier avec sa crise d’autorité du 80 km/h, sans conteste la décision politique entre toutes dont la France avait le plus urgent besoin à ce moment-là ?
On notera que le postulant a tenu à prendre tout le monde de vitesse en officialisant dès à présent sa candidature. Il se hisse ostensiblement en tête du peloton de ses concurrents encore attardés à l’écurie où ils piaffent mais ne font que piaffer. Je m’autorise à voir dans ce souci de prendre la tête une sorte de revanche sur ce qu’aura été jusqu’alors son destin politique. Une revanche sur le politicien de porte-bagage qu’il fut dans son coin de Normandie, accédant à la mairie du Havre sur celui d’Antoine Ruffenach et à Matignon, c’est-dire à la notoriété nationale, sur celui d’Emmanuel Macron. Il se sera dit que cela devait cesser et que son temps était venu, le temps de se mettre la tête dans le guidon et de pédaler de la force de ses propres mollets. Espérons pour lui que la pente ne soit pas trop raide ni le but trop lointain. Il a baptisé son mouvement politique Horizons. Horizon, cette ligne terriblement agaçante qui ne cesse de reculer à mesure qu’on croit s’en approcher. L’effort à fournir risque donc d’être lui, pour de bon, massif.
Macron dans l’impasse: et si la porte de sortie était sa démission ? se demande notre chroniqueur
La France n’est plus gouvernée depuis 50 jours. Mais qui voit une différence ? En réalité, ses dirigeants ont abandonné leur poste depuis des décennies. Le monde politico-médiatique, coupé du réel par ses aveuglements idéologiques prolongés, tourne à vide et se mord la queue. Emmanuel Macron n’est que l’ultime symptôme de l’effondrement du système avec lequel il n’a jamais voulu rompre.
Actuellement, les faiseurs d’opinions se passionnent autour de l’interminable feuilleton du futur Premier ministre. Mais ce huis-clos n’intéresse pas les citoyens ordinaires. Ce mauvais théâtre les conforte en revanche dans leur rejet de cette oligarchie bavarde et inopérante, qui a décidé de rejeter le RN, premier parti de France, et le NFP, première formation parlementaire. Selon l’Ifop (Le Monde, 30 juillet), 85% des Français portent un jugement négatif sur les responsables politiques. Les sondés sont 73% à ne pas faire confiance en l’Assemblée nationale issue du 7 juillet et du front républicain qui l’a rendue ingouvernable. D’ores et déjà, 51% sont même favorables à une démission du chef de l’État : une éventualité qui a poussé Édouard Philippe, hier dans Le Point, à se déclarer candidat pour la prochaine présidentielle. Reste que l’ancien Premier ministre, qui fit se soulever contre lui les premiers gilets jaunes en octobre 2018, fait partie de ce vieux monde déconnecté, qui n’a jamais voulu reconnaître ses fautes. « Je sais où je veux emmener le pays », déclarait Macron le 1er mai 2018 devant Jean-Pierre Pernaut. On voit : il l’a conduit dans l’impasse.
Relire les forfanteries du président fait comprendre son aveuglement pathologique. Le 10 juin, au lendemain de l’annonce de sa dissolution de l’Assemblée, Le Monde relate (et confirme par la suite) cet échange avec « un grand patron, familier de l’Elysée » : « Ça va, pas trop dures, ces journées ? » Macron : « Mais pas du tout ! Je prépare ça depuis des semaines, et je suis ravi. Je leur ai balancé ma grenade dégoupillée dans les jambes. Maintenant on va voir comment ils s’en sortent… ».
Macron, évidemment, ne s’en sortira pas. Sauf à se caricaturer davantage en Ubu roi, en devenant son Propre premier ministre et son gouvernement à lui tout seul. Néanmoins, avoir eu ne serait-ce que l’idée de nommer à Matignon Thierry Beaudet, apparatchik de gauche de l’inutile et dispendieux Conseil économique et social, fait mesurer le gouffre qui sépare Macron de la société civile dont il prétendait se réclamer en 2017. Les personnalités de Bernard Cazeneuve ou de Xavier Bertrand, qui semblent demeurer en lice ce mercredi matin, ont en commun une même détestation pavlovienne du RN.
Or, comme le rappelle le politologue Dominique Reynié, le RN est devenu la droite par le choix de 80% des électeurs de cette tendance. Malgré sa paresse intellectuelle, ce parti est porté par ses critiques contre l’immigration devenue folle, la montée de l’islamisme conquérant et le laxisme sécuritaire. Ce sont ces sujets, évacués par la caste claquemurée, qui vont continuer à porter Marine Le Pen et Jordan Bardella. À moins qu’un improbable Premier ministre ne reprenne prioritairement ces thèmes à son compte (David Lisnard, autre premier ministrable, l’oserait-il ?), il n’est guère d’autre issue pour Macron, à terme, que de démissionner.
Le militant dénonce la politique sécuritaire du maire de sa commune, qu’il poursuit au tribunal
Cédric Herrou refait parler de lui. Le gentil producteur de volailles et d’olives, bien connu de la justice pour être un passeur de migrants à la frontière avec l’Italie, n’aime apparemment pas le nouveau maire de sa commune. Quand il a découvert que l’édile, le ciottiste Sébastien Olharan, entendait installer une quarantaine de caméras de surveillance dans la petite ville de Breil-sur-Roya (06), il a donc cherché la petite bête. « On a découvert que le maire avait déjà installé une dizaine de caméras sans autorisation et sans dossier déposé auprès de la préfecture », a dénoncé le défenseur des exilés au micro de France Inter. Nul n’est censé ignorer la loi ! Et en matière d’illégalité, Cédric Herrou en connaît un rayon : il a été poursuivi tellement de fois que son parcours judiciaire a permis à la notion de « délit de solidarité » d’émerger en France, et à notre prestigieux Conseil constitutionnel d’estimer en 2018 qu’incriminer un citoyen facilitant l’entrée ou le séjour irrégulier d’un clandestin sur le sol français était « partiellement inconstitutionnel » lorsque c’était pour des raisons humanitaires.
Avec 15 habitants de gauche, M. Herrou a donc déposé un recours contre les caméras clandestines au tribunal administratif de Nice. Évidemment, au-delà, le militant dénonce un dispositif « inutile et disproportionné », avec à terme une caméra pour 55 habitants, soit le double de Nice selon ses calculs. « Un outil matériel répressif et restrictif des libertés publiques ! » s’énerve le militant, interrogé par L’Humanité. Oui, mais si Breil-sur-Roya n’est peut-être pas Chicago, les statistiques de la gendarmerie montrent bien une augmentation de la délinquance, plaide le maire, lequel rappelle que la commune s’étalant sur 86 kilomètres carrés, il faudra bien autant d’appareils… Il assure en outre que les caméras déjà installées n’enregistrent aucune image, et que la mairie attendra le feu vert de la préfecture, pas avant cet automne. Il a déjà gagné au tribunal contre Herrou en référé, le 14 août. Affaire à suivre… M. Herrou doit-il craindre que la gendarmerie puisse d’ici quelques semaines facilement surveiller ses allées et venues ?
Malgré une « grève générale » en Israël lundi, le Premier ministre Netanyahu entend maintenir une stratégie inflexible sur les otages. De leur côté, les islamistes du Hamas indiquent qu’ils ne négocieraient qu’en cas de levée du blocage de l’armée israélienne sur le corridor de Philadelphie, entre Gaza et l’Égypte.
Le 20 août, l’armée israélienne annonçait la découverte dans les tunnels de Khan Younes des corps de six otages israéliens, Yoram Metzger, Haim Peri, Alex Dancyg, Nadav Popplewell, Yagev Buchshtab, et Avraham Munder. Leur mort n’était pas récente et avait déjà été annoncée au préalable pour cinq d’entre eux.
Puis, le 27 août, le bédouin israélien Kaid Farhan Alkadi était libéré dans un tunnel, lors d’une opération militaire complexe. Celle-ci, survenant après une série d’éliminations spectaculaires de dirigeants du Hamas ou du Hezbollah, avait redonné aux Israéliens confiance et admiration dans leurs services de renseignement.
Mais quatre jours plus tard, le 31 août, l’armée découvre dans les tunnels de Rafah les corps de six autres otages. Il apparait vite qu’ils ont été assassinés 48 heures auparavant. Et beaucoup d’Israéliens sont en état de choc.
Le Hamas après avoir prétendu qu’il n’était pour rien dans leur mort, s’en vante et déclare que si les Israéliens s’approchent des otages, ils ne récupéreront que des cadavres.
Ces otages qui ont subi un calvaire de 11 mois avant d’être tués de sang-froid par leurs geôliers, qui étaient-ils?
Carmel Got a été enlevée au kibboutz Beeri, où elle a vu sa mère assassinée. C’était une physiothérapeute que certains otages libérés en novembre ont qualifiée d’ange car elle leur enseignait la méditation pour supporter leur épreuve. Sa famille a refusé la présence des medias à son enterrement et a très durement critiqué Netanyahu.
Les cinq autres ont été enlevés au festival Nova: Eden Yerushalmi, qui travaillait au bar, a gardé plusieurs heures un contact téléphonique avec sa sœur avant de tomber dans les griffes des ravisseurs et dont le Hamas a diffusé, après l’avoir assassinée une vidéo où elle suppliait d’accepter l’échange de prisonniers. Almog Sarusi, de Raanana, était musicien. Le sergent-chef Ori Danino a sauvé plusieurs participants, est retourné au combat et a été enlevé. Alexandre Lebanov, dont un enfant est né pendant son incarcération, avait la nationalité russe, mais n’a pas eu la chance d’un autre otage russo-israélien qui avait été libéré par égard pour Poutine. Hersch Goldberg Polin, gravement blessé à la main, avait laissé une impression lumineuse chez ses amis de Jérusalem. Il était devenu un des otages les plus connus car ses parents israélo-américains avaient remué ciel et terre, à l’ONU, à la Maison Blanche et lors de la Convention démocrate. Les paroles de sa mère au cimetière Givat Shaoul, étaient bouleversantes de tendresse et de dignité. Elles auront probablement un retentissement profond aux Etats-Unis.
Bring them home
Les forces israéliennes, qui sont manifestement en train de détruire le Hamas, ont effectué quelques sauvetages d’otages et même ceux qui constataient que ces libérations étaient minimes par rapport à celles qui étaient survenues lors des négociations de novembre, pouvaient espérer que la victoire militaire s’accompagnerait du retour des otages, ou de beaucoup des otages « à la maison ».
Malheureusement Gaza n’est pas Entebbé, dont le souvenir hante probablement Benjamin Netanyahu, étant donné le rôle qu’y a joué son frère. Et depuis la découverte macabre des six corps et les annonces du Hamas, les deux objectifs de destruction du Hamas et de libération des otages se télescopent désormais.
Israël, où une merveilleuse jeunesse se bat sans répit depuis près d’un an pour accomplir ces deux objectifs, se divise de nouveau fortement et les manifestants sont dans la rue. Le gouvernement est-il en train de sacrifier les otages ? Evénement extraordinaire, le Premier Ministre accepte une Conférence de presse, événement encore plus extraordinaire, il s’excuse auprès des familles des otages assassinés. Mais les familles ne retiennent que son insistance sur le corridor de Philadelphie.
La découverte des cadavres est survenue au moment même où le cabinet de guerre, contre l’avis du Ministre de la défense, a exigé de garder le contrôle israélien du corridor de Philadelphie. En fait les négociations étaient au point mort du fait des revendications du Hamas qui prétendait transformer les propositions de Biden d’un plan en étapes en un cessez-le-feu permanent, avec le retrait complet des troupes israéliennes de Gaza. Autrement dit, le Hamas se présenterait comme le héros invaincu d’une guerre de près d’un an menée par lui seul contre la surpuissante armée israélienne.
Jusqu’à présent, Netanyahu refuse toute concession sur le corridor de Philadelphie
Pour le public occidental, les exigences démesurées d’un Hamas proche de la déroute ont un immense attrait : il pense qu’elles conduiront à une paix complète. Qui peut être contre la paix?
Mais qui est assez ignorant et naïf pour penser qu’on peut être en paix avec le Hamas?
En Israël, il n’y a pas que les électeurs d’extrême droite qui ne font pas la moindre confiance au Hamas et qui pensent qu’il doit être mis hors d’état de nuire. Ce sentiment est général dans la société.
Mais alors que deviendront les otages? « Qui sauve un homme sauve un monde ». La formule est répétée comme un mantra. Pour beaucoup d’Israéliens c’est le moment de l’appliquer, ce n’est pas une élégance d’ostentation et cela réfère à des valeurs centrales dans l’idée qu’ils se font de la morale juive. Il s’agit en outre de libérer des citoyens à l’égard desquels le gouvernement a failli à son devoir de protection.
La question est de savoir où placer le balancier. Une partie au moins des professionnels de la guerre ou des renseignements semble partager l’avis de Yoav Gallant que la présence physique permanente des Israéliens sur Philadelphie n’est pas actuellement indispensable, et il est impensable que le Ministre de la Défense aurait émis un tel avis s’il n’était pas soutenu par les grands militaires. Benny Gantz et Gadi Eisenkot dans leur conférence de presse commune soulignent que le contrôle direct du corridor de Philadelphie n’a pas un caractère existentiel pour Israël.
Pendant trente ans, a transité sous le corridor de Philadelphie un immense arsenal militaire et de construction, qui à lui seul rend la phrase de Gaza « camp de concentration à ciel ouvert » ridicule. À moins que, vicieusement, Dominique de Villepin rappelle que les tunnels ne sont justement pas à ciel ouvert… Il restera à savoir comment Israël s’est accommodé de ces passages, ou pire encore, comment il a pu les ignorer.
Mais aujourd’hui, si les spécialistes pensent que ces tunnels, ou plutôt ce qui en reste, présentent un risque contrôlable, ce n’est pas aux amateurs comme Ben Gvir de peser sur la décision. Cette décision peut signifier la mort pour des otages survivants. Le pays a des devoirs à leur égard et le Premier ministre israélien ne devrait pas y mêler des considérations d’alliances politiciennes.
Le chef de l’Église catholique est actuellement à Djakarta, capitale de l’Indonésie, pays de 275 millions d’habitants dont 80% sont musulmans. Politiquement, le Pape François semble ne se préoccuper que du « Sud global ».
Alors qu’on incendie en France églises et synagogues au nom de l’islam, notre pape dont le nom pourtant signifie « de France » (que l’on prononce François, Francis ou Francisco) est en visite dans « le premier pays musulman du monde », dans l’indifférence manifeste à ces incendies, comme d’ailleurs aux massacres quasi quotidiens perpétrés par les islamistes sur les chrétiens, par exemple au Burkina Faso.
François est venu à Marseille l’an dernier (précisant qu’il ne venait pas pour autant « en France »), pour nous exhorter à ouvrir grand nos frontières d’Europe aux migrants du monde entier (musulmans, dans leur écrasante majorité).
On l’a à peine entendu lors du 7 octobre, et plus du tout à chaque nouvel assassinat d’otages, comme pour les six malheureux du week-end dernier. On l’entend en revanche constamment déplorer la souffrance du peuple palestinien. Citons Vatican News: « Dans un message aux musulmans du monde entier, diffusé par la chaîne d’information saoudienne Al-Arabiya, à l’occasion de la fin du ramadan, le Souverain pontife a de nouveau imploré la fin de la guerre entre Israël et le Hamas. «Ne laissons pas la guerre s’étendre! Arrêtons l’inertie du mal!», s’est-il exclamé, vendredi 12 avril. » Ou encore, le 8 juin: « J’exhorte la communauté internationale à agir d’urgence pour aider la population de Gaza. »
Pourtant le christianisme inventeur de l’antisémitisme ne cesse de rappeler qu’Israël est le peuple élu, et que Jésus le Nazaréen fut crucifié sous l’intitulé « Roi des Juifs ». Dimanche dernier encore, le Deutéronome de la 1ere lecture, (comme presque chaque dimanche de la messe chrétienne) rappelait que l’union de Dieu avec son peuple Israël est primordiale, première et sacrée. « Moïse disait au peuple : « Maintenant, Israël, écoute les décrets et les ordonnances que je vous enseigne pour que vous les mettiez en pratique. Ainsi vous vivrez, vous entrerez, pour en prendre possession, dans le pays que vous donne le Seigneur, le Dieu de vos pères. (…) Tous les peuples s’écrieront : Il n’y a pas un peuple sage et intelligent comme cette grande nation ! » (Dt, IV, 1-8)
Le Saint Père sait bien que notre Seigneur Jésus Christ n’a jamais été chrétien mais juif, priant et enseignant dans des « synagogues », des « temples ». Qu’il fut circoncis huit jours après sa naissance, raison pour laquelle nous fêtons le 1er janvier de l’an Zéro (une semaine après le 25 décembre) comme le début de notre Ère (oui, sa circoncision, symbole d’alliance avec son peuple, et non pas sa naissance). Que sa mère Marie était une bonne petite juive. Que la terre d’Israël est depuis quelque 30 siècles celle du peuple juif (cf. ci-dessus), menacée par des peuples descendants des Philistins ou des Babyloniens, d’une cruauté redoublée et galvanisée depuis 13 siècles par l’islam.
Et le Pape François ne voit pas que c’est Israël dont il devrait dire tous les jours le martyre ? Des églises et des synagogues sont incendiées en France par des adeptes de Mahomet, qu’attend-il pour venir constater les dégâts, prier parmi nos ruines ?
Le 7 octobre, le Hamas a capturé 251 personnes. Près d’un an plus tard, 106 otages, dont deux Franco-Israéliens, sont toujours retenus à Gaza – morts ou vivants. Cette tragédie remet en question le contrat moral qui unit l’État à ses citoyens, et divise une société israélienne déjà profondément fracturée.
Quiconque arrive à l’aéroport Ben-Gourion à Tel-Aviv est saisi par leurs visages, placardés dans le vaste hall qui sépare la zone de débarquement de la sortie. Jeunes, vieux, hommes, femmes, enfants, beaucoup sourient, saisis dans un moment heureux qui, peut-être, leur tient secrètement compagnie dans leur prison. Dans les manifestations clairsemées qui ont lieu en leur honneur, à Paris et dans d’autres villes européennes, ils interpellent les passants comme pour leur dire « Ne nous oubliez pas ! ». Il se trouve aussi dans ces mêmes villes des salopards pour déchirer ces affiches, profanation minable qui ose se draper dans des considérations humanitaires. Pour Israël, les otages sont littéralement une tragédie – une situation sans solution : d’une part, le contrat moral entre l’État et ses citoyens veut qu’on les ramène à n’importe quel prix ; et de l’autre, la survie collective ne peut pas être sacrifiée à ces vies humaines, aussi précieuses soient-elles. Alors on rêve d’une opération Entebbe[1] – les méchants sont punis et les innocents, libérés : une fin à la James Bond est la seule issue heureuse.
Israël, une grande famille
Le 7 octobre 2023, lors de l’attaque surprise du Hamas, 251 personnes, ainsi qu’un nombre indéterminé de cadavres, ont été enlevées en territoire israélien et emmenées à Gaza pour servir de monnaie d’échange et de boucliers humains à la milice islamiste. Un peu moins de la moitié des personnes prises vivantes l’ont été au kibboutz Nir Oz (71) et lors de la fête Nova (41). 32 otages étaient des étrangers, principalement thaïlandais, et 25 des militaires. 37 otages avaient moins de 18 ans, mais ils ont tous été libérés en novembre 2023, à l’exception des deux enfants de la famille Bibas, dont le plus jeune, Kfir (« lionceau » en hébreu), avait 9 mois lors de son enlèvement.
Le 22 novembre 2023, dans le cadre d’un accord entre Israël et le Hamas, 80 otages israéliens ont été libérés, ainsi que 23 Thaïlandais et un Philippin, en échange de 240 prisonniers palestiniens détenus par Israël. Six otages ont été libérés vivants lors des opérations spéciales menées par l’armée israélienne et d’autres, via des accords entre leurs gouvernements respectifs et le Hamas. Aujourd’hui, 107 Israéliens, dont deux binationaux français, sont toujours détenus à Gaza. Plusieurs dizaines d’entre eux sont probablement décédés.
Si cette prise d’otages est sans précédent en raison de son ampleur et du contexte, la question des otages hante la société israélienne depuis les prises d’otages perpétrées par l’OLP dans les années 1970 : le détournement de l’avion de Sabena, le massacre des JO de Munich (initialement une prise d’otages) en 1972, et bien sûr l’affaire du vol Air France détourné vers Entebbe en 1976.
En 1982, pendant la guerre au Liban, des soldats de Tsahal sont faits prisonniers par le FPLP d’Ahmed Jibril et, faute de pouvoir les libérer par la force, Israël accepte de libérer 1 151 détenus palestiniens, dont Ahmed Yassin qui fondera le Hamas en 1987. Déjà à l’époque, le pays se déchire entre les considérations d’ordre stratégique et le respect du contrat moral tacite entre l’État et ses citoyens en uniforme. L’accord laissera un goût amer, en raison notamment du rôle important joué dans l’Intifada par certains des prisonniers palestiniens libérés. Un jeune aviateur le paiera de sa vie.
Lors d’une mission de combat au-dessus du Liban en octobre 1986, un pilote et un navigateur sont contraints de s’éjecter après un problème de munitions à bord de leur avion. Si le pilote est récupéré par Tsahal, l’autre aviateur, Ron Arad, est capturé par des miliciens chiites d’Amal. C’est le début d’une triste affaire qui mobilise la société civile israélienne pendant presque vingt ans. Aujourd’hui, on estime qu’Arad est probablement mort au plus tard au milieu des années 1990. Il est également largement reconnu que les dirigeants israéliens, échaudés par les critiques de l’accord avec le FPLP, ont laissé passer des occasions de libérer Arad. Pour la première fois, le public comprend que, contrairement au discours officiel, son gouvernement ne paiera pas n’importe quel prix pour récupérer ses soldats. Pour une société qui se voit encore comme une grande famille dont certains membres portent l’uniforme, cette confrontation avec la raison d’État est douloureuse.
Le soutien aux otages devient une expression partisane
À peine remis de cette tragédie, les Israéliens découvrent Gilad Shalit, enlevé en juin 2006 par un commando du Hamas qui s’est infiltré par un tunnel. Le visage de Gilad remplace celui d’Arad à l’arrière des voitures, la pression médiatique reprend. En octobre 2011, après soixante-quatre mois de captivité, Shalit est libéré en échange de 1 021 prisonniers palestiniens, dont… Yahya Sinouar, l’actuel chef du Hamas et l’un des artisans du 7 octobre 2023.
On comprend que la série télévisée Hatufim, relatant l’histoire de militaires israéliens libérés après dix-sept ans de détention, ait tenu Israël en haleine. Des éléments des affaires Jibril/FPLP, Ron Arad et de Gilad Shalit sont clairement présents dans cette fiction, premier succès à l’exportation de l’industrie israélienne de production télévisuelle, qui a inspiré une version américaine, Homeland.
Malgré cette riche expérience, ni l’État ni la société israélienne ne semblent mieux préparés à gérer ces situations douloureuses. En revanche, au cours de ce demi-siècle, l’un et l’autre ont considérablement changé. Pour la première fois, la traditionnelle solidarité instinctive avec les otages cède parfois la place à des expressions d’indifférence. Certains ne voient en eux que des gauchistes, des kibboutzniks, des fêtards drogués, bref pas des juifs comme il faut. Ce qui faisait totalement consensus il y a trente ans – le soutien aux otages – est désormais une expression partisane. Cela rappelle que le 7 octobre a fait irruption dans une société travaillée par une crise identitaire profonde – certains disaient le pays au bord de la guerre civile. Près d’un an plus tard, et alors que la guerre continue au nord et au sud, la douloureuse question des otages montre que cette crise est toujours là.
[1] Dans la nuit du 3 au 4 juillet 1976, les forces spéciales israéliennes ont libéré et exfiltré les passagers d’un vol Air France Tel-Aviv/Paris, détourné par le FPLP et stationné sur l’aéroport d’Entebbe à Kampala. Cette opération, menée à des milliers de kilomètres d’Israël, est entrée dans la légende. Trois otages et un militaire israélien (le frère aîné de Benjamin Nétanyahou) ont été tués. Une quatrième otage a été assassinée plus tard à l’hôpital par des Ougandais.
Le plus beau et le plus méconnu des films (1964) de François Truffaut ressort aujourd’hui en version restaurée au cinéma
C’est le plus beau et le plus méconnu des films de François Truffaut : La Peau douce ressort sur les écrans en cette rentrée et on ne peut que s’en réjouir. Chaque nouvelle vision de ce film apporte son lot de surprises et de découvertes. Véritable déclaration d’amour à Françoise Dorléac, que Truffaut avait surnommé Framboise, c’est aussi un autoportrait fort peu complaisant d’un homme partagé entre deux femmes et que Jean Desailly incarne à l’extrême perfection. L’acteur en voudra d’ailleurs ensuite à Truffaut de lui avoir confié le rôle sinon d’un lâche, du moins d’un velléitaire assez pitoyable. Le cinéaste mène son film tambour battant jusqu’à la scène finale et définitive, se payant même le luxe d’un passage provincial à la Chabrol avec le formidable Daniel Ceccaldi. Mais La Peau douce annonce surtout les grands films brûlants de Truffaut dont le mot d’ordre, commun et passionné, pourrait être : « Ni avec toi, ni sans toi. »
Découvrez le sommaire de notre numéro de septembre
Dans notre grand entretien, le président de Reconquête, se confiant à Elisabeth Lévy, explique que la stratégie de dédiabolisation poursuivie par le RN revient à se soumettre à la gauche. L’urgence, c’est de mener le combat identitaire car « la France est assiégée par une civilisation étrangère » qui a notamment ravivé l’antisémitisme. Pour lui, la politique est une affaire trop belle et trop grande pour être confiée à des politiciens obsédés par les sondages. Il appelle à ce qu’il nomme « une révolution antipolitique ».
Notre dossier du mois, « Flemme olympique », dissèque cette France qui ne cesse de se montrer allergique au travail. Le présentant, Élisabeth Lévy affirme que,pour beaucoup de Français, le travail est un mal qui n’est plus nécessaire. Le culte de l’effort a laissé place à celui de la consommation, et l’État veille – à crédit – au « pouvoir d’achat » d’une nation qui produit de moins en moins. Ce modèle magique est au cœur de la crise française. Se livrant à Jean-Baptiste Roques, l’essayiste Nicolas Baverez fait un diagnostic accablant : la France a raté le train de la mondialisation économique, la croissance est à plat, les faillites explosent, et l’État est incapable d’assurer aux Français les services de base de leur vie quotidienne. Pour autant, le pays ne manque pas d’atouts pour sortir de la spirale du déclin. Nos politiques parlent incessamment du « pouvoir d’achat », ce paresseux mantra, selon Stéphane Germain. On nous répète qu’il est en berne alors qu’il ne cesse d’augmenter, au prix d’un endettement irresponsable. Ce système redistributif dessert l’intérêt général, sans parler des générations futures. Le fond du problème, nous explique Philippe d’Iribarne, c’est que nos concitoyens sont de plus en plus fâchés avec le travail car, dans un pays où l’égalitarisme a pris le pouvoir, l’effort leur inspire davantage de ressentiment que de fierté. Vouloir en finir avec cette ultime distinction qu’est la réussite par le talent et l’exigence, c’est promettre la société à la médiocrité et à l’assistanat.
Le numéro 126 de « Causeur » est disponible à la vente aujourd’hui sur le site, et jeudi chez votre marchand de journaux !
Rien de tout à fait nouveau sous le soleil : d’Épicure à Céline en passant par Montaigne et Lafargue, une longue tradition philosophique et littéraire invite l’honnête homme français au farniente. Comme le dit Frédéric Magellan au terme de son analyse, il est difficile de lutter contre tant de beaux esprits…
Dans son éditorial, Elisabeth Lévy commence par un mea culpa : « Je me suis trompée et j’en suis ravie. Les JO n’ont pas été la catastrophe que je craignais ». Ce n’est pas pour autant qu’elle supporte avec équanimité la propagande olympique qui ne désarme pas. Car à en croire Le Monde, « l’héritage » des Jeux « devrait être d’affaiblir les discours exploitant les colères et les peurs, les stratégies misant sur la haine des autres ». Commentaire de notre directrice de la rédaction : « Dommage que la niaiserie médiatique ne soit pas une discipline olympique, on aurait raflé toutes les médailles ». Sur un autre ton, Elisabeth Lévy commente aussi l’attentat contre la synagogue de la Grande-Motte qui a suscité dans la classe politique les habituelles rodomontades, généralement annonciatrices de renoncements. Certes, la gauche et les macronistes, qui ont pactisé avec LFI et pactiseront encore demain si cela sert leurs intérêts, dénoncent sa responsabilité dans la recrudescence des actes anti-juifs. Mais tous refusent avec constance de voir que dans une grande partie de la jeunesse musulmane, l’antisémitisme est devenu tendance.
Emmanuelle Ménard, qui transforme sa chronique « Ma vie à l’Assemblée » en « Ma vie après l’Assemblée », ne craint pas de tirer les enseignements d’une défaite en politique. L’été qu’elle a passé à Béziers n’a cessé de la confronter à des êtres incarnant pleinement et merveilleusement les qualités de résistance, volonté, travail et courage. Comme pour mieux lui rappeler leur pendant : humilité et force morale. Jean-François Achilli analyse l’état actuel de la gauche. Le PS, tiraillé entre la social-démocratie et les sirènes révolutionnaires, cultive un complexe moral et intellectuel vis-à-vis de LFI. Le parti de Jean-Luc Mélenchon est devenu le moteur d’une famille politique déchirée, tout juste capable de s’entendre quand ses intérêts électoraux convergent. Harold Hyman nous invite à traverser l’Atlantique où, à en croire médias et réseaux sociaux, les Américains sont au bord de la guerre civile. Certes, des sujets de société tels que l’avortement et le port d’armes séparent les Démocrates des Républicains. Cependant, derrière les effets de manche et les concours d’invectives, leurs états-majors ont compris que les électeurs aspirent à un certain centrisme.
Le 7 octobre, le Hamas a capturé 251 personnes. Près d’un an plus tard, 107 otages, dont deux franco-israéliens, sont toujours retenus à Gaza – morts ou vivants. Pour Gil Mihaely, cette tragédie remet en question le contrat moral qui unit l’État à ses citoyens, et divise une société israélienne déjà profondément fracturée. Enfin, je reviens sur les émeutes anti-immigration qui ont éclaté en Angleterre cet été. Instrumentalisées ou non, elles ont révélé la détresse économique et sociale d’une classe populaire blanche « invisibilisée » par les élus et les médias. Dans cette société ethniquement cloisonnée, seules les minorités ont le droit de revendiquer leur identité.
Nos pages culture s’ouvrent sur l’hommage rendu par Marin de Viry à notre ami Benoît Duteurtre qui est mort le 16 juillet, à 64 ans. Il n’était pas seulement ce musicologue amoureux de l’opérette et de la chanson française que beaucoup connaissent. C’était aussi un romancier qui a su croquer la bêtise, les laideurs et les petitesses du quotidien avec un regard critique et désabusé. La mort d’Alain Delon tourne l’ultime page du cinéma français. Pour Yannis Ezziadi sa disparition emporte le mystère et les secrets des grands maîtres qu’il admirait tant, et révèle combien notre nouveau monde de la culture a répudié l’art. Georgia Ray nous révèle un contraste qui en dit long sur l’esthétique contemporaine. Si les JO nous ont offert la beauté des corps en mouvement, ils nous ont imposé aussi les statues pathétiques de dix « femmes en or » et des Vénus flashy au palais Bourbon. En revanche, le Louvre présente la beauté éternelle : les marbres antiques de la collection Torlonia. Un rêve de pierre dans lequel les corps ont leur langage. La mort d’Alain Delon a clôturé un été cinématographique plutôt morose, selon Jean Chauvet, bien que l’on puisse se réjouir du succès de Monte-Cristo. Heureusement que la rentrée se place sous les bons auspices d’un film iranien décapant.
Septembre, c’est la rentrée littéraire : Jonathan Siksou a trouvé que, effet de mode ou signe du temps, nombre de romanciers ont plongé leur plume dans l’histoire, la grande comme la petite, et choisi comme héros des personnages célèbres ou méconnus. Autant d’ouvrages qui redonnent vie au passé. Patrick Mandon salue l’ouvrage de deux jeunes gens, Ludovic Marino et Louis Michaud, Jean Cau, l’indocile, préfacé par Franz-Olivier Giesbert, qui lève enfin la sentence d’oubli qui frappait Jean Cau (1925-1993), cette figure majeure de résistance au conformisme. Comme le rappelle Julien San Frax, Bruno Patino, jeune journalise, a interviewé Pinochet à Santiago. Le dictateur a habilement retourné l’entretien et les deux hommes ont fini par rire ensemble. C’était il y a 30 ans et ce moment l’obsède encore. Rire avec le diable est sa « confession ».
Philippe Faure-Brac est un sommelier de génie et son Bistrot du Sommelier est une institution parisienne depuis 40 ans. Emmanuel Tresmontant nous présente cet homme qui est aussi un pionnier : il a été le premier à proposer des menus-dégustation « autour du vin » pour promouvoir les grands crus, et à sillonner les vignobles pour y dénicher des pépites inconnues.
Dans ses carnets, Ivan Rioufol raconte comment macronie et gauches réunies ont effacé l’expression de l’exaspération française. Le RN s’est vu privé des postes qui lui revenaient à l’Assemblée et l’indésirable droite a assisté au tour de passe-passe qui a permis la réélection de Yaël Braun-Pivet au perchoir. Si l’on veut nommer la chose, c’est un déni de la démocratie. Enfin, Gilles-William Goldnadel, président d’Avocats sans frontières, demande l’interdiction de LFI. Car selon lui, « La France insoumise n’est pas un parti démocratique. Il est temps d’en tirer les conséquences ».
1967. Alain Delon et Mick Jagger sont assis sur un canapé. Entre les deux, Marianne Faithfull, la compagne de la rock-star. Elle n’a d’yeux que pour l’élégance française qui ringardise la coolitude…
Alain Delon est mort. On le savait très affaibli depuis quelque temps, mais on se surprend à l’avoir espéré éternel. La vieillesse comme la mort sont un outrage à la beauté.
Et quelle beauté. Magnétique, insolente, éclaboussant le monde comme un soleil. Scandaleuse beauté, que le jeune homme portait comme une élection. Mireille Darc avouait il y a quelques années être parfois restée éveillée pour le regarder dormir. Et ce n’est pas le moindre paradoxe de Delon que d’avoir été beau comme peut l’être une femme tout en incarnant le summum de la virilité.
La mélancolie tempérait l’acier du regard et « humanisait » ce visage trop parfait. Qui ne se serait damné pour des yeux aussi désarmants, où la tristesse le disputait à l’éclat ? Cette grâce, cette présence, injustes parce que données, ont séduit bien des femmes et sans doute irrité bien des hommes. La célèbre photographie prise en 1967, montrant Marianne Faithfull assise entre son compagnon d’alors, Mick Jagger, et Alain Delon, visage et sourire tout entiers tournés vers l’acteur, souligne plaisamment à quel point il devait être difficile pour un homme, fût-il une rockstar, d’exister à côté d’Alain Delon. La légende qui accompagne aujourd’hui l’image se passe de commentaire : « When you’re Mick Jagger but the other one is Alain Delon. » Impossible de lutter. Jagger semble penaud, absent, défraîchi ; Delon prend toute la lumière et tout l’espace, élégant, désinvolte. Jagger n’existe pas. Phèdre chez Racine décrit Hippolyte « charmant, jeune, traînant tous les cœurs après soi ». Qu’aurait-elle dit si, par le jeu d’une improbable acrobatie temporelle, son regard s’était posé sur la beauté renversante du jeune Alain Delon ?
La beauté subjugue, elle est un sortilège. De nombreux réalisateurs, et pas des moindres, sont tombés sous le charme, jusqu’à la fascination amoureuse si l’on pense à Visconti. Notre paysage mental est peuplé du visage ironique et flamboyant de Tancrède, des grands yeux candides de Rocco, et chez les autres, les Clément, les Deray, les Melville, d’un corps solaire et délié, en pleine mer ou au bord d’une piscine, de la face hiératique et glaciale d’un samouraï dont la froideur n’altère jamais la beauté. Dans Plein soleil on se prend même, contre toute morale, à souhaiter que jamais ne se fasse coincer, pour reprendre le vers de Genet, « un assassin si beau qu’il fait pâlir le jour »… Tous ont perçu la force de frappe de ce garçon qui crève l’écran, peut-être parce qu’il ne joue pas mais, comme il se plaisait à le dire, parce qu’il est chaque fois le personnage qu’on lui demande d’incarner, avec un engagement et une conviction qui semblent naturels. Il est sans conteste l’assassin machiavélique de Maurice Ronet, il est un monsieur Klein pris au piège de l’histoire, il est flic, truand ou tueur à gages avec la même force, comme il a été prince sicilien ou jeune frère désarmé par sa propre bonté.
Une présence incandescente jusque dans ses tourments, qu’ils soient cinématographiques ou personnels (car Delon n’est pas une image lisse sur papier glacé), portée par une élégance sans faille, dans l’apparence comme dans le verbe. C’est sans doute à ce titre qu’il représente si pleinement, pour autant que ce vocable ait encore un sens aujourd’hui, l’homme français : une mise impeccable sans être guindée, de la tenue, au propre comme au figuré, une séduction faite d’un charme puissant mâtiné de panache et de désinvolture. Là encore, il suffit de le revoir dans son costume gris clair, dans une décontraction presque insolente, à côté d’un Mick Jagger ringardisé par la coolitude étudiée de ses vêtements roses…
Alain Delon incarne l’homme français… et c’est bien le problème. Emmanuel Macron pourrait sans doute prétendre, avec beaucoup d’autres aujourd’hui, qu’il n’y a pas plus d’« homme français » qu’il n’y a de culture française, que l’homme français est divers, qu’il existe des hommes en France, pour parodier son assertion. Ce serait ignorer qu’il y eut longtemps un archétype dans lequel la grande majorité des Français se reconnaissait, et que Delon résume et sublime. Si aujourd’hui beaucoup (principalement à gauche) ne lui ont rendu aucun hommage après l’annonce de sa disparition, ou se sont répandus en vilenies à son propos, c’est précisément parce qu’il est trop français, trop blanc, trop catholique (il prétendait ne pas croire en Dieu, mais avouait une dévotion à Marie et s’était fait édifier une chapelle dans sa propriété de Douchy), trop peu conforme à la nouvelle population « créolisée » que d’aucuns appellent à remplacer l’encombrant peuple de souche.
Et même pas homosexuel, Delon. Ça l’aurait peut-être sauvé à l’heure où il est de bon ton d’appartenir à une minorité nécessairement opprimée. Mais non : Delon aimait les femmes, et en plus il se permettait d’avoir des critères de sélection, il les préférait plutôt grandes, belles et si possible intelligentes. Pas facile à proclamer dans une époque qui a l’égalitarisme prodigue et arrogant… Bien sûr Delon a pu faire preuve de goujaterie dans sa vie amoureuse, il n’est pas sans défaut, mais cela vaut-il le procès en misogynie intenté par certains, largement battu en brèche par les amitiés vraies qu’il a su nouer avec Romy Schneider ou Mireille Darc après leur rupture… Beaucoup des femmes qui l’ont aimé un jour l’ont aimé à jamais. Sandrine Rousseau et sa clique, au lieu de pointer sa « masculinité », toxique, forcément toxique, auraient pu au moins saluer l’immense acteur, son exceptionnelle contribution au rayonnement du septième art (… et de la France) ; mais Delon n’était pas un mâle suffisamment déconstruit pour être célébré.
Il ne coche donc aucune des cases qui valent aujourd’hui brevet de vertu : il prône l’ordre, la discipline, l’autorité (autant dire des valeurs fascistes !), il admire ceux qui risquent leur vie pour leur pays (on est loin du pitoyable « cheh » de la dispensable sociologue Ricordeau1), il est patriote, enraciné, il se reconnaît des maîtres. Il préfère l’exigence de la verticalité aux fausses promesses de l’horizontalité. Il prétendait, et on peut le croire, n’avoir aucun regret à quitter une époque aussi minable que la nôtre. Les réactions haineuses qui ont suivi sa mort apportent la triste confirmation de son verdict. Pour pouvoir s’incliner, il faut reconnaître plus grand que soi, se sentir redevable, héritier, ce dont notre temps est précisément incapable.
Brigitte Bardot écrit très justement qu’« Alain en mourant met fin au magnifique chapitre d’une époque révolue ». Une époque, dont le cinéma se faisait aussi l’écho, et que beaucoup, parfois même sans l’avoir vécue, se prennent à regretter… Une époque et des individus, libres dans leur façon d’être et d’aimer, quintessence de l’esprit français, que Delon comme Bardot incarnaient merveilleusement.
On lui a souvent reproché sa froideur et sa distance, exactement opposées à la gouaille et la jovialité d’un Belmondo plus accessible et disert. On n’a pas toujours compris la solitude et la mélancolie de cet être comblé par toutes les grâces. On l’a cru misanthrope, aigri. Et sans doute son amour des chiens disait-il sa déception des hommes, lui qui plaçait très haut les vieilles valeurs de fidélité et de loyauté. Cet homme issu du peuple était un aristocrate et savait qu’un chien ne trahit pas.
Finalement Alain Delon est un résidu scandaleux du monde d’avant, qui refusa toujours de communier, dans la liesse obligatoire, à l’avènement du bel aujourd’hui. Son péché capital est évidemment politique. Dans le milieu du cinéma, on est de gauche et on le montre, on fait constamment allégeance à la doxa progressiste, ou si on a le mauvais goût de ne pas en être, on ne la ramène pas. Delon, lui, la ramenait, il n’avait pas le tropisme droitier honteux, et c’est impardonnable. Il n’a pas (à l’exception du César de rattrapage en 2019) été récompensé par la profession à la hauteur de son talent et de sa filmographie, et plusieurs mettent cet « oubli » sur le compte de positions politiques non conformes. Les petits commissaires politiques d’internet s’en donnent à cœur joie, méconnaissant la décence commune qui consiste à ne pas cracher sur les morts de fraîche date : « conservateur en politique, mufle avec les femmes, père laissant à désirer » (où l’on voit bien que la faute première est politique, et que tout le reste apparaît comme une suite logique), « réac », « facho »…
L’insipide Nicolas Mathieu s’est lui aussi fendu d’un commentaire ahurissant de bêtise et de sectarisme : « Delon n’était pas un chic type. Tout de lui semble fait pour scandaliser nos susceptibilités actuelles. » Il reconnaît sa « beauté totale » (c’est bien le moins), mais rien d’autre ne trouve grâce à ses yeux parce que Delon n’était pas dans l’approbation béate de l’air du temps. Crime de lèse-progressisme ! Dans la vision de l’écrivain, inconsistant parangon des vertus du temps présent, gauche égale sympa, droite pas sympa. On a connu plus subtil. Mais Delon, c’est vrai, n’a jamais cherché à passer pour un « chic type », un mec cool prêt à se coucher devant tous les diktats de la modernité et à abdiquer ce qu’il était pour complaire aux nouveaux curés. Delon, qui a soutenu la droite giscardienne ou filloniste, n’a jamais caché son amitié pour Jean-Marie Le Pen, rencontré lors de la guerre d’Indochine. Un os à ronger pour les petits Torquemada, qui voient là la marque du diable, la preuve de l’infamie. De là où il est, on peut penser que Delon les emmerde.
Un plein soleil ne s’éteint jamais.
Sur les réseaux sociaux, la sociologue Gwenola Ricordeau a ironisé sur la mort de deux pilotes tués dans un accident en Meurthe-et-Moselle mercredi 14 août. ↩︎
En couverture du livre de Pierre Abou Le Cercle des chacals, photo sépia pleine page, l’animal a pris la forme d’un officier de la Wehrmacht, casqué, ganté, fièrement monté, sabre en main, sur un cheval qui marche au pas. En arrière-plan, les arcades de la rue de Rivoli. Le cavalier en question ? Le célèbre écrivain allemand Ernst Jünger (1895-1998). Sous-titre de l’ouvrage : Le Paris outragé d’Ernst Jünger et des nazis « francophiles »...
Sur Wikipédia, le mot « chacal » désigne, au sens propre, « plusieurs espèces de petite ou de moyenne taille de la famille des Canidés. C’est un mammifère adaptable et opportuniste ». Au figuré, il « symbolise l’astuce ou l’intelligence dans les cultures populaires, notamment celle des sorciers, voire le mythe interculturel du fripon » : la cible est désignée.
Voilà donc Jünger photographié ici en 1941, soit dans les premiers temps de l’Occupation. De fait, l’ancien héros de la Grande Guerre, l’auteur d’Orages d’acier tant admiré d’Adolf Hitler, a bien été en poste à l’hôtel Majestic (l’actuel palace Peninsula Paris, sis 19 avenue Kléber, dans le XVIème arrondissement), alors réquisitionné par l’occupant nazi pour héberger son quartier général, à deux pas de la rue Lauriston, de sinistre mémoire. « Ce livre, annonce Pierre Abou, a pour ambition de raconter les deux premières années de l’Occupation du point de vue de ces princes de l’ombre que furent les membres les plus influents du Commandement militaire en France… » Dans ce microcosme actif, Jünger est l’élément qui aimante – et aiguise – le coutelas acéré de l’auteur : c’est dans une prose nette, froidement courroucée, que Pierre Abou, tout au long de ces 300 pages, écorche vif ces caciques de l’appareil national-socialiste dont la postérité a efficacement effacé, pour nombre d’entre eux, le crime, a minima, de complicité dans la barbarie nazie.
Bons souvenirs de Paris…
Parmi eux, le juriste Werner Best (1903-1989), ancien SS qui poursuivra, après-guerre, une brillante carrière au ministère des Affaires étrangères de la RFA, et dont le rôle central est ici réévalué, si l’on ose dire. Ou encore le fameux Hans Speidel (1897-1984), chef d’état- major d’Otto von Stülpnagel qui dirige les forces d’occupation, lequel Speidel, connu surtout pour avoir été au cœur de la conspiration contre le Führer aboutissant à l’attentat raté du 20 juillet 1944, et qui sera appelé, bien plus tard et ce jusqu’à sa retraite, à commander les forces terrestres de l’Otan.
Le cercle des chacals, donc : derrière ce titre un rien racoleur, Abou règle ses comptes avec une historiographie bien trop tendre, selon lui, envers ces protagonistes élégants et cultivés qui faisaient bombance dans une capitale soumise aux restrictions, voire à la terreur, et dont les citoyens Juifs étaient déjà persécutés sous leurs yeux. Si la période étudiée ici « s’arrête en mai 1942 » c’est-à-dire au moment des « mutations affectant les postes clefs du commandement militaire en France », en réalité l’ouvrage, à cet égard passionnant, ouvre d’abondantes perspectives sur le contexte plus général de la relation du régime de Vichy aux instances du Reich, et sur la suite des événements jusqu’à la débandade finale.
Diatribe fulminante contre ces « ‘’hommes du Majestic’’ isolés du pays conquis et installés dans une posture de toute puissante », qu’il nomme aussi « les sous-mariniers de l’avenue Kléber », l’ouvrage fustige le déni d’accointance à l’hydre nazi, propre à « cette organisation, (…) machine à laver les taches sur l’honneur des uniformes, aussi efficace que les laveries automatiques dernier cri » (sic). Mais surtout, Le Cercle des chacals tourne concentriquement autour de la figure décidément honnie d’Ernst Jünger : quand bien même, dixit Abou, « le chacal [a] la caractéristique de s’enhardir en meute », il concentre sur lui les motifs de sa vindicte.
D’un bout à l’autre en effet, Abou, en cela moins historien que polémiste, s’acharne à démontrer la fourberie, la parfaite mauvaise foi, l’indignité du grand écrivain germanique. Toujours controversé en Allemagne quand il reste encore durablement célébré en France (à l’instar d’un Heidegger qui fut son illustre ami), l’auteur du Travailleur, des Falaises de marbre, de Jardins et routes, du Journal parisien, de Soixante-dix s’efface, etc. dissimule, aux yeux de Pierre Abou, sous ses traits marmoréens de mondain francophile, d’esthète et de penseur féru d’entomologie, une entreprise laborieuse et concertée de blanchiment de ce que fut en réalité ce capitaine en vert-de-gris : l’instrument zélé du pouvoir nazi.
Dossier à charge contre Jünger
Pour notre « historien », Ernst Jünger, plus retors qu’aucun autre, aura sculpté sa propre statue sur la base d’un mensonge patiemment, consciencieusement ourdi jusqu’au soir de sa très longue vie : de révision en révision de son œuvre, de traductions en traductions revues et corrigées, il ne se serait employé qu’à travestir son rôle exact d’agent de renseignement sous l’Occupation, taupe infiltrée dans l’intelligentsia parisienne pour rendre compte en haut-lieu de l’état de l’opinion, pilotant « la mise sur écoute et la violation des correspondances des Français à grande échelle » depuis son apparente thébaïde de l’hôtel Raphaël, entre deux festins arrosés de grands crus au Ritz ou à la Tour d’argent…
Certes, insiste l’auteur en postface : « il n’entrait pas dans l’objet de cette enquête de se prononcer sur la valeur esthétique, philosophique ou métaphysique tes textes dont [les protagonistes] sont les auteurs ou les sujets ». Reste que ce dossier à charge contre Jünger aurait probablement gagné à s’équilibrer d’un regard, sinon complaisant, à tout le moins apte à lui reconnaître une place éminente dans le paysage intellectuel du XXème siècle. La détestation qu’Abou lui porte va jusqu’à dénier à l’auteur pourtant très talentueux des romans d’anticipation Heliopolis (1949) ou Eumeswill (1977) la moindre once d’authenticité dans la lente évolution de ses postures philosophiques. Ainsi en va-t-il de la figure de « L’Arnaque » revendiquée par Jünger dans son âge avancé : explicitant le concept avec justesse – « l’Anarque est à l’anarchiste ce que le monarque est au monarchise : souverain de sa vision intime du monde, au nom de laquelle il refuse au pouvoir politique les droits qu’il lui reconnaît dans la sphère publique » -, Pierre Abou n’y voit jamais qu’« un subterfuge de Jünger pour exonérer sa conduite au commandement militaire allemand en France ».
Dès lors, il lui intente un procès gagné d’avance : Jünger a tout manigancé ; c’est un manipulateur. Même le drame affreux de la perte de son fils, soldat de 17 ans accusé de propos séditieux contre le régime, projeté pour ce seul motif sur le front d’Italie en 1944 où il trouvera la mort, se voit retourné par Pierre Abou contre le père indigne, qui aurait cyniquement envoyé son garçon au casse-pipe ! L’attentat de 1944 contre Hitler ? Jünger se prévaudra d’une proximité supposée avec les conjurés, alors même que ceux-ci, se défiant de lui, auraient pris grand soin au contraire, s’il faut en croire Abou, de le tenir à distance du « projet Walkyrie ». Quand Pierre Abou place en exergue du chapitre 8, ‘’Revoir Paris’’, une phrase tirée du Second journal parisien d’Ernst Jünger, c’est pour n’en proposer qu’une traduction fort médiocre : « Les villes sont des femmes, tendres seulement avec le vainqueur », cite-t-il. Au lieu que « les villes sont femmes, et ne sont tendres qu’au vainqueur » rendrait compte, au moins, de l’élégance de style propre à l’écrivain. Etc.
Au-delà du règlement de compte contre cet « esthète » supposément sans foi ni loi, Le Cercle des chacals dépeint de façon captivante les rouages de la haute administration à l’aurore de l’Occupation ; les rivalités, les tensions, les clivages dans la hiérarchie ; l’idiosyncrasie de ce « Cercle rouge » envisagé par ses membres comme un ordre de chevalerie formé (pour citer Jünger) « à l’intérieur de la machine militaire » (…) dans le ventre du Léviathan » ; l’organisation des structures qui vont s’emparer du ‘’ problème Juif ‘’ et conduire à ce qu’il est convenu d’appeler chez nous ‘’ la rafle des notables’’, le 12 décembre 1941, puis aux exécutions d’otages, préludes à la funeste ‘’Solution finale’’…
« Personnaliser le crime d’un organisme officiel est une tâche difficile pour un magistrat instructeur ce que je ne suis pas », confie Pierre Abou. Son récit décrypte pourtant avec soin l’énorme entreprise d’asservissement d’une nation et de ses réprouvés, mettant un nom sur les acteurs de ce forfait – et posant sur eux un verdict très personnel. Si, en matière historique, il n’y a pas de vérité absolue, il faut des essayistes engagés pour l’approcher. Pierre Abou en est un.
A lire : Le Cercle des chacals, de Pierre Abou. Editions du Cerf, 2024. 376 pages
Monsieur Edouard Philippe, naguère Premier ministre, a fait savoir qu’il serait candidat aux prochaines élections présidentielles. Considérant peut-être que le présent quinquennat n’irait pas à son terme, il aura jugé opportun de ne pas trop traîner à annoncer cette décision d’importance que, s’imagine-t-il, la France entière attendait fébrilement.
Fin, donc, d’un suspense intenable. Le candidat déclaré nous annonce un programme qu’il se plaît à présenter comme « massif »1. On a connu beaucoup de qualificatifs assortis aux programmes électoraux, mais celui de massif a au moins le mérite de la nouveauté.
Un programme, précise le postulant, qui devra mobiliser les forces politiques allant de la droite sage, la droite propre sur elle, aux socialistes teintés rose tendre, modérément socialisants si vous préférez. En d’autres termes, ce programme se situe clairement au centre. Nous devrions donc avoir du massif central. Et conséquemment se dit-on, à l’image de l’autre aux volcans éteints ou en sommeil depuis la nuit des temps, rien de particulièrement volcanique, éruptif ou puissamment disruptif à en attendre. Nous voilà prévenus.
Pour ce qu’on sait de ce programme, figurerait en bonne place l’engagement de revitaliser le secteur industriel. Sur ce point, l’homme peut se prévaloir d’une réussite certaine. Lorsqu’il était à Matignon, n’a-t-il pas relancé magistralement l’industrie du panneau routier avec sa crise d’autorité du 80 km/h, sans conteste la décision politique entre toutes dont la France avait le plus urgent besoin à ce moment-là ?
On notera que le postulant a tenu à prendre tout le monde de vitesse en officialisant dès à présent sa candidature. Il se hisse ostensiblement en tête du peloton de ses concurrents encore attardés à l’écurie où ils piaffent mais ne font que piaffer. Je m’autorise à voir dans ce souci de prendre la tête une sorte de revanche sur ce qu’aura été jusqu’alors son destin politique. Une revanche sur le politicien de porte-bagage qu’il fut dans son coin de Normandie, accédant à la mairie du Havre sur celui d’Antoine Ruffenach et à Matignon, c’est-dire à la notoriété nationale, sur celui d’Emmanuel Macron. Il se sera dit que cela devait cesser et que son temps était venu, le temps de se mettre la tête dans le guidon et de pédaler de la force de ses propres mollets. Espérons pour lui que la pente ne soit pas trop raide ni le but trop lointain. Il a baptisé son mouvement politique Horizons. Horizon, cette ligne terriblement agaçante qui ne cesse de reculer à mesure qu’on croit s’en approcher. L’effort à fournir risque donc d’être lui, pour de bon, massif.
Macron dans l’impasse: et si la porte de sortie était sa démission ? se demande notre chroniqueur
La France n’est plus gouvernée depuis 50 jours. Mais qui voit une différence ? En réalité, ses dirigeants ont abandonné leur poste depuis des décennies. Le monde politico-médiatique, coupé du réel par ses aveuglements idéologiques prolongés, tourne à vide et se mord la queue. Emmanuel Macron n’est que l’ultime symptôme de l’effondrement du système avec lequel il n’a jamais voulu rompre.
Actuellement, les faiseurs d’opinions se passionnent autour de l’interminable feuilleton du futur Premier ministre. Mais ce huis-clos n’intéresse pas les citoyens ordinaires. Ce mauvais théâtre les conforte en revanche dans leur rejet de cette oligarchie bavarde et inopérante, qui a décidé de rejeter le RN, premier parti de France, et le NFP, première formation parlementaire. Selon l’Ifop (Le Monde, 30 juillet), 85% des Français portent un jugement négatif sur les responsables politiques. Les sondés sont 73% à ne pas faire confiance en l’Assemblée nationale issue du 7 juillet et du front républicain qui l’a rendue ingouvernable. D’ores et déjà, 51% sont même favorables à une démission du chef de l’État : une éventualité qui a poussé Édouard Philippe, hier dans Le Point, à se déclarer candidat pour la prochaine présidentielle. Reste que l’ancien Premier ministre, qui fit se soulever contre lui les premiers gilets jaunes en octobre 2018, fait partie de ce vieux monde déconnecté, qui n’a jamais voulu reconnaître ses fautes. « Je sais où je veux emmener le pays », déclarait Macron le 1er mai 2018 devant Jean-Pierre Pernaut. On voit : il l’a conduit dans l’impasse.
Relire les forfanteries du président fait comprendre son aveuglement pathologique. Le 10 juin, au lendemain de l’annonce de sa dissolution de l’Assemblée, Le Monde relate (et confirme par la suite) cet échange avec « un grand patron, familier de l’Elysée » : « Ça va, pas trop dures, ces journées ? » Macron : « Mais pas du tout ! Je prépare ça depuis des semaines, et je suis ravi. Je leur ai balancé ma grenade dégoupillée dans les jambes. Maintenant on va voir comment ils s’en sortent… ».
Macron, évidemment, ne s’en sortira pas. Sauf à se caricaturer davantage en Ubu roi, en devenant son Propre premier ministre et son gouvernement à lui tout seul. Néanmoins, avoir eu ne serait-ce que l’idée de nommer à Matignon Thierry Beaudet, apparatchik de gauche de l’inutile et dispendieux Conseil économique et social, fait mesurer le gouffre qui sépare Macron de la société civile dont il prétendait se réclamer en 2017. Les personnalités de Bernard Cazeneuve ou de Xavier Bertrand, qui semblent demeurer en lice ce mercredi matin, ont en commun une même détestation pavlovienne du RN.
Or, comme le rappelle le politologue Dominique Reynié, le RN est devenu la droite par le choix de 80% des électeurs de cette tendance. Malgré sa paresse intellectuelle, ce parti est porté par ses critiques contre l’immigration devenue folle, la montée de l’islamisme conquérant et le laxisme sécuritaire. Ce sont ces sujets, évacués par la caste claquemurée, qui vont continuer à porter Marine Le Pen et Jordan Bardella. À moins qu’un improbable Premier ministre ne reprenne prioritairement ces thèmes à son compte (David Lisnard, autre premier ministrable, l’oserait-il ?), il n’est guère d’autre issue pour Macron, à terme, que de démissionner.
Le militant dénonce la politique sécuritaire du maire de sa commune, qu’il poursuit au tribunal
Cédric Herrou refait parler de lui. Le gentil producteur de volailles et d’olives, bien connu de la justice pour être un passeur de migrants à la frontière avec l’Italie, n’aime apparemment pas le nouveau maire de sa commune. Quand il a découvert que l’édile, le ciottiste Sébastien Olharan, entendait installer une quarantaine de caméras de surveillance dans la petite ville de Breil-sur-Roya (06), il a donc cherché la petite bête. « On a découvert que le maire avait déjà installé une dizaine de caméras sans autorisation et sans dossier déposé auprès de la préfecture », a dénoncé le défenseur des exilés au micro de France Inter. Nul n’est censé ignorer la loi ! Et en matière d’illégalité, Cédric Herrou en connaît un rayon : il a été poursuivi tellement de fois que son parcours judiciaire a permis à la notion de « délit de solidarité » d’émerger en France, et à notre prestigieux Conseil constitutionnel d’estimer en 2018 qu’incriminer un citoyen facilitant l’entrée ou le séjour irrégulier d’un clandestin sur le sol français était « partiellement inconstitutionnel » lorsque c’était pour des raisons humanitaires.
Avec 15 habitants de gauche, M. Herrou a donc déposé un recours contre les caméras clandestines au tribunal administratif de Nice. Évidemment, au-delà, le militant dénonce un dispositif « inutile et disproportionné », avec à terme une caméra pour 55 habitants, soit le double de Nice selon ses calculs. « Un outil matériel répressif et restrictif des libertés publiques ! » s’énerve le militant, interrogé par L’Humanité. Oui, mais si Breil-sur-Roya n’est peut-être pas Chicago, les statistiques de la gendarmerie montrent bien une augmentation de la délinquance, plaide le maire, lequel rappelle que la commune s’étalant sur 86 kilomètres carrés, il faudra bien autant d’appareils… Il assure en outre que les caméras déjà installées n’enregistrent aucune image, et que la mairie attendra le feu vert de la préfecture, pas avant cet automne. Il a déjà gagné au tribunal contre Herrou en référé, le 14 août. Affaire à suivre… M. Herrou doit-il craindre que la gendarmerie puisse d’ici quelques semaines facilement surveiller ses allées et venues ?
Malgré une « grève générale » en Israël lundi, le Premier ministre Netanyahu entend maintenir une stratégie inflexible sur les otages. De leur côté, les islamistes du Hamas indiquent qu’ils ne négocieraient qu’en cas de levée du blocage de l’armée israélienne sur le corridor de Philadelphie, entre Gaza et l’Égypte.
Le 20 août, l’armée israélienne annonçait la découverte dans les tunnels de Khan Younes des corps de six otages israéliens, Yoram Metzger, Haim Peri, Alex Dancyg, Nadav Popplewell, Yagev Buchshtab, et Avraham Munder. Leur mort n’était pas récente et avait déjà été annoncée au préalable pour cinq d’entre eux.
Puis, le 27 août, le bédouin israélien Kaid Farhan Alkadi était libéré dans un tunnel, lors d’une opération militaire complexe. Celle-ci, survenant après une série d’éliminations spectaculaires de dirigeants du Hamas ou du Hezbollah, avait redonné aux Israéliens confiance et admiration dans leurs services de renseignement.
Mais quatre jours plus tard, le 31 août, l’armée découvre dans les tunnels de Rafah les corps de six autres otages. Il apparait vite qu’ils ont été assassinés 48 heures auparavant. Et beaucoup d’Israéliens sont en état de choc.
Le Hamas après avoir prétendu qu’il n’était pour rien dans leur mort, s’en vante et déclare que si les Israéliens s’approchent des otages, ils ne récupéreront que des cadavres.
Ces otages qui ont subi un calvaire de 11 mois avant d’être tués de sang-froid par leurs geôliers, qui étaient-ils?
Carmel Got a été enlevée au kibboutz Beeri, où elle a vu sa mère assassinée. C’était une physiothérapeute que certains otages libérés en novembre ont qualifiée d’ange car elle leur enseignait la méditation pour supporter leur épreuve. Sa famille a refusé la présence des medias à son enterrement et a très durement critiqué Netanyahu.
Les cinq autres ont été enlevés au festival Nova: Eden Yerushalmi, qui travaillait au bar, a gardé plusieurs heures un contact téléphonique avec sa sœur avant de tomber dans les griffes des ravisseurs et dont le Hamas a diffusé, après l’avoir assassinée une vidéo où elle suppliait d’accepter l’échange de prisonniers. Almog Sarusi, de Raanana, était musicien. Le sergent-chef Ori Danino a sauvé plusieurs participants, est retourné au combat et a été enlevé. Alexandre Lebanov, dont un enfant est né pendant son incarcération, avait la nationalité russe, mais n’a pas eu la chance d’un autre otage russo-israélien qui avait été libéré par égard pour Poutine. Hersch Goldberg Polin, gravement blessé à la main, avait laissé une impression lumineuse chez ses amis de Jérusalem. Il était devenu un des otages les plus connus car ses parents israélo-américains avaient remué ciel et terre, à l’ONU, à la Maison Blanche et lors de la Convention démocrate. Les paroles de sa mère au cimetière Givat Shaoul, étaient bouleversantes de tendresse et de dignité. Elles auront probablement un retentissement profond aux Etats-Unis.
Bring them home
Les forces israéliennes, qui sont manifestement en train de détruire le Hamas, ont effectué quelques sauvetages d’otages et même ceux qui constataient que ces libérations étaient minimes par rapport à celles qui étaient survenues lors des négociations de novembre, pouvaient espérer que la victoire militaire s’accompagnerait du retour des otages, ou de beaucoup des otages « à la maison ».
Malheureusement Gaza n’est pas Entebbé, dont le souvenir hante probablement Benjamin Netanyahu, étant donné le rôle qu’y a joué son frère. Et depuis la découverte macabre des six corps et les annonces du Hamas, les deux objectifs de destruction du Hamas et de libération des otages se télescopent désormais.
Israël, où une merveilleuse jeunesse se bat sans répit depuis près d’un an pour accomplir ces deux objectifs, se divise de nouveau fortement et les manifestants sont dans la rue. Le gouvernement est-il en train de sacrifier les otages ? Evénement extraordinaire, le Premier Ministre accepte une Conférence de presse, événement encore plus extraordinaire, il s’excuse auprès des familles des otages assassinés. Mais les familles ne retiennent que son insistance sur le corridor de Philadelphie.
La découverte des cadavres est survenue au moment même où le cabinet de guerre, contre l’avis du Ministre de la défense, a exigé de garder le contrôle israélien du corridor de Philadelphie. En fait les négociations étaient au point mort du fait des revendications du Hamas qui prétendait transformer les propositions de Biden d’un plan en étapes en un cessez-le-feu permanent, avec le retrait complet des troupes israéliennes de Gaza. Autrement dit, le Hamas se présenterait comme le héros invaincu d’une guerre de près d’un an menée par lui seul contre la surpuissante armée israélienne.
Jusqu’à présent, Netanyahu refuse toute concession sur le corridor de Philadelphie
Pour le public occidental, les exigences démesurées d’un Hamas proche de la déroute ont un immense attrait : il pense qu’elles conduiront à une paix complète. Qui peut être contre la paix?
Mais qui est assez ignorant et naïf pour penser qu’on peut être en paix avec le Hamas?
En Israël, il n’y a pas que les électeurs d’extrême droite qui ne font pas la moindre confiance au Hamas et qui pensent qu’il doit être mis hors d’état de nuire. Ce sentiment est général dans la société.
Mais alors que deviendront les otages? « Qui sauve un homme sauve un monde ». La formule est répétée comme un mantra. Pour beaucoup d’Israéliens c’est le moment de l’appliquer, ce n’est pas une élégance d’ostentation et cela réfère à des valeurs centrales dans l’idée qu’ils se font de la morale juive. Il s’agit en outre de libérer des citoyens à l’égard desquels le gouvernement a failli à son devoir de protection.
La question est de savoir où placer le balancier. Une partie au moins des professionnels de la guerre ou des renseignements semble partager l’avis de Yoav Gallant que la présence physique permanente des Israéliens sur Philadelphie n’est pas actuellement indispensable, et il est impensable que le Ministre de la Défense aurait émis un tel avis s’il n’était pas soutenu par les grands militaires. Benny Gantz et Gadi Eisenkot dans leur conférence de presse commune soulignent que le contrôle direct du corridor de Philadelphie n’a pas un caractère existentiel pour Israël.
Pendant trente ans, a transité sous le corridor de Philadelphie un immense arsenal militaire et de construction, qui à lui seul rend la phrase de Gaza « camp de concentration à ciel ouvert » ridicule. À moins que, vicieusement, Dominique de Villepin rappelle que les tunnels ne sont justement pas à ciel ouvert… Il restera à savoir comment Israël s’est accommodé de ces passages, ou pire encore, comment il a pu les ignorer.
Mais aujourd’hui, si les spécialistes pensent que ces tunnels, ou plutôt ce qui en reste, présentent un risque contrôlable, ce n’est pas aux amateurs comme Ben Gvir de peser sur la décision. Cette décision peut signifier la mort pour des otages survivants. Le pays a des devoirs à leur égard et le Premier ministre israélien ne devrait pas y mêler des considérations d’alliances politiciennes.
Le chef de l’Église catholique est actuellement à Djakarta, capitale de l’Indonésie, pays de 275 millions d’habitants dont 80% sont musulmans. Politiquement, le Pape François semble ne se préoccuper que du « Sud global ».
Alors qu’on incendie en France églises et synagogues au nom de l’islam, notre pape dont le nom pourtant signifie « de France » (que l’on prononce François, Francis ou Francisco) est en visite dans « le premier pays musulman du monde », dans l’indifférence manifeste à ces incendies, comme d’ailleurs aux massacres quasi quotidiens perpétrés par les islamistes sur les chrétiens, par exemple au Burkina Faso.
François est venu à Marseille l’an dernier (précisant qu’il ne venait pas pour autant « en France »), pour nous exhorter à ouvrir grand nos frontières d’Europe aux migrants du monde entier (musulmans, dans leur écrasante majorité).
On l’a à peine entendu lors du 7 octobre, et plus du tout à chaque nouvel assassinat d’otages, comme pour les six malheureux du week-end dernier. On l’entend en revanche constamment déplorer la souffrance du peuple palestinien. Citons Vatican News: « Dans un message aux musulmans du monde entier, diffusé par la chaîne d’information saoudienne Al-Arabiya, à l’occasion de la fin du ramadan, le Souverain pontife a de nouveau imploré la fin de la guerre entre Israël et le Hamas. «Ne laissons pas la guerre s’étendre! Arrêtons l’inertie du mal!», s’est-il exclamé, vendredi 12 avril. » Ou encore, le 8 juin: « J’exhorte la communauté internationale à agir d’urgence pour aider la population de Gaza. »
Pourtant le christianisme inventeur de l’antisémitisme ne cesse de rappeler qu’Israël est le peuple élu, et que Jésus le Nazaréen fut crucifié sous l’intitulé « Roi des Juifs ». Dimanche dernier encore, le Deutéronome de la 1ere lecture, (comme presque chaque dimanche de la messe chrétienne) rappelait que l’union de Dieu avec son peuple Israël est primordiale, première et sacrée. « Moïse disait au peuple : « Maintenant, Israël, écoute les décrets et les ordonnances que je vous enseigne pour que vous les mettiez en pratique. Ainsi vous vivrez, vous entrerez, pour en prendre possession, dans le pays que vous donne le Seigneur, le Dieu de vos pères. (…) Tous les peuples s’écrieront : Il n’y a pas un peuple sage et intelligent comme cette grande nation ! » (Dt, IV, 1-8)
Le Saint Père sait bien que notre Seigneur Jésus Christ n’a jamais été chrétien mais juif, priant et enseignant dans des « synagogues », des « temples ». Qu’il fut circoncis huit jours après sa naissance, raison pour laquelle nous fêtons le 1er janvier de l’an Zéro (une semaine après le 25 décembre) comme le début de notre Ère (oui, sa circoncision, symbole d’alliance avec son peuple, et non pas sa naissance). Que sa mère Marie était une bonne petite juive. Que la terre d’Israël est depuis quelque 30 siècles celle du peuple juif (cf. ci-dessus), menacée par des peuples descendants des Philistins ou des Babyloniens, d’une cruauté redoublée et galvanisée depuis 13 siècles par l’islam.
Et le Pape François ne voit pas que c’est Israël dont il devrait dire tous les jours le martyre ? Des églises et des synagogues sont incendiées en France par des adeptes de Mahomet, qu’attend-il pour venir constater les dégâts, prier parmi nos ruines ?
Le 7 octobre, le Hamas a capturé 251 personnes. Près d’un an plus tard, 106 otages, dont deux Franco-Israéliens, sont toujours retenus à Gaza – morts ou vivants. Cette tragédie remet en question le contrat moral qui unit l’État à ses citoyens, et divise une société israélienne déjà profondément fracturée.
Quiconque arrive à l’aéroport Ben-Gourion à Tel-Aviv est saisi par leurs visages, placardés dans le vaste hall qui sépare la zone de débarquement de la sortie. Jeunes, vieux, hommes, femmes, enfants, beaucoup sourient, saisis dans un moment heureux qui, peut-être, leur tient secrètement compagnie dans leur prison. Dans les manifestations clairsemées qui ont lieu en leur honneur, à Paris et dans d’autres villes européennes, ils interpellent les passants comme pour leur dire « Ne nous oubliez pas ! ». Il se trouve aussi dans ces mêmes villes des salopards pour déchirer ces affiches, profanation minable qui ose se draper dans des considérations humanitaires. Pour Israël, les otages sont littéralement une tragédie – une situation sans solution : d’une part, le contrat moral entre l’État et ses citoyens veut qu’on les ramène à n’importe quel prix ; et de l’autre, la survie collective ne peut pas être sacrifiée à ces vies humaines, aussi précieuses soient-elles. Alors on rêve d’une opération Entebbe[1] – les méchants sont punis et les innocents, libérés : une fin à la James Bond est la seule issue heureuse.
Israël, une grande famille
Le 7 octobre 2023, lors de l’attaque surprise du Hamas, 251 personnes, ainsi qu’un nombre indéterminé de cadavres, ont été enlevées en territoire israélien et emmenées à Gaza pour servir de monnaie d’échange et de boucliers humains à la milice islamiste. Un peu moins de la moitié des personnes prises vivantes l’ont été au kibboutz Nir Oz (71) et lors de la fête Nova (41). 32 otages étaient des étrangers, principalement thaïlandais, et 25 des militaires. 37 otages avaient moins de 18 ans, mais ils ont tous été libérés en novembre 2023, à l’exception des deux enfants de la famille Bibas, dont le plus jeune, Kfir (« lionceau » en hébreu), avait 9 mois lors de son enlèvement.
Le 22 novembre 2023, dans le cadre d’un accord entre Israël et le Hamas, 80 otages israéliens ont été libérés, ainsi que 23 Thaïlandais et un Philippin, en échange de 240 prisonniers palestiniens détenus par Israël. Six otages ont été libérés vivants lors des opérations spéciales menées par l’armée israélienne et d’autres, via des accords entre leurs gouvernements respectifs et le Hamas. Aujourd’hui, 107 Israéliens, dont deux binationaux français, sont toujours détenus à Gaza. Plusieurs dizaines d’entre eux sont probablement décédés.
Si cette prise d’otages est sans précédent en raison de son ampleur et du contexte, la question des otages hante la société israélienne depuis les prises d’otages perpétrées par l’OLP dans les années 1970 : le détournement de l’avion de Sabena, le massacre des JO de Munich (initialement une prise d’otages) en 1972, et bien sûr l’affaire du vol Air France détourné vers Entebbe en 1976.
En 1982, pendant la guerre au Liban, des soldats de Tsahal sont faits prisonniers par le FPLP d’Ahmed Jibril et, faute de pouvoir les libérer par la force, Israël accepte de libérer 1 151 détenus palestiniens, dont Ahmed Yassin qui fondera le Hamas en 1987. Déjà à l’époque, le pays se déchire entre les considérations d’ordre stratégique et le respect du contrat moral tacite entre l’État et ses citoyens en uniforme. L’accord laissera un goût amer, en raison notamment du rôle important joué dans l’Intifada par certains des prisonniers palestiniens libérés. Un jeune aviateur le paiera de sa vie.
Lors d’une mission de combat au-dessus du Liban en octobre 1986, un pilote et un navigateur sont contraints de s’éjecter après un problème de munitions à bord de leur avion. Si le pilote est récupéré par Tsahal, l’autre aviateur, Ron Arad, est capturé par des miliciens chiites d’Amal. C’est le début d’une triste affaire qui mobilise la société civile israélienne pendant presque vingt ans. Aujourd’hui, on estime qu’Arad est probablement mort au plus tard au milieu des années 1990. Il est également largement reconnu que les dirigeants israéliens, échaudés par les critiques de l’accord avec le FPLP, ont laissé passer des occasions de libérer Arad. Pour la première fois, le public comprend que, contrairement au discours officiel, son gouvernement ne paiera pas n’importe quel prix pour récupérer ses soldats. Pour une société qui se voit encore comme une grande famille dont certains membres portent l’uniforme, cette confrontation avec la raison d’État est douloureuse.
Le soutien aux otages devient une expression partisane
À peine remis de cette tragédie, les Israéliens découvrent Gilad Shalit, enlevé en juin 2006 par un commando du Hamas qui s’est infiltré par un tunnel. Le visage de Gilad remplace celui d’Arad à l’arrière des voitures, la pression médiatique reprend. En octobre 2011, après soixante-quatre mois de captivité, Shalit est libéré en échange de 1 021 prisonniers palestiniens, dont… Yahya Sinouar, l’actuel chef du Hamas et l’un des artisans du 7 octobre 2023.
On comprend que la série télévisée Hatufim, relatant l’histoire de militaires israéliens libérés après dix-sept ans de détention, ait tenu Israël en haleine. Des éléments des affaires Jibril/FPLP, Ron Arad et de Gilad Shalit sont clairement présents dans cette fiction, premier succès à l’exportation de l’industrie israélienne de production télévisuelle, qui a inspiré une version américaine, Homeland.
Malgré cette riche expérience, ni l’État ni la société israélienne ne semblent mieux préparés à gérer ces situations douloureuses. En revanche, au cours de ce demi-siècle, l’un et l’autre ont considérablement changé. Pour la première fois, la traditionnelle solidarité instinctive avec les otages cède parfois la place à des expressions d’indifférence. Certains ne voient en eux que des gauchistes, des kibboutzniks, des fêtards drogués, bref pas des juifs comme il faut. Ce qui faisait totalement consensus il y a trente ans – le soutien aux otages – est désormais une expression partisane. Cela rappelle que le 7 octobre a fait irruption dans une société travaillée par une crise identitaire profonde – certains disaient le pays au bord de la guerre civile. Près d’un an plus tard, et alors que la guerre continue au nord et au sud, la douloureuse question des otages montre que cette crise est toujours là.
[1] Dans la nuit du 3 au 4 juillet 1976, les forces spéciales israéliennes ont libéré et exfiltré les passagers d’un vol Air France Tel-Aviv/Paris, détourné par le FPLP et stationné sur l’aéroport d’Entebbe à Kampala. Cette opération, menée à des milliers de kilomètres d’Israël, est entrée dans la légende. Trois otages et un militaire israélien (le frère aîné de Benjamin Nétanyahou) ont été tués. Une quatrième otage a été assassinée plus tard à l’hôpital par des Ougandais.
Le plus beau et le plus méconnu des films (1964) de François Truffaut ressort aujourd’hui en version restaurée au cinéma
C’est le plus beau et le plus méconnu des films de François Truffaut : La Peau douce ressort sur les écrans en cette rentrée et on ne peut que s’en réjouir. Chaque nouvelle vision de ce film apporte son lot de surprises et de découvertes. Véritable déclaration d’amour à Françoise Dorléac, que Truffaut avait surnommé Framboise, c’est aussi un autoportrait fort peu complaisant d’un homme partagé entre deux femmes et que Jean Desailly incarne à l’extrême perfection. L’acteur en voudra d’ailleurs ensuite à Truffaut de lui avoir confié le rôle sinon d’un lâche, du moins d’un velléitaire assez pitoyable. Le cinéaste mène son film tambour battant jusqu’à la scène finale et définitive, se payant même le luxe d’un passage provincial à la Chabrol avec le formidable Daniel Ceccaldi. Mais La Peau douce annonce surtout les grands films brûlants de Truffaut dont le mot d’ordre, commun et passionné, pourrait être : « Ni avec toi, ni sans toi. »
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Dans notre grand entretien, le président de Reconquête, se confiant à Elisabeth Lévy, explique que la stratégie de dédiabolisation poursuivie par le RN revient à se soumettre à la gauche. L’urgence, c’est de mener le combat identitaire car « la France est assiégée par une civilisation étrangère » qui a notamment ravivé l’antisémitisme. Pour lui, la politique est une affaire trop belle et trop grande pour être confiée à des politiciens obsédés par les sondages. Il appelle à ce qu’il nomme « une révolution antipolitique ».
Notre dossier du mois, « Flemme olympique », dissèque cette France qui ne cesse de se montrer allergique au travail. Le présentant, Élisabeth Lévy affirme que,pour beaucoup de Français, le travail est un mal qui n’est plus nécessaire. Le culte de l’effort a laissé place à celui de la consommation, et l’État veille – à crédit – au « pouvoir d’achat » d’une nation qui produit de moins en moins. Ce modèle magique est au cœur de la crise française. Se livrant à Jean-Baptiste Roques, l’essayiste Nicolas Baverez fait un diagnostic accablant : la France a raté le train de la mondialisation économique, la croissance est à plat, les faillites explosent, et l’État est incapable d’assurer aux Français les services de base de leur vie quotidienne. Pour autant, le pays ne manque pas d’atouts pour sortir de la spirale du déclin. Nos politiques parlent incessamment du « pouvoir d’achat », ce paresseux mantra, selon Stéphane Germain. On nous répète qu’il est en berne alors qu’il ne cesse d’augmenter, au prix d’un endettement irresponsable. Ce système redistributif dessert l’intérêt général, sans parler des générations futures. Le fond du problème, nous explique Philippe d’Iribarne, c’est que nos concitoyens sont de plus en plus fâchés avec le travail car, dans un pays où l’égalitarisme a pris le pouvoir, l’effort leur inspire davantage de ressentiment que de fierté. Vouloir en finir avec cette ultime distinction qu’est la réussite par le talent et l’exigence, c’est promettre la société à la médiocrité et à l’assistanat.
Le numéro 126 de « Causeur » est disponible à la vente aujourd’hui sur le site, et jeudi chez votre marchand de journaux !
Rien de tout à fait nouveau sous le soleil : d’Épicure à Céline en passant par Montaigne et Lafargue, une longue tradition philosophique et littéraire invite l’honnête homme français au farniente. Comme le dit Frédéric Magellan au terme de son analyse, il est difficile de lutter contre tant de beaux esprits…
Dans son éditorial, Elisabeth Lévy commence par un mea culpa : « Je me suis trompée et j’en suis ravie. Les JO n’ont pas été la catastrophe que je craignais ». Ce n’est pas pour autant qu’elle supporte avec équanimité la propagande olympique qui ne désarme pas. Car à en croire Le Monde, « l’héritage » des Jeux « devrait être d’affaiblir les discours exploitant les colères et les peurs, les stratégies misant sur la haine des autres ». Commentaire de notre directrice de la rédaction : « Dommage que la niaiserie médiatique ne soit pas une discipline olympique, on aurait raflé toutes les médailles ». Sur un autre ton, Elisabeth Lévy commente aussi l’attentat contre la synagogue de la Grande-Motte qui a suscité dans la classe politique les habituelles rodomontades, généralement annonciatrices de renoncements. Certes, la gauche et les macronistes, qui ont pactisé avec LFI et pactiseront encore demain si cela sert leurs intérêts, dénoncent sa responsabilité dans la recrudescence des actes anti-juifs. Mais tous refusent avec constance de voir que dans une grande partie de la jeunesse musulmane, l’antisémitisme est devenu tendance.
Emmanuelle Ménard, qui transforme sa chronique « Ma vie à l’Assemblée » en « Ma vie après l’Assemblée », ne craint pas de tirer les enseignements d’une défaite en politique. L’été qu’elle a passé à Béziers n’a cessé de la confronter à des êtres incarnant pleinement et merveilleusement les qualités de résistance, volonté, travail et courage. Comme pour mieux lui rappeler leur pendant : humilité et force morale. Jean-François Achilli analyse l’état actuel de la gauche. Le PS, tiraillé entre la social-démocratie et les sirènes révolutionnaires, cultive un complexe moral et intellectuel vis-à-vis de LFI. Le parti de Jean-Luc Mélenchon est devenu le moteur d’une famille politique déchirée, tout juste capable de s’entendre quand ses intérêts électoraux convergent. Harold Hyman nous invite à traverser l’Atlantique où, à en croire médias et réseaux sociaux, les Américains sont au bord de la guerre civile. Certes, des sujets de société tels que l’avortement et le port d’armes séparent les Démocrates des Républicains. Cependant, derrière les effets de manche et les concours d’invectives, leurs états-majors ont compris que les électeurs aspirent à un certain centrisme.
Le 7 octobre, le Hamas a capturé 251 personnes. Près d’un an plus tard, 107 otages, dont deux franco-israéliens, sont toujours retenus à Gaza – morts ou vivants. Pour Gil Mihaely, cette tragédie remet en question le contrat moral qui unit l’État à ses citoyens, et divise une société israélienne déjà profondément fracturée. Enfin, je reviens sur les émeutes anti-immigration qui ont éclaté en Angleterre cet été. Instrumentalisées ou non, elles ont révélé la détresse économique et sociale d’une classe populaire blanche « invisibilisée » par les élus et les médias. Dans cette société ethniquement cloisonnée, seules les minorités ont le droit de revendiquer leur identité.
Nos pages culture s’ouvrent sur l’hommage rendu par Marin de Viry à notre ami Benoît Duteurtre qui est mort le 16 juillet, à 64 ans. Il n’était pas seulement ce musicologue amoureux de l’opérette et de la chanson française que beaucoup connaissent. C’était aussi un romancier qui a su croquer la bêtise, les laideurs et les petitesses du quotidien avec un regard critique et désabusé. La mort d’Alain Delon tourne l’ultime page du cinéma français. Pour Yannis Ezziadi sa disparition emporte le mystère et les secrets des grands maîtres qu’il admirait tant, et révèle combien notre nouveau monde de la culture a répudié l’art. Georgia Ray nous révèle un contraste qui en dit long sur l’esthétique contemporaine. Si les JO nous ont offert la beauté des corps en mouvement, ils nous ont imposé aussi les statues pathétiques de dix « femmes en or » et des Vénus flashy au palais Bourbon. En revanche, le Louvre présente la beauté éternelle : les marbres antiques de la collection Torlonia. Un rêve de pierre dans lequel les corps ont leur langage. La mort d’Alain Delon a clôturé un été cinématographique plutôt morose, selon Jean Chauvet, bien que l’on puisse se réjouir du succès de Monte-Cristo. Heureusement que la rentrée se place sous les bons auspices d’un film iranien décapant.
Septembre, c’est la rentrée littéraire : Jonathan Siksou a trouvé que, effet de mode ou signe du temps, nombre de romanciers ont plongé leur plume dans l’histoire, la grande comme la petite, et choisi comme héros des personnages célèbres ou méconnus. Autant d’ouvrages qui redonnent vie au passé. Patrick Mandon salue l’ouvrage de deux jeunes gens, Ludovic Marino et Louis Michaud, Jean Cau, l’indocile, préfacé par Franz-Olivier Giesbert, qui lève enfin la sentence d’oubli qui frappait Jean Cau (1925-1993), cette figure majeure de résistance au conformisme. Comme le rappelle Julien San Frax, Bruno Patino, jeune journalise, a interviewé Pinochet à Santiago. Le dictateur a habilement retourné l’entretien et les deux hommes ont fini par rire ensemble. C’était il y a 30 ans et ce moment l’obsède encore. Rire avec le diable est sa « confession ».
Philippe Faure-Brac est un sommelier de génie et son Bistrot du Sommelier est une institution parisienne depuis 40 ans. Emmanuel Tresmontant nous présente cet homme qui est aussi un pionnier : il a été le premier à proposer des menus-dégustation « autour du vin » pour promouvoir les grands crus, et à sillonner les vignobles pour y dénicher des pépites inconnues.
Dans ses carnets, Ivan Rioufol raconte comment macronie et gauches réunies ont effacé l’expression de l’exaspération française. Le RN s’est vu privé des postes qui lui revenaient à l’Assemblée et l’indésirable droite a assisté au tour de passe-passe qui a permis la réélection de Yaël Braun-Pivet au perchoir. Si l’on veut nommer la chose, c’est un déni de la démocratie. Enfin, Gilles-William Goldnadel, président d’Avocats sans frontières, demande l’interdiction de LFI. Car selon lui, « La France insoumise n’est pas un parti démocratique. Il est temps d’en tirer les conséquences ».
1967. Alain Delon et Mick Jagger sont assis sur un canapé. Entre les deux, Marianne Faithfull, la compagne de la rock-star. Elle n’a d’yeux que pour l’élégance française qui ringardise la coolitude…
Alain Delon est mort. On le savait très affaibli depuis quelque temps, mais on se surprend à l’avoir espéré éternel. La vieillesse comme la mort sont un outrage à la beauté.
Et quelle beauté. Magnétique, insolente, éclaboussant le monde comme un soleil. Scandaleuse beauté, que le jeune homme portait comme une élection. Mireille Darc avouait il y a quelques années être parfois restée éveillée pour le regarder dormir. Et ce n’est pas le moindre paradoxe de Delon que d’avoir été beau comme peut l’être une femme tout en incarnant le summum de la virilité.
La mélancolie tempérait l’acier du regard et « humanisait » ce visage trop parfait. Qui ne se serait damné pour des yeux aussi désarmants, où la tristesse le disputait à l’éclat ? Cette grâce, cette présence, injustes parce que données, ont séduit bien des femmes et sans doute irrité bien des hommes. La célèbre photographie prise en 1967, montrant Marianne Faithfull assise entre son compagnon d’alors, Mick Jagger, et Alain Delon, visage et sourire tout entiers tournés vers l’acteur, souligne plaisamment à quel point il devait être difficile pour un homme, fût-il une rockstar, d’exister à côté d’Alain Delon. La légende qui accompagne aujourd’hui l’image se passe de commentaire : « When you’re Mick Jagger but the other one is Alain Delon. » Impossible de lutter. Jagger semble penaud, absent, défraîchi ; Delon prend toute la lumière et tout l’espace, élégant, désinvolte. Jagger n’existe pas. Phèdre chez Racine décrit Hippolyte « charmant, jeune, traînant tous les cœurs après soi ». Qu’aurait-elle dit si, par le jeu d’une improbable acrobatie temporelle, son regard s’était posé sur la beauté renversante du jeune Alain Delon ?
La beauté subjugue, elle est un sortilège. De nombreux réalisateurs, et pas des moindres, sont tombés sous le charme, jusqu’à la fascination amoureuse si l’on pense à Visconti. Notre paysage mental est peuplé du visage ironique et flamboyant de Tancrède, des grands yeux candides de Rocco, et chez les autres, les Clément, les Deray, les Melville, d’un corps solaire et délié, en pleine mer ou au bord d’une piscine, de la face hiératique et glaciale d’un samouraï dont la froideur n’altère jamais la beauté. Dans Plein soleil on se prend même, contre toute morale, à souhaiter que jamais ne se fasse coincer, pour reprendre le vers de Genet, « un assassin si beau qu’il fait pâlir le jour »… Tous ont perçu la force de frappe de ce garçon qui crève l’écran, peut-être parce qu’il ne joue pas mais, comme il se plaisait à le dire, parce qu’il est chaque fois le personnage qu’on lui demande d’incarner, avec un engagement et une conviction qui semblent naturels. Il est sans conteste l’assassin machiavélique de Maurice Ronet, il est un monsieur Klein pris au piège de l’histoire, il est flic, truand ou tueur à gages avec la même force, comme il a été prince sicilien ou jeune frère désarmé par sa propre bonté.
Une présence incandescente jusque dans ses tourments, qu’ils soient cinématographiques ou personnels (car Delon n’est pas une image lisse sur papier glacé), portée par une élégance sans faille, dans l’apparence comme dans le verbe. C’est sans doute à ce titre qu’il représente si pleinement, pour autant que ce vocable ait encore un sens aujourd’hui, l’homme français : une mise impeccable sans être guindée, de la tenue, au propre comme au figuré, une séduction faite d’un charme puissant mâtiné de panache et de désinvolture. Là encore, il suffit de le revoir dans son costume gris clair, dans une décontraction presque insolente, à côté d’un Mick Jagger ringardisé par la coolitude étudiée de ses vêtements roses…
Alain Delon incarne l’homme français… et c’est bien le problème. Emmanuel Macron pourrait sans doute prétendre, avec beaucoup d’autres aujourd’hui, qu’il n’y a pas plus d’« homme français » qu’il n’y a de culture française, que l’homme français est divers, qu’il existe des hommes en France, pour parodier son assertion. Ce serait ignorer qu’il y eut longtemps un archétype dans lequel la grande majorité des Français se reconnaissait, et que Delon résume et sublime. Si aujourd’hui beaucoup (principalement à gauche) ne lui ont rendu aucun hommage après l’annonce de sa disparition, ou se sont répandus en vilenies à son propos, c’est précisément parce qu’il est trop français, trop blanc, trop catholique (il prétendait ne pas croire en Dieu, mais avouait une dévotion à Marie et s’était fait édifier une chapelle dans sa propriété de Douchy), trop peu conforme à la nouvelle population « créolisée » que d’aucuns appellent à remplacer l’encombrant peuple de souche.
Et même pas homosexuel, Delon. Ça l’aurait peut-être sauvé à l’heure où il est de bon ton d’appartenir à une minorité nécessairement opprimée. Mais non : Delon aimait les femmes, et en plus il se permettait d’avoir des critères de sélection, il les préférait plutôt grandes, belles et si possible intelligentes. Pas facile à proclamer dans une époque qui a l’égalitarisme prodigue et arrogant… Bien sûr Delon a pu faire preuve de goujaterie dans sa vie amoureuse, il n’est pas sans défaut, mais cela vaut-il le procès en misogynie intenté par certains, largement battu en brèche par les amitiés vraies qu’il a su nouer avec Romy Schneider ou Mireille Darc après leur rupture… Beaucoup des femmes qui l’ont aimé un jour l’ont aimé à jamais. Sandrine Rousseau et sa clique, au lieu de pointer sa « masculinité », toxique, forcément toxique, auraient pu au moins saluer l’immense acteur, son exceptionnelle contribution au rayonnement du septième art (… et de la France) ; mais Delon n’était pas un mâle suffisamment déconstruit pour être célébré.
Il ne coche donc aucune des cases qui valent aujourd’hui brevet de vertu : il prône l’ordre, la discipline, l’autorité (autant dire des valeurs fascistes !), il admire ceux qui risquent leur vie pour leur pays (on est loin du pitoyable « cheh » de la dispensable sociologue Ricordeau1), il est patriote, enraciné, il se reconnaît des maîtres. Il préfère l’exigence de la verticalité aux fausses promesses de l’horizontalité. Il prétendait, et on peut le croire, n’avoir aucun regret à quitter une époque aussi minable que la nôtre. Les réactions haineuses qui ont suivi sa mort apportent la triste confirmation de son verdict. Pour pouvoir s’incliner, il faut reconnaître plus grand que soi, se sentir redevable, héritier, ce dont notre temps est précisément incapable.
Brigitte Bardot écrit très justement qu’« Alain en mourant met fin au magnifique chapitre d’une époque révolue ». Une époque, dont le cinéma se faisait aussi l’écho, et que beaucoup, parfois même sans l’avoir vécue, se prennent à regretter… Une époque et des individus, libres dans leur façon d’être et d’aimer, quintessence de l’esprit français, que Delon comme Bardot incarnaient merveilleusement.
On lui a souvent reproché sa froideur et sa distance, exactement opposées à la gouaille et la jovialité d’un Belmondo plus accessible et disert. On n’a pas toujours compris la solitude et la mélancolie de cet être comblé par toutes les grâces. On l’a cru misanthrope, aigri. Et sans doute son amour des chiens disait-il sa déception des hommes, lui qui plaçait très haut les vieilles valeurs de fidélité et de loyauté. Cet homme issu du peuple était un aristocrate et savait qu’un chien ne trahit pas.
Finalement Alain Delon est un résidu scandaleux du monde d’avant, qui refusa toujours de communier, dans la liesse obligatoire, à l’avènement du bel aujourd’hui. Son péché capital est évidemment politique. Dans le milieu du cinéma, on est de gauche et on le montre, on fait constamment allégeance à la doxa progressiste, ou si on a le mauvais goût de ne pas en être, on ne la ramène pas. Delon, lui, la ramenait, il n’avait pas le tropisme droitier honteux, et c’est impardonnable. Il n’a pas (à l’exception du César de rattrapage en 2019) été récompensé par la profession à la hauteur de son talent et de sa filmographie, et plusieurs mettent cet « oubli » sur le compte de positions politiques non conformes. Les petits commissaires politiques d’internet s’en donnent à cœur joie, méconnaissant la décence commune qui consiste à ne pas cracher sur les morts de fraîche date : « conservateur en politique, mufle avec les femmes, père laissant à désirer » (où l’on voit bien que la faute première est politique, et que tout le reste apparaît comme une suite logique), « réac », « facho »…
L’insipide Nicolas Mathieu s’est lui aussi fendu d’un commentaire ahurissant de bêtise et de sectarisme : « Delon n’était pas un chic type. Tout de lui semble fait pour scandaliser nos susceptibilités actuelles. » Il reconnaît sa « beauté totale » (c’est bien le moins), mais rien d’autre ne trouve grâce à ses yeux parce que Delon n’était pas dans l’approbation béate de l’air du temps. Crime de lèse-progressisme ! Dans la vision de l’écrivain, inconsistant parangon des vertus du temps présent, gauche égale sympa, droite pas sympa. On a connu plus subtil. Mais Delon, c’est vrai, n’a jamais cherché à passer pour un « chic type », un mec cool prêt à se coucher devant tous les diktats de la modernité et à abdiquer ce qu’il était pour complaire aux nouveaux curés. Delon, qui a soutenu la droite giscardienne ou filloniste, n’a jamais caché son amitié pour Jean-Marie Le Pen, rencontré lors de la guerre d’Indochine. Un os à ronger pour les petits Torquemada, qui voient là la marque du diable, la preuve de l’infamie. De là où il est, on peut penser que Delon les emmerde.
Un plein soleil ne s’éteint jamais.
Sur les réseaux sociaux, la sociologue Gwenola Ricordeau a ironisé sur la mort de deux pilotes tués dans un accident en Meurthe-et-Moselle mercredi 14 août. ↩︎
En couverture du livre de Pierre Abou Le Cercle des chacals, photo sépia pleine page, l’animal a pris la forme d’un officier de la Wehrmacht, casqué, ganté, fièrement monté, sabre en main, sur un cheval qui marche au pas. En arrière-plan, les arcades de la rue de Rivoli. Le cavalier en question ? Le célèbre écrivain allemand Ernst Jünger (1895-1998). Sous-titre de l’ouvrage : Le Paris outragé d’Ernst Jünger et des nazis « francophiles »...
Sur Wikipédia, le mot « chacal » désigne, au sens propre, « plusieurs espèces de petite ou de moyenne taille de la famille des Canidés. C’est un mammifère adaptable et opportuniste ». Au figuré, il « symbolise l’astuce ou l’intelligence dans les cultures populaires, notamment celle des sorciers, voire le mythe interculturel du fripon » : la cible est désignée.
Voilà donc Jünger photographié ici en 1941, soit dans les premiers temps de l’Occupation. De fait, l’ancien héros de la Grande Guerre, l’auteur d’Orages d’acier tant admiré d’Adolf Hitler, a bien été en poste à l’hôtel Majestic (l’actuel palace Peninsula Paris, sis 19 avenue Kléber, dans le XVIème arrondissement), alors réquisitionné par l’occupant nazi pour héberger son quartier général, à deux pas de la rue Lauriston, de sinistre mémoire. « Ce livre, annonce Pierre Abou, a pour ambition de raconter les deux premières années de l’Occupation du point de vue de ces princes de l’ombre que furent les membres les plus influents du Commandement militaire en France… » Dans ce microcosme actif, Jünger est l’élément qui aimante – et aiguise – le coutelas acéré de l’auteur : c’est dans une prose nette, froidement courroucée, que Pierre Abou, tout au long de ces 300 pages, écorche vif ces caciques de l’appareil national-socialiste dont la postérité a efficacement effacé, pour nombre d’entre eux, le crime, a minima, de complicité dans la barbarie nazie.
Bons souvenirs de Paris…
Parmi eux, le juriste Werner Best (1903-1989), ancien SS qui poursuivra, après-guerre, une brillante carrière au ministère des Affaires étrangères de la RFA, et dont le rôle central est ici réévalué, si l’on ose dire. Ou encore le fameux Hans Speidel (1897-1984), chef d’état- major d’Otto von Stülpnagel qui dirige les forces d’occupation, lequel Speidel, connu surtout pour avoir été au cœur de la conspiration contre le Führer aboutissant à l’attentat raté du 20 juillet 1944, et qui sera appelé, bien plus tard et ce jusqu’à sa retraite, à commander les forces terrestres de l’Otan.
Le cercle des chacals, donc : derrière ce titre un rien racoleur, Abou règle ses comptes avec une historiographie bien trop tendre, selon lui, envers ces protagonistes élégants et cultivés qui faisaient bombance dans une capitale soumise aux restrictions, voire à la terreur, et dont les citoyens Juifs étaient déjà persécutés sous leurs yeux. Si la période étudiée ici « s’arrête en mai 1942 » c’est-à-dire au moment des « mutations affectant les postes clefs du commandement militaire en France », en réalité l’ouvrage, à cet égard passionnant, ouvre d’abondantes perspectives sur le contexte plus général de la relation du régime de Vichy aux instances du Reich, et sur la suite des événements jusqu’à la débandade finale.
Diatribe fulminante contre ces « ‘’hommes du Majestic’’ isolés du pays conquis et installés dans une posture de toute puissante », qu’il nomme aussi « les sous-mariniers de l’avenue Kléber », l’ouvrage fustige le déni d’accointance à l’hydre nazi, propre à « cette organisation, (…) machine à laver les taches sur l’honneur des uniformes, aussi efficace que les laveries automatiques dernier cri » (sic). Mais surtout, Le Cercle des chacals tourne concentriquement autour de la figure décidément honnie d’Ernst Jünger : quand bien même, dixit Abou, « le chacal [a] la caractéristique de s’enhardir en meute », il concentre sur lui les motifs de sa vindicte.
D’un bout à l’autre en effet, Abou, en cela moins historien que polémiste, s’acharne à démontrer la fourberie, la parfaite mauvaise foi, l’indignité du grand écrivain germanique. Toujours controversé en Allemagne quand il reste encore durablement célébré en France (à l’instar d’un Heidegger qui fut son illustre ami), l’auteur du Travailleur, des Falaises de marbre, de Jardins et routes, du Journal parisien, de Soixante-dix s’efface, etc. dissimule, aux yeux de Pierre Abou, sous ses traits marmoréens de mondain francophile, d’esthète et de penseur féru d’entomologie, une entreprise laborieuse et concertée de blanchiment de ce que fut en réalité ce capitaine en vert-de-gris : l’instrument zélé du pouvoir nazi.
Dossier à charge contre Jünger
Pour notre « historien », Ernst Jünger, plus retors qu’aucun autre, aura sculpté sa propre statue sur la base d’un mensonge patiemment, consciencieusement ourdi jusqu’au soir de sa très longue vie : de révision en révision de son œuvre, de traductions en traductions revues et corrigées, il ne se serait employé qu’à travestir son rôle exact d’agent de renseignement sous l’Occupation, taupe infiltrée dans l’intelligentsia parisienne pour rendre compte en haut-lieu de l’état de l’opinion, pilotant « la mise sur écoute et la violation des correspondances des Français à grande échelle » depuis son apparente thébaïde de l’hôtel Raphaël, entre deux festins arrosés de grands crus au Ritz ou à la Tour d’argent…
Certes, insiste l’auteur en postface : « il n’entrait pas dans l’objet de cette enquête de se prononcer sur la valeur esthétique, philosophique ou métaphysique tes textes dont [les protagonistes] sont les auteurs ou les sujets ». Reste que ce dossier à charge contre Jünger aurait probablement gagné à s’équilibrer d’un regard, sinon complaisant, à tout le moins apte à lui reconnaître une place éminente dans le paysage intellectuel du XXème siècle. La détestation qu’Abou lui porte va jusqu’à dénier à l’auteur pourtant très talentueux des romans d’anticipation Heliopolis (1949) ou Eumeswill (1977) la moindre once d’authenticité dans la lente évolution de ses postures philosophiques. Ainsi en va-t-il de la figure de « L’Arnaque » revendiquée par Jünger dans son âge avancé : explicitant le concept avec justesse – « l’Anarque est à l’anarchiste ce que le monarque est au monarchise : souverain de sa vision intime du monde, au nom de laquelle il refuse au pouvoir politique les droits qu’il lui reconnaît dans la sphère publique » -, Pierre Abou n’y voit jamais qu’« un subterfuge de Jünger pour exonérer sa conduite au commandement militaire allemand en France ».
Dès lors, il lui intente un procès gagné d’avance : Jünger a tout manigancé ; c’est un manipulateur. Même le drame affreux de la perte de son fils, soldat de 17 ans accusé de propos séditieux contre le régime, projeté pour ce seul motif sur le front d’Italie en 1944 où il trouvera la mort, se voit retourné par Pierre Abou contre le père indigne, qui aurait cyniquement envoyé son garçon au casse-pipe ! L’attentat de 1944 contre Hitler ? Jünger se prévaudra d’une proximité supposée avec les conjurés, alors même que ceux-ci, se défiant de lui, auraient pris grand soin au contraire, s’il faut en croire Abou, de le tenir à distance du « projet Walkyrie ». Quand Pierre Abou place en exergue du chapitre 8, ‘’Revoir Paris’’, une phrase tirée du Second journal parisien d’Ernst Jünger, c’est pour n’en proposer qu’une traduction fort médiocre : « Les villes sont des femmes, tendres seulement avec le vainqueur », cite-t-il. Au lieu que « les villes sont femmes, et ne sont tendres qu’au vainqueur » rendrait compte, au moins, de l’élégance de style propre à l’écrivain. Etc.
Au-delà du règlement de compte contre cet « esthète » supposément sans foi ni loi, Le Cercle des chacals dépeint de façon captivante les rouages de la haute administration à l’aurore de l’Occupation ; les rivalités, les tensions, les clivages dans la hiérarchie ; l’idiosyncrasie de ce « Cercle rouge » envisagé par ses membres comme un ordre de chevalerie formé (pour citer Jünger) « à l’intérieur de la machine militaire » (…) dans le ventre du Léviathan » ; l’organisation des structures qui vont s’emparer du ‘’ problème Juif ‘’ et conduire à ce qu’il est convenu d’appeler chez nous ‘’ la rafle des notables’’, le 12 décembre 1941, puis aux exécutions d’otages, préludes à la funeste ‘’Solution finale’’…
« Personnaliser le crime d’un organisme officiel est une tâche difficile pour un magistrat instructeur ce que je ne suis pas », confie Pierre Abou. Son récit décrypte pourtant avec soin l’énorme entreprise d’asservissement d’une nation et de ses réprouvés, mettant un nom sur les acteurs de ce forfait – et posant sur eux un verdict très personnel. Si, en matière historique, il n’y a pas de vérité absolue, il faut des essayistes engagés pour l’approcher. Pierre Abou en est un.
A lire : Le Cercle des chacals, de Pierre Abou. Editions du Cerf, 2024. 376 pages